2. Viticulture et environnement : une prise de conscience récente à approfondir et à valoriser

Une prise de conscience récente

La prise en compte des enjeux environnementaux s'est imposée au secteur viticole comme une nécessité au tournant des années 1990, en particulier à la suite des débats sur la première loi sur l'eau , qui ont mis en évidence la teneur de l'eau en résidus phytosanitaires d'origine agricole.

Il convient également d'évoquer l'impulsion des « directives pour la production intégrée en viticulture » , élaborées par l'Organisation internationale de lutte biologique et intégrée contre les animaux et les plantes nuisibles (OILB).

L'adoption de pratiques viticoles plus respectueuses de l'environnement a, en outre, été facilitée par l'innovation technologique elle-même, notamment à travers l'apparition de plantes systémiques capables de véhiculer elle-même leur propre système de défense.

Une évolution nécessaire

L'adoption de telles pratiques est aujourd'hui incontournable à plusieurs titres.

Il s'agit, en premier lieu, de garantir la viabilité et le caractère durable de la viticulture , en protégeant les sols contre l'érosion et en évitant les effets négatifs des traitements sur l'environnement (pollution des sols, de l'air) et sur la santé des utilisateurs comme des consommateurs.

En outre, la production viticole raisonnée répond à une attente forte de la part des consommateurs . Cette dimension est de plus en plus prise en compte lors de l'acte d'achat comme l'a souligné Mme Denise Lespinarse, Présidente de l'Association de consommateurs UFC-Que Choisir Mâcon, lors de son audition devant le groupe de travail.

Il s'agit également d'une demande forte de l'aval de la filière. Conscients de la sensibilité accrue des consommateurs à l'égard des enjeux environnementaux, les négociants et la grande distribution imposent désormais fréquemment aux viticulteurs des cahiers des charges prévoyant l'adoption d'un mode de production raisonné.

Enfin, la dimension environnementale faisant l'objet d'une attention croissante de la part des pays viticoles dits du Nouveau Monde, il importe que la viticulture française ne prenne pas de retard dans ce domaine, au risque, dans le cas contraire, de se voir imposer tôt ou tard des normes internationales contraignantes, réduisant sa capacité exportatrice.

De ce point de vue, l'enjeu environnemental peut aisément devenir une arme économique . L'une des personnes auditionnées par le groupe de travail a indiqué que les Etats-Unis tentaient de mettre en avant cet aspect dans leurs négociations commerciales avec les nouveaux pays producteurs. Il convient, toutefois, de souligner que ceux-ci bénéficient de conditions climatiques suffisamment favorables pour pouvoir se dispenser d'utiliser des traitements.

La prise en compte de l'environnement trouve des traductions multiples

L'adoption de méthodes de production plus respectueuses de l'environnement suppose un changement de culture de la part des viticulteurs. Il s'agit d'adopter de nouvelles pratiques culturales telles que :

- l'analyse du sol avant fertilisation et le suivi des intrants, en vue d'adapter les apports organiques et minéraux aux stricts besoins du sol ;

- la protection biologique des vignes, c'est-à-dire l'utilisation d'organismes vivants, pour lutter contre les parasites ;

- la réduction des traitements phytosanitaires qui sont, pour certains, indispensables à la lutte contre des maladies telles que le mildiou, l'oïdium ou le botrytis. Cela peut, par exemple, s'obtenir grâce à un meilleur réglage des pulvérisateurs ;

- l'enherbement des rangs de vignes en vue d'éviter le ruissellement des produits phytosanitaires.

L'ensemble de ces pratiques a été progressivement détaillé dans des textes élaborés par le Centre technique interprofessionnel de la vigne et du vin (ITV), l'ONIVINS et le ministère de l'agriculture, constituant ainsi un socle de la production viticole raisonn ée.

Cependant, va très rapidement se poser la question de l'articulation de cette réglementation avec celle issue du décret 6 ( * ) sur l'agriculture raisonnée publié le 25 avril 2002.

Le nouveau décret sur l'agriculture raisonnée et la viticulture

Ce décret, qui concerne tous les secteurs de l'agriculture, définit précisément ce qu'est l'agriculture raisonnée. Il définit un référentiel national qui a vocation à être complété au niveau régional en fonction de préoccupations comme l'érosion des sols ou la pollution de l'eau.

Aux termes de ce décret, les agriculteurs qui le souhaitent peuvent solliciter la qualification de leur exploitation au titre de l'agriculture raisonnée et valoriser cette qualification par un étiquetage particulier sur les produits qui en sont issus.

Appliqué au secteur de la viticulture, ce décret complètera le socle de la viticulture raisonnée par des prescriptions en matière de sécurité du travail et d'hygiène.

Il permettra sans doute une harmonisation des cahiers des charges qui se sont récemment multipliés.

Il n'en pose pas moins un certain nombre de problèmes.

En premier lieu, la possibilité d'apposer sur l'étiquette une mention indiquant la qualification de l'exploitation au titre de l'agriculture raisonnée risque d'accroître la confusion des consommateurs qui sont confrontés à une multiplicité de signes de qualité.

Cette nouvelle mention menace également de ruiner la légitimité des associations qui, telles celles de Terra Vitis, promeuvent depuis plusieurs années la production viticole raisonnée. Enfin, le caractère facultatif de l'adhésion à la qualification des exploitations risque d'engendrer une viticulture à deux vitesses.

La prise en compte de la préoccupation environnementale passe également par l'utilisation de nouvelles technologies, à l'image des logiciels servant à recenser, parcelle par parcelle, les traitements réalisés.

La production raisonnée ne concerne pas seulement la culture de la vigne . Elle implique également l'adoption de pratiques respectueuses de l'environnement au stade de l'élaboration du vin . Il s'agit, par exemple, de réduire la consommation d'eau dans les chais, de diminuer la charge polluante des effluents de caves et de traiter, voire de valoriser les déchets de différentes natures : marcs, lies, tartres, résidus des filtrations ou encore emballages.

A cet égard, votre rapporteur souhaite mettre l'accent sur la contribution des distilleries à la protection de l'environnement , même si l'on peut regretter le caractère parfois inégal de l'effort fourni selon les régions.

Au titre des prestations viniques, les distilleries traitent chaque année quelques 2 millions de tonnes de marcs (résidus du pressurage du raisin) et 6 millions de tonnes de lies (résidus de la vinification) et valorisent les sous-produits sous des formes diverses, notamment des nitrates et des colorants.

Il convient d'ajouter que les pouvoirs publics ont entrepris, au niveau national et européen, un travail de réexamen des produits phytosanitaires mis sur le marché . En France, cette démarche a notamment conduit à l'interdiction, en novembre 2001, de l'arsenite de soude, fongicide utilisé traditionnellement en viticulture et qui contient des substances cancérigènes, particulièrement dangereuses pour les manipulateurs.

Des perspectives nouvelles pour les producteurs

Si l'enjeu de la protection environnementale se traduit, avant tout, par des contraintes nouvelles pour le secteur vitivinicole, il apparaît également porteur d'opportunités.

La diminution des quantités de produits utilisées se traduit, en premier lieu, par une amélioration qualitative du vin produit .

D'autre part, l'adoption de pratiques respectueuses de l'environnement est partiellement valorisable en termes financiers puisqu'elle permet une augmentation du prix des bouteilles vendues estimée à 0,15 centime d'euros en moyenne.

Une dimension à approfondir

Malgré les attentes diverses dont elle fait l'objet, la viticulture raisonnée n'en est pourtant encore qu'à ses débuts.

Votre rapporteur rappelle que le nombre des exploitations recensées comme pratiquant une viticulture raisonnée n'est que de 400. En ajoutant à ce chiffre celui des exploitations biologiques (moins de 1 000 selon l'Observatoire national de l'agriculture biologique), on obtient une proportion d'exploitations qualifiées au titre de la protection de l'environnement inférieure à 1 % de l'ensemble des exploitations viticoles.

Mme Véronique Saint Gès, chercheur biochimiste à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Bordeaux, conduit actuellement une enquête sur l'écho que rencontre cette nouvelle démarche.

Il ressort que le monde viticole y est désormais très sensibilisé et qu'il manifeste une réelle volonté de réduire les traitements utilisés.

On observe néanmoins un certain retard en raison de l'atomisation des initiatives . De fait, les avancées sont le plus souvent réalisées grâce à un investissement collectif.

Celui-ci consiste, par exemple, en l'établissement d'un cahier des charges ou encore en la mise à disposition de moyens. C'est ainsi que la coopérative de Rauzan a mis en place une station météorologique afin d'indiquer à ses adhérents les moments opportuns pour traiter.

Il convient également de citer l'impulsion forte donnée par la démarche Terra Vitis.

La démarche Terra Vitis

La démarche Terra Vitis est née en 1990 du regroupement de viticulteurs du Beaujolais autour d'une « charte pour la qualité du vin ».

Elle a débouché en 1998 sur la constitution d'une association de la loi 1901 destinée à faire connaître aux consommateurs et aux partenaires commerciaux des vignerons le concept de production viticole raisonnée.

En 2000 et 2001, des viticulteurs du Languedoc-Roussillon, du Bordelais, de la région Anjou-Saumur, de Touraine et du Pays Nantais ont, à leur tour, créé des associations sur ce modèle, qui se sont regroupées récemment en une Fédération nationale, chargée notamment de promouvoir cette démarche et de coordonner les actions de communication qui s'y rattachent.

Les adhérents se conforment à un cahier des charges édictant des règles en matière de conduite de la vigne, de protection sanitaire et de suivi des parcelles. Son respect est garanti par des contrôles réalisés par l'association et par un organisme certificateur indépendant. Des formations particulières sont imposées aux chefs d'exploitation et à leurs salariés.

En aval, la marque commerciale « Terra Vitis » constitue un identifiant pour les consommateurs. Un logo Terra Vitis, assorti d'un texte type validé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), peut, en effet, être apposé sur l'étiquette, la contre-étiquette ou le médaillon.

En 2001, quelques 460 000 hectolitres de vin, soit 5 % de la production nationale, ont été commercialisés sous cette marque. Ce volume correspond à une surface d'environ 8 300 hectares, détenus par quelques 360 exploitants.

Malgré l'implication des syndicats et des chambres d'agriculture, qui dispensent des conseils et organisent des réunions d'information, le travail de sensibilisation individuelle doit être poursuivi.

Enfin se posera, à l'avenir, la question de la répartition de la valeur ajoutée provenant de l'implication des viticulteurs dans la protection de l'environnement . Cette problématique est, plus généralement, celle de l'engagement des agriculteurs dans les démarches environnementales et de qualité. Il importe que la profession s'investisse elle-même dans cette démarche, pour mieux en maîtriser la valorisation. A défaut, les producteurs subiront, tôt ou tard, des contraintes imposées par l'aval de la filière, qui en récupérera les bénéfices sans en rémunérer le coût.

OGM et viticulture : une évolution à surveiller

Le souci de la préservation de l'environnement pose la question de l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés (OGM) dans le domaine vitivinicole, dans la mesure où elle serait un moyen de limiter le recours aux traitements phytosanitaires.

Les OGM sont susceptibles de trouver des applications aussi bien en viticulture qu'en oenologie . Selon les informations communiquées par l'ONIVINS à votre rapporteur, dans le domaine viticole, la transgénèse permettrait ainsi d'obtenir :

- des porte-greffes résistants aux nématodes vecteurs ou aux virus responsables de maladies comme le court-noué ;

- des variétés de vignes résistantes à des maladies telles que le mildiou ou l'oïdium ;

- des variétés possédant des caractéristiques particulières, par exemple en terme d'arômes ou de teneur en sucre.

En outre, des études sont actuellement en cours, en vue de mettre au point des levures génétiquement modifiées, qui seraient en mesure, par exemple, de faciliter la fermentation malolactique ou de produire certaines molécules comme le glycérol.

La réglementation européenne en vigueur n'interdit pas le recours aux OGM en viticulture. La directive CEE n° 68-193 relative à la commercialisation des matériels multiplicateurs de la vigne, modifiée récemment 7 ( * ) afin de prendre en compte la législation horizontale sur les organismes génétiquement modifiés, autorise, sur tout le territoire de l'Union européenne, la préparation de plants de vignes à partir de variétés génétiquement modifiées dès lors que ces variétés ont été autorisées dans un seul Etat membre, à l'issue d'une procédure rigoureuse.

Actuellement, des études sont réalisées en laboratoire, en particulier dans le cadre de l'INRA mais aucune variété n'a encore été mise sur le marché au sein de l'Union européenne .

Si cela se produisait, il existerait encore des garde-fous au niveau national puisque ce sont les syndicats viticoles qui sont chargés de proposer les modifications des cépages autorisés dans chaque région de production. Or, la profession est aujourd'hui très réservée vis à vis d'un éventuel recours aux OGM.

A notre connaissance, il n'y a pas encore de cultures de vignes génétiquement modifiées de par le monde, hormis quelques essais en champ en Australie, aux Etats-Unis, en Allemagne et en Israël.

En revanche, la recherche en laboratoire semble très répandue et très poussée, comme l'a constaté une délégation du groupe de travail lors de son déplacement en Afrique du Sud. En visite à l'Institut of wine biotechnology rattaché à l'université de Stellenbosch, les sénateurs se sont vu présenter des expérimentations conduites en laboratoire sur des plants de vignes et des levures. Une verrière, destinée à accueillir des plants de vigne génétiquement modifiée et à informer les étudiants de l'application des recherches en cours, était, en outre, en construction.

Par conséquent, la prudence du secteur vitivinicole européen à l'égard des biotechnologies ne doit pas conduire à négliger la recherche dans ce domaine , au risque sinon d'accumuler un retard difficilement rattrapable.

* 6 Décret n° 2002-631 du 25 avril 2002 relatif à la qualification des exploitations agricoles au titre de l'agriculture raisonnée.

* 7 Directive n°2002/11/CE du 14 février 2002.

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