3. La relance du débat sur une la « banalisation » l'arme nucléaire

Au travers de ses contacts, la délégation a retenu l'impression que loin d'amorcer un dépérissement de l'arme nucléaire, la diminution spectaculaire de l'arsenal américain s'accompagnait au contraire d'une nette volonté d'amélioration qualitative des forces nucléaires , en privilégiant la flexibilité, la furtivité, les capacités de pénétration ou encore la variété dans la gamme de puissance des armes.

Tout en réduisant la part des armes nucléaires dans la stratégie de dissuasion, qui inclut désormais des capacités conventionnelles défensives et offensives, en vue d'élargir la gamme d'options à la disposition du pouvoir politique, le Pentagone entend néanmoins adapter l'outil nucléaire au nouveau contexte géopolitique .

Une polémique a surgi à la suite de la divulgation d'un document classifié citant la Chine, la Russie, l'Iran ou encore la Syrie parmi les pays concernés par la planification nucléaire. Il ne s'agit pas là d'une révision fondamentale de la position américaine, sinon que se confirme l'abandon du scénario de la guerre froide et la prise en compte, dans la planification nucléaire, des nouvelles menaces liées aux armes de destruction massive . La Nuclear Posture Review consacre ainsi l'évolution amorcée sous l'administration Clinton, en vertu de laquelle la dissuasion ne s'exerce pas seulement vis à vis des détenteurs d'armes nucléaires , mais également vis à vis de pays dotés d'armes chimiques ou biologiques.

Ainsi, plusieurs responsables de l'actuelle administration ont tenu des propos laissant entendre que les Etats-Unis ne se considèreraient plus liés par l'engagement pris dans le cadre du traité de non-prolifération (TNP) par les cinq puissances nucléaires reconnues de ne pas utiliser l'arme nucléaire à l'encontre d'un Etat qui n'en serait pas doté, sauf si ce dernier participe à une attaque dans le cadre d'une alliance avec une puissance nucléaire. Ces « assurances négatives de sécurité », selon l'appellation consacrée entre les parties au TNP, ont été apportées par les Etats-Unis sous la présidence Carter en 1978. La Russie et le Royaume-Uni, puis ultérieurement la Chine et la France y ont également souscrit.

Il semblerait qu'en jugeant cet engagement dépassé et inadapté au contexte actuel, les responsables républicains qui se sont exprimés à ce sujet n'aient fait que confirmer avec une certaine franchise un infléchissement amorcé lors de la guerre du Golfe, puis confirmé sous la présidence Clinton par une directive présidentielle de 1997 , en vertu duquel l'assurance de ne pas faire l'objet d'une frappe nucléaire ne jouerait pas pour un Etat disposant d'armes chimiques ou biologiques.

Cette évolution, combinée à la volonté de rendre plus souples et plus flexibles les forces nucléaires, y compris en modulant la puissance des armes, suscite aujourd'hui un débat assez vif sur le passage d'une stratégie de dissuasion à une stratégie d'emploi et sur l' effacement de la frontière entre guerre nucléaire et guerre conventionnelle .

Pour une partie des analystes, favorables à l'inflexion amorcée par l'actuelle administration, la pertinence de la notion de dissuasion repose sur la crédibilité d'un emploi de l'arme nucléaire contre une menace inacceptable. Face aux régimes dictatoriaux ou à ceux qui servent de sanctuaire aux terroristes, face aux Etats qui envisageraient d'utiliser des armes de destruction massive, seule la perspective réelle de se voir atteints par une arme nucléaire exercerait un effet dissuasif. Dans cette optique, les armes nucléaires devraient évoluer vers de moindres puissances, afin de limiter les dommages collatéraux, et vers une capacité de pénétration et une précision accrues, pour être capables de frapper des cibles précises, et notamment les bunkers les plus protégés abritant les dirigeants eux mêmes ou leurs armements les plus dangereux.

Les adversaires de cette démarche soulignent que l'effet plus restreint de ces armes nucléaires renforcerait du même coup leur probabilité d'emploi, le risque de destructions considérables infligées aux populations étant moindre. Devant la délégation, M. Cirincione, expert des questions stratégiques au Carnegie Endowment for International Peace , s'est inquiété d'un abaissement du seuil de mise en jeu de l'arme nucléaire, qui pourrait désormais pratiquement s'intégrer à la panoplie des équipements militaires et perdre son statut exclusif d'arme politique de dissuasion.

Il serait pour le moins paradoxal que le pays qui affiche sa volonté de réduire considérablement son arsenal nucléaire et donne ainsi le sentiment de contribuer activement au désarmement nucléaire, favorise dans le même temps une « banalisation » de l'arme nucléaire. Si cette dernière se confirmait, les efforts portant sur la non-prolifération n'en seraient rendus que plus difficiles.

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