2. Une efficacité à préserver

a) Maintenir les aides par OCM, sans exclure une simplification

La mission d'information est fermement opposée à la proposition de découplage total des aides , pour les raisons qu'elle a déjà exposées. Cette proposition ne semble d'ailleurs pas rencontrer un accueil favorable parmi les Etats membres, hormis la Grande-Bretagne, le Danemark et la Suède.

Au fil des débats, une proposition alternative semble toutefois se dessiner à travers la notion de « découplage partiel » , à laquelle se rallient certains pays comme l'Espagne, le Portugal, l'Italie et le Luxembourg, ainsi que la Commission de l'agriculture du Parlement européen, représentée par son Président, M. Joseph Daul.

Si cette notion de « découpage partiel » apparaît fédératrice et séduisante, personne n'est toutefois en mesure de préciser ce qu'elle recouvre exactement. Force est de constater qu'elle renvoie à des schémas divers, qui varient selon les intérêts de chacun.

Il pourrait, par exemple, s'agir d'aller vers un système mixte, combinant aides au revenu pour certaines productions, et maintien des aides spécifiques couplées pour d'autres.

Mais le découplage partiel pourrait également s'entendre au niveau de chaque aide, dont le calcul tiendrait compte non seulement des volumes produits, mais également d'autres critères, tels que l'emploi, la surface de l'exploitation, voire le potentiel des bassins de production.

Entre des aides strictement proportionnelles aux quantités produites et des aides à l'exploitation complètement déliées de la production, il existe ainsi une multiplicité de combinaisons, susceptibles de correspondre au « découplage partiel ». Considéré dans son ensemble, le système actuel des aides directes est, dans un certain sens, déjà partiellement découplé.

Compte tenu du flou qui entoure actuellement cette notion, il est peu significatif et prématuré de se prononcer sur le découplage partiel. En revanche, votre mission d'information suggère que soit réalisée, au niveau européen, une synthèse des différents schémas auxquels renvoie ce concept, assortie d'études d'impact précises, fondées sur des simulations chiffrées.

Par ailleurs, rien n'interdit de chercher à simplifier le système d'aides en vigueur dans certaines organisations communes de marché , telles que l'OCM viande bovine.

Dans ce domaine, le rapport 13 ( * ) présenté à l'automne dernier par nos collègues Gérard Bailly et Jean-Paul Emorine , au nom de la mission d'information sur l'avenir de l'élevage, a mis l'accent sur la complexité d'un dispositif faisant intervenir quatre aides directes à l'animal (prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes, prime spéciale au bovin mâle, prime à l'abattage, prime complémentaire à l'extensification), fondées sur des plafonds et des critères de chargement différents.

A ces primes s'ajoutent, en outre, deux aides perçues au titre du développement rural : la prime herbagère agri-environnementale et, pour les éleveurs installés en zone en difficulté, l'indemnité compensatoire de handicaps naturels.

Parmi les inconvénients de ce dispositif, le rapport relevait en particulier :

- son échec à assurer une maîtrise de la production , alors qu'il est censé favoriser l'élevage extensif ;

- l'adoption par les éleveurs de comportements d'optimisation : dans le but de respecter les critères permettant de toucher les primes, ceux-ci font des choix de production qui ne sont toujours conformes aux attentes du marché . Cet effet pervers est, par exemple, illustré par le recul de l'activité d'engraissement, qui est délaissée parce qu'elle entraîne un dépassement des plafonds de chargements à respecter pour bénéficier des aides ;

- la lourdeur des démarches administratives qui en découlent. Ainsi, chaque éleveur bovin est tenu de déposer, chaque année, auprès des DDAF, une dizaine de formulaires de demandes spécifiques, sans compter la déclaration de surfaces indiquant la localisation des parcelles fourragères.

C'est pourquoi la mission d'information suggère que soit étudiée, dans une optique de simplification, la faisabilité d'un remplacement de l'ensemble des aides bovines à l'animal par une aide unique destinée à soutenir l'élevage bovin allaitant, qui serait liée à la surface en herbe, mais qui prendrait également en compte le nombre d'unités de travail annuel (UTA) présentes sur l'exploitation et des taux de chargement variables selon les caractéristiques des régions naturelles .

b) Maintenir les mécanismes de régulation

La mission d'information plaide également en faveur d'un renforcement des mécanismes de régulation et d'intervention sur le marché , qui sont indispensables pour traiter les problèmes de crise et de déséquilibres conjoncturels des marchés.

Condamnant fermement toute initiative visant à supprimer ou affaiblir ces instruments, elle se prononce en faveur du rétablissement de ceux qui ont été supprimés lors de la dernière réforme de la PAC , en particulier dans les domaines vitivinicole et bovin :

En ce qui concerne l'OCM vitivinicole , le rapport 14 ( * ) publié en juillet 2002 par le groupe de travail de la Commission des affaires économiques sur l'avenir de la viticulture considérait qu'il serait nécessaire de redonner un caractère contraignant à la distillation de crise .

Selon l'article 30 du règlement du 17 mai 1999 relatif à l'OCM vitivinicole, les Etats membres ont la possibilité, « en cas de perturbation exceptionnelle sur le marché », de demander à la Commission européenne l'autorisation de procéder à une distillation des volumes excédentaires.

Depuis 1999, cette mesure conjoncturelle n'est plus imposée, mais seulement proposée aux viticulteurs ce qui, selon le groupe de travail, l'a rendue nettement moins efficace. Compte tenu de la réticence des viticulteurs à se porter candidats, les excédents restent sur le marché et continuent à peser sur les prix.

Aussi, pour rendre son efficacité à cet instrument, la mission d'information reprend-elle à son compte la proposition du groupe de travail tendant à permettre à l'Etat membre demandeur de la mesure de distillation de rendre obligatoire, éventuellement à une échelle régionalisée, la distillation de crise .

S'agissant de l'OCM viande bovine , c'est le dispositif de l'intervention publique qui devrait être rétabli.

En application de la réforme de la PAC de 1999, cet instrument, qui permet l'achat et le stockage public de carcasses bovines en cas de déséquilibre du marché, a été supprimé le 1 er juillet 2002 au profit d'un simple « filet de sécurité », dispositif allégé d'intervention susceptible d'être appliqué à condition que le prix du marché ait été inférieur pendant deux semaines à un prix déjà très bas.

Subsiste, en outre, un régime de stockage privé qui fait reposer sur la filière la charge de l'ajustement.

Dans leur rapport fait au nom de la mission d'information sur l'élevage, nos collègues Gérard Bailly et Jean-Paul Emorine s'étaient préoccupés du risque que faisait courir le démantèlement de l'intervention publique au secteur de la viande bovine , soulignant qu'il serait alors plus difficile de faire face à des crises de l'ampleur de celle qui s'est produite en 2001 à l'occasion de la seconde affaire de la vache folle.

Comme nos collègues de la mission d'information sur l'élevage, la présente mission ne peut que souhaiter le rétablissement de cet instrument.

Enfin, la mission d'information souhaite que soit examinée la possibilité d'instaurer un minimum des mécanismes de régulation dans les secteurs du porc et de la volaille , dont les marchés connaissent des crises de plus en plus fréquentes liées à des prix trop bas.

c) Renforcer l'organisation et la maîtrise de la production

Afin de permettre une réévaluation des prix payés aux producteurs, il est indispensable de promouvoir une meilleure organisation des marchés, en premier lieu à travers les OCM.

La mission d'information réaffirme son attachement au maintien des quotas laitiers .

Les résultats positifs que ce dispositif de maîtrise de la production, mis en place en 1984, a permis d'atteindre, sont multiples :

- une relative stabilité des marchés , favorable aux investissements et à l'innovation, qui rend le secteur laitier attractif pour les jeunes agriculteurs. Lors de son audition au Sénat, M. Henri Brichart, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des producteurs de lait, a d'ailleurs souligné qu' un tiers des installations se font aujourd'hui dans ce secteur , qui compte désormais quelque 120.000 exploitations ;

- un prix équitable pour les producteurs (environ 30 centimes d'euros par litre) comme pour les consommateurs ;

- le maintien d'une production et d'une transformation sur l'ensemble du territoire , y compris dans les zones difficiles ;

- une réussite certaine à l'échelle mondiale puisque l'Union européenne assure le quart de la production mondiale, en dépit d'un recul de ses parts de marché à l'exportation de 56 % en 1982 à 42 % aujourd'hui ;

- un coût budgétaire de l'OCM lait assez faible (1,9 milliard d'euros, soit 4,3 % des dépenses du FEOGA-Garantie en 2002), très nettement inférieur à celui du régime applicable avant les quotas ;

- enfin, en ce qui concerne plus particulièrement la France, le choix d'un système non marchand, peu coûteux pour les producteurs .

Aux termes de l'accord de Berlin de 1999, le maintien des quotas est assuré jusqu'à la campagne 2007-2008, une décision devant toutefois être prise en ce qui concerne leur sort au-delà de cette date. La mission d'information souhaite que les Etats membres décident dès maintenant , comme le propose le projet de la Commission européenne, une prolongation des quotas jusqu'en 2014 .

Repousser cette décision en 2005 nous expose , en effet, à un risque de remise en cause par certains des nouveaux Etats membres , comme la Hongrie et la République tchèque, qui sont défavorables aux quotas, alors que d'autres, comme la Pologne, sont insatisfaits de celui qui leur a été attribué.

La mission d'information conteste toutefois la pertinence des propositions relatives à une baisse du prix du lait et à un élargissement des quotas, alors que le marché du lait connaît depuis un an une certaine déprime liée à la hausse de la collecte communautaire et à l'augmentation significative de la production de la zone Océanie et des Etats-Unis.

Bien plus, elle plaide en faveur d'une attribution des quotas supplémentaires en fonction de la demande des marchés . L'Agenda 2000 a, en effet, fixé le niveau des quotas par Etat membre entre 1999 et 2008 en prévoyant des augmentations des « quantités de référence » (quotas). Certaines ont déjà été allouées, notamment en faveur de l'Espagne, de l'Italie et de l'Irlande. En revanche, d'autres doivent encore être distribuées. Il convient de ne pas le faire de manière automatique, mais en fonction de ce que les marchés sont en mesure d'absorber.

Enfin, la mission d'information insiste sur le fait que le système des quotas ne peut rester efficace que si les importations demeurent modérées, de manière à éviter une déstabilisation du marché intérieur .

QUOTAS LAITIERS ATTRIBUÉS À CHAQUE ETAT MEMBRE
AU 1 ER AVRIL 2002
(LIVRAISONS + VENTES DIRECTES)

Etat membre

Quotas (en millions de tonnes)

Belgique

3,3

Danemark

4,4

Allemagne

27,8

Grèce

0,7

Espagne

6,1

France

24,2

Irlande

5,4

Italie

10,5

Luxembourg

0,27

Pays-Bas

11,1

Autriche

2,7

Portugal

1,8

Finlande

2,4

Suède

3,3

Royaume-Uni

14,6

TOTAL

118,57

Source : Annexe II du règlement (CE) n° 1256/1999 du Conseil du 17 mai 1999 modifiant le règlement (CEE) n° 3950/92 établissant un règlement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers.

Outre le maintien des quotas laitiers, la mission d'information souhaiterait que des améliorations soient apportées à certaines OCM en vue de favoriser une plus grande stabilité de l'offre .

Il en est notamment ainsi de l'OCM fruits et légumes , qui est menacée, de manière récurrente, par des crises de surproduction, et qui ne bénéficie, par ailleurs, que de très peu d'aides. Cette filière, qui assure 15 % du chiffre d'affaires de l'agriculture européenne, ne reçoit que 4 % des crédits du FEOGA-Garantie.

Afin de permettre une meilleure connaissance de la capacité de production européenne de fruits , la mission d'information préconise la mise en place , attendue de longue date, du cadastre arboricole .

Dans le même ordre d'idées, un système de déclaration annuelle des surfaces plantées en légumes pourrait être instauré, comme l'a suggéré M. Denis Onfroy, membre du bureau de la Fédération nationale des producteurs de légumes, lors de son audition par la mission d'information.

En outre, des mesures devraient être prises en vue de renforcer le rôle des organisations de producteurs (OP), qui sont censées être l'ossature de l'OCM fruits et légumes, et d'améliorer leur fonctionnement.

Ce rôle prépondérant des OP avait été consacré par le règlement 2200/96 du Conseil du 28 octobre 1996, qui instaure des fonds opérationnels cofinancés par les producteurs et le FEOGA-Garantie. Ces fonds permettent aux OP de mettre en oeuvre des programmes de développement économique et commercial.

Alors que seuls 30 % des producteurs européens de fruits et légumes participent aujourd'hui à l'organisation économique , il serait souhaitable d'encourager , par des incitations financières , le développement des OP et leur regroupement dans des associations .

Une simplification des règles de constitution et d'utilisation des fonds opérationnels semble également nécessaire.

Ces propositions s'inscrivent dans la droite ligne des pistes évoquées, en mars 2002, par le document de travail de la Présidence espagnole de l'Union européenne sur l'adaptation de l'OCM fruits et légumes.

La nécessité de renforcer l'organisation de la production ne concerne pas seulement le secteur des fruits et légumes, mais également, par exemple, celui de l'élevage bovin.

Au-delà de l'organisation de la production, des relations stables avec l'aval doivent se développer dans tous les secteurs , à travers la consolidation des interprofessions et la mise en place de politiques contractuelles à l'échelle des filières. Cette évolution apparaît incontournable pour remédier à une atomisation qui fait le jeu de la grande distribution .

Une réflexion particulière sur l'organisation et la maîtrise de la production devrait également être menée, au niveau européen, en ce qui concerne les secteurs porcin et avicole, qui connaissent actuellement d'importantes difficultés liées à une concurrence internationale croissante .

A cet égard, la mission d'information indique que la recherche d'une certaine maîtrise de la production n'a de sens que si elle s'accompagne d'une ouverture mesurée aux importations , qui exercent inévitablement une pression à la baisse sur les prix.

Compte tenu du fait que la maîtrise de la production -qui n'a certes pas vocation à concerner toute l'agriculture européenne- permet d'éviter l'exportation d'excédents et contribue, de ce fait, au soutien des cours mondiaux, il serait pertinent de la faire reconnaître à l'OMC comme un choix de politique agricole non générateur de distorsions .

* 13 « L'avenir de l'élevage : enjeu territorial, enjeu économique », rapport n° 57 de M. Gérard Bailly, au nom de la mission d'information sur l'avenir de l'élevage présidée par M Jean-Paul Emorine, 7 novembre 2002.

* 14 « L'avenir de la viticulture française : entre tradition et défi du Nouveau Monde », rapport n° 349 de M. Gérard César, au nom du groupe de travail sur l'avenir de la viticulture présidé par M. Gérard Delfau, 10 juillet 2002.

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