M. Jean-Pierre Elkabbach, éditorialiste à Europe 1, président-directeur général de Public Sénat

Je voudrais tout d'abord vous dire combien j'ai été sensible à l'hommage rendu ici à Jean-Luc Lagardère, dont j'ai eu l'honneur d'être le collaborateur et l'ami. Je me souviens que ce sont Arnaud et Jean-Luc Lagardère qui m'ont envoyé en quelque sorte en mission lorsqu'il s'est agi de créer la chaîne Public Sénat.

Parler de la télévision d'aujourd'hui demande que l'on soit indulgent.

Qu'elles soient publiques ou privées, les télévisions sont confrontées à une bataille planétaire pour leur financement, donc pour leur audience. Ainsi les télévisions publiques remplissent le plus souvent leurs missions d'intérêt général, mais ceci dans un univers de concurrence qui les oblige à faire de l'audience. C'est une question de survie.

Ceux qui ont vécu l'époque du monopole, qui ont rêvé d'en voir la fin, rêvé d'ouverture et de diversité, connaissent aujourd'hui certaines déconvenues : monotonie, nivellement et, qu'on le veuille ou non, uniformité. Paradoxalement, la télévision d'abondance conduit au conformisme. La multiplication des chaînes et la compétition aboutissent, même dans les programmes d'information, à une ressemblance des programmes, à une quête effrénée des téléspectateurs.

Le résultat est le développement actuel, et certainement à venir, de la télé-réalité sous toutes ses formes. Heureusement, la sagesse des responsables des télévisions publiques, ou parfois privées, nous préserve encore du pire. Mais jusqu'à quand, compte tenu de la pression des modèles et formats anglo-saxons ? Ces programmes n'ont en effet pas de limite dans l'exploitation du sensationnel, dans le déballage de l'intimité, dans une vraie « pornographie de l'âme ».

Une enquête récente montre qu'aux États-Unis les télévisions fédérales et locales s'entichent de reality-shows et se combattent à coups de tels programmes, quand il ne s'agit pas de trash-TV !

Chacun recherche le filon du moment. Les auteurs de séries et les scénaristes se disent eux-mêmes dépassés par ces déballages de confessions intimes, ces expositions de corps, de beaux muscles et de seins ! Attirés par le syndrome Andy Warhol, il y a toujours des volontaires et des candidats à la gloire, même si ce n'est que pour un quart d'heure !

De plus, ces émissions ne coûtent pas cher, alors qu'elles sont très rentables. Combien de temps ces modes vont-elles sévir, avec le risque d'en influencer d'autres ? J'ai bien peur de devoir répondre : « quelques années... », car les télévisions ont toujours su décliner les concepts qui les enrichissent.

Nous pouvons cependant faire confiance aux dirigeants des chaînes historiques pour qu'ils ne transforment pas la vie intime en spectacle public, pour qu'ils fassent obstacle à la culture de l'obscénité qui fait tant de mal. La qualité est souvent récompensée : elle engendre la qualité et des scores d'audience souvent surprenants. TF1, France 2 et France 3 y parviennent, surtout en première partie de soirée, de même que France 5 et Arte, qui rencontrent un public attentif.

Je déplore qu'à partir de demain nous allions sans doute voir émerger une autre télé-réalité : la guerre ; avec de « vrais » acteurs, de « vraies » destructions et de « vrais » morts... Mais pour beaucoup, et notamment pour les Américains, cela est si loin qu'ils croiront découvrir de nouveaux jeux virtuels ! Notons que l'armée américaine a accrédité, formé et entraîné plus de 500 journalistes pour l'accompagner sur les champs de bataille... Elle s'occupe fort heureusement de leur sécurité, mais étant en guerre, elle contrôlera toutes les informations émanant du front. Une charte a été signée entre les deux parties. On ne verra pas les morts ou les blessés qui dérangent... À tous ici il faut dire de faire attention à la manipulation et à la censure militaire. Multiplions les angles et les sources d'information.

Concernant la chaîne Public Sénat, notre audience cumulée quotidienne est égale au tiers de celle de LCI ou de TV5, et à la moitié de celle d'Euronews. Nous aurions plus de deux millions de téléspectateurs par semaine. Nous souscrirons aux prochaines enquêtes de MédiaCabSat. Notons que ce type de chaîne, ici ou ailleurs, n'est pas fait pour faire de l'audience. On ironise sur l'audience embryonnaire de la chaîne, mais cela était bien entendu prévu, et nos aînées, aux États-Unis, au Canada ou en Allemagne, ont aussi connu ce genre de sarcasmes... Ce n'est pas l'audience qui importe, c'est la notoriété, la rigueur et la réputation. Elles s'imposent comme des chaînes de référence, unanimement qualifiées et saluées pour leur professionnalisme et leur objectivité. Nous nous imposerons, puisque nous sommes une alternative pour répondre à une demande insatisfaite : nous donnons en continu et en direct du temps à l'expression politique et à la délibération publique. Nous avons par exemple été ici les premiers à retransmettre en direct les réunions du Conseil de Sécurité des Nations unies. Contrairement aux autres chaînes, nous avons le temps. Cette chaîne est un grand projet qui s'imposera quels qu'en soient les responsables.

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