B. DES PROPOSITIONS PARFOIS CONTROVERSÉES

M. Jean-Pierre Leclerc a regroupé ses propositions sous quatre rubriques : la consolidation des ressources, la préservation de la diversité de la création, la concentration de l'effort sur les investissements les plus productifs et les plus structurants, enfin l'ouverture du système vers l'étranger.

1. Une augmentation attendue des ressources

Deux voies sont explorées : la taxation des nouveaux supports de diffusion du cinéma, les contributions accrues des télévisions généralistes.

a) La taxation des vidéogrammes et à terme de la vidéo à la demande

Le rapport estime possible de taxer, dès le second semestre 2003, les ventes et locations de vidéos et de DVD sur la base du prix public. Selon lui, les avantages de cette solution, qui fait l'objet d'un quasi-consensus professionnel, sont multiples : un gain mécanique en rendement d'environ 50 %, la cohérence avec le système de la taxe spéciale additionnelle (TSA) qui fait peser la taxe sur la consommation, la possibilité, enfin, de mieux appréhender les recettes de location.

La taxe ainsi modifiée, serait perçue, comme en matière de TVA, par la direction générale des impôts qui prélèverait des frais de recouvrement.

Par suite du changement d'assiette, le produit de la taxe passerait de 27,6 millions d'euros en 2003 à 55 millions d'euros en 2006, soit un supplément de recettes d'environ 6 millions d'euros la première année en année pleine et, sur la base d'une augmentation du marché de 20 % par an, sans doute plus de 13 millions d'euros en 2006 .

Cette imposition renforcée aurait pour contrepartie un soutien diversifié tant au niveau de l'aide sélective que du soutien automatique aux éditeurs vidéos qui deviendraient de véritables acteurs de la politique patrimoniale.

Le rapport est également favorable à la taxation de la vidéo à la demande , même si celle-ci suppose que l'on surmonte un certain nombre d'obstacles techniques. De façon plus audacieuse, il envisage d'appliquer le principe « profiteur-payeur » à toute forme de consommation numérique. Prenant acte de la difficulté de contrôler sur les réseaux la transmission des données protégées par la propriété intellectuelle, le rapport envisagerait une imposition des abonnements ou actes de connexion à ces réseaux, quitte à appliquer une clé de redistribution du prélèvement en fonction de la structure des échanges de données constatés l'année précédente.

b) Les obligations des chaînes hertziennes

Après avoir écarté l'idée, parfois avancée, d'une taxation des recettes annexes des multiplexes, le rapport propose de renforcer les obligations des chaînes de télévision.

Il s'agirait, d'une part, d'obliger les chaînes à répartir leurs investissements sur un nombre de films plus important dans le cadre de leur cahier des charges pour remédier à une concentration jugée excessive de leurs investissements et, d'autre part, d'exclure les télévisions généralistes du bénéfice du compte de soutien . On remarque que l'obligation d'investissement de ces entreprises qui est de 3,2 % de leur chiffre d'affaires, est une obligation brute, dont le poids est en réalité moindre du fait des remontées de recettes des coproductions.

Il est précisé, à cet égard, que la mesure affecterait davantage les chaînes du service public , dont les investissements sont pour plus du tiers réalisés sous forme de coproductions, contre un cinquième seulement pour TF1 et M6.

Ce dispositif serait complété par un alourdissement de la taxe sur la publicité télévisée qui serait assis également sur les recettes de parrainage et pas seulement sur les seules ressources tirées de la publicité. Le supplément attendu serait de l'ordre de 8 millions d'euros.

2. La mise en concurrence des dispositifs de collecte

Toujours au niveau du financement, le rapport est favorable à la mise en concurrence des dispositifs de collecte.

a) Les soficas

Loin de suggérer la suppression des soficas, il propose de faire le « pari de leur modernisation ».

L'idée serait de fixer le taux de la réduction d'impôt à 50 % -soit un niveau inférieur de 10 points à celui de 60 % retenu pour les dons aux oeuvres reconnues d'utilité publique- tout en retenant un plafond de réduction d'impôt global pour les deux catégories, égal à 20 %.

L'octroi de ce nouveau régime , qui ferait des soficas un support défiscalisé ouvert à tous les contribuables et pas simplement à ceux imposés au taux marginal de l'impôt sur le revenu, serait conditionné par le recentrage des investissements des soficas sur la production indépendante .

b) La relance du mécénat

Dans le même esprit, le rapport évoque les perspectives offertes par la relance du mécénat dans le cadre du projet de loi adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 1 er avril 2003 7 ( * ) .

Il est indiqué que, si 5 % des dons étaient orientés vers le cinéma, la production et la distribution bénéficieraient d'un surcroît de ressources de 25 millions d'euros par an pour un coût de 1,5 million d'euros pour les finances publiques.

Pour compléter ces mécanismes éprouvés, il est évoqué la possibilité d'adapter le système du crédit-bail fiscal à l'industrie cinématographique plutôt qu'une transposition directe du système britannique dit « Sale and lease back ». Le système, qui suppose une modification de l'article 39 C A du code général des impôts, a été critiqué dans la mesure où la valeur de l'actif, qui serait ainsi cédé pour être loué, est extrêmement volatile.

3. Les autres mesures

Sous cette rubrique, on regroupe une série de mesures visant, outre à favoriser l'ouverture une ouverture sur l'extérieur qui sera évoquée ultérieurement, à trouver de nouveaux financements auprès des collectivités locales, à diminuer les dépenses liées à la rémunération des talents, et à favoriser la diversité et la création.

a) L'accompagnement des efforts des régions

Pour M. Jean-Pierre Leclerc, de multiples incertitudes affectent l'implication des régions, quelles soient d'ordre économique -on ne sait pas exactement ce que rapporte un euro d'investissement dans le cinéma- ou d'ordre institutionnel et juridique.

Pour lever ces difficultés et créer les conditions d'un engagement accru des régions, le rapport propose la mise au point de conventions-type diffusées par le CNC, afin de faciliter la coordination entre services de l'État et de servir de guide aux régions. Il estime qu'il convient de mettre l'accent sur la formation des fonctionnaires territoriaux et sur la concertation des responsables locaux en charge du soutien à la production cinématographique.

En matière de formation professionnelle, le rapport estime que les régions ont un rôle particulier à jouer, tel est également le cas des actions en matière de recherche-développement, c'est-à-dire pour l'écriture ou la réécriture des scénarios.

b) La promotion du renouvellement et de la diversité de la création

De ce point de vue, le rapport se situe dans la ligne de réflexions antérieures, qu'il s'agisse de celles du rapport de M. Charles Gassot, qui s'est traduit par une accentuation des aides à la réécriture, ou de l'aide au développement en général. A cet égard, le rapport a marqué sa préférence pour une incitation aux soficas à investir dans l'écriture plutôt que d'étendre le mécanisme d'aide à la recherche.

Le rapport parle « de rendre plus efficace le soutien sélectif aux premiers films ou aux films difficiles ». Trois mesures sont évoquées dans le rapport : le relèvement des plafonds d'intervention de la commission d'avances sur recettes qui serait compris entre 150.000 euros et 400.000 euros, l'amélioration du taux de remboursement en faisant du CNC une sorte de créancier privilégié susceptible de recouvrer les sommes avancées sur les recettes de soutien automatique généré par le film aidé, l'ouverture , enfin, de l'avance sur recettes aux productions étrangères .

En dernier lieu, le rapport envisage une harmonisation des définitions de l'indépendance en vigueur pour l'application de la législation du cinéma. Le rapport envisage une « option haute » consistant à mettre en place une grille unique d'évaluation calculée sur le système classique des points, et une « option basse » se contentant d'aménager les limites de plafonds actuels et se traduisant notamment par un ajustement des contours de la clause de diversité . C'est ainsi que le seuil retenu pour l'application de cette clause pourrait être indexé et qu'il devait être prévu une renégociation périodique pour tous les investisseurs de quotas de films inférieurs aux seuils correspondants.

Corrélativement, le régime des soficas serait adapté pour favoriser nettement la production indépendante . Les soficas devraient investir à hauteur de 65 % dans ce type de production contre 35 % actuellement. Le rapport envisage également de leur appliquer une clause de diversité analogue à celles que doivent respecter Canal + et désormais TPS.

c) Recentrage de l'emploi des fonds sur l'investissement structurel

Le rapport conclut des auditions que les talents , c'est-à-dire la rémunération des scénaristes, celle des réalisateurs et des acteurs, jouent un rôle dans l'inflation des coûts de production .

Il estime même que cette tendance est aggravée par deux phénomènes :

- la pratique dite de « l'équivalent comptable », qui consiste à demander au producteur délégué qu'il rétrocède aux « talents » une partie de ses droits de tirage sur le compte de soutien ;

- le montage par ces derniers de sociétés de coproduction ad hoc , dont les droits de tirage sur le compte ne sont pas nécessairement réinvestis immédiatement par les détenteurs de parts dans la production d'un nouveau film, mais « mis en sommeil » ou monnayés, à l'occasion de la revente des parts.

Ces pratiques réduisent d'autant les sommes réinvesties dans la production par le producteur délégué.

En aval, il a été envisagé d'exclure tout ou partie des coûts artistiques du bénéfice du compte de soutien, soit en mettant fin à la pratique des « équivalents-comptables », soit, de manière plus radicale, en excluant ex ante ces coûts des dépenses pouvant être couvertes par la mobilisation du compte. Cette mesure apparaît d'une mise en oeuvre délicate, tant pour une raison de principe, qui est la liberté de contracter, que pour une raison pratique, qui est la lourdeur des procédures de contrôle qu'elle impliquerait.

Dans le même ordre d'idée, le rapport propose de refondre la nomenclature comptable des dépenses éligibles au compte de soutien à la fois pour y inclure de façon plus lisible les dépenses de distribution et pour distinguer plus clairement , sur le modèle britannique, d'une part, les coûts liés à la rémunération de la prise du risque artistique (achat ou développement de scénarios, acteurs, réalisateur) et à la production (salaires du producteur, imprévus et frais généraux), d'autre part, les coûts de fabrication au sens strict (salaire des équipes techniques, charges sociales, location des lieux et costumes de tournage, frais de pellicule, de montage, de post-production, etc.).

*

* *

Vos deux rapporteurs, au nom de la commission des finances, qui adhèrent assez largement aux propositions du rapport de M. Jean-Pierre Leclerc, se sont efforcés de les compléter par des orientations à moyen terme portant sur le volet « dépenses ».

* 7 Cf. rapport n° 278 (2002-2003) de M. Yann Gaillard, au nom de la commission des finances.

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