TROISIÈME TABLE RONDE : QUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE ?

M. Jean-Claude LARRIVOIRE

Nous avons déjà parlé ce matin d'économie, mais nous allons, au cours de cette troisième table ronde, nous interroger sur le modèle économique des nouvelles télévisions et de la TNT. Et je voudrais, en donnant la parole au sénateur Henri Weber, l'interroger sur la viabilité économique de la TNT et son intérêt.

M. Henri WEBER, sénateur

Intérêt et viabilité, je crois que c'est bien ainsi qu'il faut poser la question, car la politique est l'art de rendre possible ce qui est souhaitable.

Il est souhaitable de faire bénéficier nos concitoyens de la supériorité de la diffusion numérique exposée largement par les orateurs précédents. Il est également souhaitable d'en finir avec cette spécificité française peu glorieuse qu'est la pénurie de chaînes. Il est souhaitable enfin de favoriser l'arrivée de nouveaux entrants, pour "desserrer" cet oligopole qu'est le marché de l'audiovisuel français : les fournisseurs des hypermarchés de la grande distribution sont dans un meilleur rapport de force que celui des producteurs audiovisuels face aux 4 ou 5 diffuseurs qui constituent leurs débouchés. Une des préoccupations de la loi d'août 2000 est d'ailleurs d'élargir le marché pour essayer de conforter l'industrie française des programmes.

Comment rendre possibles ces trois objectifs essentiels ?

Manifestement, le recours au satellite et au câble pour passer à la diffusion numérique ne suffit pas. En effet, si elle a ainsi atteint huit millions de foyers, 75 % des Français refusent aujourd'hui de payer les 37 euros mensuels nécessaires.

La TNT permet, dans un premier temps, d'instituer 33 chaînes, dont la moitié gratuite.

Mais à quelles conditions économiques cela peut-il fonctionner ?

Je vois trois conditions : le succès de la TNT tient à un coût modique, une offre attractive et une organisation maîtrisée de ce marché.

Il s'agit en effet tout d'abord d'une question de coût. Quelque 75 % des foyers refusent de payer les 37 euros mensuels nécessaires pour s'abonner à un bouquet supplémentaire. Il faut donc que la rémunération qu'exige la TNT soit inférieure à cela. Si la question du coût de l'équipement technologique, entre 1 070 et 1 083 euros, a pendant longtemps constitué un frein, il n'en est plus de même aujourd'hui : des équipements accessibles existent, qui ne nécessitent qu'un investissement raisonnable consenti une fois pour toutes.

Une autre condition est celle de l'attrait qui pourrait être remplie si, sur les 33 chaînes, une bonne moitié était gratuite. Tel est l'état d'esprit du législateur dans la loi d'août 2000 qui s'efforce de favoriser le développement de l'offre de service public (dans l'immédiat, au moins huit chaînes) et d'une offre gratuite. On observe d'ailleurs que les éditeurs de chaînes se pressent au portillon en manifestant même une certaine impatience.

La loi prévoit aussi que soit mis fin à une autre spécificité française peu glorieuse : la grande pénurie de chaînes locales, régionales et de proximité. Nous savons pourtant que la demande est forte, et en particulier pour les programmes de proximité.

Ensuite, la question du financement de ces chaînes se pose. Une discussion devra donc porter sur l'élargissement du secteur de la publicité et sur la création de fonds de soutien, comme cela avait été fait pour les radios libres. Les entrepreneurs estiment que le marché français de la publicité est retardataire par rapport à ceux des pays européens comparables, qu'il peut certainement encore doubler et donc financer des chaînes gratuites.

La dernière condition est la prudence et la sagesse pour organiser ce marché.

Le spectre de certaines catastrophes passées dans ce domaine a été évoqué, mais il y a ici des différences. Ce projet est basé sur une technologie parfaitement maîtrisée et sur un produit parfaitement normalisé en France et au niveau européen, sur des investissements relativement faibles, comparativement à ceux du câble ou de l'UMTS par exemple, puisque avec 2 milliards de francs, on couvre 85 % du territoire par TDF, la montée en charge étant progressive.

Nous pouvons de plus prendre des mesures en tenant compte des expériences précoces. La France étant la dernière à légiférer, profitons au moins des avantages de cet inconvénient, en tirant les enseignements de la situation de nos voisins scandinaves, espagnols et britanniques. L'expérience de ces derniers nous apprend notamment qu'il nous faut maîtriser les données de la concurrence. Si la TNT a été un succès en Grande-Bretagne avec un million d'abonnements en trois ans, les conditions de dumping pratiquées par l'auteur de cette performance commerciale l'ont mené au bord du dépôt de bilan. La question du distributeur commun unique, étudiée dans le rapport Gallot, est ainsi primordiale.

L'expérience scandinave nous enseigne également que si l'offre n'est pas attractive, nous allons vers l'échec. En France, nous avons 6 multiplex, ce qui devrait nous inciter à veiller à ce qu'ils soient bien remplis : c'est le rôle du CSA.

Dernier point, il faut faire en sorte que TNT, câble et satellite soient non pas dans des logiques de concurrence, mais bien de complémentarité. Ce qui est sans doute plus facile à dire qu'à faire. Une négociation entre les différents acteurs sous l'égide de l'Etat pourra permettre d'y parvenir.

Je suis finalement confiant dans la réussite de ce projet et nous allons rendre possible ce qui est éminemment souhaitable.

Me Laurent COHEN-TANUGI, avocat associé du cabinet Cleary, Gottlieb, Steen & Hamilton, administrateur de la chaîne Public Sénat

La TNT s'inscrit dans une longue série de mutations de la télévision dont elle n'est à mon sens pas le développement le plus révolutionnaire, sur le plan tant économique que technologique.

Elle est cependant un enjeu politique, social et culturel majeur, susceptible de modifier à nouveau le paysage audiovisuel. Elle signifie en effet la généralisation et la démocratisation du numérique, l'accès du grand public à la qualité du son et de l'image, à l'interactivité, l'accès des chaînes à une audience de chaînes généralistes et enfin de nouveaux débouchés pour la production.

Mais la TNT représente une équation économique complexe car elle arrive après le câble et le satellite et participe à la fois de la télévision gratuite et de la télévision payante.

Parmi les aléas économiques de la TNT, nous trouvons tout d'abord l'incertitude sur la demande, liée au coût pour le téléspectateur. L'existence du câble et du satellite affecte également cette demande, de même que, convergence oblige, l'arrivée du haut débit.

La TNT représente également un pari économique sur le moyen terme. Pour les éditeurs de chaînes, les coûts de diffusion seront élevés par rapport aux recettes escomptées. Pour les chaînes gratuites, la publicité n'arrivera en effet que lentement, compte tenu de la lenteur de l'initialisation de l'audience. Les chaînes payantes seront, quant à elles, soumises au phénomène de la tendance baissière de la redevance moyenne par abonné que l'on constate déjà sur le câble et le satellite.

Pour les distributeurs commerciaux, la TNT signifie de lourds investissements en terminaux et en promotion commerciale, et un certain nombre d'inconnues. Quelle sera l'attractivité commerciale des chaînes payantes choisies par le CSA ? Quelles seront les conditions de distribution : y aura-t-il un ou plusieurs distributeurs ? Quelles seront les contraintes imposées sur leur capital, leurs biens et leurs autres activités ? Quel sera le positionnement de la TNT par rapport aux plates-formes concurrentes ?

Les dispositions législatives et réglementaires ont un impact important sur un certain nombre de ces questions.

En ce qui concerne les éditeurs, un certain nombre de pas ont été faits pour favoriser le décollage de la TNT, notamment la montée en charge progressive des obligations de production et de diffusion, l'assouplissement de la règle des 49 %, mais la libéralisation de la publicité télévisuelle demeure un enjeu important pour la viabilité des chaînes en clair.

Pour les distributeurs, les choses sont plus ouvertes. La loi reste elliptique sur la distribution commerciale. Dans l'attente du rapport Gallot, la question-clé est de savoir si leurs négociations avec les éditeurs choisis par le CSA seront placées sous le signe de la liberté contractuelle ou dominées par la réglementation.

Pour conclure, deux éléments paraissent déterminants pour le succès de la TNT :

- d'une part, la nécessité d'une approche souple et pragmatique de la réglementation de cette économie émergente, afin d'en favoriser le démarrage sur le moyen terme. Au-delà d'un certain nombre de choix politiques, la sagesse est, dans un premier temps, de laisser faire le marché, quitte à corriger ensuite les dérives constatées.

- d'autre part, la nécessité d'une complémentarité entre l'offre payante de la TNT et les offres existantes du satellite et du câble, afin d'éviter les déboires connus par la TNT à l'étranger et de ne pas déstabiliser les équilibres existants.

M. Jérôme SEYDOUX, président du Conseil de surveillance de Pathé, président de l'Association pour la télévision numérique

La TNT présente la caractéristique d'être une espèce de cocktail. On y retrouvera tous les opérateurs actuels de la télévision, avec en plus des nouveaux. Or ils n'ont jamais travaillé tous ensemble, et il faut ici que tout le monde le fasse, chacun tirant néanmoins sa carte.

Il y a donc forcément plusieurs modèles économiques, puisque chacun a le sien, différent de celui des autres. Quoi qu'il en soit, pour que chacun réussisse, il faut que l'ensemble fonctionne.

Observons donc les problèmes communs.

Si l'on n'a pas une couverture hertzienne suffisante, le système ne fonctionnera pas.

Il faut par ailleurs que cette couverture soit homogène : pour qu'un bouquet puisse être reçu, il faut que toutes les chaînes du bouquet puissent être reçues dans des conditions comparables.

Il faut aussi l'équipement adéquat. Celui-ci pourrait ne pas être trop cher, mais il faut aussi que, commercialement, il soit facile à trouver. Celui qui veut le trouver ne doit pas avoir à faire le parcours du combattant, comme cela peut être le cas pour obtenir le câble chez soi, selon l'endroit où l'on demeure.

Aucune condition particulière ne fera que nous allons mieux fonctionner que d'autres. C'est l'ensemble des paramètres qui doit être résolu, un à un, pour que le système fonctionne de manière globale et que chacun trouve la possibilité de réussir économiquement.

Comme l'a toujours été la télévision, la TNT est un pari, et ce n'est pas le plus difficile.

M. Marc André FEFFER, vice-président du directoire du groupe Canal Plus

Je voudrais tout d'abord démentir les propos que le Figaro nous a prêtés ce matin concernant le changement de standard. Ces questions sont trop sérieuses pour faire l'objet de batailles de communiqués. Nous en discutons avec le CSA et le ministère de l'Industrie, mais nous n'avons, à ce jour, pas changé de position. Nous mesurons ces standards à leur capacité de fonctionner, à leur disponibilité et bien entendu à leur coût.

S'agissant du développement de la télévision numérique terrestre, je résumerai la problématique économique en deux temps.

Nos voisins n'ont pas trouvé, loin s'en faut, un équilibre ou un modèle économique. La question est de savoir si nous sommes tellement meilleurs... C'est le souhait que je forme, mais l'examen du paysage environnant laisse un peu perplexe.

En Grande-Bretagne, ITV Digital est un vrai succès commercial, mais les actionnaires vivent une catastrophe : ils ont déjà dépensé plus de 1,5 milliard d'euros et l'ardoise doit encore s'allonger. C'est un grand sujet d'inquiétude pour les entreprises et le gouvernement britanniques, qui essaient maintenant de trouver un modèle de développement différent.

En Espagne, sans être négligeable, le succès est moindre. Mais là aussi, sur le plan économique c'est une véritable ruine pour la société Quiero TV. Un certain nombre de repreneurs sont évoqués et d'autres solutions sont envisagées.

Comment ont-ils pu en arriver là ?

Dans les deux cas, les gouvernements ont désiré radicalement exclure les opérateurs de télévisions à péage existants. Pour des raison de droit de la concurrence, on a interdit de faire à ceux qui savaient, et l'on a demandé à ceux qui avaient envie de faire de se lancer, alors qu'ils ne savaient pas faire. En caricaturant un peu, c'est ainsi que les choses se sont passées. Il en est résulté un climat de concurrence féroce où tout le monde s'est ruiné.

On peut aussi considérer, au moins en Espagne, une certaine faiblesse de l'offre proposée aux abonnés.

Comment pouvons-nous tirer des leçons de ces échecs, dans les différents domaines et par rapports aux différentes économies auxquelles Jérôme Seydoux faisait allusion ?

Posons quelques questions.

En ce qui concerne les éditeurs, posons la question de l'économie et des recettes des nouveaux entrants qui vont se mettre sur le marché du clair, donc sur le marché publicitaire, alors qu'aucun foyer n'est encore aujourd'hui initialisé. Cette économie du clair en numérique terrestre sera particulièrement tendue.

Au chapitre des dépenses, nous devons examiner le coût de la diffusion. Un coût de diffusion supplémentaire peut être absorbé dans l'économie d'une grande chaîne. Mais il en est tout autrement pour des petites chaînes thématiques existantes ou, a fortiori , pour des nouveaux entrants. Par rapport au satellite, le coût de diffusion est en effet fortement multiplié. Les tarifs proposés aujourd'hui par les opérateurs existants sont préoccupants par rapport à l'économie de ces chaînes. Il sera donc nécessaire de baisser les tarifs ou d'introduire plus de concurrence sur le marché.

On peut aussi se demander si la couverture proposée est bien adaptée. On parle de 110 émetteurs pour couvrir 85 % de la population or, selon nos calculs, 60 émetteurs suffiraient pour couvrir 82 % de la population, tout en réduisant de moitié les coûts de diffusion. Cela mérite débat.

Venons-en à l'économie de la distribution.

Il faut un ou deux distributeurs pour mettre à disposition des terminaux, pour faire le marketing de l'offre, pour résoudre les problèmes commerciaux et techniques, qui sont très nombreux.

Ces distributeurs doivent faire un investissement de base relativement important. Les prix annoncés des décodeurs signifient un investissement et un risque d'entreprise minimum de 200 à 300 millions d'euros.

Que faut-il donc pour se lancer avec un minimum de confort ?

Un bouquet attractif : le CSA ne devra pas se tromper dans ses choix commerciaux.

Un schéma de complémentarité avec le câble et le satellite : une concurrence frontale nous mènerait tous à la ruine.

Il faut, enfin, donner au(x) distributeur(s) une certaine souplesse par rapport à une application trop rigide des règles de concurrence.

M. Philippe LABRO, consultant de Bolloré Média

Tout ce qui a été dit ici jusqu'à présent concernant cette aventure est partagé par notre groupe.

Pourquoi vouloir faire partie des nouveaux entrants ?

Bolloré est un groupe français, à forte croissance, un groupe entrepreneurial avec un contrôle familial majoritaire et des activités plurielles, dont la conduite l'a mené à s'intéresser à l'audiovisuel.

La TNT est un facteur de pluralisme : plus de chaînes pour plus de français signifie plus d'opérateurs, plus d'expression, plus de tendances, si possible diverses, nouvelles et inédites, d'où notre candidature dans un domaine dont nous savons tous qu'il a dominé la deuxième moitié du 20 ème siècle et qu'il sera un des grands acteurs du 21 ème .

Ce groupe sait de plus viser le long terme, ce qu'offre la TNT. La rentabilité à court terme n'est pas ce que l'on doit rechercher.

Pour entamer cette démarche, nous avons bien entendu fait les constats qui ont été depuis le début de nos échanges énumérés : le marché de la télévision gratuite est un marché concentré, voire verrouillé ; la télévision payante ne constitue pas la seule solution aux demandes des Français ; le pari du câble et du satellite est incomplet.

La TNT nous a semblé le mode de diffusion le plus facile d'accès et le plus disponible auprès de la population, des spectateurs, pour qui la télévision est finalement faite. Ils attendent la TNT sans le savoir.

Il faudra donc utiliser le faire-savoir : plus nous informerons de l'intérêt de cette offre, plus nous pourrons envisager cette aventure comme un succès.

Nous connaissons l'économie pour les chaînes gratuites : le marché publicitaire est tendanciellement en croissance et la France sous-investit encore en publicité. La TNT contribuera à la croissance de ce marché. Certains annonceurs qui n'ont pas aujourd'hui les moyens d'acheter des campagnes sur des grandes chaînes généralistes verront s'ouvrir peut-être d'autres possibilités.

Il est vrai cependant que c'est un pari, que l'initialisation sera lente, que le retour sur investissement sera long. Un nouvel entrant doit accepter cela, et donc posséder et justifier une surface financière solide, stable et durable.

Les incertitudes justifient aussi que les entraves à la réussite du projet puissent être levées. Ainsi sont nécessaires l'accès à des secteurs interdits à la publicité pour la TNT et éventuellement le câble et le satellite, la convergence des intervenants pour assurer le développement et la diffusion des décodeurs, et enfin des coûts de diffusion raisonnables.

M. René SAAL, directeur général de Carat-Expert

Dans le débat sur la télévision numérique terrestre, la question de la capacité du marché publicitaire à financer sur la durée les chaînes gratuites est centrale.

Bien sûr, si on se réfère à 2001, les conditions de réussite sont loin d'être établies.

Néanmoins, le ralentissement du marché publicitaire en 2001 est passager et ne peut être considéré comme base de travail pour se projeter dans le futur.

La publicité à la télévision en France est en effet largement sous-investie comparativement aux autres pays européens.

Par ailleurs, l'augmentation de l'offre audiovisuelle a toujours eu pour conséquence d'augmenter la consommation globale de télévision. Il y a, de plus, une forte corrélation entre la consommation de télévision et l'âge, or la population française vieillit : tendanciellement, l'audience de la télévision va donc être plutôt favorisée dans les années qui viennent.

A cela s'ajoute le fait qu'il y a toujours eu, dans le passé, corrélation entre augmentation de l'offre publicitaire, notamment sur la télévision, et augmentation des investissements publicitaires sur l'ensemble des médias.

Le sous-investissement publicitaire en France vient pour beaucoup du fait que la télévision y est un média très centralisé. Les campagnes de publicité y sont en général nationales et les annonceurs ne procèdent pas à des sur-investissements régionaux ou locaux, comme cela peut se faire dans d'autres média -presse quotidienne, radio, affichage- ou dans d'autres pays européens. On se moque en général de savoir s'il existe en télévision des disparités de consommation de la télévision du Nord au Sud ou de l'Est à l'Ouest.

L'existence de chaînes régionales ou locales pourrait ouvrir un nouveau marché publicitaire comme il en existe dans la plupart des pays européens, constitué à la fois d'annonceurs nationaux qui corrigeraient leurs plans médias pour tenir compte des disparités géographiques et d'annonceurs plus petits pour lesquels le coût d'accès à la télévision est aujourd'hui prohibitif parce que national.

Le problème est de savoir comment faire des chaînes régionales qui aient un niveau d'audience suffisant pour amorcer la pompe, au sein d'une offre audiovisuelle de plus en plus riche.

Pour revenir à la question de départ, la viabilité des chaînes gratuites de la TNT va dépendre évidemment de la nature de l'offre qui va être retenue par le CSA. Les 4 à 6 places qui restent à attribuer doivent être constituées de chaînes complémentaires. Il faut en effet que le téléspectateur ait une perception de la synergie entre les différentes chaînes qui vont constituer cette offre.

Par ailleurs il est évident que des efforts marketing devront être faits pour convaincre les téléspectateurs de l'intérêt de louer ou d'acheter un décodeur. En ce domaine, les coûts marketing vont être extrêmement importants et seront la condition sine qua non du succès.

Bien sûr, le fait d'avoir déjà une « marque » fera gagner énormément de temps, et donc d'argent.

En conclusion, les places qui restent à attribuer sur la TNT gratuite sont peu nombreuses, les inconnues encore nombreuses, le challenge risqué. Néanmoins en cas de succès, les candidats retenus deviendront les principaux acteurs de la télévision de demain.

M. Philippe POELS, directeur général de Sony France, vice-président du SIMAVELEC

Nous sommes sur un marché qui se renouvelle naturellement et de façon permanente. Les nouvelles technologies ne sont pour nous qu'un accélérateur de ce phénomène.

Nous nous contentons de fabriquer ce que demandent les consommateurs et les opérateurs : pour la TNT le fonctionnement sera le même, donc fonction de ce que les uns et les autres voudront ou ne voudront pas payer.

Nous avons une certitude : la TNT arrive à un moment où elle répond totalement et fondamentalement à la demande du marché. Il s'agit d'une demande de qualité de la part du spectateur qui veut qualité de programmes, bien entendu, mais aussi d'image. Le succès du 16/9, malgré son prix, en est une preuve. La demande de qualité se porte également sur le son : c'est un axe exponentiel du développement de notre marché, avec le « home cinéma ».

La croissance du marché du lecteur de DVD nous montre également l'importance de cette demande. Une des raisons de ce succès est que nous sommes arrivés sur le marché avec une offre extrêmement claire. Par ailleurs, le bénéfice pour le spectateur était évident. De plus le prix n'a pas été un obstacle, puisque rapidement nous avons assisté à une décroissance forte de celui-ci. Enfin le spectateur sait aujourd'hui qu'il aura accès à une très large "DVDthèque".

Le message de base est donc que la TNT doit s'imposer, ne serait-ce que parce que l'on ne peut envisager l'avenir en dehors du numérique, dont la qualité est déjà plébiscitée et attendue par le consommateur.

Au-delà de cette certitude nous pouvons poser quelques questions.

La première est celle du prix auquel le décodeur numérique ou le téléviseur à décodeur intégré seront disponibles. Il est difficile d'établir un prix pour un produit dont on ne connaît pas toutes les spécifications. Néanmoins, nous pouvons dire que cela ne sera pas un obstacle : nous savons que lorsque l'on atteint des capacités de production suffisantes, la décroissance du prix est rapidement importante.

Il faudra avoir une approche très concrète, développer des expérimentations, faire des essais d'émission et de réception, s'attaquer rapidement au problème des antennes. Il serait dommage de prendre du retard sur des problèmes aussi concrets que ceux-là.

Le rythme du développement est un autre point important. Il ne doit pas être un élément bloquant de nos décisions, et l'expérience nous montre qu'il sera forcément lent, même si le départ est fort. Un produit comme le CD a mis 10 ans pour s'établir sur le marché.

Il s'agira donc d'être pragmatique : de cette manière, nous serons certains que le consommateur trouvera son intérêt dans cette nouvelle technologie.

M. Gérald de ROQUEMAUREL, président-directeur général d'Hachette Filipacchi Médias

Le modèle économique de la presse écrite peut-il servir aux nouvelles télévisions ?

Nous constatons, dans la presse écrite, que le revenu vient de la force de vente, dont le développement permet d'asseoir la puissance du magazine. Cette pénétration auprès du public assoit à son tour la publicité. Celle-ci conduit finalement à segmenter les magazines selon différentes cibles et pôles d'intérêt.

Dans quelle mesure la publicité contribue-t-elle aux revenus de la presse écrite ?

Sur les 770 millions d'euros de chiffre d'affaires brut des publications d'Hachette Filipacchi Médias en France, 470 proviennent de la diffusion et de la vente des journaux, 300 millions de la publicité. Mais sur un pôle comme celui des magazines féminins, le rapport est pratiquement inversé.

Dans le marché très évolué des Etats-Unis, nous retrouvons un poids de plus en plus grand de la publicité. Sur 613 millions de dollars de notre filiale Hachette Filipacchi, 435 millions proviennent de la publicité.

D'où une première règle : plus un marché est arrivé à maturité, plus les acteurs se spécialisent pour se distinguer les uns des autres. Les recettes de diffusion ont tendance à baisser en proportion et l'équilibre économique provient de l'addition des niches rentables publicitairement. Un marché mûr est un marché segmenté.

Les télévisions suivent un cheminement assez semblable. Les chaînes généralistes ont commencé par se vendre, c'est-à-dire par se préoccuper de leur audience en nombre. Depuis que le marché est à maturité, 97 % des foyers étant couverts, le modèle économique est devenu le même que pour le magazine : il faut spécialiser les chaînes pour couvrir de nouvelles niches publicitaires.

Les investissements publicitaires sur les six chaînes nationales représentent désormais près de 80 % de leurs ressources, d'où l'extrême attention portée aux émissions qui peuvent drainer auditeurs et publicité.

Malgré une progression de la durée moyenne d'écoute en France en 2001, les investissements publicitaires ont reculé de 1,6 %. Cette baisse, qui n'a été sensible que sur ces six chaînes nationales, alors que les autres ont vu leur publicité augmenter, est une preuve indiscutable de la maturité du média.

La maturité conduit à la segmentation, les cibles se diversifient, et la marque devient de plus en plus importante. Les chaînes thématiques se sont donc installées et l'arrivée de la TNT en permettra la multiplication.

La meilleure gestion des chaînes en fonction des fluctuations publicitaires aboutira à une meilleure gestion des coûts, ce qui doit conduire à une internationalisation des chaînes. Pour les magazines, cette globalisation nous a permis de mieux étaler nos coûts, d'offrir une réponse mondiale aux demandes de nos grands annonceurs et d'occuper une position privilégiée en matière d'acquisition de droits : rien qui ne soit étranger au monde des chaînes thématiques, les deux modèles économiques convergent.

Bien entendu ce modèle doit tenir compte des recettes d'abonnement, essentielles tant pour les bouquets satellitaires que pour les câblo-opérateurs. Toutefois, la lourdeur des investissements ne change pas complètement la donne : ainsi pour TF1, qui a investi 195 millions d'euros dans TPS, l'équilibre n'est pas espéré avant 2004 et 1,5 million d'abonnés.

Cet élargissement du périmètre financier qui repose sur l'audience payante diminue dans un premier temps la proportion des recettes publicitaires qui seront ensuite essentielles, les chaînes diffusées étant inéluctablement amenées à contribuer au coût.

Il n'y a pas encore, sur le plan du profit, de convergence entre le modèle économique du magazine et celui de la télévision thématique. Le modèle du magazine est très rentable, pour les chaînes thématiques la rentabilisation est à venir.

Elle ne sera acquise qu'en fonction de deux démarches différentes : la gestion serrée des coûts ou les niches internationales.

En somme, on peut donner ce conseil aux chaînes thématiques : pour devenir rentables, soyez modestes ou sortez de France.

La publicité sera donc toujours essentielle, mais centrée sur des cibles segmentées. Elle devra croître en fonction de l'effet d'entraînement du marché international et de choix judicieux proposés au consommateur, choix qui devront, comme pour les magazines, suivre ou même précéder l'évolution socio-économique mondiale.

Ce modèle conduira à renforcer la viabilité des groupes médias en amont et en aval, et à organiser en leur sein la complémentarité nécessaire des magazines, de la télévision et de l'Internet.

Débat avec la salle

M. Joël WIRSZTEL :

Canal Plus dit à peu près ceci : soit nous sommes l'opérateur commercial de la TNT, soit cela ne marchera pas. M. Feffer, avez-vous déjà pris contact avec des candidats potentiels ou "obligatoires" à la TNT, pour essayer d'organiser le marché, la distribution ? Comment voyez-vous la distribution commerciale si vous êtes retenu comme distributeur ?

M. Marc-André FEFFER :

Je me demande si nous participons au même colloque... Je n'ai jamais dit que Canal Plus revendiquait le rôle de distributeur unique ou menacerait sinon de ne rien faire, ni bien entendu que nous voulions "organiser" le marché !

Nous n'avons pas de contacts particuliers avec les chaînes publiques. Il est vrai qu'un certain nombre d'éditeurs potentiels en numérique terrestre sont venus nous voir pour savoir si l'on pouvait faire un bout de chemin ensemble, eux éditeurs et nous distributeur. Ces conversations se poursuivent, mais nous attendons tous le rapport qui a été demandé par le ministre de l'Economie et des Finances à M. Gallot. Ce rapport jouera un rôle important dans l'appréciation que pourront faire les uns et les autres des modèles économiques qui sont examinés.

Intervention de la salle :

Je constate que le thème du colloque était « Les nouvelles télévisions » mais qu'on parle surtout de la TNT.

Pourquoi miser tant d'énergie sur le numérique terrestre qui, finalement, comme nous l'avons vu, pose beaucoup de problèmes sans avoir la capacité de répondre pleinement aux attentes des spectateurs ?

Pourquoi ne pas miser cette énergie sur une des forces de la France : son réseau téléphonique fort et moderne ?

M. LAUME, délégué général de la FICAM :

Les programmes qui vont nourrir les différentes chaînes ont été totalement absents du débat. Or, ils sont actuellement sous-financés, et les industries techniques en pâtissent. Où va-t-on trouver l'argent pour financer les programmes à leur juste valeur ?

M. Jérôme SEYDOUX :

L'argent des programmes viendra des chaînes elles-mêmes. Avoir plus de chaînes, plus de diversité signifie bien un budget plus important, donc plus de dépenses, notamment pour les programmes.

Mais sans connaître les programmes de chacune des nouvelles chaînes, on ne peut entrer plus dans le détail.

M. Serge HIREL :

Les secteurs interdits de la publicité ont plusieurs fois été évoqués pour le financement des télévisions numériques terrestres. M. de Roquemaurel pourrait-il se prononcer sur ce sujet ?

M. Gérald de ROQUEMAUREL :

J'espère que ces secteurs interdits ne le seront plus pour longtemps.

La presse quotidienne régionale est très attentive à cela, dans la mesure où, si la télévision était ouverte à la distribution, des recettes importantes risqueraient de lui échapper. Si l'ouverture de la publicité à la télévision pour la presse et pour le livre est facilitée, la distribution va suivre et les éditeurs de la PQR risquent d'être gravement handicapés.

En fait, il apparaît que Bruxelles un jour ou l'autre libéralisera la distribution à la télévision. Le débat est donc déjà vain et il nous faut supprimer les secteurs interdits et ouvrir la publicité à la télévision pour le livre, la presse et la distribution.

Il est d'ailleurs anormal que l'on ne puisse pas promouvoir l'écrit, notamment auprès des jeunes qui, au début, ne regardent que la télévision. Il ne faut pas pleurer sur le recul de l'écrit tout en disant qu'on ne peut pas promouvoir l'écrit à la télévision.

Intervention de la salle :

Est-ce que des chaînes pourront être diffusées uniquement en TNT, à part peut-être les chaînes locales ?

M. Marc-André FEFFER :

Je ne crois pas et ce n'est d'ailleurs pas, me semble-t-il, l'intérêt des éditeurs et des distributeurs. L'idée est que ces chaînes se retrouvent sur les différents vecteurs.

M. Amaury de ROCHEGONDE, Stratégies :

Maintenant que l'on a assoupli la règle des 49 %, des partages de coûts, ou des alliances, sont-ils envisagés ?

M. Marc-André FEFFER :

La primeur des projets nouveaux est réservée au CSA, y compris dans leur actionnariat.

Canal Plus a un certain nombre de partenariats dans l'édition et la distribution, mais je ne peux apporter une réponse précise à cette question. Il y aura sans doute autant de cas de figure que de candidatures.

M. Jérôme SEYDOUX :

Je crois que la réponse à la question, c'est qu'avant, nous étions obligés d'avoir des partenaires ; aujourd'hui, on ne l'est plus, mais on en aura quand même. Il y aura sûrement des chaînes candidates en partenariat, à côté d'autres présentées par un seul opérateur : le choix est ouvert.

Intervention de la salle :

L'avènement de la télévision numérique permettra-t-elle d'encourager la création audiovisuelle et de faire appel à des productions innovantes et pas seulement à des programmes existants ou à des rediffusions ?

M. Philippe LABRO :

Il me semble évident qu'une chaîne qui ne ferait que de la rediffusion ne présenterait que très peu d'intérêt. Il est évident qu'un des objectifs des anciens présents ou nouveaux entrants, c'est de proposer aux téléspectateurs des nouveautés et de s'appuyer sur la création. Mais cela va être long, et cher : une grille, telles qu'elles sont toutes conçues, ne peut pas se passer d'un certain volume de rediffusions. Simplement l'habileté et la compétence d'un programmateur est de mettre les rediffusions à certaines heures. Je n'imagine pas qu'un projet qui soit simplement « de la conserve en boîte » puisse être viable et même acceptable !

M. Pierre PLEVEN, Symah Vision :

On n'a pas beaucoup parlé de l'interopérabilité. N'est-il pas nécessaire d'établir un standard européen pour le succès du terminal technique ?

M. Philippe POELS :

Nous souhaitons bien sûr un standard unique. Je crois d'ailleurs que nous sommes sur la bonne voie avec le DVB MHP et MEX 5. A défaut de standard clair, les constructeurs prennent du retard dans le développement des produits. C'est un des écueils que rencontre la TNT actuellement.

Je voudrais, par ailleurs, revenir sur la portabilité, sujet que je n'ai pu approfondir lors de mon introduction et qui me paraît essentiel. C'est une interrogation pour le numérique terrestre. La portabilité, ce n'est pas la capacité de recevoir la télévision en mouvement dans une voiture ou un train. C'est la possibilité de pouvoir déplacer votre appareil chez vous sans modifier le réglage. Cela existe pour l'analogique au Japon : on peut détacher l'écran de sa base et le promener partout dans l'appartement. C'est un produit qui marche bien, donc il peut y avoir une demande en numérique. Mais on ne sait pas quel prix le consommateur accepterait de payer pour ce service.

M. Patrick FELIOT, ETV Média, Projet Télégénération :

Nous allons présenter un projet de chaîne pour les seniors et j'aimerais avoir une réponse précise. Combien de canaux reste-t-il à attribuer ? Quatre, cinq, six, sept ? Combien exactement ?

M. Yvon LE BARS :

Comme je l'ai dit ce matin, il y a 22 canaux qui sont ouverts à l'appel à candidatures. C'est le chiffre que nous avons annoncé et qui figure dans le texte d'appel à candidatures. La question que vous posez se rapporte plutôt au nombre de chaînes gratuites et au nombre de chaînes payantes. Cette répartition n'est pas faite de façon définitive, car elle sera fonction de la qualité des dossiers. Les études économiques que nous avons menées conduisent, cependant, à penser que l'optimum serait autour d'un équilibre entre le gratuit et le payant. Si donc on raisonne sur une trentaine de chaînes, indépendamment des chaînes locales, nous aurions une quinzaine de chaînes gratuites et une quinzaine de chaînes payantes. Sur les chaînes gratuites, 10 sont identifiées : il y a les 8 du secteur public, plus la diffusion en simulcast de TF1 et de M6. Il resterait donc, dans ce schéma, environ 5 chaînes gratuites à attribuer. Mais, encore une fois, c'est une indication. Les acteurs nous ont demandé la meilleure visibilité possible, nous avons fait tourner des modèles économiques et nous avons abouti à cette notion d'équilibre, mais, bien entendu, le résultat final dépendra de la qualité des dossiers.

M. Philippe FAU, de STATIC 2358 France :

Bonjour, on a évoqué un certain nombre de modèles économiques pour la télévision classique ou numérique. Je trouve que l'on n'y a pas suffisamment intégré l'interactivité, on n'a pas parlé des revenus qu'elle peut générer, ni des moyens qu'elle nécessite et qui ne sont pas pris en compte au niveau de la TNT.

Me Laurent COHEN-TANUGI :

Le problème de l'interactivité nous ramène au positionnement de la TNT par rapport au câble et au satellite. C'est-à-dire que si on souhaite une complémentarité et que la TNT offre un bouquet réduit avec un prix plus modeste et un décodeur rustique, cela limite évidemment les potentialités d'interactivité. En d'autres termes, fait-on véritablement concurrence aux chaînes du câble et du satellite en misant sur l'interactivité, ou considère-t-on que l'interactivité est accessoire et ne sera pas le coeur de la TNT ?

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