D. UNE PROGRESSIVITÉ ACCRUE

La progressivité des prélèvements sur les ménages s'est presque partout accentuée en Europe, mais nulle part cette accentuation n'a été plus marquée qu'en France où l'imposition des ménages était déjà l'une des plus concentrées en Europe.

1. Un phénomène particulièrement marqué en France

Le tableau ci-dessous récapitule les évolutions des écarts de taxation entre différents niveaux de revenu 7 ( * ) .

Evolution de la progressivité des prélèvements sur le revenu des ménages

(couple marié, deux enfants, deux revenus salariaux
la femme travaille et gagne 70 % du salaire du mari)

Niveau du salaire/SMO 1

Ecarts des taux moyens d'imposition par strate de revenu

 

5 - 0,7

5 - 1

3 - 1

 

a
1989

b
2001

b - a

a
1989

b
2001

b - a

a
1989

b
2001

b - a

Allemagne

+11

+16,4

+5,4

+9

+8,6

-0,4

+6

+8,5

+2,5

Belgique

+27

+26,1

-0,9

+21

+19,6

-1,4

+15

+15,8

+0,8

Danemark

+21

+23,7

+2,7

+18

+19,6

+1,6

+15

+15,7

+0,7

Espagne

+12

+10,1

-1,9

+7

+6,8

-0,2

+7

+6,3

-0,7

France

+13

+31,4

+18,4

+11

+14,9

+3,9

+7

+11

+4

Italie

+15

+18

+3

+13

+13,2

+0,2

+9

+10,2

+1,2

Pays-Bas

+16

+19,6

+3,6

+11

+14,7

+3,7

+7

+11,6

+4,6

Royaume-Uni

+11

+21,3

+10,3

+7

+15,1

+8,1

+5

+10,9

+5,9

1. SMO : salaire moyen ouvrier

Source : Calculs de l'OFCE d'après OCDE, Les impôts sur les salaires, 2000-2001, 2002.


Le tableau montre qu'une accentuation de la progressivité de l'imposition des revenus des ménages s'est produite dans la plupart des pays. Cette tendance a été la plus forte si l'on considère les très hauts revenus et les plus bas revenus (inférieurs au salaire moyen ouvrier).

En effet, si les taux marginaux supérieurs ont été abaissés , ils l'ont été moins que les taux du bas du barème .

Dans quelques pays dont la France et l' Italie , l'allégement de la pression fiscale sur les bas revenus a été financé par une accentuation des prélèvements sur les revenus dépassant le salaire moyen . Pour ces pays, la progressivité s'accentue mais cette accentuation est plus forte pour les revenus atteignant 3 fois le salaire moyen que pour les revenus plus élevés.

La progressivité du système d'imposition des revenus varie cependant beaucoup d'un pays à l'autre et selon l'indicateur adopté pour le mesurer.

Estimée à partir d'un indicateur « étroit » comprenant les prélèvements hors cotisations, la progressivité apparaît très forte en Allemagne, en Autriche, en Belgique et aux Pays-Bas. Elle est plus limitée en France, en Italie et au Royaume-Uni. Cependant, pour la France, les résultats sont biaisés par le champ des données de l'étude qu ne comprennent pas les revenus inférieurs à 0,7 fois le SMO, qui échappent à l'IRPP. En les réintégrant, la progressivité ressortirait nettement plus accusée.

Taux moyen d'imposition du revenu des ménages en Europe

Taux moyen
1 par tranches de salaire

Niveau du salaire/SMO

Allemagne

Autriche

Belgique

Danemark

Espagne

France

Italie

Pays-Bas

Royaume-Uni

Suède

0,7

0

1,6

20,8

28,5

3,3

6,6

13,4

12,4

12,8

26,2

1

9,5

13,8

28,2

32,5

7,9

11,2

16,9

15,5

16,1

29

2

27,1

27,7

39,1

43,9

16,9

16,9

25,8

30,1

21,5

37

3

34,6

35,6

49,9

49,1

21

21,5

30,3

37,9

26,8

41,4

5

40,3

41,4

48,9

53

29,2

27,5

34,5

43,6

32,2

48,4

1. Taux moyen « étroit » : Impôt sur le revenu / salaire net.

Écarts :

5 - 1

40,3

39,8

28,1

24,5

25,9

20,9

21,1

31,2

19,4

22,2

3 - 1

34,6

34

29,1

20,6

17,7

14,9

16,9

25,5

14

15,2

Appréciée à partir d'un indicateur « élargi » (avec les cotisations), la progressivité des mécanismes d'imposition des revenus des ménages est dans tous les pays, sauf la France, moins accusée que lorsqu'on la mesure à partir du seul impôt sur le revenu des ménages.

La prise en compte des cotisations sociales , en général proportionnelles, tasse l'échelle des prélèvements .

La France et le Royaume-Uni se singularisent avec une progressivité plus forte qui est liée aux allégements différenciés de prélèvements mis en place dans ces pays.

La France apparaît comme le pays qui pratique le système de prélèvements sur le revenu des ménages le plus progressif de l'échantillon . Aux effets des allégements spécifiques de cotisations sociales s'ajoutent ceux de l'introduction et de l'augmentation des taux de la CSG qui frappe plus lourdement les ménages à revenus élevés en raison de la part des revenus financiers dans leur revenu global.

Longtemps présenté comme peu progressif, notre système de prélèvements sociaux a « muté » vers une logique de plus en plus progressive.

Taux moyen d'imposition du revenu des ménages en Europe

Taux moyen
1 par tranches de salaire

 

Allemagne

Autriche

Belgique

Danemark

Espagne

France

Italie

Pays-Bas

Royaume-Uni

Suède

0,7

33,2

25,1

39,9

33,1

30,6

23,5

38

27,1

19

42,8

1

40,2

35,7

46,4

37,2

33,9

40

42,8

32

25,2

46,1

2

48

43,8

56,4

48

40,3

47,9

49,8

41,1

32,2

53,1

3

48,7

45,4

62,2

52,9

40,2

51

53

43,6

36,1

57,4

5

48,6

46,9

66

56,8

40,7

54,9

56

46,7

40,3

63,4

Écarts :

5 - 1

15,4

21,8

26,1

23,7

10,1

31,4

18

19,6

21,3

20,6

3 - 1

15,5

20,3

22,3

19,8

9,6

27,5

15

16,5

17,1

14,6

1. Taux moyen « élargi » : Impôts sur le revenu + cotisations sociales - prestations familiales/salaire super brut. Le salaire super brut comprend le salaire direct + les cotisations sociales employeurs et salariés.

L'ensemble de ces développements portent sur des niveaux de revenus dépassant le seuil de déclenchement de l'impôt personnalisé sur le revenu (l'impôt sur le revenu des personnes physiques en France). L'inclusion dans l'analyse de l'ensemble des ménages accentue la progressivité des systèmes d'imposition du revenu en Europe, en particulier en France .

La situation de la France est, en effet, éloquente. L'IRPP y est très fortement concentré sur les hauts revenus . Cette situation est constante malgré l'instabilité des règles de calcul de l'impôt sur le revenu, dont témoignent la succession de ses réformes, et la multiplicité des régimes dérogatoires. Elle résulte de la structure du barème mais aussi de ce que la moitié des foyers fiscaux ne paye pas l'IRPP du fait de l'étroitesse de l'assiette de prélèvement.

Répartition de l'impôt sur le revenu (y compris PPE) par déciles en 2002

Déciles

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Total

Impôt payé en 2000

0,0

0,0

0,1

1,0

2,2

3,6

5,6

8,7

14,6

64,2

100

Impôt payé en 2003
(hors PPE 1 )

0,0

0,0

0,0

0,4

1,6

2,9

4,7

7,9

13,8

68,7

100

Impôt payé en 2003
(y compris PPE 1 )

-0,2

-1,7

-2,4

-1,7

-0,9

2,5

4,3

7,6

14,9

75,9

100

1. PPE : Prime pour l'emploi

Note : En 2000, les 10 % de ménages ayant les revenus les plus élevés payaient 64,2 % de l'impôt sur le revenu encaissé par l'Etat. En 2003, les 10 % de ménages ayant les revenus les moins élevés ont perçu une aide équivalant à 0,2 % du total recettes d'impôts sur le revenu, tandis que les 10 % les plus aisés ont payé un IRPP équivalant à 75,9 % de ce total.

Source : Notes bleues de Bercy, septembre 2001, PLF 2002.

L'introduction de la prime pour l'emploi n'a fait qu'accroître encore cette concentration, comme le montre le tableau ci-avant.

Aux effets des seuils et du barème, il faut ajouter l'impact des pratiques suivies en matière d'indexation des différentes tranches sur l'évolution de la progressivité de l'IRPP.


Si, en théorie, il existe une indexation des tranches sur l'inflation, il faut préciser que, de 1993 à 2001, le premier seuil du barème a été nettement plus augmenté que l'inflation (+2,5 % par an en moyenne pour une inflation moyenne de 1,4 %), en raison de la forte hausse de 1997 (+11,3 %). Les cinq autres seuils, au contraire, ont été légèrement sous-indexés (+1,1 % en moyenne entre 1993 et 2001). Cet effet de ciseaux, favorable aux foyers imposés dans les tranches les plus basses et défavorable aux foyers imposés dans les tranches les plus hautes, a accentué encore la progressivité du prélèvement et amputé l'impact de la baisse des taux nominaux marginaux de l'IRPP pour les revenus au-delà de la première tranche.

2. La nécessité d'un renversement de tendance

L'OFCE indique, à juste titre, qu'« une tendance commune vers l'atténuation de la progressivité de l'impôt se dessine maintenant au sein des pays européens. En France le taux marginal supérieur est redescendu à 54 % en 1996 et a ensuite été réduit à 52,5 %, l'Espagne et l'Allemagne se sont engagés à une baisse progressive du taux supérieur de 11 points respectivement sur la période de 1997 à 2003 et de 2000 à 2005. L'Italie est la pointe du processus d'affaiblissement de la progressivité par une réforme, qui met en place un barème à deux tranches avec un taux supérieur à 33 %. Cette évolution suit l'abaissement massif des taux supérieurs de l'impôt sur le revenu mis en place depuis le début des années 1980 aux Etats-Unis. Ce taux, relevé par l'administration Clinton, a été ultérieurement baissé par l'administration Bush. L'évolution fut similaire au Royaume-Uni de 1979 à 1988 avec une baisse du taux marginal supérieur de 98 % à 40 %, non remise en cause par les travaillistes ».

Dans ce contexte, la France doit poursuivre la diminution de ses taux supérieurs d'imposition et renverser son habitude de recourir à l'accentuation de la pression fiscale sur les revenus intermédiaires à laquelle elle s'est trop souvent laissée aller dans les années récentes.

* 7 Sont comparés successivement les taux moyens d'imposition d'un revenu égal à 5 fois le salaire moyen ouvrier et 0,7 puis 1 fois ce salaire et les taux moyens d'imposition d'un niveau égal à 3 fois le SMO et le SMO lui-même.

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