CHAPITRE PREMIER :

LA DIFFICILE ÉQUATION DU TRAVAIL EN PRISON

I. LA GRANDE MISÈRE DU TRAVAIL PÉNITENTIAIRE

A. DU TRAVAIL COMME PEINE AU TRAVAIL COMME DROIT

1. Le lourd passé du travail pénal

Le travail pénal a évidemment bien changé depuis les galères. L'avènement du travail pénal tel qu'il est connu aujourd'hui est consubstantiel à l'avènement de la prison comme peine au 19 ème siècle : les présupposés idéologiques du travail pénitentiaire et ses difficultés de mise en oeuvre sont connus depuis cette époque.

Le travail a tout d'abord été une peine en tant que telle. Telle se conçoit en effet la peine de galères inventée en France au 17 ème siècle. La politique pénale a ainsi été mise au service du corps des galères et des ambitions navales de la Royauté. Le travail est alors une punition et les fruits du travail sont directement exploités par la Couronne.

Les bagnes et leurs chaînes de forçats du 19 ème siècle, tant à Rochefort, Brest et Toulon que, par la suite, outre-mer, constituent encore l'illustration du travail conçu comme peine. La sévérité de la puissance publique doit se traduire par un régime de travail forcé, le travail devant être d'autant plus pénible que le crime est odieux. A ce travail forcé sont adjoints la relégation et l'enfermement : la bagne n'est qu'une prison à ciel ouvert.

Le code pénal de 1810 fait par ailleurs de l'incarcération une forme essentielle de punition. La vision du travail en prison se révèle sensiblement différente de celle du bagne ou des galères. Le travail est tout d'abord vu comme l'antithèse de l'oisiveté et de la débauche.

Schéma théorique d'évolution du travail pénitentiaire

17 ème siècle : galères

Peine = travail

19 ème siècle : travaux forcés

Peine = relégation + travail

1945 : révision de la politique pénitentiaire

Peine = prison +/- travail

Demain ( ?)

Peine = prison - travail

Ainsi Tocqueville, visitant en 1830 la prison centrale de Poissy écrit : « Nous trouvâmes tous les prisonniers assemblés dans deux grande salles, et le spectacle que nous offrit leur réunion nous laissa une impression qui ne s'effacera jamais. Ils étaient tous en désordre ; les uns assis près d'une table ; les autres étaient debout inoccupés ; ceux-ci fumaient une pipe ; ceux-là jouaient aux dames ; on entendait les rires des uns, les cris des autres ; le plus grand nombre mangeait ; à côté d'un prisonnier qui dévorait son pain sec, on en voyait un autre dépeçant un poulet dans un saladier ; le vin coulait à longs flots, et une gaieté cynique se peignait sur les visages. On aurait dit un festin donné par Satan à ses suppôts... ». Mieux valait face à tel spectacle la vertu du travail.

Dans un grand nombre de réflexions du 19 ème siècle autour de la prison sera formulée la nécessité de l'amélioration et de l'amendement moral du condamné, le travail devant y apporter une contribution décisive. Ainsi peut-on citer l'expérience de John Howard en Pennsylvanie à la fin du 18 ème siècle qui transforma certains établissements américains en maisons de rééducation tendant à la réinsertion par le travail et l'éducation religieuse.

De telles idées seront présentes en France également. Dans son rapport sur les motifs du code d'instruction criminelle de 1808, le comte Jean-Baptiste Treilhard écrit : « L'ordre qui doit régner dans les maisons de force peut contribuer puissamment à régénérer les condamnés ; les vices de l'éducation, la contagion des mauvais exemples, l'oisiveté ont enfanté des crimes. Eh bien, essayons de fermer toutes ces sources de corruption ; que les règles d'une morale saine soient pratiquées dans les maisons de force ; qu'obligés à un travail qu'ils finiront par aimer, les condamnés y contractent l'habitude, le goût, et le besoin de l'occupation ; qu'ils se donnent respectivement l'exemple d'une vie laborieuse ; elles deviendront bientôt une vie pure(...). »

Le philantrope Edouard Ducpétiaux écrit également en 1857 que le travail pénal « ne doit pas être considéré comme le complément et pour ainsi dire comme une aggravation de la peine mais bien comme un adoucissement dont la privation serait on ne peut plus possible. »

Cette vision perdurera jusqu'au vingtième siècle. La commission Amor de mai 1945 qui a fondé dans une large mesure les grands principes du système pénitentiaire contemporain mettra en avant des idées semblables ; D'une part « la peine privative de liberté a pour but essentiel l'amendement et le reclassement social du condamné. » D'autre part, « tout condamné de droit commun est astreint au travail... Aucun ne peut rester inoccupé ».

Ces dernières lignes montrent bien l'ambivalence du travail en prison : droit majeur, reconnu dans la Constitution de 1946 , porteur d'un immense espoir de réinsertion, le travail est avant tout une obligation.

De même, dans ses modalités pratiques, le travail imposé en prison ne se révèlera pas si vertueux. D'une part seront révélés les abus des entrepreneurs privés qui exploitent la main d'oeuvre pénale. Tocqueville exprimera ainsi sa méfiance vis à vis du système alors en vigueur de concessions privés, toujours dans sa visite à la maison centrale de Poissy, : « Quel est l'effet d'un traité d'adjudication qui intervient entre l'Etat et un entrepreneur qui, moyennant une certaine convention, prend toutes les charges de l'établissement ? la première conséquence d'un pareil traité est de remettre entre ses mains et à sa disposition entière tous les prisonniers, qui deviennent en quelque sorte sa propriété et sa chose. Le travail des détenus lui appartient ; dès lors ils sont ses agents, ses ouvriers, ses véritables serviteurs. Il ne voit dans l'administration qu'il dirige qu'une entreprise industrielle , et chaque ouvrier est pour lui un instrument dont il est le moteur. Que lui importe le moral des détenus, pourvu que le travail matériel de leurs mains lui profite ! Que lui importe que ces hommes-là volent quand ils rentreront dans la société si, pendant leur séjours dans les prisons, il a fait sa fortune avec eux ! ». Ce passage sera cité dans la controverse de 1986-1987 autour de la construction des prisons à gestion mixte, dites prisons Chalandon, du programme 13.000, cette controverse étant résolue au quotidien par une très pragmatique politique de l'administration pénitentiaire qui, préoccupée légitimement par la mise au travail des détenus, fait coexister paisiblement entrepreneurs privés et service public de l'emploi pénitentiaire.

D'autre part, les activités de travail en prison ne paraissaient pas tournées toutes entières vers la réinsertion. Historiquement, la Régie Industrielle des Etablissements Pénitentiaires (R.I.E.P.) était ainsi chargée de réaliser des produits destinés à satisfaire les besoins de l'administration pénitentiaire d'où la création :

- d'ateliers de confection : effets d'uniforme pour les personnels, articles d'habillement et de couchage pour les détenus ;

- d'ateliers de métallerie : fabrication de mobiliers de cellules, de grilles, de serrures.... ;

- d'une imprimerie administrative : formulaires judiciaires...

De telles activités, tournées vers l'intérieur de la prison, ne préparaient pas, et ne préparent toujours pas véritablement, à une réinsertion à l'extérieur.

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