2. Les actions culturelles de la Communauté

Lorsqu'on examine les divers documents relatifs à l'action culturelle communautaire, on est frappé par la diversité et la multiplicité des actions dans ce domaine.

Cette multiplicité est d'abord présente dans les thèmes abordés : le patrimoine, le livre, les arts du spectacle, les arts visuels et les arts appliqués, le cinéma et la télévision, les nouvelles technologies, mais aussi la protection des mineurs, la qualité architecturale, etc. Aucun domaine de la culture n'échappe à l'Union.

Cette diversité se retrouve également dans les multiples sources de financement de la culture au niveau européen. Ainsi, le recueil élaboré par le Relais culture Europe, dans sa dernière édition, ne compte pas moins de 400 pages. Il s'agit là d'un indicateur, certes imparfait, mais qui montre l'étendue de la capacité d'intervention de l'Union dans le domaine culturel.

Enfin, une dernière difficulté vient du fait que l'immense majorité des actions entreprises par l'Union dans le domaine de la culture ne sont pas fondées sur l'article 151 qui traite de la culture, mais sont prises sur un autre fondement juridique. En particulier, la politique de la concurrence exerce un impact beaucoup plus important sur le secteur de la culture en Europe que les maigres programmes culturels. Comment peut-on alors évaluer l'action culturelle européenne au regard du seul article 151 ?

La Communauté intervient, en réalité, de deux manières très différentes dans le secteur de la culture. D'une part, elle met en oeuvre des programmes , qui visent à exercer une incitation financière en direction des opérateurs et des collectivités. Et, d'autre part, l'action de la Communauté comporte un aspect réglementaire , qui s'exerce par le biais de normes juridiques ou de décisions à caractère contraignant. Or, les conséquences de ces deux types d'actions sur la délimitation des compétences sont très différentes. En effet, s'il est relativement aisé de revenir sur un programme de financement, en revanche, il est beaucoup plus difficile d'abroger une norme juridique. D'autant plus, que, très souvent, la Communauté se réfère à des normes adoptées précédemment pour conférer une base juridique à de nouvelles normes par une sorte d' « effet d'entraînement ». Il s'exerce donc une sorte d' « effet de cliquet », en vertu duquel une compétence conférée par une norme à la Communauté ne peut plus être remise en cause.

a) Les programmes

Le programme « Culture 2000 » se veut l'instrument financier unique de la Communauté dans le domaine de la culture. Pourtant, la très grande majorité des fonds financiers européens consacrés à la culture sont le fait des fonds structurels, c'est-à-dire de la politique régionale et de cohésion. Alors, que le premier ne répond pas au souci d'efficacité contenu dans le principe de subsidiarité, les fonds structurels consacrés à la culture sont, quant à eux, plus problématiques du point de vue de leur légitimité.

(1) Culture 2000

Le programme « Culture 2000 », fondé sur l'article 151, permet à la Communauté d'accorder des subventions à des projets de coopération culturelle émanant de différents acteurs européens. Adopté pour une période de cinq ans (2000-2005), il a remplacé les anciens programmes « Raphaël », « Ariane » et « Kaléidoscope ». Néanmoins, « Culture 2000 » ne concerne pas les domaines de l'audiovisuel et des nouvelles technologies, qui sont couverts par les programmes « Media Plus » et « e -contenu ».

La naissance de ce programme a été très difficile, puisque les négociations ont duré plus de dix-huit mois. La difficulté principale portait sur le montant de l'enveloppe financière. En définitive, le budget alloué à « Culture 2000 » est inférieur à 34 millions d'euros par an, alors qu'il s'applique à l'ensemble des pays européens. Il représente donc une très faible part du budget communautaire, environ 0,03 %. Compte tenu de la relative modicité de sa dotation, on aurait pu penser qu'il serait très concentré autour de quelques grandes priorités.

Or, d'une part, on constate que ses objectifs, très nombreux, témoignent moins d'une approche cohérente que du souci de ne mécontenter aucun des lobbies culturels européens . Et, d'autre part, que le taux élevé de cofinancement (jusqu'à 60 %) aboutit à n'aider qu'un nombre limité de projets (un sur huit au titre des mesures préparatoires).

Par ailleurs, l'opposition entre le Conseil et le Parlement européen sur la conception même du programme a abouti à découper celui-ci en trois types d'actions de philosophie très différente. En effet, le premier type d'action vise à soutenir des petits projets ponctuels. Le second a pour objectif la constitution à long terme de réseaux culturels européens. Et le troisième volet regroupe des actions déjà existantes, telles que « les capitales européennes de la culture » ou les « prix européens ». En définitive, les financements accordés au titre de « Culture 2000 », lorsqu'ils ne font pas naître des déceptions, tendent à s'assimiler à un « saupoudrage » d'un intérêt réduit.

Ainsi, au titre de l'année 2000, parmi les très nombreux projets ayant reçu un soutien financier communautaire, on trouve pêle-mêle un programme visant à améliorer la connaissance de la littérature féminine du XXe siècle, un projet sur le rôle de l'artisanat à l'époque romaine, un programme sur l'Europe celtique, un autre sur les minorités ethniques et un centré autour de l'usine. Les « prix européens », comme le prix de l'Union européenne pour l'architecture contemporaine restent, quant à eux, confinés dans une confidentialité presque complète.

(2) Les fonds structurels

Bien que les fonds structurels ne retiennent pas la culture comme objectif prioritaire, les projets à dominante culturelle peuvent néanmoins s'inscrire dans ces dispositifs, dans la mesure où la culture est un élément du développement économique et social.

Ces projets peuvent être, par exemple, la rénovation de salles de théâtre ou de cinéma ou la restauration de monuments historiques. Ces réalisations les plus souvent mises en avant sont la restauration du quartier du Temple Bar à Dublin, la rénovation du quartier de la forge à Volklingen (Sarre) ou encore le parc archéologique d'Athènes. S'il est difficile d'isoler les actions spécifiquement culturelles, étant donné que les programmes sont globaux, pluriannuels et, pour la plupart régionalisés, il ne fait pas de doute, cependant, qu'eu égard à l'importance des montants des fonds structurels, ceux-ci représentent de loin la principale source de financement communautaire dans le domaine culturel. Ainsi, la part des fonds structurels consacrés à la culture est estimée à environ 400 millions d'euros par an, soit environ 0,4 % du budget communautaire. Or, si les fonds structurels représentent la première source de financement de l'action culturelle européenne, celle-ci n'a d'européenne que le nom. La plupart des progrès cofinancés par l'Union sont, en effet, à finalité régionale ou locale.

En veut-on quelques exemples criants ?

La Communauté a financé, dans le cadre du programme LEADER, plus de 300 projets, pour un montant d'environ un demi-million de livres anglaises, d'une région rurale du Sud du Pays de Galles. Parmi ces projets, on trouve le réaménagement des sentiers de randonnée pédestre, la réhabilitation du paysage rural, la rénovation de plusieurs monuments comme un hospice médiéval ou une brasserie. Par ailleurs, l'un des axes principaux était la protection de la langue galloise.

D'autres programmes concernent « la valorisation de la culture et du patrimoine rural », « l'aménagement des paysages », « la rénovation de villages », « la réhabilitation des cités ouvrières », etc.

Au titre du Fonds social européen (FSE), on trouve également de nombreux projets culturels destinés aux chômeurs, comme, par exemple, la construction d'un navire du XVIe siècle pour insérer des jeunes chômeurs sans qualification professionnelle.

Sous l'angle de la répartition des compétences, qui est ici le nôtre, il ne convient pas de s'interroger en soi sur l'intérêt de ces projets, mais sur le bien-fondé d'un financement par l'Union européenne plutôt que par un Etat membre ou une collectivité décentralisée. Or, à l'évidence, dans la mesure où ces projets ne présentent qu'une dimension nationale, régionale ou locale, nul ne peut dire qu'ils « ne peuvent être réalisés, de manière suffisante, par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action, être mieux réalisés au niveau communautaire » .

b) L'aspect réglementaire

A côté des mesures d'encouragement, l'action communautaire en matière culturelle prend aussi la forme de réglementations . Certes l'article 151 proscrit explicitement toute harmonisation en matière culturelle, mais cela n'a pas empêché la Communauté d'intervenir par ce biais, en se fondant sur d'autres dispositions du traité, comme les dispositions relatives au marché intérieur.

Là encore, dans le cadre qui est le nôtre aujourd'hui - c'est-à-dire la répartition des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres - il ne nous revient pas de nous prononcer sur le caractère souhaitable ou non souhaitable des normes adoptées, mais seulement sur le bien-fondé du recours à une norme communautaire plutôt qu'à une norme nationale.

Certaines normes, à l'évidence, doivent être prises au niveau communautaire parce que des réglementations purement nationales seraient de nature à fausser la concurrence ou seraient inopérantes parce que trop facilement détournées. Il en va ainsi de nombreuses directives relatives aux droits d'auteur et aux droits voisins.

On peut estimer de même qu'il est logique que l'Union harmonise les législations nationales régissant le droit de suite au projet de l'auteur d'une oeuvre originale. On peut discuter de la solution retenue par l'Union européenne en faisant valoir que la concurrence en matière de commerce des oeuvres d'art est mondiale et que la mise en place d'un droit de suite dans l'ensemble des Etats membres, alors que les Etats-Unis ignorent ce droit, a pour effet de fausser la concurrence au profit des seuls Etats-Unis et au détriment de l'Europe. Mais on ne peut nier qu'une harmonisation au niveau européen est légitime et souhaitable.

Il en va de même de certaines dispositions relatives à l'audiovisuel dans la mesure où elles permettent la libre circulation des émissions de télévision dans l'Union européenne.

En revanche, on voit mal pourquoi l'Union européenne devrait décider que le prêt dans les bibliothèques doit être gratuit ou payant.

On ne voit pas davantage pourquoi, au nom de la libre concurrence, la Communauté devrait imposer aux Etats membres de renoncer au prix unique du livre. On peut être favorable ou non au prix unique du livre, mais on ne peut nier que sa motivation première est culturelle et qu'elle répond bien au souci d' épanouissement des cultures des Etats membres dans le respect de leur diversité .

Si l'exclusion des biens et services à caractère culturel de l'application des règles de concurrence serait contre-productive, il semble néanmoins que l'application stricte des règles de concurrence en matière culturelle soit en contradiction avec les objectifs de l' action culturelle européenne, comme avec la défense de l'« exception culturelle » dans les relations extérieures de la Communauté.

En réalité, le paragraphe 4 de l'article 151 du traité instituant la Communauté européenne, qui énonce que « la Communauté tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions du traité, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures », est resté lettre morte.

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