B. LA FRANCE PLUS PROCHE DE L'ALLEMAGNE QUE DU ROYAUME-UNI D'APRÈS L'IDATE

A la demande du Sénat, l'IDATE a réalisé une analyse de l'intensité concurrentielle, segment de marché par segment de marché, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni.

Le but poursuivi par votre rapporteur était de disposer d'éléments de source objective pour déceler si, réellement, on pouvait parler d' « exotisme » français en matière d'ouverture à la concurrence des télécommunications.

Sans reproduire ici intégralement les résultats de cette étude, qui figure en annexe du présent rapport, on peut toutefois en tirer trois principaux enseignements :

- si le marché français reste, sur certains points, un peu plus dominé par son opérateur historique que le marché allemand et se révèle moins ouvert que le marché britannique, ce constat n'est pas uniforme, certains segments du marché national étant déjà parfaitement concurrentiels ;

- la France n'est pas complètement « hors des clous » par rapport à ses deux grands voisins souvent cités comme modèles dans l'ensemble européen pour l'ouverture à la concurrence ;

- les principales difficultés rencontrées en France (dégroupage, concurrence sur la boucle locale...) se retrouvent au Royaume-Uni et en Allemagne.

1. Une dominance plus prononcée de l'opérateur historique français

Sur les sept critères de « dominance » de l'opérateur historique sur son marché domestique figurant dans le tableau ci-dessous, le poids relatif de l'opérateur français est supérieur à ses homologues allemand et britannique dans quatre cas (appels longue distance et internationaux, appels vers les mobiles, appels depuis les mobiles).

PARTS DE MARCHÉ EN VOLUME DE L'OPÉRATEUR HISTORIQUE
SUR SON MARCHÉ DOMESTIQUE

1999

2000

2001

Appels locaux

Allemagne

98 %

96,9 %

n.c.

France

n.c.

91,5 %

n.c.

Royaume-Uni

76,8 %

72,2 %

68,6 %

Appels longue distance

Allemagne

66 %

60 %

n.c.

France

80,7 %

72,2 %

64,6 %

Royaume-Uni

65,6 %

58,9 %

58,6 %

Appels internationaux

Allemagne

56 %

46 %

n.c.

France

n.c.

67,8 %

n.c.

Royaume-Uni

52,4 %

48,4 %

44,6 %

Appels vers les mobiles

Allemagne

77 %

71 %

n.c.

France

n.c.

90,7 %

n.c.

Royaume-Uni

66,7 %

64,7 %

61,7 %

Téléphonie mobile

Allemagne (T-Mobil)

39 %

39 %

41 %

France (Orange)

49 %

49 %

48 %

Royaume-Uni (Cellnet)

29 %

25,6 %

23,9 %

Accès à Internet (part de marché de l'opérateur historique sur l'accès commuté)

Allemagne

-

-

43 %

France

-

-

35 %

Royaume-Uni

-

-

15 %

ADSL (part de marché)

-

-

Allemagne

-

-

95 %

France

-

-

>90 %

Royaume-Uni

--

-

>95 %

Source : régulateurs et IDATE

En outre, plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont mis en avant un signal, à leurs yeux inquiétant, quant à l'état de la concurrence. Depuis début 2001, on observe en France un ralentissement des pertes de parts de marché de France Télécom sur le marché longue distance. A l'inverse, la présélection du transporteur pour les appels locaux 57 ( * ) , possible depuis début 2002, et permettant à une communication d'être acheminée par un concurrent pour les appels courte distance, devrait logiquement faire descendre les parts de marché de l'opérateur historique français sur les appels locaux.

2. Une situation qui reste globalement comparable à celle de l'Allemagne

a) Des ordres de grandeur identiques

A quelques points près, le degré de concurrence des marchés allemand et français est relativement comparable.

Deutsche Télécom a moins bien résisté pour les appels longue distance et mobiles, mais est mieux placé que son homologue français pour les accès à Internet, par exemple.

Par rapport à la situation française, la vraie exception semble bien être britannique, et non allemande.

b) L'exception anglaise

Le Royaume-Uni ayant été le premier pays en Europe à libéraliser son marché, la concurrence y est plus développée que dans les autres pays, y compris sur les appels locaux, et ceci avant même l'entrée en vigueur du dégroupage de la boucle locale. La libéralisation y a débuté en 1981 et BT (anciennement British Telecom) a été privatisé en 1984. En outre, la détermination du régulateur, l'OFTEL n'est plus à démontrer.

La conséquence de ce processus de libéralisation précoce est un marché qui apparaît actuellement comme l'un des plus concurrentiels d'Europe .

En effet, à fin mars 2001, BT ne détenait plus que 67,5 % du marché global de la téléphonie fixe en chiffre d'affaires, n'acheminant plus que 60 % du volume des communications. Le détail par segment de marché (en chiffre d'affaires) donne une part de 68,6 % pour les communications locales, 58,6 % pour la longue distance et 44,6 % pour l'international. Globalement sur le marché des entreprises, sa part de marché est tombée en deçà de 50 %, contre encore 67,1 % sur le marché résidentiel. Si la concurrence s'est donc comme partout portée d'abord sur les marchés les plus profitables, le développement rapide de la câblo-téléphonie (avec pour principaux câblo opérateurs NTL et Telewest) a permis aussi d'ouvrir largement le segment local, qui reste relativement épargné ailleurs en Europe. En outre, la perte de parts de marché de BT est régulière au fil des années, quel que soit le segment de marché. Sur le segment des appels internationaux, le plus concurrentiel en téléphonie fixe, BT ne possède plus que 37 % de part de marché. Sa filiale mobile, Cellnet, est deuxième sur le marché britannique derrière Vodaphone, avec seulement 24 % du marché. Pour l'accès à Internet, BT n'est que troisième, avec 15 % seulement du marché, contre respectivement 27 % et 18 % pour AOL et Freeserve.

3. Des difficultés partagées

a) Le dégroupage reste marginal sur les trois marchés

Le marché de la boucle locale est, en Allemagne, largement dominé par Deutsche Télécom, où les 52 concurrents de Deutsche Telekom se partageant seulement 3,1 % du trafic local (contre 1,8 % en 1999). L'IDATE indique : « à la fin 2001, ces opérateurs détiennent au total 750.000 lignes téléphoniques en exploitation, ce qui représente une part de marché en terme de lignes de seulement 1,5% . La concurrence de l'opérateur historique sur les communications locales est principalement le fait d'opérateurs locaux appelés « City Carriers » qui ont déployé des boucles locales dans 96 villes en Allemagne. En 2000, leur chiffre d'affaires cumulé s'élève à 2 milliards de deutsche mark et leur réseau est composé de 350.000 km de fibre optique ».

Toutefois, l'IDATE estime que cette situation -voisine du cas français- peut évoluer : « maintenant que Deutsche Telekom a vendu tous ses réseaux câblés, il y a de fortes probabilités qu'un surcroît de concurrence sur les communications locales ne vienne du secteur du câble. Une autre source de dynamisme de concurrence sera la présélection pour les appels locaux qui devrait être mise en place en 2002 ».

De plus, malgré une antériorité atypique dans l'ensemble européen en matière de dégroupage de la boucle locale , en Allemagne ce dernier « reste marginal » d'après l'IDATE, puisqu'il ne concerne qu'à peine plus de 1 % des lignes téléphoniques fixes. Soulignons d'ailleurs que sa mise en oeuvre n'a pas été facile et s'est accompagnée de nombreuses décisions et injonctions du régulateur (voir en annexe l'analyse de l'IDATE). En dépit de la précocité du dégroupage, le flux des lignes dégroupées ne subit pas d'accélération massive :

NOMBRE DE LIGNES DÉGROUPÉES (EN MILLIERS) EN ALLEMAGNE

Source : RegTP, IDATE.

En outre, ce n'est que suite à une décision judiciaire d'octobre 2001 que Deutsche Telekom s'est vu imposer, à compter de 2002, l'obligation de proposer, à côté du « dégroupage total » de la ligne d'abonné (proposé depuis février 1999) une « offre de gros » pour les offres RNIS 58 ( * ) et ADSL (voir en annexe pour la signification de ces termes).

Au Royaume-Uni , si le segment des communications locales est parmi les plus concurrentiels d'Europe 59 ( * ) , c'est en raison de la présence de cablo-opérateurs puissants, et non à cause de la mise en oeuvre -là aussi particulièrement laborieuse- du dégroupage. Car l'histoire de la mise en oeuvre du dégroupage de la boucle locale au Royaume-Uni vaut largement le « feuilleton » de son entrée en vigueur en France.

Comme cela est détaillé dans l'étude de l'IDATE, les premières consultations du régulateur anglais, l'OFTEL datent de 1998. A l'origine, une quarantaine d'opérateurs et fournisseurs d'accès à Internet ont manifesté leur intention de participer au processus de dégroupage conduit par l'OFTEL, concentrant leurs demandes de colocalisation dans les répartiteurs desservant les zones denses du territoire britannique.

Après des négociations s'apparentant au bras de fer entre l'ART et France Télécom sur la publication des quatre versions de l'offre de référence de l'opérateur, fin octobre 2001, une dizaine d'opérateurs britanniques étaient finalement encore impliqués de manière active dans le processus de dégroupage, leur demande de colocalisation portant sur quelque 200 centraux contre 2.100 au lancement. Les conditions financières sur le marché, les modalités pratiques de colocalisation et les charges associées annoncées par BT expliquent pour une large part la désaffection relative que connaît actuellement le processus de dégroupage au Royaume-Uni.

Au mois de septembre 2001, l'OFTEL a précisé qu'un peu plus de 100 lignes dégroupées avaient été effectivement connectées sur les 4 sites de test de Battersea, Edimbourg, Belfast et Leads, ce nombre étant évalué à 150 lignes au mois d'octobre.

La situation française n'est guère éloignée de ce tableau.

A la suite d'une consultation publique menée par l'ART en avril 1999, le dégroupage de la boucle locale a été juridiquement instauré en France en septembre 2000, par décret. France Télécom a publié en décembre 2000 une première offre de référence en matière de dégroupage.

Jugée insatisfaisante, cette offre de référence a fait l'objet d'une série de décisions et de mises en demeure de l'ART envers France Télécom au cours des premiers mois de l'année 2001, retardant la mise en oeuvre concrète du dégroupage qui devait avoir lieu le 1er janvier 2001, puis débouchant finalement sur la publication par France Télécom d'une nouvelle offre de référence le 16 juillet 2001. L'ART a notamment imposé à France Télécom des prix plafonds en matière de dégroupage pour l'accès total aux lignes dans les répartiteurs de France Télécom et l'accès partagé, afin de favoriser le développement de la concurrence aussi bien sur l'accès Internet que sur la téléphonie locale. Les prix du dégroupage ont été révisés à la baisse en février 2002.

Le dégroupage concret de lignes d'abonnés n'a ainsi démarré qu'en octobre 2001. L'observatoire de mise en oeuvre du dégroupage de l'ART fait état de quelques dizaines de lignes dégroupées au 30 octobre 2001, neuf opérateurs ayant commandé des salles de dégroupage. Parmi eux, six ont signé une convention de dégroupage avec France Télécom, leur permettant d'entrer en phase de commercialisation. Il s'agit de T-Systems Siris, Colt, Kaptech, Easynet, FirstMark, et LDCom (ce dernier au début décembre 2001). Tous visent des services d'accès Internet en ADSL à destination des entreprises, des fournisseurs d'accès ou des opérateurs. A la mi-décembre 2001, seuls Colt, Easynet et FirstMark ont lancé leurs services de dégroupage. Aucun n'a lancé pour l'instant d'offre de téléphonie fixe.

Le processus de colocalisation des opérateurs dans les sites de France Télécom a quant a lui débuté en avril 2001, avec les premières commandes de salles de colocalisation. Les premières livraisons de salles ont eu lieu en juillet 2001. Fin octobre 2001, le tableau de bord de l'ART annonçait 116 salles de colocalisation commandées par des opérateurs dont 83 d'entre elles avaient été livrées aux opérateurs par France Télécom. France Télécom annonce, à la mi-décembre 2001, 376 salles en commande par 9 opérateurs dont 91 livrées. Les opérateurs sont actuellement en phase de déploiement et d'installation de leurs équipements techniques.

L'IDATE estime d'ailleurs que « la France n'est pas en retard par rapport aux autres pays européens ».

b) Le segment haut débit « DSL » est sous la coupe de l'opérateur historique

En Allemagne , Deutsche Telecom raccorde 95 % des abonnés aux services DSL, les opérateurs alternatifs ne contrôlant que 5 % de ce marché.

Sur ce marché, l'opérateur historique est accusé d'abus de position dominante et, dans une décision du 30 mars 2001, le régulateur Reg-TP a mis en demeure Deutsche Telekom de modifier ses pratiques tarifaires, du fait de leur niveau inférieur aux coûts, et de proposer une offre de revente à ses concurrents. L'opérateur historique a porté la décision en appel. La Haute Cour Administrative a indiqué en octobre que l'appel ne suspend pas l'application de la décision. Le 18 décembre 2001, RegTP a annoncé engager des poursuites contre Deutsche Telekom pour ses pratiques tarifaires.

Le rythme de déploiement des services ADSL de Deutsche Telekom est très rapide : l'opérateur prévoit d'investir 1,12 milliard d'euros au cours des 2 prochaines années. 90 % des foyers allemands seront couverts en ADSL dès 2002.

Deutsche Telekom prévoyait 1 million de lignes à la fin 2000, mais ce n'est qu'à la mi-2001 que l'opérateur a franchi le cap du million de lignes DSL commandées, dont près de 700.000 déjà installées. Le décollage plus lent que prévu est en partie dû à la lenteur des livraisons des modems DSL par les constructeurs. Au 15 octobre 2001, la plus grande partie des retards étaient toutefois rattrapés. Deutsche Telekom revendique 1,2 million d'abonnés et raccorde 60.000 personnes par semaine.

Certains estiment que cette stratégie est typique du « first mover advantage », (l'avantage à l'initiative) la position dominante de l'opérateur historique lui permettant de préempter rapidement les marchés en développement.

Au Royaume-Uni , BT a créé en janvier 1999 une filiale, BroadCo, chargée de la commercialisation des services ADSL, à compter d'octobre 1999. BT a prévu de couvrir 70 % du territoire fin 2001 et 75 % de la population en 2002. Son programme de déploiement national de l'ADSL est le plus ambitieux d'Europe (investissement de 250 millions de livres dans les trois prochaines années).

Seules quelques centaines de lignes DSL auraient été attribuées à des opérateurs alternatifs, parmi les quelque 80.000 connexions DSL activées au total au mois de septembre 2001. L'offre « BT Openworld » de BT occupe de facto une position ultra dominante sur le marché des accès haut débit. Les fournisseurs d'accès et les opérateurs alternatifs sont pour l'heure contraints de souscrire les offres de location de lignes DSL de « BT Wholesale », selon des conditions de fourniture dont l'équité est mise sérieusement en doute.

La part de marché de BT sur ce segment est de 95 %.

L'IDATE décrit ainsi l'état de la concurrence : « Lenteur d'attribution des lignes et modèle économique à faible viabilité ont asphyxié plusieurs fournisseurs alternatifs, tandis que certains investisseurs se sont désengagés. (...) Finalement, il semble que seuls 5 ou 6 acteurs soient en mesure de mettre en oeuvre une stratégie pérenne compte tenu du protectionnisme instigué par l'opérateur historique et du contexte de déprime des marchés télécoms. Le cas d'OnCue est exemplaire de la brutalité du phénomène de contraction du marché. Créé il y a 18 mois l'opérateur DSL britannique a été liquidé en juillet 2001 après avoir investi 32,5 millions d'euros et placé les 600 lignes DSL auprès de sa clientèle d'entreprises ».

En France , en septembre 2001, France Télécom indique que plus de 50 % de ses lignes téléphoniques (soit 17 millions) sont équipées pour fournir des services via ADSL, ce qui représente près de la moitié des foyers et entreprises français. L'objectif de l'opérateur est de couvrir 80 % de la population d'ici 2003. Au total, France Télécom prévoit d'investir 500 millions d'Euros jusqu'en 2003 pour l'ADSL. L'opérateur compte avoir séduit 300.000 clients début 2002. Malgré plusieurs interventions du Conseil de la concurrence et l'existence de concurrents (Club-Internet, Liberty Surf, World-Net, Easy net, Infonie, Cégétel, Tiscali, Calt) qui utilisent en général des offres de gros de France Télécom pour définir leurs offres, ce dernier détient une part de marché supérieure à 90 % .

c) La BLR ne démarre pas

Dans aucun des trois grands pays européens étudiés, la boucle locale radio (BLR) n'est encore une alternative réelle aux offres à haut débit proposées par l'opérateur historique via l'ADSL.

LE BILAN DÉCEVANT DE LA BLR

(EN SEPTEMBRE 2001)

En septembre. 2001

Allemagne

France

Royaume-Uni

Opérateurs de licences

21 opérateurs se partageant 1671 licences.

2 opérateurs disposant d'une licence nationale (métropole) et 4 opérateurs se partageant 11 licences régionales (*)

6 opérateurs se partagent 16 licences (**)

Etat du déploiement à la fin 2001

5 opérateurs en faillite
6 opérateurs en activité
Réseaux en cours de déploiement

1 opérateur régional, pas encore en activité
Réseaux en cours de déploiement.

2 opérateurs en activité. Réseaux en cours de déploiement

(*) 11 licences régionales ont été rendues par LDCom suite à son rachat de BLR Service

(**) 36 licences invendues en 2000 devraient faire l'objet d'un prochain appel d'offre

Source : IDATE

Le processus de mise en place de boucles locales radio en France a débuté en avril 1998, avec le lancement par l'ART d'une phase transitoire d'expérimentation qui s'est terminée le 31 décembre 1999. Les licences de boucle locale radio ont été attribuées en juillet 2000, après un appel à candidatures lancé en novembre 1999. Deux ont obtenu une licence nationale FirstMark Communications France et Fortel (rebaptisé Squadran). Au niveau régional, 44 licences ont été attribuées aux huit opérateurs suivants : BLR Services (LD Com), Broadnet France, Landtel France, Completel, Siris, Belgacom France, Altitude (NormandNet). Enfin, 8 licences ont été attribuées pour les départements d'outre-mer à Cegetel, Informatique Télématique SA et XTS Network.

Cependant, ces licences ont été allouées sans souci d'une répartition équitable des territoires entre les opérateurs , afin de pondérer la rentabilité des investissements et de favoriser la diffusion de la technologie sur tous les territoires, y compris les moins favorisés. Bien au contraire, certains des portefeuilles octroyés n'étaient composés que de régions nanties et d'autres que de régions ayant plus de handicaps du point de vue de la rentabilité des investissements BLR.

A tel point que, n'ayant obtenu des licences que pour des régions peu peuplées (Corse, Auvergne, Franche-Comté), Siris et Completel ont refusé leur licence BLR. L'ART a alors lancé un nouvel appel à candidature pour ces régions en septembre 2000.

On ne peut que regretter que les impératifs d'aménagement du territoire, qui figurent pourtant parmi les missions législatives de l'ART, aient été si mal pris en compte dans la première vague d'attribution des licences de boucle locale radio . Un « panachage » de régions denses et moins denses au sein d'une même licence, au lieu d'un strict découpage régional, aurait sans doute permis d'éviter que des régions françaises ne se retrouvent -heureusement temporairement- sans opérateur régional de BLR.

Les premières boucles locales ont été ouvertes au cours de l'année 2001. FirstMark, qui cible le marché des entreprises, a été le premier opérateur à lancer des services de boucle locale radio en ouvrant sa première boucle à Nantes en janvier 2001. Les premiers opérateurs régionaux (Altitude, Belgacom) ont inauguré leurs réseaux en juin 2001.

Toutefois, les difficultés financières rencontrées par la plupart des opérateurs de BLR les ont incités à revoir leurs stratégies, voire à renoncer. Désormais, ils se concentrent essentiellement sur les zones à forte activité économique et ciblent exclusivement les PME .

Avec 15 boucles ouvertes début décembre 2001, FirstMark est l'opérateur de BLR le plus avancé en France dans le déploiement de ses infrastructures. Il est présent dans un peu moins d'une vingtaine d'unités urbaines d'ici la fin de l'année 2001 et prévoit plus de 140 unités urbaines d'ici fin 2004, soit 2000 communes. FirstMark ne revendique pour l'instant que quelques centaines d'entreprises clientes auxquelles il propose des services d'accès Internet et de transmission de données, les services de voix ne devant être lancés qu'au cours de l'année 2002.

Le deuxième détenteur d'une licence nationale, Fortel (aujourd'hui rebaptisé Squadran), a dû être repris à hauteur de 50% par LDCom en mai 2001 après le retrait d'UPC. LDCom a aussi été contraint de racheter la totalité de BLR Services à la suite de la faillite de son partenaire Teligent. Cette opération le dotant de 11 licences régionales en plus de la licence nationale de Squadran, LDCom a été contraint de rendre à l'ART les 11 licences de BLR Services.

Chez les opérateurs de BLR régionales, Belgacom a lancé en juin ses services dans 12 villes des 9 régions pour lesquelles il a reçu des licences. Belgacom, racheté lui aussi par LDCom, revendique une centaine d'entreprises clientes. Altitude Télécom a ouvert ses services sur la région Normandie où il a déployé 9 stations de base sur les grandes agglomérations lui permettant de servir 250 clients à la fin novembre 2001. A la fin 2001, Broadnet n'était présent qu'à Paris et Landtel, placé en redressement judiciaire, n'avait pas ouvert ses services.

En Allemagne , bien que le processus d'attribution des licences ait été engagé avant la France, le bilan n'est guère plus brillant.

Les dernières statistiques publiées par le régulateur datent de septembre 2000 et font état de 475 stations de base opérationnelles avec seulement 500 connexions vers les clients en place. En outre, le fractionnement des zones attribuées par le régulateur et les difficultés financières de nombreux acteurs ont conduit à la disparition de certains opérateurs : Landtel, FirstMark, Callino, Broadnet étant quant à lui en difficulté.

Au Royaume-Uni , en conséquence du relatif faible engouement suscité par la vente de licences de BLR, le processus de développement du marché de la boucle locale radio est peu avancé, Tele2 et Norweb Telecom, notamment, commençant seulement à déployer des offres.

4. L'UMTS : un aveuglement largement distribué

Sans s'étendre trop largement sur un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d'encre -et encore tout récemment, avec un rapport fort documenté du Conseil d'analyse économique 60 ( * ) - votre rapporteur souhaite cependant brièvement tordre le cou à une lecture -ou plutôt une relecture rétrospective- optimiste selon laquelle le Gouvernement français aurait montré plus de bon sens que ses voisins pour l'attribution des licences de téléphonie mobile de troisième génération.

Si la palme du bon sens et de la raison gardée revient peut-être aux Etats nord européens (Suède, Finlande...), et sans doute, en France, à quelques clairvoyants comme l'ART, elle ne saurait être attribuée ni au Gouvernement français, que les circonstances seules ont empêché de se montrer d'une rapacité budgétaire équivalente à celle de ses voisins, ni encore moins, mais chacun en convient plus aisément, à la Commission européenne .

Un bref rappel des faits permettra de s'en convaincre.

Aux termes d'une décision, prématurée, du 14 décembre 1998 du Conseil et du Parlement européen, prise à l'initiative de la Commission, et, disent certains, des équipementiers nord-européens, le choix a été fixé d'un déploiement effectif des réseaux au 1 er janvier 2002 , chaque Etat membre gardant le choix de la procédure d'attribution des licences, au nom du principe de subsidiarité. Il s'agissait de prendre de l'avance en Europe et, accessoirement, de regonfler les carnets de commandes des équipementiers. Alors que dans la plupart des Etats, le déploiement des réseaux GSM 61 ( * ) n'était pas amorti...

Les décisions européennes ne prévoyant aucune harmonisation des procédures , les choix du mode d'attribution des licences ont été différents suivant les Etats. La procédure de la soumission comparative ou « concours de beauté », qui avait été utilisée en règle générale au début des années quatre-vingt-dix lors de l'attribution des autorisations pour le GSM a été maintenue dans sept Etats membres (Finlande, Suède, Espagne, Irlande, Luxembourg, Portugal et France) ; huit autres ont opté pour les enchères (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-bas, Italie, Autriche, Belgique, Grèce et Danemark).

Comme le détaille le récent rapport du Conseil d'analyse économique, une onde de choc a été provoquée par les enchères britanniques , qui ont été réalisées les premières et ont abouti, le 27 avril 2000, à l'attribution de cinq licences, pour un montant total de 38,4 milliards d'euros (soit 51 milliards de francs par licence).

Dans ce contexte, le Gouvernement français a, dans un premier temps, approuvé, le 6 juin 2000, la proposition de l'ART, consistant à attribuer quatre licences par voie de soumission comparative mais, dans le même temps, a fixé, contre l'avis de l'ART, le montant de la redevance à 32,5 milliards de francs par licence , montant comparable au prix anglais compte tenu des différences notamment de durée de licence et de densité de population !

REVENU DES ENCHÈRES UMTS EN EUROPE

Date


Nombre licences


Nombre concurrents

Prix en euros par tête (hors pondération relative à la durée des licences)

Royaume-Uni

avril 2000

5

13

630

France
(1 ère décision ministérielle)

juin 2000

4

-

330*

Pays-Bas

juillet 2000

5

6

170

Allemagne

août 2000

6

7

615

Italie

octobre 2000

5

6

210

Autriche

novembre 2000

6

6

100

Suisse

décembre 2000

4

4

20

Belgique

mars 2001

4

3

43

Grèce

juillet 2001

4

4

46

Danemark

septembre 2001

4

5

98

Source : Conseil d'analyse économique et commission des Affaires économiques

* Pour 4 licences à 32,5 milliards de francs chacune et 60 millions d'habitants en France (calcul de la commission des Affaires économiques).

Le Conseil d'Analyse Économique, organisme de réflexion institué par le Premier ministre, M. Lionel Jospin, en conclut à juste titre : « Le gouvernement français a réussi, au nom du service public, de la politique industrielle et de la survie des acteurs nationaux (mais aussi par appétit fiscal) à adopter une procédure qui cumule plusieurs inconvénients : l'arbitraire de la soumission comparative, plus un prix de licence calé sur les enchères britanniques, alors qu'entre temps la bulle spéculative s'est dégonflée, plus la renonciation à la concurrence dans ce secteur , plus l'embarras du régulateur pour aller au terme de la procédure ».

Tout est dit, et clairement dit .

En août 2000, les enchères allemandes , de leur côté, ont abouti à l'attribution de six licences pour un montant total de 50,8 milliards d'euros (soit 55 milliards de francs par licence), ce qui a semblé confirmer le résultat britannique, même si la stabilité de la structure du marché avec six concurrents a suscité quelques commentaires sceptiques.

Le débat a cependant rebondi par la suite, lorsque les enchères suivantes ont abouti à des résultats en net repli : (ainsi, le produit des enchères par habitant est passé de 630 euros dans le cas britannique à 43 euros dans le cas belge et à 20 euros en Suisse). En outre, les opérateurs vainqueurs des enchères se sont retrouvés fortement endettés, à des taux d'intérêt majorés ; leur fragilisation financière s'est répercutée sur les équipementiers, dont ils ont obtenu des crédits fournisseurs considérables.

En conséquence, les opérateurs, supportant une charge insoutenable (cf. tableau ci-après), ont enregistré un effondrement de leur valeur boursière, qui s'est cumulé avec le krach boursier en cours pour l'ensemble des valeurs technologiques. Le marasme actuel en est directement résulté .

PRIX DES LICENCES OBTENUES PAR OPÉRATEUR

Groupe

Licences obtenues

Prix en milliards d'euros

France Télécom

TOTAL : 23,69 Mds d'euros

France*

4,95

Allemagne

8,4

Royaume-Uni

7

Italie

2,43

Pays-Bas

0,4

Autriche

0,13

Belgique

0,15

Portugal

0,1

Suède

0

Suisse

0,13

Deutsche Telekom

TOTAL : 19,41 Mds d'euros

Allemagne

8,48

Royaume-Uni

6,9

Espagne

3,5

Pays-Bas

0,4

Autriche

0,13

Vodafone

TOTAL : 25, 75 Mds d'euros

Royaume-Uni

10,3

Allemagne

8,42

Italie

2,45

Espagne

3,5

Autriche

0,13

Portugal

0,1

Belgique

0,15

Pays-Bas

0,7

Suède

0

Telefonica

TOTAL : 14,61 Mds d'euros

Espagne

3,5

Allemagne

8,41

Italie

2,44

Suisse

0,13

Autriche

0,13

British Telecom

TOTAL : 15,75 Mds d'euro

Royaume-Uni

6,9

Allemagne

8,45

Pays-Bas

0,4

Source : Conseil d'analyse économique

* Avant révision du prix

C'est donc bien parce que le marché avait été asséché par la folie des enchères britanniques et allemandes et les opérateurs mis hors d'état de candidater en France, et seulement après de longs mois de silence -alors que l'ART avait pris position dès mai 2001 pour une révision du prix- et un « bras de fer » médiatique avec un opérateur que le Gouvernement français, saisi d'un tardif éclair de lucidité, a décidé, en octobre 2001 , de baisser le prix des licences, à 619 millions d'euros de ticket d'entrée et 1 % du chiffre d'affaires UMTS à venir.

En définitive, le seul frein à la rapacité budgétaire du Gouvernement a été son incapacité à « tirer le premier » et à assécher le marché avant ses homologues européens, dans un contexte de chaos communautaire .

On peut d'ailleurs craindre, compte tenu de la situation financière des opérateurs, que le nombre de candidats à l'UMTS en France n'égale jamais le nombre de licences (4) à attribuer.

Dans ces conditions, la communication de la Commission européenne du 20 mars 2001, sur le sujet, réaction tardive et décalée, paraît un bien maigre viatique. Dans ce document, la Commission propose diverses mesures visant notamment à préciser le cadre réglementaire commun pour le spectre radioélectrique, à renforcer la part consacrée au « sans fil » dans les crédits de recherche communautaire, à inciter à la création de contenus culturels multilingues, à trouver une solution juridique aux retards de déploiement, à faciliter le partage des infrastructures de réseaux compatible avec la concurrence, à mobiliser les données de base et à financer des projets pilotes.

* 57 Associée à la suppression de la zone locale de tri.

* 58 Réseau national à intégration de services.

* 59 BT y possède 68,6 % de parts de marché en valeur au 31 mars 2001 .

* 60 «  Enchères et gestion publique », Elie Cohen et Michel Mougeot.

* 61 Global System for mobile.

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