B. UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAVAIL INDUISANT DE NOUVEAUX MÉTIERS

Au cours de ses déplacements et de ses auditions, la mission a pu constater l'apparition de nouveaux modes de fonctionnement des juridictions tendant à promouvoir le travail en équipe et l'aide à la décision des magistrats, à améliorer l'information de l'usager et à développer le recours à l'informatique et aux nouvelles technologies.

De nouveaux métiers se dessinent pour répondre à des besoins émergents ou mal satisfaits, avec les assistants de justice, les agents de justice ou encore les techniciens informatiques. Leur statut reste toutefois extrêmement précaire et doit être revu afin qu'ils jouent un rôle complémentaire et non concurrent de celui des fonctionnaires des greffes.

1. Constituer autour du magistrat une équipe chargée de l'assister

Le cloisonnement des services et l'isolement des individus doivent céder la place au travail en équipes chargées d'apporter une véritable aide à la décision des magistrats.

a) Un trop grand cloisonnement

L'organisation actuelle des juridictions et les méthodes traditionnelles de travail des magistrats ne sont plus adaptées pour répondre à un contentieux croissant et complexe, aux exigences des justiciables de décisions rapides et de qualité, au défi lancé par des auxiliaires de justice regroupés en cabinets performants.

Un hiatus s'est formé entre la façon de travailler, artisanale et solitaire du magistrat , enfermé dans son cabinet, plongé dans ses dossiers et préoccupé par le seul souci d'évacuer ses affaires, et la nécessité de répondre à un contentieux qui revêt aujourd'hui un caractère « industriel ».

La réduction progressive des décisions collégiales et le développement de l'informatique risquent de favoriser cette tendance à l'isolement, au repliement sur soi qui caractérise encore certains comportements.

L'organisation actuelle des juridictions ne permet pas toujours aux fonctionnaires de s'impliquer dans leur travail et de suivre une procédure depuis son enregistrement jusqu'à sa clôture. Le cloisonnement des services conduit à une perte d'intérêt pour le métier et à la routine .

Indépendamment du nécessaire renforcement des moyens de l'institution judiciaire, il convient donc de conduire une réflexion sur la notion de services et sur le découpage des juridictions en chambres afin de favoriser la constitution d'équipes autour des magistrats , sans pour autant provoquer une balkanisation de l'organisation.

b) La nécessité d'apporter aux magistrats une aide à la décision

Les magistrats entendus par la mission ont unanimement fait part de leur besoin de disposer , en sus de greffiers et de secrétaires, de collaborateurs de haut niveau capables d'effectuer des recherches documentaires, des analyses juridiques, de rédiger des notes de jurisprudence et des notes de synthèse des dossiers ainsi que, parfois, des projets de décision.

Ils seraient ainsi à même d'endiguer les flux d'affaires nouvelles, de résorber les stocks, de rendre des décisions de meilleure qualité et d'être mieux préparés face aux cabinets d'avocats.

Comme le relevait M.  Jean-Louis Castagnède, président de chambre à la cour d'appel de Bordeaux, la nécessité de traiter rapidement les dossiers ne doit pas se traduire par une moindre écoute des justiciables et une motivation insuffisante des jugements. En effet, les citoyens sont prêts à accepter une décision défavorable à la condition d'en comprendre les raisons et d'avoir le sentiment d'avoir été entendus .

c) La création des assistants de justice

A l'initiative de notre collègue Pierre Fauchon, la loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, a autorisé le recrutement d'assistants de justice auprès des tribunaux d'instance, des tribunaux de grande instance et des cours d'appel 99( * ) .

La loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature a étendu cette faculté à la Cour de cassation.

Recrutés pour une période de deux ans , renouvelable une fois , parmi les titulaires d'un diplôme sanctionnant quatre années d'études supérieures en matière juridique, ces assistants sont chargés, sous réserve de certaines incompatibilités, d' apporter leur concours aux magistrats du siège et du parquet , d'effectuer des recherches documentaires, des analyses juridiques, de rédiger des notes de jurisprudence et des notes de synthèse des dossiers ainsi que, parfois, des projets de décision sur les instructions et les indications des magistrats.

Leur recrutement et leur gestion sont déconcentrés au niveau des cours d'appel. Ils perçoivent des vacations horaires 100( * ) dont le nombre ne peut excéder 80 par mois et 720 par an. Ils étaient 1.232 au 1 er janvier 2002.

Le profil type d'un assistant de justice est celui d'un étudiant, ou plutôt d'une étudiante , titulaire le plus souvent d'un diplôme de troisième cycle universitaire en fin de parcours ou venant de quitter l'université.

Les magistrats rencontrés par la mission ont exprimé leur satisfaction d'avoir à leurs côtés des collaborateurs de valeur qui leur apportent un soutien précieux dans la préparation des décisions .

De leur côté, les assistants de justice rencontrés à Bordeaux apprécient la diversité des tâches qui leur sont confiées, le rapport de confiance qu'ils nouent avec le magistrat et l'expérience qu'ils acquièrent. Ils éprouvent le sentiment de contribuer à l'accélération du traitement des dossiers.

L'utilité de la fonction est désormais reconnue de tous .

En revanche, les magistrats déplorent le fort taux de rotation des assistants de justice , qui mettent rapidement un terme à leur contrat soit parce qu'ils ont été reçus à un concours de la fonction publique soit parce qu'ils ont trouvé un emploi durable dans le secteur privé. Ils jugent regrettable de devoir sans cesse consacrer du temps et des efforts à la formation d'assistants éphémères.

Une vice-présidente de tribunal de grande instance chargée d'un tribunal d'instance indiquait ainsi dans une contribution écrite adressée à la mission : « Le système actuel d'assistance du juge n'est pas satisfaisant. L'assistant de justice est recruté et affecté sans transparence suffisante. Son utilité reste limitée et précaire. Le juge doit passer beaucoup de temps à le former s'il souhaite le rendre apte à rédiger des projets de décision et cette formation n'est pas rentabilisée eu égard à la brièveté du contrat de l'assistant dont le terme est fréquemment anticipé pour des raisons liées à la modification de son parcours universitaire ou professionnel . »

De leur côté, les assistants de justice, du moins ceux rencontrés à Bordeaux, s'inquiètent de la précarité de leur statut, en particulier de l' impossibilité de prolonger leur contrat au-delà de quatre ans , et de la faiblesse de leur rémunération ; ils souffrent parfois d'un manque de reconnaissance au sein de la juridiction et aspirent à pouvoir se présenter aux concours internes de la fonction publique 101( * ) .

Enfin, les organisations représentatives des personnels des greffes s'inquiètent de voir exercer par d'autres des fonctions dont elles considèrent qu'elles relèvent de la compétence des greffiers en chef ou même des greffiers.

d) Les pistes de réforme

La mission s'est donc interrogée sur les pistes de réforme susceptibles d'être envisagées pour pérenniser cette fonction indispensable d'aide à la décision du magistrat 102( * ) .

Une première piste pourrait consister dans la création d'un nouveau corps de fonctionnaires , intermédiaire entre les magistrats et les greffiers en chef, inspiré du Rechtspfleger allemand 103( * ) . M. Marc Moinard, procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, a toutefois rappelé à une délégation de la mission qu'un tel corps avait été créé en 1977 mais que sa constitution fut rapidement interrompue.

En effet, la création d'un nouveau corps n'irait pas sans difficultés, confusions et tensions : opposition des greffiers en chef et des greffiers, risque de perte de compétence des assistants de justice, qui sont actuellement des étudiants de haut niveau, risque d'une magistrature à deux vitesses composée, d'un côté, d'étudiants ayant réussi les concours externes, de l'autre, d'anciens assistants de justice ayant échoué au concours de l'Ecole nationale de la magistrature mais bénéficiant d'une intégration directe. M. Marc Moinard a ainsi précisé qu'actuellement la commission d'avancement 104( * ) était très réticente à accorder le bénéfice de l'intégration directe à des assistants de justice.

Plutôt que de créer un nouveau corps de fonctionnaires, la mission estime qu'il convient de doter les assistants de justice d'un statut plus attractif, pour les étudiants et les magistrats, en allongeant le nombre d'heures et d'années d'exercice des fonctions, en revalorisant le montant des vacations horaires et en créant des passerelles vers la magistrature. Ainsi les magistrats français pourraient-ils bénéficier de collaborateurs de qualité, à plein-temps ou à mi-temps s'il s'agit d'étudiants, sur le modèle des référendaires à la Cour de justice des Communautés européennes.

Cette proposition se trouve confortée par les propos qu'a tenus M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, devant la mission : « il conviendrait de reprendre à notre compte ce que connaissent les juridictions de common law avec ce qu'on appelle les clerks. Ainsi, à la Cour suprême du Canada, chaque juge dispose d'un groupe de cinq ou six clerks qu'il recrute lui-même directement. Ces clerks restent auprès de ce juge pendant quatre ans, et au bout de ces quatre ans, ils parviennent très facilement à trouver un emploi valorisé dans un contentieux qu'ils auront pratiqué .

« Si l'on veut donner de bons collaborateurs aux juges, il faut, me semble-t-il, aller dans ce sens, car ces jeunes juristes connaissent bien la jurisprudence : ils sont formés au nouveau droit, ils ont envie de travailler et de valoriser leurs fonctions, ils sont très actifs. D'ailleurs, à ce sujet, certaines expériences sont très positives, je pense aux référendaires à la Cour de justice des Communautés européennes, notamment . »

Pour autant, la mission considère que l'amélioration du statut des assistants de justice ne doit pas conduire à écarter les greffiers en chef et les greffiers des fonctions d'aide à la décision des magistrats .

Certes, les greffiers en chef s'étaient opposés, au milieu des années 1980, à la création de deux filières au sein de leur corps, l'une administrative, l'autre juridictionnelle, « ratant peut-être le coche » selon l'expression de M. Marc Moinard.

Le premier président de la cour d'appel de Lyon portait un jugement encore plus sévère en indiquant à la mission : « avec l'introduction de l'informatique dans les juridictions, les greffiers sont de plus en plus déchargés de la dactylographie des jugements et arrêts, mission qu'ils acceptent d'ailleurs avec réticences et qui a tendance à être remplie par les magistrats. Cette mutation est de nature à compromettre l'avenir de la profession de greffier qui, à terme, risque de devenir inutile. Pour autant, on constate trop d'hésitation de la part des greffiers à s'investir, aux côtés des magistrats et sous leur contrôle, dans une mission d'aide à la décision qui aurait pu correspondre à celle qui a finalement été dévolue aux assistants de justice . »

Toutefois, comme il l'a été indiqué, leur niveau s'est élevé depuis plusieurs années, un grand nombre d'entre eux détenant des diplômes du troisième cycle universitaire, et beaucoup préfèreraient se consacrer à ces tâches juridiques plutôt qu'à la gestion.

Telle est la raison pour laquelle, la mission approuve la proposition de la commission de réflexion sur l'évolution des métiers des greffes de créer des fonctions de greffier en chef référendaire et de greffier rédacteur, complémentaire des assistants de justice.

Il s'agit de permettre aux greffiers en chef et aux greffiers d'occuper des fonctions d'aide à la décision des magistrats, actuellement dévolues aux assistants de justice.

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