2. M. Jean-Marie Chevalier, directeur du Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières

Il est tout d'abord indispensable de rappeler que les bouleversements des industries de réseaux résultent très directement de la volonté politique européenne de construire un marché unique de l'énergie sur lequel l'introduction d'une plus grande concurrence devrait entraîner une baisse des prix et des coûts. Les quelques segments qui demeurent en monopole doivent, quant à eux, être régulés de façon à entraîner également des baisses de même nature. Dans un tel contexte, on insistera sur la complexité des nouveaux mécanismes de marché, la difficulté des choix stratégiques et la nécessité de mettre en place des modalités efficaces de régulation.

Nouveaux mécanismes de marché : complexités et incertitudes

L'introduction de la concurrence sur le marché énergétique entraîne une déconstruction des chaînes de valeur avec l'apparition de nouveaux marchés et de nouveaux mécanismes de marché. On constate une dissociation des activités qui recouvre d'abord la séparation comptable entre les activités de production, de transport, et de distribution, et qui peut être suivie par une séparation des fonctions de propriété, d'opération, de maintenance, d'achat et de vente pour un actif donné. La segmentation des activités pourrait aussi entraîner la multiplication de marchés sur lesquels peut jouer une concurrence plus précise, plus instantanée et plus complexe. Par exemple, sur les marchés de l'électricité, des kWh de différentes natures (base, pointe, ajustement) peuvent être achetés et vendus, à des échéances temporelles variées avec une volatilité de prix, et donc des risques, qui peuvent être couverts par des produits financiers dérivés. Ainsi, ces marchés nouveaux, générateurs de risques, rendent plus difficiles les décisions stratégiques.

Les choix stratégiques des entreprises et des États

Les entreprises doivent redéfinir complètement leurs positionnements stratégiques dans les chaînes de valeur, sachant qu'elles ne peuvent pas couvrir tous les métiers. Quelle gamme de produits et de services ? Quel positionnement géographique ?

En fait, il existe une très grande variété de « modèles d'entreprise » dont chacun a ses avantages et ses limites et dont aucun ne peut prétendre à l'universalisme ou encore à l'optimum économique. Le futur sera fait de cette multitude de modèles dont certains s'avéreront très réussis tandis que d'autres disparaîtront. Chaque firme doit donc inventer le modèle pour lequel elle dispose des meilleurs talents et des meilleures chances. Dans ces choix stratégiques, l'équilibre entre risques et profits est évidemment d'un maniement difficile.

Des mécanismes efficaces de régulation

Il s'agit enfin de mettre en place des mécanismes efficaces de régulation, qui sont encore à inventer et dont on doit tester l'efficacité d'une façon très empirique. Trois différents niveaux d'intervention peuvent être distingués.

Le premier concerne les exigences d'intérêt général qui restent la prérogative des États dans un processus souhaitable de concertation européenne : quelle forme de service public et d'intervention pour que soient protégés les intérêts du long terme ?

Le deuxième niveau concerne la régulation des segments d'activités qui relèvent encore du monopole naturel (transport du gaz et de l'électricité). Ce sont les régulateurs nationaux, également dans un processus de concertation européen, qui doivent veiller à ce que l'accès aux réseaux se fasse dans des conditions non discriminatoires et selon une tarification raisonnable.

Le troisième niveau concerne le bon fonctionnement de la concurrence. Il relève des autorités nationales et européennes de la concurrence qui doivent être vigilantes sur les fusions-acquisitions, les abus de positions dominantes et les pratiques collusives qui pourraient entraîner des distorsions de concurrence.

La mise en place de mécanismes efficaces de régulation aux trois niveaux mentionnés ci-dessus est essentiel.

En conclusion, les événements du 11 septembre 2001 constituent un paramètre nouveau qui doit être pris en compte dans la construction de scénarios, du plus calme (la globalisation continuée) au plus perturbateur (fragmentation du monde). Ces différents scénarios ont pour point commun de déterminer trois grandes priorités :

- plus grande sûreté des installations énergétiques ;

- efficacité accrue des systèmes énergétiques, de façon à réduire la dépendance de notre système économique vis-à-vis de l'énergie, et en même temps à lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ;

- diversification des formes d'énergie et des sources d'approvisionnement.

Le respect de ces critères est à la base d'un développement économique durable qui pourra permettre un accès partagé aux ressources énergétiques.

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