D. LA MARGE DE MANoeUVRE DU MINISTRE DU BUDGET POUR LA DÉLIVRANCE DES AGRÉMENTS

1. L'ambiguïté des conditions de délivrance de l'agrément

En souhaitant que la réalisation de certains investissements ne s'accompagne d'un avantage fiscal qu'à la condition d'avoir obtenu un agrément du ministre du budget, le législateur a estimé que le libre jeu du marché de la défiscalisation ne permettrait pas forcément d'orienter les investissements réalisés outre-mer vers la couverture des besoins les plus porteurs de développement économique.

Il a donc fixé des obligations spécifiques aux investissements agréés, dont, par extension, les investissements non agréés peuvent s'affranchir. Ces conditions sont : présenter un intérêt économique, avoir la création ou le maintien d'emplois parmi les buts principaux, s'intégrer dans la politique de l'aménagement du territoire et de l'environnement, garantir la protection des investisseurs et des tiers. En outre, les demandes d'agrément doivent être accompagnées de données chiffrées en matière d'emplois.

A la lumière de l'expérience passée, une liste de conditions est sans doute nécessaire pour permettre au ministre du budget de prendre ses décisions dans le sens souhaité par le législateur, dont l'objectif premier est le développement économique de l'outre-mer. Dans son rapport de 1998, notre collègue député Didier Migaud constatait en effet que les lettres d'agrément « insistent presque exclusivement sur les conditions financières et fiscales du schéma d'investissement. Elle s'attachent ainsi à respecter à la lettre la condition essentielle, mais non unique, conditionnant l'agrément, à savoir que l'investissement doit garantir « la protection des investisseurs et des tiers » ».

Toutefois, la liste des conditions d'octroi de l'agrément, dans sa rédaction actuelle, n'est pas sans poser de difficultés :

- elle n'est pas adaptée à la réalisation d'investissements dans certains secteurs . Ainsi, dans son rapport de septembre 2001, l'inspection général des finances indiquait qu'une « grande partie des secteurs éligibles aux investissements issus de la défiscalisation ont une forte intensité capitalistique (transports, industrie, plaisance notamment). Des sommes importantes peuvent ainsi être consacrées à l'achat d'équipements sans que cela ne se traduise par des créations d'emplois nombreuses, comme le montrent les investissements réalisés dans le secteur du transport aérien ». De même, la réalisation d'investissements structurants, tels que des déchetteries ou des réseaux d'assainissement, pourtant souhaitable pour le développement de l'outre-mer, est peu créatrice d'emplois directs.

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie semble conscient de cette difficulté puisque le même rapport de l'inspection générale des finances relève que « plusieurs investissements réalisés dans une optique de productivité, et qui se sont traduits par une baisse des effectifs des entreprises concernées » ont malgré tout bénéficié de l'agrément.

- elle fait dépendre le bénéfice d'un avantage fiscal de critères aléatoires . Elle suppose que l'entreprise bénéficiaire de l'agrément, le « monteur » qui soumet la demande d'agrément, et l'administration fiscale qui instruit la demande, soient capables de prévoir l'évolution de la santé d'une entreprise à un horizon de cinq ans.

En effet, en appliquant strictement la loi, l'agrément pourrait être retiré si l'entreprise exploitant le bien pour lequel l'agrément a été accordé créait un emploi de moins que ce à quoi elle s'était engagée, et ce même si la conjoncture économique s'est dégradée depuis la date à laquelle la demande d'agrément a été formulée. De même, si, à la suite d'un incident technique, une entreprise produisait des déchets nuisibles à l'environnement, son agrément serait retiré.

Le retrait de l'agrément n'entraînerait pas forcément le retrait de la totalité de l'avantage fiscal puisque l'article 1726 autorise le ministre des finances à moduler le montant des sommes « reprises ». Cependant, la décision de moduler la reprise appartient exclusivement au ministre ;

- elle est incomplète . A moins d'interpréter de manière extensive de la condition de protection des investisseurs et des tiers, la liste actuelle des conditions d'octroi de l'agrément ne subordonne pas l'octroi de l'agrément à la sincérité des schémas de financement soumis à l'administration. Ainsi, la loi n'interdit pas d'accorder un agrément à une demande donnant manifestement lieu à des « surfacturations ».

En pratique, l'administration fiscale s'assure, de plus en plus, que de telles pratiques n'ont pas cours pour les dossiers agréés, ajoutant ainsi aux conditions prévues par la loi des « conditions implicites » telles que la moralité fiscale des bénéficiaires de l'avantage fiscal ou l'engagement de fournir des informations exactes à l'administration.

A mesure que la liste des conditions d'octroi de l'agrément fixée par la loi s'allonge et se précise, l'approche retenue jusqu'ici par l'administration fiscale, souple et pragmatique, devient de plus en plus inconfortable et la procédure de l'agrément s'apparente de plus en plus à celle d'un agrément « de droit », la marge d'appréciation de l'administration étant réduite .

Certains interlocuteurs de votre rapporteur ont fait part de leur sentiment selon lequel la pratique des services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie avait perdu de sa souplesse au cours des deux dernières années. Certains ont également estimé que, pour des raisons échappant parfois à la rationalité économique, certains dossiers étaient en revanche examinés de manière particulièrement « souple ».

2. Une interprétation « libre » des conditions du bénéfice de l'avantage fiscal

La loi prévoit que la réalisation d'un investissement dans les secteurs éligibles ouvre droit à un avantage fiscal si le bien issu de la réalisation de l'investissement est exploité pendant cinq ans dans sa vocation initiale et, dans le cas des financements « externalisés », si 60 % (pour les contribuables de l'impôt sur le revenu) ou 75 % (pour les contribuables de l'impôt sur les sociétés) de l'avantage fiscal sont rétrocédés à l'entreprise exploitant le bien outre-mer.

La première condition, au stade de l'octroi de l'agrément, ne fait jamais l'objet de débat. La contestation porte plutôt sur les conséquences du non respect de cette condition.

En revanche, il arrive que l'administration, lorsqu'elle instruit les demandes d'agrément, en conditionne la délivrance à la modification du taux de rétrocession prévu par la demande dans un sens plus favorable à l'opérateur local. Lorsque la loi ne prévoyait pas de taux de rétrocession, la protection des tiers et la condition relative à l'intérêt économique de l'investissement obligeait l'administration à exiger un taux de rétrocession dans le cas des projets agréés, celui-ci pouvant éventuellement être négocié entre le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et le monteur.

Dès lors que le législateur a fixé un niveau minimum de rétrocession lui paraissant de nature à garantir la protection des tiers et l'intérêt économique du projet, il est surprenant que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie oblige à aller au delà du taux déterminé conjointement par la SNC et l'entreprise locataire , ce taux pouvant d'ailleurs, du fait du jeu de la concurrence, être supérieur au minimum légal. Le marché de la défiscalisation est aujourd'hui suffisamment concurrentiel pour que le taux de rétrocession « spontané » ne soit pas spoliateur pour l'opérateur local, qui est libre de se tourner vers un monteur qui lui proposerait un taux de rétrocession plus avantageux.

Dans la loi, aucune disposition ne distingue, en matière de rétrocession, les règles applicables aux investissements agréés de celles applicables aux investissements non agréés, ce qui fragilise le fondement juridique de la pratique du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. L'agrément devrait en effet se borner à constater que le taux plancher est respecté, de la même manière qu'il constate la régularité de l'ensemble du montage locatif proposé (éligibilité de l'entreprise locataire, caractère commercial du contrat de location, etc.).

Plusieurs exemples soumis à votre rapporteur général indiquent par ailleurs que l'instruction de la demande d'agrément n'est pas toujours limitée à la vérification du respect des conditions fixées par la loi mais peut interférer dans les choix de gestion des chefs d'entreprise. Par exemple, il a été indiqué à votre rapporteur que, dans le cadre de l'instruction de demandes d'agrément, il avait été demandé à certains « monteurs » d'apporter la preuve que l'entreprise bénéficiaire de l'investissement n'aurait pas pu « défiscaliser » celui-ci « en direct ».

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