CHAPITRE IV -- QUEL PROJET ?

Votre mission d'information ne dispose pas de la capacité d'expertise technique qui lui permettrait de présenter une solution certaine en ce qui concerne tant l'ordre de priorité des projets fluviaux à réaliser que les caractéristiques du tracé, du gabarit ainsi que les spécifications protectrices de l'écologie et de l'hydrologie que devrait présenter chacune des infrastructures envisagées.

Son projet se décline en trois objectifs :

- un schéma pour le maillage européen de notre réseau ;

- un calendrier de mise en oeuvre ;

- un financement global.

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Une rivière canalisée, c'est d'abord un tracé et un gabarit .

On sait que le choix d'un fuseau définitif pour Seine-Nord est intervenu plusieurs années après la décision de réalisation de l'ouvrage.

S'agissant du tracé, il est évident que les consultations les plus larges doivent être menées au sein des populations riveraines -convenablement informées- des ouvrages projetés. Toutes les procédures de débat public, mises au point dans les années récentes, auront vocation à s'exercer (la loi « Barnier » notamment) afin que les choix soient opérés dans la plus grande transparence.

Ce sont, sans doute, les insuffisances de l'information et de la concertation qui ont fait « capoter » le projet Rhin-Rhône abandonné en 1997. Des spécialistes de l'hydrologie, de l'alimentation en eau, des crues et des milieux naturels pourront contribuer, sur ces sujets, à établir une « vérité scientifique » très largement confisquée par quelques uns seulement au cours de ces dernières années.

Différentes solutions, on le sait, sont envisageables pour la liaison Rhin-Rhône, comme pour les autres, au niveau du tracé. Les partisans des diverses options défendent, au demeurant, leur cause avec passion et souvent depuis longtemps.

En ce qui concerne le gabarit, on rappellera quelques données historiques.

En 1953, la conférence européenne des ministres des transports a établi quatre classes de gabarit en prenant pour modèle de base l'« automoteur » de la flotte fluviale rhénane :

Classe

Longueur

Largeur

Tonnes

V

95,00

11,50

1 500 à 3000

IV

80,00

9,50

1 000 à 1 500

III

67,00

8,20

650 à 1 000

II

50,00

6,60

400 à 850

I

38,50

5,00

250 à 400

La norme européenne moderne était la classe IV.

Très vite, l'exemple des pays de l'Europe de l'Est (des unités de chargement de plus de 3.000 tonnes étaient courantes sur les voies d'eau de l'URSS) a incité nos experts à créer une classe VI (3 000 tonnes et plus).

Dans le même temps, le développement de la technique du « poussage » importé des Etats-Unis (séparation de l'unité motrice et de la barge) a fait apparaître la nécessité d'une nouvelle classification des voies navigables (1992).

Depuis 1996, l'Union européenne considère même la classe IV permettant d'atteindre la classe Va et Vb (passage d'un automoteur ou d'un convoi poussé de 110 mètres de long et de 11,40 mètres de large) comme minimale pour toute création ou réaménagement fluvial.

Les voies d'eau de classe I , II et III ne peuvent plus être utilisées que pour du « trafic national ».

Il est à noter ici que sur 18.000 km de voies d'eau, la France possède 8.500 km de voies navigables et seulement 1.700 km au gabarit européen .

Le classement européen des voies navigables est reproduit dans le tableau ci-dessous :

Classe

Automoteurs

Convois poussés

I

250 à 400 t

II

400 à 650 t

III

650 à 1 000 t

IV

1 000 à 1 500 t

Va

1 500 à 3 000 t

1 600 à 3 000 t

Vb

3 200 à 6 000 t

VIa

3 200 à 6 000 t (mais largeur à 22,80 m contre 11,40 m pour le gabarit Vb)

VIb

6 400 à 12 000 t

VIc

9 600 à 18 000 t

VII

14 500 à 27 000 t

Quel est le gabarit (avec ses implications en termes de taille des écluses, de rayons de courbure, de tirant d'eau, de tirant d'air 1 ( * ) ...) le plus souhaitable pour nos nouvelles liaisons fluviales ?

Le Rhône et la Saône sont au Vb de même que la Moselle ; la Seine est largement au Vb (sauf une section à très grand gabarit -à peu près entre Le Havre et Rouen- qui appartient à la classe VII c'est-à-dire entre 13.500 et 27.000 tonnes !) ; l'Oise est au Vb et rejoint, on le sait, « l'impasse fluviale » du canal du Nord qui est au gabarit II seulement.

Le projet Seine-Nord est envisagé au Vb de même que l'était l'ancien projet Saône-Rhin abandonné en 1997.

Le canal du Centre en Belgique est au Va de même, de facto, que le tronçon de la Meuse qui traverse Liège.

Pour ce qui est de la liaison Saône-Rhin, la controverse est vive notamment entre les partisans du gabarit Va et ceux du Vb.

Le président de Voies Navigables de France estime ainsi que, si la liaison devait être réalisée, il conviendrait de ne pas répéter « l'erreur du canal du Nord » mis en service en 1965 avec un gabarit « Freycinet » amélioré mais nettement insuffisant.

M. François Bordry fait valoir le risque que présenterait la construction d'une liaison pour des bateaux de 110 mètres alors que les automoteurs, actuellement en construction sur le Rhin, peuvent facilement « passer les 180 mètres ».

S'agissant du dommage causé à l'environnement, il relève que « Pour un canal de 1.500 tonnes, le rayon de courbe est de 500 mètres ; pour une autoroute de 660 mètres ; pour un canal de 4.000 tonnes, il est de 750 mètres : différence, en définitive, relativement faible ».

Au niveau du coût, enfin, le président de VNF souligne que l'économie effectuée (- 15 %) ne justifie pas « le risque que le canal devienne très rapidement démodé ».

Pour le représentant français au sein de l'Union européenne de chambre de commerce et d'industrie (qui regroupe notamment Hollandais, Allemands, Autrichiens et Hongrois), au contraire, « Une écluse de 110 mètres (donc au gabarit VA) serait tolérable pour l'environnement et permettrait de traiter 2.000 à 2.500 tonnes, ce qui est un gabarit très opérationnel sur le plan européen ».

Selon lui, ce gabarit serait mieux accepté par les défenseurs de l'environnement et spécialement de la vallée du Doubs et permettrait de relancer plus rapidement le projet.

Votre mission d'information se défend de prendre une position trop tranchée dans ce débat. Les experts sauront conseiller au décideur politique la solution la plus appropriée.

Elle serait peut-être encline, s'agissant à tout le moins de la liaison Saône-Rhin, à plaider en faveur d'un gabarit intermédiaire (Va) eu égard à deux considérations :

- l'automoteur de 1.350 à 1.500 tonnes (qui peut même transporter jusqu'à 3.200 tonnes dans une version « optimisée » de l'unité de 110 m) pourrait offrir le meilleur rapport entre coûts d'investissement, coûts de transport et contraintes d'environnement. C'est en tout cas l'avis exprimé dans la « charte de coopération » signée entre les villes de Marseille et de Lyon sur le transport fluvial (1997).

- sur le trafic transitant, chaque année, aux écluses de Gambsheim sur le Rhin, il semblerait que la part assurée par les trafics « poussés » n'occupe actuellement que moins de 5 % du total !

En ce qui concerne un autre sujet majeur, celui du « tirant d'air », tous les experts préconisent, en tout cas, une hauteur de 7 mètres comme seule compatible avec une liaison fluviale moderne.

La mission s'en tiendra à ces quelques observations.

Elle n'ignore pas que le développement du trafic « conteneurisé » (la « voie d'avenir » du fluvial pour beaucoup) requiert des navires de dimension croissante même si, comme le faisait observer le président de l'Union européenne de la navigation fluviale : « Au cours des 10 ou 15 dernières années, tous les bateaux neufs construits (pour une durée de vie moyenne de 40 ans !) sur le Rhin et passant par le bassin rhénan étaient de 100 à 110 mètres, seuls quelques uns (des Néerlandais surtout) se sont lancés dans la construction de navires de 135 mètres ».

* *

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Le projet de votre mission d'information, c'est d'abord le maillage fluvial du territoire pour le raccorder au réseau européen.

Le futur schéma devra, à l'horizon 2030, prévoir la connexion de nos grands bassins grâce aux liaisons Seine-Nord, Saône-Rhin, Saône-Moselle (qui ne doit pas être considérée comme un projet rival de Saône-Rhin mais comme un complément) et, bien sûr, Seine-Est.

Notre projet, c'est aussi un calendrier de réalisation .

L'Allemagne a mis une centaine d'années pour édifier un réseau fluvial au gabarit moderne.

Trente ans peuvent, aujourd'hui, apparaître en France comme une durée raisonnable.

Les conséquences des premières connexions inter-bassins pourraient, d'ailleurs, inciter nos concitoyens à souhaiter un raccourcissement du délai d'objectif dès lors qu'un début de dé-saturation routière et des progrès en matière de pollution feraient apparaître notamment aux défenseurs de l'environnement, où se trouve leur intérêt bien compris.

Quel financement , enfin ?

Le maillage fluvial de notre territoire représente un coût que l'on peut grossièrement évaluer entre 15 et 23 milliards d'euros (100 à 150 milliards de francs).

Sur trente ans, il s'agit, donc, d'une dépense annuelle de l'ordre de 510 à 760 millions d'euros.

Le FITTVN, créé en 1995 (largement à l'initiative du Sénat) a été, on le sait, « fondu » en 2001 dans le budget général et très habile celui qui parviendrait à « localiser » désormais l'affectation des divers crédits qui y étaient inscrits !

Pour votre mission d'information, il importe de créer rapidement un nouveau fonds extra-budgétaire pour le financement pluriannuel des deux programmes susceptibles d'enrayer la paralysie progressive de nos voies de communication :

- un effort résolu en faveur d'un fret ferroviaire modernisé et dynamique disposant de voies dédiées ;

- un schéma fluvial assurant la connexion de nos bassins au réseau européen.

Ces nouveaux équipements, localisés sur notre territoire, ont évidemment une vocation européenne puisqu'aussi bien 30 % du trafic routier de fret en France est un trafic international de transit, tandis que, de son côté, l'axe rhénan allemand voit, par exemple, 70 % de son trafic fluvial assuré par des opérateurs non allemands !

Leur financement doit donc, ainsi, être considéré comme un problème européen .

Puissent nos décideurs politiques convaincre les autorités communautaires de l'utilité d'un effort commun !

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* 1 Le tirant d'eau est l'enfoncement du bateau dans l'eau

Le tirant d'air est la hauteur maximale libre sous les ponts comptée depuis le plan d'eau.

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