3. Des réponses à renforcer

A côté des réponses traditionnelles de l'institution, des pistes existent pour lutter contre la délinquance et offrir aux élèves les moins doués scolairement -mais pas forcément les moins habiles- une véritable chance de réussir un parcours d'insertion.

a) Les réponses traditionnelles : politique de zonage et campagne d'information

(1) Les politiques de zonages : ZEP et plans contre les violences scolaires

(a) Les zones d'éducation prioritaire

Depuis 1981, une politique de sélection de zones prioritaires d'éducation a été mis en place. Le principe de « discrimination positive » qui préside à ce dispositif consiste à affecter des moyens supplémentaires aux établissements réputés les plus en difficultés. Cette politique a été renforcée en 1997 par la refonte de la carte des ZEP, et la création des Réseaux d'éducation prioritaire qui associent les collèges les plus en difficultés à des établissements situés à proximité pour mener des actions ensemble et mettre en commun des moyens. Depuis 1999, un peu moins d'un élève sur cinq se trouve en ZEP ou en REP, soit près d'un million sept cent mille élèves répartis sur neuf cents zones .

L'éducation prioritaire génère des contestations. Le rapport Toulemonde soulignait en 1998 que les ZEP ou les établissements sensibles « souffrent d'un manque de continuité et d'énergie, d'éclipses partielles ou totales de la politique ministérielle, d'un renvoi aux acteurs locaux et, par conséquent, d'une réussite certaine ici, quasi-abandon là » . La politique des ZEP attise les convoitises -il faut y être placé pour bénéficier de moyens supplémentaires- et suscite des effets pervers puisque la sortie de ZEP n'est pas organisée. Ainsi, si le classement ZEP fonctionne, l'établissement sera « déclassé » et risque de perdre son bonus. Les ZEP créent en réalité çà et là une forme « d'assistanat éducatif ».

La méthode reste pourtant la bonne ; certaines zones ont des besoins supérieurs pour assurer les mêmes chances à tous. Il reste que les ZEP ont trop longtemps laissé à penser que l'accumulation de réponses quantitatives suffirait pour résoudre les problèmes. Il est clair qu'il n'en est rien. La gestion des cadres dans les ZEP est éloquente. Les compensations, bonifications de points et primes, sont insuffisantes pour motiver les enseignants qui désertent, en majorité, ces zones quand ils le peuvent. Or le premier besoin des établissements difficiles est un personnel expérimenté. Faute de prendre en compte cette dimension à sa juste valeur, la politique des ZEP tâtonne depuis vingt ans.

(b) Les plans de lutte contre la violence scolaire

Conscient de l'extension du phénomène, les gouvernements successifs ont mis en oeuvre deux plans de lutte contre la violence scolaire.

Après des premières annonces (réduction de la taille des établissements, création d'un fonds d'assurance pour l'indemnisation des enseignants en cas de dommages, création de postes de médiateur), M. François Bayrou, alors ministre de l'Education nationale, a proposé un plan 48 ( * ) de prévention de la violence scolaire comprenant dix-neuf mesures articulées autour de trois axes : encadrement des élèves ; élèves et parents ; les établissements et leur environnement. L'ensemble des grands thèmes de la prévention à l'école figuraient dans ces propositions : formations, pédagogie différenciée, renforcement du lien famille/école, collaboration avec les autres institutions.

En novembre 1997, M. Claude Allègre a proposé un nouveau plan de prévention. Il a proposé, en deux phases, à plusieurs académies l'attribution de moyens accrus. La mise en oeuvre de ce plan concerne désormais vingt sites dans dix académies, soit 539 établissements du second degré, 2.354 écoles représentant 740.000 élèves.

Depuis 1998, des emplois supplémentaires sont budgétés, notamment en personnels non enseignants.


Personnels non enseignants budgétés dans le cadre du Plan Allègre

1998

1999

2000/2002

Infirmières

300

185

395

Assistantes sociales

300

185

ETP vacataire de médecine scolaire

58

30

203

Emplois ATOS

204

195

1.503

CPE

100

-

-

Aides éducateurs (emplois jeunes)

4728

872

Source : Education nationale

Le renforcement de ces personnels est nécessaire car d'eux dépend la mise en oeuvre d'une partie importante des dispositifs de prévention de la délinquance à l'école. Pour autant, hormis le recours à des emplois-jeunes, les difficultés de concrétisation de ce plan restent importantes. Au collège de Bagneux, le poste d'infirmière scolaire n'est pas pourvu. Faute d'avoir anticipé ces besoins, la mise en oeuvre du plan est confrontée, dans son volet médico-social, à un goulet d'étranglement que rencontrent d'ailleurs d'autres structures, notamment les associations, pour le recrutement d'éducateurs qualifiés.

(2) Des campagnes d'information

Lancées sur des thèmes entourant la question de la délinquance des mineurs, plusieurs campagnes d'information ont été menées à destination des jeunes scolarisés ou des professionnels de l'éducation.

A destination des écoliers, la campagne « le respect, ça change l'école » vise, depuis la rentrée 2001, à promouvoir le respect et prévenir la violence, par l'intermédiaire de spots télévisuels et d'interventions en collèges. Par ailleurs, un « manuel lycéen de lutte contre la violence » a été rédigé avec le soutien du Conseil régional d'Ile-de-France, à destination des lycées. Enfin le numéro azur « SOS violence en milieu scolaire » vise à soutenir les victimes, dans le cadre d'une écoute anonyme.

A destination des personnels de l'Education nationale, la direction de l'enseignement scolaire a rédigé un guide de « prévention contre les violences sexuelles » et le comité de lutte contre la violence à l'école a publié lui aussi deux guides devant faire office de « vade me cum » pour les aider à faire face à des situations de crise.

Ces campagnes ont probablement un impact positif. Néanmoins, l'expérience montre que la valeur des interventions de professionnels dans les établissements est sans doute supérieure à celle de spots télévisés à l'image un peu cosmétique, et dont l'efficacité reste à prouver. Par ailleurs il faut marteler qu'aucun guide ou « vade me cum » ne peut compenser l'absence inexcusable d'une formation adéquate sur ces questions pour les enseignants et les chefs d'établissements dans les IUFM .

b) La lutte contre le décrochage à compléter d'urgence

(1) Des situations contrastées, une prise en charge diversifiée

Etant clairement établi que les élèves en situation de décrochage scolaire sont dans des proportions beaucoup plus importantes que les autres auteurs de faits délinquants, les pouvoirs publics doivent tout mettre en oeuvre pour prévenir l'échec à l'école.

Le décrochage scolaire recouvre deux difficultés étroitement liées mais néanmoins distinctes. On constate chez certains élèves une incapacité à la socialisation normale au sein d'un établissement. L'élève est replié sur lui-même, taciturne, discret, ou à l'inverse fortement agité, voire violent. A côté de ces problèmes de comportements, figurent les lacunes scolaires proprement dites dont on connaît, chez certains, l'ampleur dramatique. Le plan d'action pour une veille éducative du 27 novembre 2001 faisait cet inacceptable constat : « L'école, le collège et le lycée ont atteint un seuil d'efficacité au-delà duquel ils ne sont pas en mesure de descendre. Ce seuil se situe à 8,2 % d'une classe d'âge pour les élèves quittant l'école sans qualification, soit environ 58.000 jeunes ». Le collège unique s'adresse donc à 92 % des enfants. La lutte contre le décrochage scolaire doit pallier cette double exclusion de l'élève. Suivant les cas, ces difficultés sont plus ou moins développées. Évidemment, plus ces troubles sont traités de manière précoce, plus les espoirs de succès sont importants.

Les réponses apportées au décrochage scolaire s'inscrivent dans un rythme ternaire. Dans les situations les plus légères, l'élève doit bénéficier d'un soutien supplémentaire. Selon la difficulté, il s'agira de l'intervention d'un psychologue scolaire ou d'un éducateur pour effectuer un travail sur le comportement. Le tutorat et autres formes de soutien scolaire permettent de procéder à des remises à niveau.

Les élèves déjà plus en difficulté, souffrant d'un retard important ou en proie à des tensions passagères, bénéficient d'un dispositif adapté pour une partie, et une partie seulement, de leur scolarité. C'est le principe de la classe « SAS ».

Les élèves véritablement déstructurés doivent pour leur part être pris en charge à plein temps dans le cadre d'une structure séparée et différenciée, la « classe-relais ».

(2) Un système existant perfectible

Chacun de ces dispositifs mériterait d'être amélioré. Le soutien aux élèves se développe mais reste insuffisant dans le cadre de l'institution. Les personnels qualifiés, notamment psychologues scolaires et éducateurs, sont trop peu nombreux. Le tutorat et le soutien scolaire se développent mais restent souvent tributaires d'une politique partenariale (CNAF, associations, collectivités locales) et de la qualité des intervenants extérieurs. Ainsi à Bagneux, le soutien scolaire est assuré par les services du centre social et culturel. Si l'école ne peut pas tout faire toute seule, cette offre doit néanmoins être musclée dans le cadre des établissements.

La prise en charge alternée est, pour sa part, un peu prise en tenaille entre le soutien simple et les classes relais. Les classes SAS restent expérimentales. Il est d'ailleurs marquant, à ce titre, que le ministère soit incapable d'en indiquer le nombre en France, qui semble par ailleurs très faible. Cette carence est regrettable car les réponses au décrochage scolaire doivent être progressives .

Peut-être en raison de l'urgence du problème, la prise en charge dans les classes relais est le dispositif qui a été le plus encouragé 49 ( * ) . Si le développement de ces structures est positif, il serait erroné de croire que les classes relais constituent une réponse « tout terrain » aux problèmes du décrochage scolaire.

Leur premier défaut est la forte carence de l'accompagnement après le passage en classe relais. Le suivi n'est pas institutionnel. Lorsque le dispositif relais est dans le cadre du collège, à l'instar de la classe relais de Bagneux, des enseignants peuvent garder un oeil sur l'élève. Dans les autres cas, le retour à la scolarité est source d'appréhension pour les jeunes, et ce, malgré les progrès réalisés.

En effet, si les classes relais donnent de bons résultats 50 ( * ) , notamment en termes de travail comportemental, l'évolution sur les résultats scolaires n'est souvent pas miraculeuse. L'objectif d'une remise à niveau pour revenir dans la classe d'origine est souvent trop ambitieux tant les carences sont grandes. Que faire alors lorsque les progrès effectués sont insuffisants pour revenir à une scolarité normale ? Bien sûr, pour les plus âgés, l'optique d'un pré-apprentissage 51 ( * ) ou d'une orientation en filière professionnelle peut se profiler. Dans ces conditions, le passage en classe relais, ayant à la fois permis un vrai travail sur les fondamentaux ainsi que sur le comportement, accroît la confiance en soi de l'élève. C'est un succès. Mais pour les plus jeunes, l'optique d'une réintégration pour trois ou quatre années de collège reste véritablement problématique, si la remise à niveau n'est pas effective et la motivation retrouvée. La classe relais n'aura été qu'un temps inutile ou préalable à un « éternel retour » au sein du dispositif.

c) Des initiatives à encourager

Plusieurs outils déjà expérimentés ont prouvé leur capacité à réconcilier les jeunes en difficulté et l'école, et in fine , à prévenir de manière efficace les comportements délinquants. Contrepoint d'une politique faite d'un déversement massif de moyens, ces expériences misent sur des projets qualitatifs susceptibles de fédérer les ressources déjà existantes.

(1) Diversifier l'offre éducative par l'internat

La demande de places d'internat va croissante, les inspections académiques en recevant plusieurs par semaine, émanant tant des parents que des enfants. Si tous les internats ne sont pas remplis intégralement, l'offre est inégalement répartie sur le territoire et pas toujours adaptée à la demande.

Effectifs des internats

Collégiens

10.776 (soit 1%)

Lycéens

70.786 (soit 6,5%)

Lycéens professionnels

69.578 (soit 13%)

Etudiants en classes préparatoires

17.280 (soit 8%)

Source : Education nationale

L'internat n'est plus perçu comme une sanction mais l'occasion pour les jeunes de faire l'apprentissage d'une autonomie et de la vie en commun. C'est aussi souvent l'occasion de pratiquer, de manière plus intensive, des activités sportives, artistiques ou culturelles.

(2) S'appuyer sur les chefs d'établissements

Les études sur la violence en milieu scolaire mettent en évidence le rôle essentiel joué par le chef d'établissement en matière de prévention. Cette fonction doit être soutenue par des propositions de formation adéquates. Beaucoup ont des idées originales qui leur permettent, dans leurs écoles ou collèges, de pacifier les relations et d'encourager la réussite. Le projet d'établissement doit être l'occasion de contractualiser les objectifs et d'obtenir les moyens de les servir.

(3) Encourager l'encadrement extra scolaire des élèves

Le développement progressif des vacances scolaires longues a été véritablement préjudiciable aux enfants des milieux les moins favorisés, qui sont laissés à eux-mêmes. Les constats faits devant la commission d'enquête par M. le sous-préfet de Valenciennes sont sans appel : lors des vacances supérieures à deux semaines, les services de police constatent une dégradation du climat dans les cités et une augmentation des actes de délinquance.

Initié par le ministère de l'Education nationale en 1991, le principe de l'école ouverte permet aujourd'hui à plus de 400 établissements de proposer des activités alternatives durant les vacances, et parfois les week-end ou le mercredi. Dans le cadre de ses déplacements, la commission s'est rendue à Strasbourg, au collège du Stockfeld, qui propose aux jeunes des activités dans le cadre de l'école ouverte. En 1999, un atelier original a été lancé avec l'Opéra du Rhin. D'autres activités sont proposées autour des thèmes de l'environnement culturel, naturel, urbanistique ainsi que des soutiens scolaires et des stages sportifs. La plupart des établissements conduisant ces opérations constatent une pacification des relations dans l'établissement. En outre, il s'agit là d'une concurrence sérieuse contre « l'école de la rue » dont les méfaits sont connus.

(4) Poursuivre la politique des partenariats

De plus en plus, l'école s'associe avec des institutions extérieures, tant pour lutter contre le développement de la délinquance dans et hors ses murs que pour mener des programmes de prévention à l'intention des jeunes. Dans le cadre départemental, des conventions ont été passées entre les services de police et de gendarmerie et l'Education nationale. Celles-ci permettent aux forces de l'ordre d'intervenir dans les collèges à des fins préventives, à l'instar des campagnes de lutte contre la toxicomanie assurées par les Brigades de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie nationale (BPDJ), mais également d'assurer une meilleure veille répressive en lien avec les établissements. D'autres partenariats lient l'Education nationale à des institutions spécialisées. La CNAF s'investit pour soutenir l'implication parentale en lien avec l'école.

En 1998, une tentative d'organisation de certains partenariats a été lancée via les contrats éducatifs locaux (CEL). La circulaire interministérielle du 9 juillet 1998 implique les ministères de l'Education nationale, de la Culture et de la Ville pour assurer un meilleur suivi des jeunes dans et hors du temps scolaire. Les administrations de l'Etat comme les services sociaux locaux sont invités à proposer des activités aux enfants.


Actions proposées dans le cadre des CEL

Activités artistiques

29,4%

Activités scientifiques et techniques

13,5%

Activités « périphériques » (jeux, éveil, multi-sports etc.)

17,7%

Activités sportives

20,3%

Source : Groupe de suivi interministériel.

Les projets sont gérés sur le plan local par un groupe de pilotage animé par le maire, qui désigne un coordonnateur et valide le projet. Le coordonnateur assure le suivi. Au niveau départemental, un autre groupe de pilotage sous la responsabilité du préfet adresse un appel à projet à tous les acteurs concernés (collectivités, services et établissements de l'Etat, associations etc.), les valide et les finance.

La première évaluation des CEL réalisée par le groupe de suivi interministériel en 2001 met en avant des réussites et des faiblesses, notamment le manque de formation des encadrants et la faible participation des familles et des habitants. Néanmoins, ces actions permettent d'étendre l'offre tout en s'assurant que des jeunes, jusque-là non bénéficiaires de ce type d'action, ont accès à des services nouveaux.

Cette volonté de partenariat, indispensable, doit néanmoins éviter un écueil de taille : la prolifération de mesures qui, s'empilant, rendrait le schéma illisible, et nuirait à l'efficacité globale de l'action publique. A ce titre, l'apparition du « Plan éducatif local », qui est venu s'ajouter au CEL, jugé trop « lâche » 52 ( * ) , est à bien des égards inquiétante.

* 48 BOEN, n° 41, 28 mars 1996.

* 49 180 classes-relais fonctionnaient en 1999-2000 et 224 en 2000-2001.

* 50 Le centre Alain Savary de l'INRP a réalisé une enquête sur la situation en 2000 de 358 jeunes ayant été accueillis dans 35 dispositifs relais au cours de l'année scolaire 1998-1999. Cette étude montre que 53 % des élèves faisaient l'objet d'une mesure de protection judiciaire ou administrative. Une année après la sortie des dispositifs relais, 49 % des élèves étaient en collège, en lycée professionnel ou en apprentissage ; 15 % dans des structures particulières (centre de jour de la PJJ, établissements médico-éducatifs...), 17% ne suivaient plus aucune formation (certains garçons ayant de graves problèmes avec la Justice et certaines filles étant enceintes) et 4 % étaient entrés dans la vie active.

* 51 Classe d'initiation professionnelle en alternance (CLIPA) et classe préparatoire à l'Apprentissage.

* 52 Cf. Politique de la Ville.

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