II. LE STATUT DES PERSONNELS FONCTIONNAIRES : UN IMPÉRATIF ET UNE FIDÉLITÉ À LA PAROLE DONNÉE

Le 15 mars 1996, dans une lettre adressée à M. Michel Bon, Président de France Télécom, M. Alain Juppé, Premier ministre, l'informait de la décision du Gouvernement de réformer le secteur des télécommunications et lui demandait, dans cette perspective, de faire au Gouvernement des propositions élaborées en association avec le personnel et ses représentants.

Extraits de la lettre de M. Alain Juppé, Premier ministre

(...) « Conformément aux engagements européens de la France, le Gouvernement a décidé la réforme du secteur des télécommunications pour l'adapter aux évolutions technologiques, économiques et juridiques. Cette réforme constitue un enjeu national. Il est donc de la responsabilité du Gouvernement de préparer notre pays et France Télécom, son acteur principal des télécommunications à cette échéance.

« Le Gouvernement a décidé à cette fin de présenter au Parlement au printemps une loi de réglementation qui organise le secteur des télécommunications dans la perspective de la concurrence qui doit s'y instaurer à partir du 1 er janvier 1998.

« Pour tirer le meilleur parti de ce nouveau cadre, France Télécom doit évoluer à la fois pour jouer un rôle mondial dans ce secteur et pour assurer sur notre territoire un service public de qualité.

« Cette échéance constitue un défi pour France Télécom et suppose une évolution de l'entreprise lui permettant d'affronter la compétition avec les mêmes armes que ses concurrents. (...)

« Je vous demande, dans le cadre ainsi fixé, de proposer au Gouvernement les décisions nécessaires à cette évolution. Vous le ferez en associant le personnel et ses représentants à ces propositions.

« Ces propositions devront notamment traiter des sujets suivants : les perspectives d'évolution de l'emploi, en particulier des jeunes, les conditions d'évolution des emplois et métiers, l'organisation et le temps de travail, la participation et l'actionnariat des salariés dans l'entreprise et la façon dont France Télécom assurera le service public défini par la loi.

« Je vous invite à me remettre vos propositions dès que les réflexions et discussions nécessaires seront achevées. J'attache le plus grand prix à ce que le dialogue que vous mènerez au sein de France Télécom permette l'expression de tous les points de vue (...) »

Surtout, dans cette lettre, le Premier ministre en exercice confirmait l'engagement solennel de l'Etat, selon lequel : « les agents de France Télécom qui sont fonctionnaires conserveront leur statut de fonctionnaires de l'Etat et les garanties associées, en particulier la garantie de l'emploi et des droits aux pensions de retraite, acquis ou à acquérir, dont l'exécution est garantie par l'Etat ».

Cet engagement solennel a été communiqué à tous les personnels par le Président de l'entreprise qui leur a fait parvenir copie de la lettre d'Alain Juppé.

Cet engagement solennel a été celui de votre rapporteur, à la fois dans son rapport d'information  « L'avenir de France Télécom : un défi national » et dans son soutien aux orientations du projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom.

Cet engagement solennel a également été celui de votre commission qui a approuvé ce projet de loi et les objectifs qu'il poursuivait.

En conséquence, pour votre rapporteur, votre commission et votre groupe d'étude, le respect de cet engagement solennel est impératif et ils ne pourraient que s'opposer à une privatisation qui le bafouerait.

Au-delà du respect -essentiel- de la parole donnée, ce maintien est une condition de la réussite de l'entreprise. Pour assurer son avenir, le plus précieux capital dont dispose l'Etat c'est celui de la confiance des personnels.

Il convient donc d'examiner selon quelles modalités il serait possible de concilier une éventuelle privatisation et l'impératif de conservation de leur statut de fonctionnaires par les agents de France Télécom.

A. LES OPTIONS À ÉCARTER

A plusieurs reprises au cours des 28 dernières années, s'est posée la question du sort de fonctionnaires d'Etat travaillant pour des employeurs dont l'évolution ne permettait plus de maintenir les mêmes conditions d'emploi.

L'exemple le plus ancien est la réforme de l'ORTF (Office de radiodiffusion et de télévision française) en 1974 et l'un des plus récents est celui de la privatisation, en 1994, de la SEITA (Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes). Ni l'un, ni l'autre ne paraissent pouvoir être suivis pour France Télécom.

1. Pas le modèle de l'ORTF

La loi n° 74-746 du 7 août 1974 relative à la radiodiffusion et à la télévision a supprimé l'Office créé dix ans auparavant en juillet 1964 et l'a remplacé par sept entités techniques.

Ce changement s'est accompagné d'une réduction des effectifs 54 ( * ) et de l'organisation d'un nouveau statut du personnel, fondé sur une convention collective devant intervenir avant le 1 er janvier 1976.

Outre des agents relevant de statuts spécifiques, l'ORTF employait des fonctionnaires et d'anciens fonctionnaires intégrés comme agents statutaires de l'Office. Ce sont les articles 27 à 31 55 ( * ) de la loi précitée qui ont fixé les règles relatives à l'évolution de leur situation.

En résumé, le dispositif arrêté en 1974 s'articule comme suit :

- les agents statutaires de l'Office âgés de soixante ans et plus au 31 décembre 1974 sont mis en « position spéciale ». Cette position leur assure une rémunération assimilée à un salaire équivalent à la pension à laquelle ils auraient pu prétendre s'ils avaient poursuivi leur activité jusqu'à soixante cinq ans. De même, les agents âgés de cinquante cinq ans ou plus peuvent, sur leur demande, être mis en position spéciale ;

- les agents de l'Office non répartis dans les nouveaux organismes se voient offrir trois possibilités de reclassement dans une administration publique s'ils présentent une demande et, à défaut, se trouvent licenciés ;

- pour ce qui concerne les agents relevant du statut des fonctionnaires, ils sont reclassés dans des corps homologues de l'Etat. Les anciens fonctionnaires âgés de moins de soixante ans qui avaient opté pour le statut de l'Office peuvent demander leur réintégration dans la fonction publique.

Pour votre commission et votre groupe d'étude, un tel cadre ne peut servir de référence pour France Télécom.

Deux raisons majeures s'y opposent :

Il a été construit dans une logique de compression des effectifs (16 % de postes supprimés), qui est l'inverse de celle ouverte par les perspectives de France Télécom.

Et, surtout, il repose sur un postulat de dégagement systématique des fonctionnaires des cadres de l'Office 56 ( * ) qui est à proscrire dans l'hypothèse étudiée.

Si un tel principe était appliqué à France Télécom, il aboutirait à la priver d'un coup des 2/3 de sa main d'oeuvre en France et de toute la richesse du savoir-faire accumulé par ses personnels fonctionnaires. Ce serait la condamner à mort.

En outre, si les administrations d'Etat ont pu accueillir sans problème un peu plus d'un millier de fonctionnaires de l'Office en 1974, elles ne pourraient pas faire face aujourd'hui à l'afflux des dizaines de milliers d'agents venant, après reconstitution de carrière, au détriment de ceux en place, « phagocyter » la plupart des postes ouverts à promotion dans les services d'accueil. Sur la base des effectifs actuels de France Télécom, le « mascaret » serait près de 1.000 fois plus fort qu'en 1994. Ingérable dans le cadre des structures actuelles !

D'ailleurs, le problème -toujours latent- de la mise en oeuvre effective du droit d'option ouvert par la loi du 2 juillet 1990 entre France Télécom et l'administration d'Etat pour les agents « reclassés » ayant refusé d'adopter les grades de reclassification, souligne bien les difficultés de mise en oeuvre de ce type de solutions.

* 54 Au final, la réduction totale d'effectif opérée entre l'ORTF et les sept nouvelles sociétés a été de 2.702 agents permanents, soit 16 % de l'effectif théorique, les effectifs budgétaires de l'ORTF s'élevant à 16.816 postes.

* 55 Reproduits en annexe.

* 56 La quasi-totalité des fonctionnaires et un certain nombre d'anciens fonctionnaires de l'Office, à savoir 1.393 personnes, ont été reclassés dans la fonction publique ; parmi eux les 1.172 agents du service de la redevance ont été transférés au Trésor.

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