CHAPITRE II -

LE SERVICE UNIVERSEL

Que n'a-t-on entendu avant les lois de 1996 sur les risques que l'ouverture à la concurrence et la transformation de France Télécom faisaient courir au service public des télécommunications ? L'opposition de l'époque affirmait que ces réformes entonnaient son oraison funèbre. Des grèves étaient conduites au nom de sa défense par des syndicats influents. L'un d'entre eux chiffrait le coût annuel du service public à vingt milliards de francs 75 ( * ) (soit 3,04 milliards d'€) -plus de 15 % du chiffre d'affaires annuel de l'opérateur en 1995 !- laissant ainsi supposer qu'hors du monopole, il était condamné.

Depuis, les lois si vilipendées ont été votées. Un service public ambitieux, au regard de l'état des technologies il y a six ans, a été défini et mis en oeuvre. La libéralisation a démontré ses avantages, sans que les affres prédites surviennent. La réalité a donné raison à ceux -François Fillon, Alain Juppé, Gérard Larcher, certains syndicats parmi les plus lucides, votre Commission des Affaires économiques, ...- qui considéraient que service public et concurrence pouvaient se conjuguer pour le plus grand bien des consommateurs et du dynamisme économique. Le bilan de leur oeuvre législative démontre la pertinence de leur engagement d'hier.

Cependant, aujourd'hui, le service public téléphonique est resté tel qu'il avait été défini avant l'explosion de la téléphonie mobile et l'expansion mondiale de l'Internet. Les dispositions légales permettant d'y inclure de nouveaux services sont restées lettre morte. Bien plus, il a fallu trois ans pour que les services téléphoniques sociaux, pourtant explicitement prévus, voient le jour et, bientôt six ans après le vote de la loi, l'annuaire universel et le service universel des renseignements n'existent toujours pas...

En bref, l'élan de 1996 a été géré ; il n'a été ni entretenu, ni renouvelé. Du coup, faute d'enrichissement par ceux qui se prétendaient ses plus ardents propagandistes, le service public des télécommunications risque d'entrer en phase d'obsolescence.

Faut-il accepter son dépérissement ou, au contraire, chercher à le revitaliser ? Telle est l'une des questions à laquelle s'attachera à répondre le présent chapitre, après avoir examiné les modalités d'application des dispositions législatives de 1996.

A. UN PARI RÉUSSI

1. Le choix de 1996 : un service universel financé par tous les opérateurs et assuré par un seul

Le service public des télécommunications est arc-bouté sur un service universel participant d'une définition commune 76 ( * ) à tous les Etats membres de l'Union européenne. Spécificité française, ce service public englobe également :

- les services obligatoires de télécommunications ;

- les missions d'intérêt général dans le domaine des télécommunications.

Les services obligatoires comprennent -en vertu de l'article L. 35-5 du code des postes et télécommunications- une offre, sur l'ensemble du territoire, d'accès au réseau numérique à intégration de services, de liaisons louées, de commutation de données par paquet, de services avancés de téléphonie vocale et de service télex. France Télécom assure la fourniture de tous les services obligatoires.

Les missions d'intérêt général, quant à elles, relèvent de la responsabilité de l'Etat. Elles incluent les prescriptions exigées par la défense et la sécurité publique, ainsi que l'enseignement supérieur et la recherche publique dans le domaine des télécommunications.

France Télécom 77 ( * ) est également l'opérateur public chargé par la loi de fournir le service universel 78 ( * ) , mais le coût des prestations qui en relèvent est financé par l'ensemble des opérateurs, à travers un fonds de service universel alimenté au prorata du volume de trafic de chacun.

a) Les prestations de service universel

Les obligations de service universel sont définies par l'article L.35-1 du code des postes et télécommunications, tel qu'il résulte de l'article 8 de la loi de réglementation. Elles sont la traduction concrète des grands principes juridiques du service public : égalité, continuité, adaptabilité.

Selon cet article L. 35-1 : « Le service universel des télécommunications fournit à tous un service téléphonique de qualité à prix abordable . Il assure l'acheminement des communications téléphoniques en provenance ou à destination des points d'abonnement, ainsi que l'acheminement gratuit des appels d'urgence, la fourniture d'un service de renseignements et d'un annuaire d'abonnés, sous formes imprimées et électronique, et la desserte du territoire national en cabines téléphoniques installées sur le domaine public ».

A l'initiative de son rapporteur, M. Gérard Larcher, la Commission des Affaires économiques avait consolidé le volet social du service universel prévu au deuxième alinéa de cet article. Elle avait exigé le maintien, pendant une année, d'un service restreint en cas de défaut de paiement (le « fil de la vie », selon l'expression du rapporteur), le dispositif s'articulant en définitive comme suit : « Il (le service universel) est fourni dans des conditions tarifaires et techniques prenant en compte les difficultés spécifiques rencontrées dans l'accès au service téléphonique par certaines catégories de personnes, en raison notamment de leur niveau de revenu ou de leur handicap. Ces conditions incluent le maintien, pendant une année, en cas de défaut de paiement, d'un service restreint comportant la possibilité de recevoir des appels ainsi que d'acheminer des appels téléphoniques aux services gratuits ou aux services d'urgence au bénéfice du débiteur saisi en application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, et du débiteur pour lequel a été établi le plan de règlement amiable ou prononcé le redressement judiciaire civil institués par la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles ».

Par ailleurs, l'article L. 35-2 du même code précise que le cahier des charges d'un opérateur chargé de fournir le service universel fixe les conditions générales de fourniture de ce service, ainsi que les conditions dans lesquelles ses tarifs et sa qualité sont contrôlés. Ces conditions générales recouvrent notamment des tarifs assurant l'accès au service universel de « toutes les catégories sociales de la population » et prohibent les « discriminations fondées sur la localisation géographique ».

Le décret n° 96-1225 du 27 décembre 1996 portant cahier des charges de France Télécom a appliqué cette disposition et l'article 3 dudit cahier des charges dispose par exemple que « les tarifs de raccordement, d'abonnement et des communications respectent le principe d'égalité et sont notamment établis de manière à éviter une discrimination fondée sur la localisation géographique ».

Enfin, en vertu de la loi de réglementation, l'article L. 35-4 du code des postes et télécommunications dispose que « Un annuaire universel , sous formes imprimée et électronique, et un service universel de renseignements sont mis à la disposition du public. Sous réserve de la protection des droits des personnes concernées, ils donnent accès aux noms ou raisons sociales, aux coordonnées téléphoniques et aux adresses de tous les abonnés aux réseaux ouverts au public, ainsi qu'à la mention de leur profession pour ceux qui le souhaitent ».

Cet annuaire universel rassemblant tous les abonnés, quel que soit leur opérateur, fixe ou mobile, visait à remplir l'impératif d'accessibilité du service universel, composante du principe plus général d'égalité.

Il découle de la combinaison de ces diverses dispositions que le service universel des télécommunications institué en 1996 comprend :

le raccordement au réseau téléphonique public fixe et l'accès aux services téléphoniques publics fixes à des tarifs abordables et soumis à péréquation tarifaire ;

l'acheminement gratuit des appels d'urgence ;

une offre de services « sociaux » à des tarifs préférentiels ;

la desserte du territoire en cabines téléphoniques ;

un annuaire universel et un service universel de renseignements.

b) Le financement du coût du service universel

Le législateur de 1996 a institué une obligation de participer au financement du coût net des obligations de service universel pour les exploitants de réseaux ouverts au public et les fournisseurs du service téléphonique au public. La réglementation française prévoit en théorie le choix entre paiement et participation pour la réalisation des missions de service universel (principe du « pay or play » ), mais sur un socle de services tellement vaste (la téléphonie fixe sur tout le territoire national) qu'à la seule exception des offres en matière de tarifs sociaux 79 ( * ) , ce choix est assez théorique.

L'article L. 35-3 du code des postes et télécommunications précise que le coût de ces prestations -dont les tarifs doivent être soumis à l'avis de l'Autorité de régulation des télécommunications et homologués- vient en déduction de la contribution au fonds de service universel des opérateurs qui les proposent.

La loi de réglementation distingue deux modes de financement et cinq composantes du coût net du service universel : d'une part, le coût net résultant des obligations de péréquation géographique et celui résultant du déséquilibre transitoire de la structure courante des tarifs téléphoniques financés par une rémunération additionnelle à la rémunération d'interconnexion ; d'autre part, les coûts nets liés à l'offre de tarifs sociaux, aux obligations en matière de publiphonie et aux services d'annuaires et de renseignements, qui sont pris en charge par le fonds de service universel.

Coûts initialement financés par une rémunération additionnelle à la rémunération d'interconnexion

L'obligation de péréquation géographique , expression de la solidarité nationale, se fonde sur la volonté du législateur d'éviter une discrimination fondée sur la localisation géographique. Son coût, au calcul très complexe, est égal aux coûts de desserte des zones non rentables majorés du coût des abonnés non rentables situés dans des zones rentables. Le principe est de prendre en charge tous les coûts qu'un opérateur non soumis aux obligations de service public, et raisonnant suivant une logique purement commerciale, n'avait pas engagés.

Par ailleurs, la loi prévoit que le financement des obligations résultant du déséquilibre de la structure des tarifs téléphoniques de France Télécom 80 ( * ) à la date de publication de la loi relève transitoirement du même mode de financement.

En pratique, le coût net résultant du déséquilibre de la structure courante des tarifs téléphoniques a été calculé comme étant égal à l'écart entre le niveau d'abonnement courant et le niveau d'abonnement dit « rééquilibré », c'est-à-dire fixé en fonction des coûts réellement occasionnés, multiplié par le nombre d'abonnés concernés 81 ( * ) .

Cette composante, qui peut s'assimiler aux « coûts échoués » dans le secteur de l'électricité, est en quelque sorte une façon de solder l'époque du monopole, où les grilles tarifaires sont déconnectées des coûts pour des raisons sociales, et de passer au régime concurrentiel le plus équitablement possible.

Selon l'article L. 35-3 II de la loi de réglementation, le déséquilibre de la structure courante des tarifs devait être résorbé au plus tard le 31 décembre 2000. Cependant, compte tenu de la hausse de l'abonnement principal, intervenue en mars 1999, l'Autorité de régulation des télécommunications a proposé une fin anticipée de ce financement et il a été interrompu à compter du 1 er janvier 2000, par arrêté du secrétaire d'Etat à l'Industrie.

Coûts financés dès l'origine par le fonds de service universel

Les tarifs sociaux étaient dès l'origine prévus pour être financés par le fonds de service universel. En application de la loi de réglementation, l'article R.20-34 du code des postes et télécommunications plafonne le montant de l'enveloppe affectée à ces tarifs. En pratique, cette composante n'a été effectivement financée qu'à partir de l'année 2000.

S'agissant de la publiphonie , est pris en charge le coût des cabines déficitaires. Environ 24.800 cabines, réparties dans 22.600 communes, font l'objet d'une compensation au titre du service universel.

Enfin, la composante « annuaires et renseignements » ne peut être citée que pour mémoire. En effet, d'une part, l'annuaire et les renseignements universels voulus par le législateur n'existent toujours pas et, d'autre part, les recettes nettes résultant du trafic induit par la consultation des services d'annuaires et de renseignements de France Télécom, ainsi que les fruits de la vente et de la publication dans les annuaires imprimés -à l'exclusion des « Pages Jaunes »- viennent plus que compenser le coût net résultant de son activité d'annuaire et de renseignements.

L'actuelle unification autour du fonds de service universel

Depuis la suppression -au 1 er janvier 2000- du mécanisme de financement par la rémunération additionnelle, le coût du service universel est intégralement financé par le fonds de service universel, la France étant avec l'Italie les seuls pays de l'Union européenne à avoir retenu un tel mécanisme.

Le fonds de service universel a été mis en place en 1997. L'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART) a mis au point avec la Caisse des dépôts et consignations les modalités techniques de sa gestion, par une convention approuvée par le ministre le 19 décembre 1997.

Les articles R. 20-39 et R. 20-41 du décret n° 97-475 du 13 mai 1997 précisent le rôle de la Caisse des dépôts et consignations. Elle est chargée :

1°) d'effectuer les opérations de recouvrement et de reversement afférent, à chacun des opérateurs et de tenir pour chaque année la comptabilité les retraçant ;

2°) de constater les retards de paiement ou les défaillances des opérateurs et d'engager éventuellement les actions contentieuses nécessaires aux recouvrements ;

3°) d'informer l'Autorité de régulation des télécommunications des retards de paiement, des défaillances et de l'évolution des procédures contentieuses engagées ; elle lui adresse en outre un rapport annuel d'exécution sur la gestion comptable et financière du fonds de service universel.

Les opérateurs paient leur contribution prévisionnelle au fonds de service universel en trois versements ; l'année suivante, lorsque le coût définitif est évalué, les contributions sont régularisées, au plus tard le 20 décembre.

Les frais de gestion du fonds sont, comme les contributions au coût du service universel, répartis entre les opérateurs. A noter qu'à compter de l'année 2000, les frais de gestion au titre d'une année, n'ont été mis en recouvrement qu'au moment des régularisations intervenant l'année suivante.

Au total, l'architecture juridique construite par la loi de réglementation a démontré sa solidité et son adaptation aux besoins des Français . Elle vient d'ailleurs de se trouver confortée par les décisions prises par l'Union européenne pour ce qui concerne le service universel.

2. La confortation de 2001 : le « Paquet Télecoms »

Le « Paquet Télécoms » comprend une directive d'une importance particulière, qui concerne le service universel et les droits des utilisateurs en matière de réseaux et services de communications électroniques. Cette directive conforte la réglementation européenne sur laquelle s'était appuyée la construction du service public des télécommunications de 1996. La pérennité de la reconnaissance d'un service universel par le droit communautaire des communications électroniques constitue un acquis significatif. Votre rapporteur s'en félicite car il considère que l'Europe ne peut se construire sans organiser des solidarités collectivités, à défaut desquelles il n'est pas de société équilibrée .

Cette confortation communautaire d'une notion chère à la France n'allait pas de soi : d'autres Etats, moins étendus et plus densément peuplés que la France ne connaissent pas les mêmes contraintes découlant de la géographie physique et humaine. Or, quoiqu'il n'aille pas aussi loin que ce que votre Commission des Affaires économiques aurait souhaité, l'accord obtenu englobe la portée, le financement et le fonctionnement du service universel, conçu comme une clause de sauvegarde en cas d'insuffisance du marché concurrentiel.

a) Portée des obligations de service universel

L'article 3 de la directive définit le service universel comme la mise à disposition d' un bloc de services à « tous les utilisateurs sur leur territoire, indépendamment de leur position géographique, à un niveau de qualité spécifique et, compte tenu de circonstances nationales particulières, à un prix abordable ».

Après des négociations au cours desquelles la France a, avec un succès limité 82 ( * ) , plaidé pour étendre la portée du service universel , les Etats membres se sont finalement accordés sur une liste de services garantis :

- l'accès au réseau téléphonique public permettant des appels locaux, nationaux et internationaux, des communications par télécopie et par Internet ;

- la fourniture d'annuaires du service téléphonique public et de services de renseignements téléphoniques ;

- la fourniture de téléphones payants publics et l'accès gratuit à un numéro d'appel d'urgence.

Des mesures spécifiques sont également prévues pour les utilisateurs handicapés ou ceux ayant des besoins spécifiques . En outre, les abonnés doivent pouvoir conserver leurs numéros de téléphone (y compris mobile), et jouir de l'interopérabilité des équipements de télévision numérique grand public.

Les Etats membres sont habilités, si nécessaire, à désigner une ou plusieurs entreprises afin de garantir, sur l'ensemble du territoire national, la fourniture de ce service universel. Cette désignation doit seulement respecter un « mécanisme de répartition efficace, impartial et transparent » (appel d'offres ouvert ou mise aux enchères publiques).

Les opérateurs désignés pour assumer diverses composantes du service universel sont tenus de respecter un impératif de qualité du service : le service universel ne s'entend pas exclusivement en terme de quantité de services offerts, mais aussi en termes de qualité du service rendu.

L'annexe III de la directive énumère les paramètres destinés à évaluer cette qualité : délai de fourniture pour le raccordement initial, taux de défaillance par ligne d'accès, temps de réparation d'une défaillance, temps de réponse pour les services de renseignements téléphoniques ou encore plaintes concernant la facturation. Les autorités de régulation nationales (ARN) devront être en mesure de recueillir (voire d'exiger) les informations sur la qualité des services offerts sur le territoire national, permettant d'établir des comparaisons entre opérateurs et entre Etats membres. Des procédures de réclamation relatives à la qualité auront à être établies.

Dans le même esprit, la directive garantit les droits des utilisateurs en posant des exigences de transparence de l'information et de sécurité juridique des contrats. Ces derniers doivent spécifier les conditions et la qualité du service, les modalités de résiliation et de cessation du service, les mesures de compensation et le mode de règlement des litiges. En outre, les Etats membres doivent s'assurer que toutes les informations concernant la tarification et les conditions générales pratiqués par l'ensemble des fournisseurs de services de communication sont mises à la disposition du public.

Enfin, la notion de « prix abordable », s'entend comme « un prix défini au niveau national par les Etats membres compte tenu de circonstances nationales spécifiques ». Les Autorités de réglementation nationale (ARN) sont chargées du contrôle de l'évolution des tarifs de détail applicables au service téléphonique accessible au public, notamment par rapport au niveau des prix à la consommation et des revenus nationaux. En outre, certaines mesures peuvent être prises afin de permettre aux consommateurs de surveiller leurs dépenses : facturation détaillée, possibilité de refuser des appels, systèmes de pré-paiement et d'échelonnement des frais de raccordement.

La notion de « prix abordable » est essentielle dans la problématique du service universel car elle conditionne l'égalité d'accès et détermine dans quelle mesure les opérateurs peuvent répercuter sur la facture du client la charge financière afférente au service universel.

Votre commission, qui a contribué à l'instauration d'une offre de tarifs sociaux en France et qui veille à son maintien, se réjouit de ce que la directive habilite les ARN à exiger des entreprises qu'elles proposent des formules tarifaires différant des conditions normales d'exploitation commerciale, afin notamment de garantir que les publics « fragiles » 83 ( * ) ne soient pas empêchés d'accéder aux services téléphoniques.

Ainsi, des règles d'encadrement des prix, une péréquation géographique (ou autres instruments analogues) peuvent être utilisés pour atteindre le double objectif de la promotion d'une concurrence effective sur les marchés et de la satisfaction de l'intérêt public. Il est à noter que la mise en place d'une tarification commune sur l'ensemble du territoire est possible mais n'est pas obligatoire, contrairement à la conception française .

b) Financement du service universel : fonds de compensation ou budget public ?

La directive propose deux modes de financement du service universel : par une dotation budgétaire de l'Etat ou par un fonds de compensation alimenté par les opérateurs, mais affiche sa préférence pour la première solution. Le fonds de service universel mis en place par la France (ainsi que par l'Italie) est donc confirmé par la nouvelle réglementation européenne mais non pas encouragé.

Dans le cas d'un mécanisme de financement reposant sur tous les opérateurs présents sur le marché national, la directive impose que ce mécanisme soit administré par un organisme indépendant et respecte les principes de transparence, de distorsion minimale du marché (par une répartition la plus large possible du poids de la contribution), de non-discrimination et de proportionnalité. Les ARN peuvent d'ailleurs décider de ne pas exiger de contributions de la part d'entreprises dont le chiffre d'affaires national est inférieur à un certain seuil. Enfin, les Etats membres peuvent exiger que les contributions des entreprises au financement du service universel soient mentionnées sur les factures adressées aux clients.

L'hypothèse d'un financement par le budget des Etats membres, quant à elle, a la faveur de la Commission car elle lui paraît plus conforme au principe de solidarité nationale sur lequel se fonde le service universel.

Quel que soit le mode de financement retenu, un enjeu majeur reste la détermination du coût net du service universel . Si la directive donne compétence aux ARN pour déterminer si la fourniture du service universel représente une charge injustifiée pour les entreprises désignées comme fournisseurs et pour calculer le coût net de cette obligation, elle prévoit aussi que ce calcul soit soumis à la vérification d'un organisme indépendant.

La directive définit le coût net comme la différence entre le coût net supporté par une entreprise lorsqu'elle fournit un service universel et lorsqu'elle n'en fournit pas, ce qui revient à évaluer les coûts évités par les entreprises n'assumant pas d'obligation de service universel. Pour obtenir un coût net, la directive préconise également d'estimer les bénéfices, pécuniaires ou non, que l'opérateur pourrait retirer de la prestation de service universel, notamment des avantages induits ou « immatériels » découlant de la fourniture du service universel (telle la notoriété induite par l'inscription du logo « France Télécom » sur les cabines téléphoniques publiques dans notre pays).

Notons que ces orientations sont déjà traduites dans le droit français depuis la loi de 1996 84 ( * ) , dont les dispositions sur le financement du service universel se trouvent, là encore, confirmées.

c) Maintien du caractère évolutif du service universel

Si la définition du service universel était immuable, la notion serait exposée au risque de dépérissement. On ne peut donc qu'approuver la conservation, dans le droit européen, du principe selon lequel le service universel est un concept dynamique et évolutif, susceptible d'être soumis à une révision périodique pour tenir compte des progrès technologiques, des développements du marché et de la demande des utilisateurs. La directive l'affirme en précisant que « le concept de service universel doit évoluer au rythme des progrès technologiques, des développements du marché et de l'évolution de la demande des utilisateurs ».

Son article 15 prévoit, en conséquence, un réexamen périodique de la portée du service universel. Le premier réexamen est prévu au plus tard deux ans après l'entrée en vigueur du dispositif ; les examens ultérieurs seront réalisés tous les trois ans. Le texte précise que ce réexamen doit être conduit à la lumière des évolutions sociale, commerciale et technologique.

Il s'agit donc d'un service universel à géométrie variable, dont les bases juridiques sont temporaires. Il faudra être vigilant sur l'évolution de ses principes et de son contenu.

Pour votre rapporteur, ce réexamen devra être celui de l'enrichissement.

* 75 Son coût définitif, pour 1998, première année d'application de la loi de réglementation, a été établi à 4,3 milliards de francs : près de 5 fois moins !

* 76 Fondée sur les directives communautaires transposées en France par la loi de 1996.

* 77 L'ensemble des fournisseurs de services téléphoniques au public ayant comme obligation d'acheminer gratuitement les appels d'urgence (II de l'article L.35-2 du code des postes et télécommunications).

* 78 Ce qui n'exclut pas, en droit, qu'un autre opérateur privé puisse être désigné s'il est capable de l'assurer et de le fournir sur l'ensemble du territoire.

* 79 Où l'ART a admis la candidature de l'opérateur KERTEL à la fourniture de ce service.

* 80 Dû au fait que, pour des raisons historiques, ses tarifs d'abonnement très bas ne lui permettaient pas de couvrir ses coûts de desserte, alors même que cette desserte permettait aux autres opérateurs de concurrencer l'entreprise publique sur le prix de ses communications.

* 81 Le niveau d'abonnement rééquilibré (9,91 € hors taxes) se situe à un niveau proche de celui observé chez les grands pays européens, pour permettre le financement intégral des coûts de raccordement de la boucle locale par les recettes du segment local (recettes d'abonnement et recettes des communications locales).

* 82 Elle avait exprimé la volonté d'intégrer la téléphonie mobile et l'Internet à haut débit dans l'offre de service universel ; seul a été retenu l'accès à Internet par le réseau commuté.

* 83 Personnes ayant de faibles revenus ou des besoins sociaux spécifiques.

* 84 Et depuis l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 portant adaptation au droit communautaire du code de la propriété intellectuelle et du code des postes et télécommunications, qui précise en son article 12 : « Le I de l'article L. 35-3 du code des postes et télécommunications est complété par un alinéa ainsi rédigé : l'évaluation des coûts nets des obligations de service universel pesant sur les opérateurs prend en compte l'avantage sur le marché qu'ils retirent, le cas échéant, de ces obligations ». Sur ce point, il est également à noter que l'ART a évalué pour 1999 à 550 millions de francs l'avantage de marque dont bénéficie l'opérateur chargé du service universel en France.

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