II. DES MESURES RESTRICTIVES QUI APPELLENT, SIMULTANEMENT, UN RENFORCEMENT DE L'ACCUEIL ET DE LA PROTECTION DES VICTIMES DE L'EXPLOITATION SEXUELLE

A. LE DROIT EN VIGUEUR

1. Le difficile agencement entre la répression du proxénétisme et l'autorisation de principe de la prostitution

Le code pénal n'interdit pas la prostitution en tant que telle ; il sanctionne cependant ses manifestations les plus visibles qui troublent l'ordre public et réprime de manière très énergique le proxénétisme.

La politique de la France à l'égard du proxénétisme est ainsi parfaitement identifiable : il s'agit d'une politique de répression sévère, fidèle aux engagements pris en 1960 avec la ratification de la Convention de l'ONU du 2 décembre 1949. Les incriminations ont été multipliées par le législateur pour faciliter au cas par cas l'établissement de la preuve du proxénétisme : le code pénal reconnaît aujourd'hui l'existence d'un crime dans certains cas et définit pas moins de dix circonstances aggravantes.

Elle est beaucoup plus difficile à conduire en ce qui concerne la prostitution.

Sous réserve que l'ordre public soit préservé, rien ne l'interdit ; cependant, la prostitution étant la condition préalable du proxénétisme, elle est étroitement surveillée car il faut la démontrer pour pouvoir inquiéter les proxénètes.

2. Le dispositif répressif

a) Le racolage actif est puni d'une peine contraventionnelle

Depuis la loi du 13 avril 1946 dite Marthe Richard « toutes les maisons de tolérance sont interdites sur le territoire national » et conformément au système abolitionniste la prostitution n'est ni contrôlée ni interdite en tant que telle.

Seul est réprimé, en raison du trouble à l'ordre public qu'il provoque, le racolage actif défini par l'article R 625-8 du code pénal comme « le fait, par tout moyen, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles » .

La sanction encourue est une contravention de 5e classe, soit 1500 euros (10.000 francs) au maximum.

D'après la jurisprudence, la seule attitude de nature à provoquer la débauche, c'est-à-dire le racolage passif, n'est pas sanctionnable . Ainsi, par exemple, dès lors que la tenue vestimentaire de la prévenue apparaît, au vu de la date des faits, normale, et que les agents verbalisateurs n'ont retenu de sa part aucune parole de nature à inciter quelconque à des relations sexuelles, le seul fait de déambuler sur la chaussée et de s'adresser à des automobilistes ou à des piétons qui se sont arrêtés spontanément à sa hauteur sans y être invités, ne peut constituer à lui seul, de la part de la prévenue, l'infraction de racolage actif. (Tribunal de police de Paris, deuxième chambre, 23 janvier 1997).

b) Les sanctions applicables au client

Le client n'encourt, jusqu'à présent, aucune sanction pénale pour des relations sexuelles avec une personne majeure; il convient cependant de noter qu'un client de prostituée a été poursuivi en octobre dernier pour racolage actif en vue d'obtenir une relation sexuelle ; ces poursuites, qui reposent sur l'idée d'un « renversement de la charge du racolage », n'ont abouti à aucune condamnation.

S'agissant du recours à la prostitution d'un mineur, l'article 225-12-1 du code pénal, inséré par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, punit de trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle. L'article 225-12-2 porte les peines à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise de façon habituelle ou à l'égard de plusieurs mineurs ; lorsque le mineur a été mis en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication et lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions. Enfin, les peines sont aggravées (sept ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende) lorsqu'il s'agit d'un mineur de quinze ans.

Il convient également de noter qu'en application des articles 227-25 du code pénal, le fait pour un majeur d'exercer une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de moins de 15 ans sans violence, contrainte, menace ni surprise, mais en contrepartie du versement d'une rémunération, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende.

Selon l'article 227-26 du même code, la peine est portée à dix ans d'emprisonnement et 15.0000 euros (un million de francs d'amende) lorsque l'infraction est commise par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime ; une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ; ou lorsque le mineur a été mis en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de télécommunications.

c) Le proxénétisme fait l'objet d'une panoplie répressive rigoureuse et complète

L'article 225-5 du code pénal punit de sept ans d'emprisonnement (sept ans depuis l'entrée en vigueur de l'article 60 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne) et de 150.000 euros d'amende ( un million de francs) le proxénétisme simple défini comme le fait : « d'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ; de tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution ; d'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire ».

En application de l'article 225-7 du code pénal, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 1.500.000 euros d'amende (dix millions de francs) dans dix cas constituant des circonstances aggravantes, tels que le proxénétisme commis à l'égard d'un mineur, d'une personne dont la particulière vulnérabilité est apparente ou connue de son auteur, d'une personne qui a été incitée à se livrer à la prostitution, soit hors du territoire de la République, soit à son arrivée sur celui-ci, ou encore lorsque le proxénétisme est commis notamment par un ascendant légitime, une personne porteuse d'une arme, avec l'emploi de la contrainte, de violences ou de manoeuvres dolosives, ou par plusieurs personnes agissant comme auteur ou complice.

Les peines sont encore aggravées et fixées à vingt ans de réclusion criminelle et 3.000.000 euros d'amende (vingt millions de francs )en cas de proxénétisme commis à l'égard d'un mineur de quinze ans ou en bande organisée et peuvent atteindre la réclusion à perpétuité et 4.500.000 euros d'amende (trente millions de francs ) s'il est accompagné de tortures ou d'actes de barbarie.

Aux termes de l'article 225-6, diverses situations sont assimilées au proxénétisme et punies des mêmes peines. On observera que, selon le 3° de cet article, est assimilé au proxénétisme le fait « de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution ». Cette inversion de la charge de la preuve, puisque c'est à la personne mise en cause, et non à l'accusation, de justifier de l'origine de ses revenus, constitue un moyen juridique dérogatoire particulièrement efficace dans la lutte contre le proxénétisme, que l'on retrouve uniquement en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants en application de l'article 222-39-1 du code pénal.

Il résulte de ces dispositions que la quasi-totalité des personnes ayant un contact avec une personne prostituée, à l'exception des clients, est susceptible d'être poursuivie pour proxénétisme. Qu'il s'agisse de la location d'une chambre d'hôtel au profit d'une prostituée, de la mise à sa disposition d'un véhicule ou de son convoyage régulier, toute personne agissant de la sorte encourt des poursuites au titre de la répression du proxénétisme.

Il a été indiqué à votre rapporteur que pour améliorer l'efficacité de la mise en oeuvre de ce dispositif réprimant le proxénétisme les effectifs de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) seront portés de 14 à 30 personnes.

La délégation se félicite de cette augmentation des moyens de l'OCRTEH qu'elle avait préconisée en 2000, en soulignant le fossé important entre les possibilités offertes par notre droit à la lutte contre le proxénétisme et les capacités opérationnelles de mise en oeuvre.

Votre délégation réaffirme que, pour trouver sa pleine efficacité, cette amélioration de la logistique doit être accompagnée d'un renforcement des politiques de coopération entre les différents pays et d'une mobilisation des maires des capitales et grandes villes européennes qui sont tous confrontés aux mêmes problèmes, pour favoriser les échanges d'informations quant aux expériences menées, et faciliter l'accueil, d'un pays à l'autre, des victimes des réseaux afin qu'elles puissent entamer leur « reconstruction » à l'abri des représailles. la protection des témoins.

d) La protection des témoins

Comme l'ont souligné les récent travaux de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale sur les diverses formes d'esclavage, lorsque des victimes acceptent de dénoncer leurs proxénètes ou de coopérer avec la police et la justice, elles ne peuvent, à l'heure actuelle, bénéficier d'aucune mesure légale de protection et encourent, de ce fait, un risque certain pour leur intégrité physique ou celle des membres de leur famille.

Or il est nécessaire qu'un témoin mettant en cause un proxénète puisse être protégé soit par la délivrance d'un titre de séjour pour rester sur le territoire français, soit, si le témoin souhaite retourner dans son pays, par l'organisation de sa protection grâce à des mesures d'entraide judiciaire.

Il convient de noter que l'article 57 de la loi du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne, a autorisé le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur de la République ou le juge d'instruction, à recueillir les déclarations de témoins anonymes.

Selon le nouvel article 706-58 du code de procédure pénale, la possibilité de recourir au témoignage anonyme ne peut être requise que dans le cadre d'une procédure judiciaire portant sur un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et lorsque la connaissance de l'identité du témoin auditionné est « susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches ».

Les modalités de la procédure sont les suivantes : l'audition d'un témoin anonyme est autorisée par une décision motivée du juge des libertés et de la détention, qui doit être saisi par une requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction. La décision du juge des libertés et de la détention n'est pas susceptible de recours, sauf si « au regard des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise ou de la personnalité du témoin, la connaissance de l'identité de la personne est indispensable à l'exercice des droits de la défense ».

Dans cette hypothèse, le recours est examiné par le président de la chambre de l'instruction qui peut, par une décision motivée non susceptible de recours, décider d'annuler l'audition. En outre, ce magistrat peut ordonner que l'identité du témoin soit révélée à condition que celui-ci fasse expressément connaître son accord.

Il convient d'observer que le nouvel article 706-59 punit d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende le fait de révéler l'identité ou l'adresse d'un témoin ayant bénéficié de la procédure de l'article 706-58.

Afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, le nouvel article 706-62 dispose qu'aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations recueillies auprès de témoins anonymes.

D'après les indications fournies à votre rapporteur, ces dispositions ont été pour l'instant très peu mises en oeuvre. En outre, l'efficacité de la lutte contre les réseaux criminels de la traite nécessite de compléter ce dispositif par des mesures tendant à assurer la protection physique des témoins ; il convient, en particulier, de repenser les systèmes d'hébergement pour garantir la sécurité des témoins.

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