CONTRIBUTION DES SÉNATEURS DU GROUPE SOCIALISTE
MEMBRES DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Lors de la création de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance juvénile, le 12 février 2002, le groupe socialiste avait exprimé des doutes quant à l'opportunité et la crédibilité des travaux de cette instance dans un contexte préélectoral surdéterminé par la mise en avant de thèmes sécuritaires dans la campagne du Président de la République sortant.

Aujourd'hui, au terme des investigations de la Commission d'enquête,  le groupe socialiste tient à souligner l'atmosphère sereine qui a régné tout au long de ses travaux menés sous la responsabilité du Président, Jean-Pierre Schosteck et du rapporteur Jean-Claude Carle. Il se félicite de la qualité et du sérieux des échanges auxquels ont donné lieu les auditions et l'intérêt des déplacements effectués sur le terrain tant en métropole qu'outre-mer et à l'étranger.

Le rapport de la commission d'enquête établit un certain nombre de constats déjà connus de tous. Ainsi présente-t-il le mérite d'effectuer un tour d'horizon actualisé sur la réalité de la délinquance des mineurs. Il permet de vérifier que de nombreuses préoccupations soulevées par le rapporteur recoupent les objectifs définis par la politique gouvernementale menée depuis 1998 en matière de justice, de sécurité publique et de politique de la ville.

Par ailleurs, la tonalité avisée de ce rapport tranche avec les propos très vifs tenus en séance publique pour motiver la teneur des amendements présentés et défendus par la majorité sénatoriale à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la sécurité quotidienne.

Ce sont donc des constats d'évidence et un témoignage de prudence qui balisent la lecture des conclusions de la commission d'enquête. Le groupe socialiste observe toutefois que le caractère très négatif qui se dégage du sommaire du rapport ne reflète pas la réalité de son contenu.

Il convient de relever le fait que les propos mesurés du rapport témoignent d'une prise de conscience devant la réalité de la situation: la question terriblement complexe du traitement de la délinquance juvénile mérite mieux que l'expression de slogans simplistes et la recherche de boucs-émissaires. Le thème de la sécurité publique ne doit pas devenir un sujet polémique. Exploiter certaines situations difficiles, faire l'amalgame entre jeunesse et délinquance puis entre délinquance et immigration revient à exacerber le sentiment d'insécurité. Or, on ne cultive pas impunément la peur.

Cette précaution affichée se justifie également par la volonté de ne pas trop anticiper sur l'avenir. En effet, il devenait difficile aux membres de la commission d'enquête de poursuivre la réflexion et de se prononcer en toute clarté alors que les choix qui semblent arrêtés par les projets de loi de programmation sur la justice et la sécurité viennent à leur manière clore la poursuite de l'enquête.

Peut-être cette prudence préfigure-t-elle aussi le rôle nouveau qu'entendent faire jouer au Sénat, les membres réunis de la majorité sénatoriale. Face à une présidentialisation renforcée de nos institutions, le Sénat saura-t-il réinvestir sa fonction d'assemblée politique de réflexion et de sagesse qui devrait le caractériser ?

Depuis la fin du XIXème siècle, le débat sur le traitement de la délinquance juvénile revient de manière récurrente dans la vie de la société française. Mais un net changement s'est fait jour au cours de la dernière décennie avec le développement de ce phénomène social dans des proportions préoccupantes et clairement identifiées.

Parallèlement, la répétition du discours sécuritaire a eu pour conséquences néfastes de bouleverser les repères et a déplacé l'importance des enjeux.

Après la mise en place d'un gouvernement de mission par le Président de la République, un seul mot d'ordre court aujourd'hui : l'action. A croire que rien n'a été accompli précédemment en matière de lutte gouvernementale contre la délinquance des mineurs.

Telle n'est pas la réalité. Bien plus, il apparaît que la politique menée depuis 1997 se trouve dans le droit fil des préoccupations soulevées par le rapporteur.

Les premiers conseils de sécurité intérieure, institutionnalisés par décret le 18 novembre 1997, bien avant que cette instance ne voie son format repris et réaménagé dans sa configuration actuelle, ont lancé la réflexion puis arrêté et amplifié un plan d'action contre la délinquance juvénile.

Les principales orientations mises en oeuvre visent à apporter une réponse judiciaire aux premiers actes de délinquance commis par les mineurs  et à répondre rapidement à tous les faits de délinquance en assurant une continuité de l'intervention. Elles cherchent à diversifier les réponses éducatives comme le perfectionnement des dispositifs d'accueils et d'urgence afin de faciliter le placement des mineurs déférés dans le cadre d'une procédure pénale. Elles s'attachent également à mieux associer les familles et les acteurs sociaux concernés en permettant notamment aux parents d'exercer leurs responsabilités éducatives dans toutes les procédures concernant leur enfant mineur.

Il est heureux que la commission d'enquête ne propose pas une réécriture de l'ordonnance du 2 février 1945. Il s'agit d'un texte adapté qui offre aux magistrats une large gamme de réponses. Sa mise en oeuvre doit être à la hauteur des ambitions du législateur.

Le groupe socialiste est convaincu que le pari de l'éducatif vaut la peine d'être tenu. Affirmer cette réalité ne revient pas à nier la nécessité de la sanction. Celle-ci doit simplement être mieux adaptée à l'âge de l'enfant. D'un autre côté, faire que la loi commune soit comprise et appliquée par chacun implique également que les adultes, dans leurs comportements, comme dans leurs propos, soient à la hauteur des exigences qu'ils expriment à l'égard des jeunes.

Le régime de la détention des mineurs mérite une attention particulière. En France, l'enfermement des mineurs délinquants se réalise par la prison, dans les quartiers prévus à cet effet. Au cours des déplacements réalisés par la commission d'enquête, nous avons pu constater que, les conditions actuelles de détention des mineurs sont, dans l'ensemble, mauvaises, et vont à l'encontre de tout effort durable de socialisation. L'adaptation des structures carcérales n'en est que plus urgente. La prise en charge par l'administration pénitentiaire des mineurs incarcérés doit reposer sur l'installation de quartiers totalement autonomes et de petite taille.

La prison est dans un certain nombre de cas, inévitable. Mais les professionnels nous rappellent que ce sont davantage les conditions de l'incarcération, plus que l'incarcération elle-même, qui sont criminogènes.

Le groupe socialiste estime que les réformes de la carte pénitentiaire et du régime de la détention des mineurs, ainsi que du contenu de celle-ci, de manière à assurer la permanence d'un véritable suivi éducatif, doivent être poursuivies, si l'on veut lutter efficacement contre la délinquance juvénile.

Les auditions de la commission d'enquête ont également permis de mettre en évidence la crise d'identité que traverse la PJJ. Celle-ci se caractérise non seulement par la faiblesse des moyens accordés pour répondre à ses missions (bien que les crédits qui lui sont alloués dans le cadre de la loi de finances aient connu au cours des années précédentes une forte progression : + 6,4 % en 1999 ; + 14,7% en 2000 et + 7,3% en 2001, en raison du montant des crédits antérieurs non consommés en totalité) mais aussi par les conditions d'exercice de plus en plus difficile du métier d'éducateur.

Il est nécessaire de refonder l'action de la protection judiciaire de la jeunesse. La PJJ doit être à nouveau mobilisée sur une gestion quotidienne plus proche du terrain ainsi que sur une meilleure formation des personnels. Les rapports avec les juges sont indispensables et appellent un approfondissement de la relation. De tels objectifs représentent un coût budgétaire important mais nécessaire pour l'avenir de la PJJ. Par ailleurs, son action doit mieux s'inscrire dans les dynamiques locales de concertation et de prévention. Les orientations de la commission d'enquête sur ce point méritent des éclaircissements quant à la redéfinition du rôle attendu de la PJJ dans un futur proche.

La lutte contre la délinquance des mineurs ne peut se réduire à la lutte contre la criminalité. De même la justice des mineurs ne peut à elle seule répondre au problème global posé par la délinquance des jeunes. Si les réponses relèvent d'une dynamique collective, le groupe socialiste insiste pour que ne soit pas hâtivement clôt le débat d'ordre social et politique sur les mécanismes d'exclusion qui conduisent les jeunes à la violence.

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