B. CHRONIQUE D'UNE CRISE ANNONCÉE

Si l'étude de « Réalisations et recherches audiovisuelles » montre que le système français de soutien a largement atteint ses objectifs et a permis au cinéma national de résister à la concurrence de la télévision comme à la pression commerciale du cinéma américain, une révision de l'ensemble du dispositif est difficile à éviter pour deux séries de raisons tenant à l'évolution technologique et aux transformations des marchés.

L'étude rappelle qu'à ces raisons s'ajoute la remise en cause des aides françaises au regard de la légalité européenne et commerciale internationale . En dépit des succès d'opinion obtenus par la notion d'exception culturelle, l'étude rappelle que les tenants de la libre circulation n'ont pas désarmé et que la direction de la concurrence de la Commission européenne continue de contester à la fois la territorialité des aides et la légitimité des obligations de production imposée aux chaînes.

C'est ce que vos rapporteurs ont pu constater par eux-mêmes lors de leur rencontre avec M. Joaquin Fernandez-Martin, chef de l'Unité « Entreprises publiques et services » de la direction générale de la concurrence.

1. Les tensions internes

Dans une seconde partie intitulée les déséquilibres et les tensions, l'étude de « Réalisations et recherches audiovisuelles » s'efforce de dégager les zones de fragilité et de rupture du système, compte tenu de l'évolution divergente entre les besoins et les ressources.

Analysant l'accroissement des besoins financiers et son facteur principal, le phénomène de la hausse du coût des films à vocation commerciale, l'étude évoque, en premier lieu, ce que les économistes appellent « la survalorisation des enjeux de concurrence ».

Il s'agit de la dynamique apparaissant sur un marché fortement concurrentiel aboutissant à l'augmentation des prix à payer pour tout ce qui est censé assurer d'emblée à un film les plus grandes chances de succès : présence de vedettes connues, effets spéciaux, marketing et publicité... L'étude note à cet égard que, même si les exploitations secondaires se diversifient, l'ensemble des recettes potentielles ne peut pas croître au même rythme 5 ( * ) .

Au contraire, l'allongement de la durée de vie commerciale des films contribue à différer la sanction du marché.

Il est aussi fait état des conséquences structurelles d'une telle tendance et, en particulier, du renforcement qui en résulte du processus de concentration et d'internationalisation des entreprises de distribution et d'exploitation de films.

En second lieu, en ce qui concerne la production, l'étude tend également à relativiser les performances de l'industrie cinématographique . C'est ainsi que le record enregistré en 2001 avec 200 films agréés a des aspects préoccupants dans la mesure où cette évolution s'accompagne d'une polarisation croissante des investissements . L'on a, d'un côté, une nette augmentation du nombre de films dont le devis est supérieur à 7 millions d'euros, et, de l'autre, un doublement du nombre de films dont le devis est inférieur à 1 million d'euros.

L'étude souligne que, parmi les 34 films d'initiative française dont le devis était, en 2001, supérieur à 7 millions d'euros, 27 n'ont fait l'objet d'aucune coproduction internationale, tandis que deux ont bénéficié d'avances sur recettes.

L'analyse des films dont le budget est inférieur à 1 million d'euros , fait apparaître que, sur un total de 42, 24 ont bénéficié d'une avance sur recettes. Pour 16 d'entre eux, cette avance a été leur seul financement .

L'étude constate que les chaînes tendent à redéployer leurs investissements au profit des films qui correspondent le plus à leur priorité éditoriale. Il en résulte une uniformisation croissante autour de « standards fédérateurs » ainsi qu'une tendance à l'inflation des devis.

Ce sont les films moyens qui pâtissent de ces multiples tendances. Selon l'étude, la fragilité du système ne résulte donc pas du volume de production, mais d'une dégradation des conditions du financement des films pouvant prétendre à un succès public. Un nombre croissant de producteurs est alors amené à faire des économies en amont et en aval au niveau de l'écriture des scénarios ou des frais de promotion, ce qui réduit d'autant les chances de succès de leurs films.

En outre, au travers, notamment, de l'étude que votre commission des finances a commandée à « Réalisation et recherches audiovisuelles », on prend aujourd'hui davantage conscience des effets pervers de l'adossement du cinéma sur la télévision et de la fragilité d'un mécanisme de soutien. Celui-ci a eu pour conséquence non seulement de tenir les opérateurs français, pour partie au moins, à l'écart des contraintes du marché, mais encore à subir les effets d'une mondialisation accrue du secteur.

2. Les pressions externes

Il y a tout lieu de se demander si nombre d'opérateurs, à commencer par Canal +, n'ont pas un pied en dehors et un pied en dedans de la mondialisation et si ce n'est cette ambivalence qui est à l'origine, au-delà des succès immédiats, tant des chocs externes que de difficultés qui fragilisent le système.

On doit évoquer ici la « contradiction majeure » soulignée en 1996 dans le rapport de M. René Bonnell et Mme Margaret Menegoz sur la réforme de l'agrément, qui évoquait la difficulté à concilier, préservation du tissu industriel et artistique national et mondialisation du commerce des films.

En outre, on peut mettre en doute l'existence d'un marché européen domestique du fait de son morcellement.

Tandis que les films américains s'amortissent largement sur leur marché domestique avant toute exploitation en Europe, les films européens ne sont pas exploités à l'échelle continentale .

A cet égard, il faut noter un décalage de distribution : les distributeurs attendent de voir comment un film est reçu dans son pays d'origine avant de le distribuer dans d'autres pays européens, ce qui ralentit d'autant la circulation.

Il est en tout état de cause important de sensibiliser les autorités de Bruxelles à la spécificité du secteur du cinéma, en insistant sur le fait que les films européens ne sont pas en concurrence entre eux , et donc que les différents systèmes d'aides mis en place dans chaque État membre ne créent pas de distorsion de concurrence.

Et lorsque l'on évoque les questions de concurrence, il faut se rappeler que le marché du cinéma français représente moins de 3 % du marché européen, alors que le cinéma américain représente 65 % de ce marché.

C'est dans ce contexte incertain tant sur le plan économique qu'institutionnel, que vos deux rapporteurs tentent d'amorcer une réflexion de fond, considérant que, même s'il ne semble pas être menacé à brève échéance, le système français de soutien est, si l'on en croit l'étude « Réalisation et recherches audiovisuelles », fragilisé dans ses mécanismes mêmes.

Aussi estiment-ils que tout le volet « ressources » développé par le rapport de M. Jean-Pierre Leclerc, aussi important soit-il, ne devrait pas suffire à faire face à une crise annoncée.

* 5 Une référence particulièrement éclairante est faite au domaine du sport, qui subit la même logique mais dont il est noté, qu'aux États-Unis, pays éminemment libéral, on s'est efforcé de maîtriser les dérives : les autorités américaines ont introduit un ensemble de règles qui visent à préserver la diversité et à éviter les surenchères qui compromettraient au bout du compte l'équilibre économique de l'ensemble des clubs.

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