B. LE TEXTE DU PROJET DE LOI ET LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

Le second volet du projet de loi pour la sécurité intérieure vise à lutter contre les agissements qui troublent la « tranquillité des citoyen » en créant de nouveaux délits. S'agissant de la prostitution, l'exposé des motifs du projet de loi estime l'arsenal juridique existant « parfois inadapté et souvent insuffisant ».

1. La « fusion » entre le racolage actif et passif et l'aggravation des sanctions

Pour remédier à cette inadaptation, le projet de loi transforme en délit, puni de six mois d'emprisonnement le racolage passif ou actif.

a) Le dispositif de l'article 18 (I)

L'article 18 (I) du projet prévoit ainsi l'introduction dans le code pénal d'un nouvel article 225-10-1 qui punit de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende « le fait, par tout moyen, y compris par sa tenue vestimentaire ou son attitude, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération ».

Il s'agit, selon l'exposé des motifs du projet de loi, « de donner aux forces de sécurité intérieure des capacités d'agir face au développement des phénomènes de prostitution. Leurs manifestations sur la voie publique génèrent en effet divers troubles à la tranquillité, à l'ordre et à la sécurité publics. Ils représentent en outre fréquemment la partie émergée de réseaux mafieux. Un arsenal juridique pour faire face à une telle situation existe, mais il se révèle parfois inadapté, souvent insuffisant, pour remédier à la situation à laquelle sont confrontées la plupart des grandes agglomérations de notre pays mais également de nombreuses villes de taille moyenne . ».

Cet article aggrave la peine applicable au racolage en même temps qu'il élargit le champ de son incrimination : à la différence du droit en vigueur, « l' attitude » ou la « tenue vestimentaire » de nature à provoquer la débauche, c'est-à-dire le racolage passif, deviennent sanctionnables. Le racolage passif n'échappe donc plus à la sanction et n'est pas dissocié du racolage actif, alors que, dans le droit en vigueur, seul le racolage actif est puni d'une contravention de 5e classe.

b) Un rappel : Les pouvoirs du parquet et du juge

Il convient de rappeler que, dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. A ce titre, comme l'indique un arrêt de principe de la Cour de cassation du 3 novembre 1955 « les juges du fond disposent, quant à l'application de la peine, dans les limites fixées par la loi, d'une faculté discrétionnaire dont ils ne doivent aucun compte ».

D'après l'article 132. 19 du code pénal, « en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine ».

L'article 132.24 du code pénal précise également que lorsque la juridiction prononce une peine d'amende, elle détermine son montant en tenant compte également des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction.

En outre, le législateur a mis à la disposition du juge un arsenal de mesures substitutives à l'incarcération dont le but est de rechercher la peine la mieux adaptée à l'utilité sociale et qui va du sursis.

c) Les recommandations de la délégation

Sensible aux craintes manifestées par les associations qui travaillent quotidiennement à la prévention de la prostitution et à la réinsertion des personnes qui s'y sont livrées, la délégation préconise l'utilisation de ce nouveau dispositif législatif dans un esprit de concentration des moyens sur la répression des réseaux de proxénétisme.

Elle recommande une application du texte prenant systématiquement en compte le devoir de secours aux jeunes femmes victimes des réseaux de prostitution et le recours à toute la gamme des mesures facilitant la réinsertion.

La délégation constate, en outre, que, si l'on s'en tient à la lettre du texte, les sanctions applicables au racolage peuvent frapper aussi bien l'acheteur de services sexuels que les personnes qui se livrent à la prostitution. Elle s'interroge, à propos de l'instauration, dans le code pénal, d'une notion de racolage vestimentaire, sur les modalités permettant de manier cet outil juridique avec suffisamment de précautions pour prévenir tout risque d'atteinte aux droits des femmes.

Elle note, enfin, qu'en pratique, l'aggravation des sanctions relatives au racolage risque de frapper une offre de services sexuels majoritairement féminine. Elle recommande de veiller à ce que la clandestinité accrue de la prostitution qui pourra en résulter ne débouche pas sur l'aggravation des violences commises envers les femmes.

2. L'incrimination du client de personnes vulnérables

a) L'article 18 (III) du projet de loi

L'article 18 (III) punit le client des personnes vulnérables qui se livrent à la prostitution des mêmes peines que l'acheteur de relations de nature sexuelle de la part d'un mineur qui se livre à la prostitution .

Le projet de loi complète, à cette fin, l'article 225-12-1 du code pénal qui incrimine le recours à la prostitution des mineurs en punissant de trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende le client d'une personne présentant « une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse ».

b) Les recommandations de la délégation

La délégation approuve les sanctions frappant l'achat de services sexuels à des personnes vulnérables et estime, de manière générale, nécessaire de prendre des mesures suffisamment dissuasives à la fois pour:

- contrecarrer l'image de « gain facile » qui s'attache parfois à la prostitution ;

- éviter aux jeunes en situation d'errance de se fourvoyer en dehors des parcours d'insertion professionnelle ;

- et combattre les enchaînements néfastes entre la prostitution et la violence qui nuisent au respect du corps humain et de la dignité des personnes.

2. La prise en compte de l'internationalisation des réseaux de proxénétisme et l'articulation avec la carte de séjour

a) Le retrait de la carte de séjour

L'article 28 du texte prévoit que la carte de séjour temporaire peut être retirée à l'étranger ayant commis des faits justiciables de poursuites pénales sur le fondement des articles 225-5 à 225-11, 225-12-5, 225-12-6 et 312-12-1 du code pénal. La personne étrangère poursuivie, notamment pour racolage, peut ainsi se voir retirer sa carte de séjour pour être reconduite à la frontière .

Selon l'exposé des motifs du projet de loi l'objectif des dispositions prévues à l'article 28 est de donner à l'autorité de police les moyens juridiques de lutter contre le développement, souvent dans le cadre de réseaux mafieux internationaux, des agissements d'étrangers séjournant en France sous couvert d'un document de voyage et commettant des faits relevant notamment du proxénétisme ou du racolage. Ces étrangers se trouvent sur le territoire national en situation régulière. En qualité de ressortissants d'un pays dispensé de l'obligation de visa, ils peuvent séjourner dans notre pays de manière continue durant une période ne pouvant excéder trois mois. Or, durant cette période, ils peuvent avoir une attitude qui, dans certaines circonstances, trouble l'ordre public sans pour autant justifier le prononcé d'une mesure d'expulsion pour menace grave ou par nécessité impérieuse Il s'agit donc d'appréhender ces situations nouvelles et de mieux lutter contre ces réseaux dans le cadre de la police administrative des étrangers, en permettant à l'autorité administrative de mettre immédiatement un terme au séjour sur le territoire national des étrangers qui sont les auteurs de ces troubles, ce qui n'est actuellement pas juridiquement possible, et de les reconduire à la frontière.

Ici encore, votre délégation préconise l'utilisation de ce nouveau dispositif législatif dans un esprit de concentration des moyens sur la répression des réseaux de proxénétisme et recommande une application du texte prenant systématiquement en compte le devoir de secours aux jeunes femmes victime des réseaux de prostitution et le recours à toute la gamme des mesures facilitant la réinsertion.

b) La prostituée étrangère qui dénonce son proxénète pourra obtenir un titre de séjour provisoire

L'article 29 du projet de loi permet la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour à l'étranger qui dénonce des faits de proxénétisme commis à son encontre, afin de mieux assurer sa protection.

Une prostituée en situation irrégulière pourra ainsi bénéficier d'une clémence administrative et judiciaire si elle dénonce son proxénète. Ce dispositif peut être comparé avec la notion de « repenti », largement utilisée en droit pénal italien ainsi qu'aux Etats-Unis.

L'article 29 du projet de loi précise que cette autorisation provisoire de séjour « peut être renouvelée dans les mêmes conditions jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait statué sur l'action pénale engagée ».

La délégation préconise le renforcement et la pérennisation des garanties accordées à la personne qui dénonce son proxénète. Il est en effet essentiel de permettre aux témoins qui le souhaitent de trouver refuge en France.

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