I. AUDITION DE M. JEAN CANNEVA, PRÉSIDENT DE L'UNION NATIONALE DES AMIS ET FAMILLES DE MALADES MENTAUX (UNAFAM)

M. Nicolas ABOUT - Nous accueillons maintenant M. Jean Canneva.

M. Jean CANNEVA - Je vous remercie monsieur le président. L'UNAFAM est une association composée essentiellement de 10.000 familles touchées par les maladies mentales adultes et sévères.

L'arrivée de la maladie mentale dans une famille constitue un séisme qui ne laisse personne indifférent et qui demande plusieurs années avant de pouvoir réagir positivement.

L'UNAFAM regroupe 800 bénévoles répartis sur l'ensemble du territoire et 90 sections départementales. Elle a une expérience considérable de la maladie, de jour, de nuit, 365 jours par an. Je précise qu'aujourd'hui, on ne guérit toujours pas les maladies mentales dont je parle : psychose, schizophrénie, maniaco-dépression, etc.

L'UNAFAM aura 40 ans en 2003. Cette association reste encore mal connue. Depuis ce matin, en effet, je n'ai pratiquement pas entendu parler du handicap psychique, conséquence des maladies du même nom. J'ai entendu parler du handicap mental mais celui-ci est très différent du handicap psychique. Ce n'est pas une nouveauté, au mois de janvier 2000, sept ministres nous présentaient un plan handicap impressionnant sur trois ans. Or, ce plan ne comportait aucune mesure pour les handicapés malades mentaux.

Ces malades étaient accueillis, il y a encore quelques années dans de grands hôpitaux. Aujourd'hui, ils sont essentiellement dans la cité. Par ailleurs, la maladie mentale effraie et le handicap que nous appelons « psychique » est très mal connu. A la suite de la publication du Plan précité, nous avons pensé que nous n'avions pas la possibilité d'attendre que nos concitoyens prennent conscience du problème. Nous avons décidé de travailler avec des associations de patients et de soignants et d'établir un Livre blanc. Nous avons présenté ce document dans cette même salle, le 6 juin 2001.

Ce Livre blanc avait plusieurs objectifs : faire exister la population des personnes handicapées psychiques (au moins 600.000 personnes en France) ; faire connaître le handicap psychique qui peut se distinguer du handicap mental par trois différences : la personne handicapée psychique n'a pas de déficience intellectuelle à proprement parler, ensuite, elle est très médicalisée avec souvent des effets secondaires et enfin, son handicap psychique est essentiellement variable.

Le handicap psychique est la conséquence d'une maladie évolutive dont personne ne connaît exactement l'origine. Ce handicap survient essentiellement, pour les adultes, au moment de l'adolescence, avec une réelle difficulté à appréhender la gravité de la situation car on ignore s'il s'agit d'un trouble de l'adolescence ou d'une pathologie plus grave.

Le contenu du Livre blanc que nous avons réalisé a été repris par des rapports officiels et surtout par le plan « santé mentale » présenté au Conseil des ministres du 14 novembre 2001.

Nous avons souhaité que les élus soient informés de nos demandes. Nous avons demandé un rapport parlementaire. M. Charzat, député du 20 ème arrondissement de Paris, a déposé son rapport le mois dernier.

Nous sommes obligés d'admettre que le handicap psychique pose à la fois des problèmes de santé et des problèmes sociaux. Nous sommes en difficulté chaque fois qu'il faut choisir ou arbitrer entre l'aspect social et l'aspect santé. La personne handicapée psychique reste concernée par les deux aspects.

Cette dualité constitue une difficulté supplémentaire car, avec la décentralisation, les problèmes de santé sont plutôt suivis par l'Etat et les problèmes sociaux par les collectivités locales. Nous prenons cette situation comme un état de fait. Nous avons proposé au ministre que les administrations s'entendent entre elles afin que l'on puisse offrir à la personne en souffrance une solution unique. Tel est l'objet de notre Livre blanc et de nos demandes adressées aux élus.

Six services participent à l'accompagnement demandé : les soins, la protection juridique, l'hébergement, le travail (quand cela est possible), les services à domicile et les clubs qui ont pour objet de maintenir un minimum de lien social.

Dans la loi de 1975, la dénomination de handicap psychique n'existe pas. Heureusement, dans la loi du 4 mars, les sénateurs ont introduit, à notre demande, une notion d'usager patient et d'usager famille. Les précisions que le Sénat a ainsi introduites étaient essentielles pour faire comprendre qu'il existe bien dans ce domaine de la santé mentale, deux catégories d'usagers.

En psychiatrie, le patient enfant ou adulte peut, en effet, momentanément ou durablement, ne pas être capable de défendre lui-même ses droits. Il est indispensable que la famille puisse alors défendre les droits de ses membres qui ne peuvent plus le faire eux-mêmes. Nous nous permettons d'insister pour que vous mainteniez cette disposition lors de la révision de la loi de 1975.

Sachez que le handicap psychique est très difficile à vivre. La souffrance des personnes concernées est considérable. En outre, elles n'ont rien fait pour être malades. Les maladies mentales représentent une injustice d'autant plus insupportable que la conscience demeure vive. Il faut absolument aider ces personnes. C'est un problème de solidarité, pas d'assurance.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez regretté que cette notion de handicap psychique n'ait pas été abordée, et que finalement, dans le cadre de la modification de la loi de 1975, il apparaissait nécessaire que l'on indique bien la spécificité du handicap psychique. Que proposez-vous d'ajouter ou de modifier dans la loi de 1975 pour que cette spécificité soit vraiment reconnue ?

M. Jean CANNEVA - Nous vous proposons de maintenir les deux termes « handicap psychique » et « handicap mental ». Il est en effet pour nous très important de faire reconnaître l'existence des deux formes de handicap.

Nous demandons que parmi les six services cités, il puisse exister très rapidement des possibilités de lieux d'accueil, situés à proximité du domicile, avec des professionnels qui pourront répondre au jour le jour aux évolutions de la situation. L'hôpital ne sera plus demain, qu'un lieu de passage pour les moments de crise.

J'ajoute que l'UNAFAM a créé un service d'accueil téléphonique pour les familles qui reçoit 600 appels par mois.

M. Paul BLANC, rapporteur - L'accompagnement ne relève-t-il pas des services de soins infirmiers psychiatriques à domicile ?

M. Jean CANNEVA - Nous estimons que la prestation est obligatoirement médico-sociale. Les deux aspects ne sauraient être séparés.

La question est de savoir si l'administration de la médecine peut apporter un service complet. La réponse qui nous est donnée actuellement est plutôt négative.

Le service social des communes peut-il, seul, apporter des solutions ? La réponse est encore plutôt négative.

C'est la raison pour laquelle nous préconisons que les services sociaux des communes créent des réseaux avec les CMP des secteurs psychiatriques afin que ces personnes apprennent à travailler ensemble.

Il faut absolument dire aux familles et aux professionnels concernés que l'accompagnement des personnes handicapées psychiques est le résultat d'une action collective et que, seuls, ils n'y arriveront pas. J'ajoute que le problème est à long terme, non seulement la personne handicapée vit plus longtemps mais ses parents vieillissent également. Si les parents ne peuvent plus assurer l'accompagnement précité, la personne handicapée se retrouve seule et démunie.

Nous sommes prêts à travailler avec les élus et les services sociaux pour leur expliquer ce qui est souhaitable.

Concrètement, il s'agit de mettre en place des partenariats de proximité, c'est-à-dire, pour l'essentiel, au niveau des conseils de secteurs psychiatriques. Un secteur adulte correspond à environ 70.000 habitants.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je souhaiterais que vous nous fassiez état d'un certain nombre de propositions concrètes qui mériteraient de figurer dans un texte législatif.

M. Alain VASSELLE - J'ai présidé, pendant quelques années, le plus important centre interhospitalier psychiatrique d'Europe qui était celui de Clermont de l'Oise. De ces quelques années de présidence, je suis ressorti avec un sentiment un peu confus. Je n'ai pas réussi à avoir une bonne lisibilité de la manière dont on approchait la maladie mentale et le handicap mental. Je ne suis pas parvenu non plus à obtenir de la part des professionnels de la santé et des psychiatres en particulier, une bonne définition du handicap mental et de la maladie mentale. En effet, dans leur esprit, ces deux notions se confondaient.

J'ai cru comprendre, à travers vos propos, que vous partagiez un peu le même sentiment, mais je voulais quand même m'en assurer auprès de vous.

Notre rapporteur serait bien inspiré, grâce aux propositions concrètes écrites que vous lui ferez, de prendre des dispositions qui permettraient une meilleure lisibilité entre le handicap mental et la maladie mentale. Encore faudrait-il que les psychiatres y contribuent assez largement.

M. Jean CANNEVA - Nous avons précisé tous ces éléments dans notre Livre blanc tellement la situation est urgente. Nos situations familiales sont dramatiques. L'établissement de Clermont de l'Oise a, comme les autres établissements, supprimé un grand nombre de lits. Ce sont les familles qui récupèrent la responsabilité de l'accompagnement des malades psychiques, sans aucune aide et sans reconnaissance officielle pour cette lourde tâche.

Pris par l'urgence, nous avons poursuivi dans notre Livre blanc, quatre objectifs :

1° Que les mots aient le même sens pour tous les partenaires soignants et responsables du social dans la cité ;

2° Que chacun se sente reconnu dans sa compétence et sa responsabilité. Nous avions toutes les raisons d'en vouloir aux psychiatres parce qu'ils ne guérissent pas. Nous avons néanmoins admis que nous avions besoin d'eux ;

3° Qu'une alliance intervienne entre les acteurs. L'année dernière, dans cette même salle, nous avons expliqué aux élus que nous souhaitions travailler avec eux ;

4° Enfin, nous avons voulu créer un projet commun qui est l'accompagnement des personnes handicapées psychiques dans la cité.

J'insiste sur le fait que les textes ne doivent pas confondre «handicap mental» et «handicap psychique». Pour ces derniers, nous avons dit qu'il fallait des contrats de plan entre l'Etat et les services sociaux. C'est aux préfets et aux collectivités locales de prendre les initiatives qui s'imposent.

Dans le Plan Santé Mentale du gouvernement, l'usager est « au coeur du dispositif » . Nous souhaitons apporter des solutions adaptées. Nous espérons que les élus nous aideront à les mettre en place.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie au nom de l'ensemble de la Commission. Ne manquez pas de nous transmettre vos propositions complémentaires.

M. Jean CANNEVA - Je termine en vous indiquant que nous avons publié un communiqué le 4 mai dernier, demandant au nouveau Gouvernement d'arrêter de supprimer des lits dans les hôpitaux psychiatriques. En effet, il n'y a plus de places dans les services hospitaliers pour les urgences.

M. Nicolas ABOUT - Je transmettrai cette demande à qui de droit.

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