C. DES JURIDICTIONS POUR MINEURS SATURÉES

Si l'accroissement très fort du rôle du parquet a été une évolution majeure de la justice des mineurs, il reste que le juge des enfants et le tribunal pour enfants demeurent les acteurs principaux de la procédure judiciaire.

Les visites de la commission d'enquête et ses auditions permettent aujourd'hui d'affirmer que ces juridictions connaissent des difficultés d'organisation, de moyens, de pratiques.

Le juge des enfants est compétent à la fois à l'égard des mineurs en danger et des mineurs délinquants. Les magistrats de la jeunesse sont très attachés à cette double compétence.

1. Les attributions étendues du juge pour enfants

a) L'assistance éducative

Depuis l'ordonnance de 1958, le juge pour enfants est compétent en matière d'assistance éducative et en matière de délinquance des mineurs.

L'article 375 du code civil dispose en effet que « si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ».

L'article 375-1 du même code précise que « le juge des enfants est compétent, à charge d'appel, pour tout ce qui concerne l'assistance éducative ».

L'évolution de l'activité des juges des enfants en matière d'assistance éducative n'est pas facile à mesurer. Jusqu'il y a peu, cette évolution était menée grâce au nombre de dossiers ouverts chaque année mais cette statistique a cessé d'être mesurée depuis 1999. En 2000, les juges des enfants étaient saisis de 109.146 mineurs au titre de l'assistance éducative contre 125.649 en 1998.

Dans le cadre de l'assistance éducative, le juge des enfants peut ordonner à l'égard des mineurs des mesures d'investigation, des mesures d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) ainsi que les mesures de placement.

b) La délinquance des mineurs

La compétence du juge des enfants en matière de délinquance des mineurs est plus ancienne puisqu'elle date de l'ordonnance du 2 février1945 relative à l'enfance délinquante. L'activité des juges des enfants en cette matière n'a cessé d'augmenter au cours des dernières années. Le nombre d'affaires transmises aux juges des enfants par les parquets est passé de 45.276 en 1996 à 54.651 en 2000. Les juridictions pour mineurs se sont adaptées à cette évolution et le nombre de jugements rendus par ces juridictions a connu une augmentation très spectaculaire au cours des dernières années.

Activité pénale des juges et tribunaux pour enfants

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Jugements en chambre du conseil (audience de cabinet)


16 548


20 292


22 505


25 571


29 429


31 229


31 255


31 354

Jugements en audience de tribunal pour enfants

16 613

17 669

18 984

21 203

27 172

28 108

29 456

30 168

Total

32 861

37 961

41 489

46 774

56 601

59 337

60 711

61 522

Source : ministère de la justice

c) Les autres attributions

Le juge des enfants est également compétent à l'égard des jeunes majeurs (18-21 ans) faisant l'objet d'une mesure de protection, ainsi qu'en matière de tutelle aux prestations familiales.

d) La double compétence en question

Les juges des enfants sont très attachés à leur double compétence en matière d'assistance éducative et de délinquance des mineurs et soulignent régulièrement que si tous les mineurs en danger ne sont pas délinquants, les mineurs délinquants sont le plus souvent aussi en danger.

Cette approche n'est pas contestable.

Ce qui l'est beaucoup plus est la manière dont certains magistrats usent de l'un ou l'autre cadre procédural en fonction de critères opaques. Au cours de ses visites, la commission d'enquête a rencontré des magistrats soulignant qu'ils ne plaçaient jamais un mineur au titre de l'ordonnance de 1945, mais toujours au titre des dispositions sur l'enfance en danger. Il semble même que certains mineurs délinquants soient confiés à des établissements sur le fondement des textes relatifs à l'enfance en danger, afin de contourner la réticence de ces établissements à accueillir des mineurs délinquants.

En 2000, le tribunal pour enfants de Bobigny a prononcé 15 mesures de placement au titre de l'ordonnance de 1945. Est-ce à dire que 15 mineurs délinquants seulement sont placés en Seine-Saint-Denis ? Non. Cela signifie simplement qu'un très grand nombre de mineurs délinquants sont placés au titre de l'assistance éducative.

Comment s'étonner dès lors que certains proposent régulièrement de priver le juge des enfants de ses compétences en matière d'assistance éducative, afin qu'il se consacre au traitement de la délinquance ?

Outre que les mesures prononcées au titre de l'assistance éducative et au titre de l'ordonnance de 1945 ne sont pas financées par les mêmes autorités (les premières sont majoritairement financées par le Conseil général, les autres par le ministère de la justice), il y a dans de telles pratiques une perte de sens de la mesure prononcée qu'avaient déjà souligné Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck dans leur rapport de 1998.

Comment entreprendre un travail éducatif autour du comportement délinquant si celui-ci est totalement évacué de la décision prise à l'égard du mineur ?

Il est vrai que les règles relatives à la révision des mesures de placement sont plus contraignantes dans le cadre de l'ordonnance de 1945 que dans le cadre de la procédure d'assistance éducative. La commission d'enquête est favorable à un assouplissement de l'ordonnance sur ce point , mais estime nécessaire que les cadres définis par la loi soient pleinement respectés.

Sous cette réserve, il apparaît souhaitable que le juge des enfants demeure compétent en matière d'assistance éducative et de délinquance.

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