N° 249

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 février 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation pour l'Union européenne (1) sur la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres ,

Par MM. Hubert HAENEL, Maurice BLIN, Serge LAGAUCHE

et Serge VINÇON,

Sénateurs.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; M. Denis Badré, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean-Léonce Dupont, Claude Estier, Jean François-Poncet, Lucien Lanier, vice-présidents ; M. Hubert Durand-Chastel, secrétaire ; MM. Bernard Angels, Robert Badinter, Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Bizet, Jacques Blanc, Maurice Blin, Gilbert Chabroux, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean-Paul Émin, Pierre Fauchon, André Ferrand, Philippe François, Yann Gaillard, Emmanuel Hamel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Simon Sutour, Jean-Marie Vanlerenberghe, Paul Vergès, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Union européenne.

SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

(Réunion du 6 février 2002)

« Comment établir, et maintenir ensuite, une délimitation plus précise des compétences entre l'Union européenne et les États membres, qui soit conforme au principe de subsidiarité ? »

C'est là un des quatre thèmes de réflexion - à côté de la simplification des traités, du statut de la Charte des droits fondamentaux et du rôle des parlements nationaux - retenus par la déclaration relative à l'avenir de l'Union qui a été annexée au traité de Nice. Ces quatre thèmes devaient constituer les axes du débat préparatoire à la Conférence intergouvernementale qui doit être convoquée en 2004.

Ayant traité de la simplification des traités et du statut de la Charte des droits fondamentaux à l'occasion de mon rapport sur « l'idée d'une Constitution pour l'Union européenne » et du rôle des parlements nationaux avec le rapport de Daniel Hoeffel sur « une deuxième chambre européenne » , la délégation du Sénat a estimé nécessaire de se pencher sur ce problème de la répartition des compétences. Ce sujet peut paraître fort abstrait, mais il recouvre des réalités très concrètes qui provoquent parfois des réactions vives de la part de nos concitoyens.

Comme le souligne très justement la déclaration sur l'avenir de l'Europe adoptée par le Conseil européen de Laeken :

« Le citoyen nourrit souvent à l'égard de l'Union européenne des attentes auxquelles elle ne répond pas toujours ; à l'inverse, il a parfois l'impression que l'Union en fait trop dans des domaines où son intervention n'est pas toujours indispensable. Il faut donc rendre plus claire la répartition des compétences entre l'Union et les États membres, la simplifier et l'ajuster à la lumière des nouveaux défis auxquels l'Union est confrontée. Pour ce faire, on peut aussi bien restituer certaines tâches aux États membres que confier de nouvelles missions à l'Union ou élargir les compétences actuelles. »

Les diverses tentatives d'aborder cette question de manière globale en tentant de dresser un catalogue exhaustif des compétences exclusives et des compétences partagées n'a guère permis jusqu'ici de progresser véritablement vers une solution opérationnelle. C'est pourquoi, optant pour une démarche plus pragmatique et plus modeste, nous avons choisi d'examiner quelques domaines d'action précis de la Communauté afin d'établir un bilan de l'activité de cette dernière et de dégager des orientations, pour chacun de ces domaines, en vue d'une meilleure délimitation des compétences.

Bien entendu, il n'était pas question pour la délégation d'examiner, un à un, tous les domaines d'action de la Communauté, pour examiner dans quelle mesure une meilleure répartition des compétences était possible. L'exercice aurait été démesuré. Il était plus intéressant et plus réaliste de s'en tenir à quelques domaines particulièrement controversés, pouvant servir d'exemple. Dans cet esprit, nous avons retenu trois domaines :

- la culture , qui a fait l'objet d'une étude de Maurice Blin ;

- l' environnement , qui suscite des difficultés nombreuses et qui a fait l'objet d'une étude de Serge Vinçon ;

- enfin, l' éducation , qui a fait l'objet d'une étude de Serge Lagauche.

Quels enseignements de portée plus générale peut-on tirer de ces trois exemples ?

1 . D'abord, qu' il paraît très difficile de définir des blocs de compétences permettant d'attribuer clairement certaines compétences à l'Union et certaines autres aux États membres.

L'idée de définir des blocs de compétences a été défendue par le passé par d'excellents européens. Par exemple, devant la délégation même, Jacques Delors a souhaité que l'on réduise la « zone grise » des compétences partagées et que l'on parvienne, au contraire, à mieux préciser les compétences exclusives de l'Union et les compétences exclusives des États membres. Il en tirait la conclusion que, par exemple, la culture et l'éducation devraient être des compétences exclusives des États membres. Cela n'empêcherait pas une coopération européenne dans ces domaines, nous avait-il précisé, mais la Communauté en tant que telle, avec ses institutions et ses procédures, n'avait pas, selon lui, à intervenir dans ces domaines.

C'est une vision séduisante par sa clarté, mais les communications que nous ont présentées Maurice Blin et Serge Lagauche suggèrent une autre conclusion. Nous voyons bien que, dans le domaine de la culture comme dans celui de l'éducation, la Communauté a une vraie responsabilité à exercer :

- en matière de culture, elle doit intervenir activement pour encourager les échanges entre pays membres, les traductions, la circulation des artistes et des oeuvres, cette action étant le pendant, à l'intérieur de l'Europe, de la défense de l'« exception culturelle » vis-à-vis de l'extérieur ;

- en matière d'éducation, elle doit agir pour développer fortement la mobilité des étudiants et des enseignants, ainsi que le plurilinguisme.

Ainsi, même dans les domaines que l'on pourrait songer à exclure en bloc du champ d'action communautaire, il s'avère qu'une intervention de la Communauté est en réalité très souhaitable, voire indispensable, si l'on veut poursuivre certains objectifs.

Donc le premier enseignement de nos travaux me paraît être qu' une approche par bloc de compétences n'est pas adaptée à la construction européenne. On ne peut espérer tracer une frontière entre les compétences de l'Union et celles des États membres, ce qu'en termes juridiques, on appelle le « fédéralisme dualiste » ; la construction européenne relève plutôt du « fédéralisme coopératif » où les compétences sont très largement partagées.

Cela doit conduire à ne pas nourrir trop d'illusions quant à la simplification des traités. C'est un des objectifs retenus par la déclaration de Nice, et, naturellement, nous souhaitons tous que les traités soient aussi simples que possible. Mais à partir du moment où l'on ne peut espérer définir des blocs de compétences, il faut reconnaître que les traités ne peuvent non plus être grandement simplifiés. On peut sûrement parvenir à une présentation plus claire, mais sûrement pas aux formules lapidaires du Code Napoléon.

2. Faut-il pour autant renoncer à la meilleure répartition des compétences ? Ce n'est pas, me semble-t-il, ce qui ressort de nos travaux. Au contraire, ceux-ci suggèrent un deuxième enseignement, à savoir que la rédaction des traités n'est pas satisfaisante .

Les analyses de nos rapporteurs montrent que les interventions communautaires ne sont réellement utiles que pour certains objectifs. J'ai déjà évoqué ce problème dans les cas de l'éducation et de la culture. Si l'on prend maintenant le domaine de l'environnement, on voit qu'une intervention communautaire est nécessaire afin de définir des règles générales communes pour la lutte contre la pollution de l'air, la pollution de l'eau, ou encore la gestion des déchets ; en revanche, pour d'autres domaines, comme les eaux de baignade, la préservation des dunes ou les règles concernant les zoos, la nécessité d'une intervention communautaire paraît beaucoup plus douteuse.

Or, les traités sont rédigés de manière si vague qu'ils ne dégagent pas de véritables priorités et qu'ils peuvent servir de base à pratiquement n'importe quelle action. Le résultat, c'est que l'action communautaire a tendance à se disperser et, souvent, à se traduire par un saupoudrage de moyens sans réelle efficacité . Dans les trois grands domaines que nous avons examinés, il existe des programmes communautaires d'une utilité indiscutable dont les moyens sont limités, parce qu'ils doivent partager les financements communautaires avec d'autres programmes dont l'utilité est plus incertaine.

Cela nous a conduit à constater qu' il faudrait davantage marquer certaines priorités dans le texte même du traité . Les traités sont le seul guide dont nous disposons pour préciser le rôle de chacun. Je ne crois pas, je viens de le dire, à des traités beaucoup plus simples. Mais je crois qu'ils pourraient en revanche être moins vagues, qu'ils pourraient hiérarchiser davantage les objectifs au lieu de les juxtaposer.

3. Le troisième constat que l'on peut faire est l' insuffisante application du principe de subsidiarité .

Ce principe, bien compris, n'est pas destiné à brider l'action communautaire. Il prescrit certes à la Communauté de ne pas chercher à faire elle-même ce que les États membres peuvent tout aussi bien réaliser. Mais, en même temps, il aide la Communauté à être plus efficace en se concentrant sur ses vraies missions, celles pour lesquelles elle est la mieux placée.

Or, ce que nous avons constaté, c'est non seulement que la Communauté ne se concentre pas assez sur les missions qui lui incombent en propre, mais aussi qu'elle met en oeuvre, dans certains cas, des actions qui pourraient parfaitement relever des États membres ou de leurs collectivités locales. La Communauté subventionne des orchestres, finance la rénovation de bâtiments, réglemente la pose des compteurs d'eau, met en place des programmes d'amélioration des zones urbaines... Bien sûr, ces actions peuvent être tout à fait bonnes en elles-mêmes, mais il n'y a aucun bénéfice à les mener depuis Bruxelles.

Mieux vaut concentrer l'action européenne là où elle peut permettre d'atteindre des objectifs que les États membres - ou leurs collectivités - ne peuvent pas réaliser.

Une rédaction plus soignée des traités pourrait certes y aider. Mais elle ne suffirait pas endiguer la tendance à la dispersion des interventions communautaires, car cette tendance vient du fait qu' il n'existe, dans les institutions européennes, aucun garde-fou dans ce domaine.

D'où l'intérêt que présenterait un organe composé de parlementaires nationaux , quel que soit son nom - « seconde Chambre » comme l'a suggéré Daniel Hoeffel ou « Congrès des Parlements », comme l'a proposé le Premier Ministre - dont une des missions serait de tirer la sonnette d'alarme en matière de subsidiarité. Cette assemblée, qui serait une sorte de « COSAC renforcée » devrait pouvoir saisir la Cour de justice des Communautés européennes, conduisant ainsi la Commission, le Conseil et le Parlement à se montrer plus vigilants qu'aujourd'hui sur le respect de la subsidiarité .

En conclusion, je dirai qu'au travers des quelques domaines que nous avons examinés - domaines peu nombreux, mais très significatifs pour le problème posé - nous pouvons proposer des éléments de réponse à la question que le Conseil européen de Nice a adressé à la Convention et à la future CIG : « Comment établir, et maintenir ensuite, une délimitation plus précise des compétences entre l'Union et les États membres, qui soit conforme au principe de subsidiarité ».

En réalité, il ne peut y avoir de frontière nette entre les compétences de l'Union et celles des Etats membres. Posé de cette manière, le problème est sans doute insoluble. Ce que nous pouvons faire, en revanche, c'est aider l'Union à se concentrer sur les questions pour lesquelles elle est le meilleur échelon de décision. Cela suppose une rédaction des traités qui donne plus clairement qu'aujourd'hui des priorités à l'action communautaire. Et cela appelle la mise en place d'une instance parlementaire de vigilance, incitant la Communauté à ne pas multiplier inutilement les interventions.

Hubert Haenel

I. LE DOMAINE DE LA CULTURE (Réunion du 4 décembre 2001)

A. COMMUNICATION DE M. MAURICE BLIN

La culture constitue une question centrale du point de vue de la répartition des compétences. Certes, elle n'occupe qu'une place marginale au sein de l'Union européenne (1 ( * )) , mais l'importance des enjeux qu'elle soulève dépasse son poids relatif. La culture fait ainsi partie des domaines les plus souvent cités lorsqu'on aborde la question de la subsidiarité, en particulier en Allemagne.

Une réflexion sur « comment établir, et maintenir ensuite, une délimitation plus précise des compétences entre l'Union et les Etats membres, qui soit conforme au principe de subsidiarité » , comme nous y invite la déclaration sur l'avenir de l'Union européenne, annexée au traité de Nice, ne pouvait donc faire l'impasse sur le sujet de la culture.

Pour ce faire, il est nécessaire de partir des dispositions du traité consacrées à la culture, avant d'évaluer l'action actuelle de l'Union européenne en matière culturelle au regard de sa compétence et du principe de subsidiarité, et de proposer éventuellement des améliorations afin d'aboutir à une répartition plus claire des compétences entre la Communauté et les Etats membres.

1. Le traité : les compétences de l'Union européenne en matière culturelle

La reconnaissance explicite de la culture comme compétence communautaire ne date que de 1992, soit plus de quarante ans après le début de la construction communautaire. C'est le traité de Maastricht qui a, pour la première fois, inséré dans le traité instituant la Communauté européenne un article relatif à la culture. Cet article, qui n'a été que légèrement modifié par le traité d'Amsterdam, a constitué récemment l'une des pierres d'achoppement des négociations de la dernière conférence intergouvernementale qui l'a, finalement, laissé inchangé.

a) Pendant longtemps le traité n'a reconnu aucune compétence culturelle à la Communauté.

Comment expliquer la longue absence de la culture dans les textes communautaires ?

La culture figurait pourtant au centre même du projet européen à ses débuts, notamment lors du Congrès de La Haye en 1948. Toutefois, si le Conseil de l'Europe s'est vu confier, dès 1949, un certain nombre de missions dans ce domaine, la culture restera pendant longtemps la parente pauvre de la construction communautaire qui privilégiera l'unification économique.

En réalité, l'exclusion de la culture du champ d'intervention communautaire découle de la sensibilité particulière de ce domaine. La culture est, en effet, étroitement liée à l'essence même de l'Etat nation et, dès lors, elle a été dès l'origine associée à l'unification politique . Les échecs successifs de cette voie, comme, par exemple, l'échec de la CED, ont donc contribué à exclure la culture du champ de la construction européenne, avec d'autres domaines régaliens, tels que la défense ou la justice, au profit du domaine économique selon la méthode des « petits pas ».

La culture, qui constitue pourtant le fondement même de la construction européenne, puisque l'Europe se définit moins par la géographie, que par la communauté de culture qui unit ses peuples, a donc été délibérément écartée par les pionniers de l'Union de l'Europe. Le succès de la formule attribuée à Jean Monnet « si c'était à refaire, je commencerais par la culture » , qui est apocryphe, provient directement de ce paradoxe.

A cette raison principale, s'ajoutaient également d'autres facteurs. D'une part, les « petits pays » sont restés très longtemps réticents à l'égard d'une action culturelle européenne, parce qu'ils craignaient un « impérialisme culturel » de leurs voisins.

D'autre part, certains Etats étaient méfiants à l'égard d'une « politique » culturelle , soit parce qu'ils déléguaient cette compétence à des organismes privés, tels le Royaume-Uni, soit parce que les compétences culturelles étaient le propre des régions, comme en République fédérale d'Allemagne. Ainsi, la création d'un ministère de la culture en France en 1959 et la politique volontariste conduite par ses titulaires successifs a fait figure d'exception en Europe. Ce n'est qu'en 1997-1998 qu'un ministère de la culture a été créé au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie.

La réticence de certains Etats à l'égard d'une compétence communautaire en matière culturelle s'est notamment illustrée par l'attitude des Länder allemands soucieux de préserver leurs compétences exclusives dans ce domaine. Ainsi, les initiatives de la Communauté dans le domaine audiovisuel, ont fait l'objet d'un recours de plusieurs Länder devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui a rendu un arrêt le 22 mars 1995, sans se prononcer directement sur la répartition des compétences entre les trois niveaux de collectivités.

b) L'inclusion d'une compétence culturelle dans le traité
(1) Elle succède à un interventionnisme culturel exercé de fait par la Communauté.

La reconnaissance explicite d'une compétence en matière culturelle marque, en réalité, l'aboutissement d'une longue période où la Communauté est intervenue de manière diffuse dans le domaine de la culture .

Bien que ne disposant pas de base juridique pour mener cette action, et malgré les fortes réticences manifestées par certains Etats membres, la Communauté, sous l'impulsion de la Commission européenne et du Parlement européen, a consacré, dès la fin des années 1970, des efforts croissants dans ce domaine. Ainsi, en matière audiovisuelle, les deux instruments principaux, le programme MEDIA et la directive « Télévision sans frontières », ont été adoptés respectivement en 1986 et en 1989.

Comme le note un observateur avisé « ce n'étaient alors que les prémices d'une pratique depuis lors bien connue et qui consiste pour la Commission à contourner l'absence de dispositions expresses dans les traités et, par conséquent, à s'arranger de la volonté des Etats membres de ne pas transférer certaines compétences à la Communauté européenne en organisant des actions ayant pour but de faire participer directement les acteurs concernés à des activités a priori exclues des compétences communautaires » (2 ( * )).

L'inclusion dans le traité d'un article relatif à la culture , qui fit l'objet d'âpres discussions entre les Etats membres, doit donc moins être interprétée comme le signe d'une volonté affichée de mener une véritable action culturelle, voire une politique culturelle communautaire, mais plutôt comme la nécessité ressentie par les Etats membres d'encadrer une compétence culturelle exercée de facto par la Communauté.

(2) Elle manifeste les fortes réserves des Etats membres à l'égard d'une action culturelle européenne.

Ces réserves se manifestent d'abord par la définition d'objectifs ambigus.

Il ressort, en effet, du traité que « l'épanouissement des cultures des Etats membres » constitue la priorité de l'action communautaire qui doit pour cela respecter « leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun ». De même, lorsque le traité affirme le principe de la prise en compte de la culture dans l'ensemble des politiques communautaires, il répète que la finalité principale est bien de « respecter et promouvoir la diversité ».

Or, on ne peut que s'étonner que « l'épanouissement des cultures des Etats membres » soit le but essentiel assigné à l'Union, et non la mise en valeur de l'identité culturelle européenne, qui apparaît en quelque sorte dans le traité de manière accessoire.

Ce paradoxe s'explique, en réalité, par la crainte des Etats membres d'une éventuelle « politique culturelle uniformisante », menée par la Communauté, qui menacerait la spécificité des cultures nationales .

Les réserves des Etats membres expliquent également le refus de l'harmonisation des législations.

Le traité prend garde de mentionner explicitement que toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres est exclue .

Il apparaît donc que, non seulement, la culture n'est pas une compétence exclusive, mais que, pour la Communauté, elle se situe même au plus bas de l'échelle des compétences partagées avec les Etats membres, puisque l'action communautaire se borne à encourager la coopération entre les Etats membres et, seulement le cas échéant, à appuyer et à compléter leur action dans certains domaines. De même, l'article 3 du traité instituant la Communauté, ne prévoit qu'une simple « contribution ».

Enfin, les Etats ont retenu, pour l'adoption d'actions culturelles, une procédure de décision lourde.

La procédure de décision en matière culturelle est, en effet, la plus lourde possible, puisqu'elle nécessite à la fois un accord complet entre le Conseil et le Parlement européen et l'unanimité au sein du Conseil.

Bref, tout se passe comme si la culture avait été introduite à contrecoeur dans les traités et qu'à partir du moment où elle y figurait, la principale préoccupation était de se prémunir contre des possibles excès de la part de Bruxelles.

Cela ne peut véritablement surprendre dès lors que l'on garde à l'esprit que, aux yeux de beaucoup d'observateurs, la diversité culturelle est un des éléments de l'identité et de la spécificité européennes.

(3) Son objectif paraît peu compatible avec le principe de subsidiarité.

C'est l'article 5 du traité instituant la Communauté qui définit de la manière la plus lapidaire les composantes du principe de subsidiarité. Il dispose en effet que :

« La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité.

Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.

L'action de la Communauté n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité. »

Or, du fait même que l'objectif principal défini par le traité pour l'action culturelle communautaire est de contribuer « à l'épanouissement des cultures des Etats membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun » , on voit mal quelles actions communautaires peuvent pleinement respecter, ou contredire, ce principe. A partir de quel moment peut-on considérer que « l'épanouissement des cultures des Etats membres » n'est pas réalisé de manière satisfaisante par les Etats ? Quelles actions communautaires, en raison de leurs dimensions ou de leurs effets, sont mieux susceptibles que des mesures nationales de contribuer à l'épanouissement des cultures des Etats membres ?

* (1) La part du budget communautaire consacrée à la culture représente moins de 0,5 %, même si l'intervention de l'Union ne se limite pas seulement aux mesures d'encouragement, mais prend aussi la forme de directives concernant le marché intérieur ou de décisions relevant de la politique de la concurrence et de la politique commerciale commune.

* (2) M. Thierry Granturco « La genèse de l'intégration de la culture au sein des compétences communautaires » in Revue d'histoire de l'intégration européenne , volume 5, 1 er janvier 1999, page 109.

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