B. L'IMPOSSIBILITÉ D'OPÉRER UN SUIVI FIABLE ET UNE PROGRAMMATION DE L'ACTIVITÉ

1. Des données multiples mal exploitées qui ne rendent pas compte de l'activité réelle des forces de sécurité

Les experts d'ACCENTURE estiment que « la remontée d'indicateurs à la hiérarchie » constitue « un effort légitime, mais fastidieux, pour donner des chiffres de l'activité de terrain souvent peu fiables » 23 ( * ) .

Le rapport commandé par le Sénat souligne le caractère redondant des demandes d'informations, l'absence de présentation homogène et par conséquent l'impossibilité d'agréger des données par trop hétérogènes.

La complexité de la nomenclature des instruments informatiques de saisie ajoute au manque de fiabilité. L'état 4001 comporte 107 rubriques, multipliant les possibilités de qualification différente d'un même fait suivant le fonctionnaire qui procède à la saisie. En outre, la pratique des différentes forces de sécurité n'est pas homogène. Par exemple, faute d'informations vérifiables, la gendarmerie tend à décrire a minima certaines infractions, puis opère une requalification quand elle dispose d'éléments plus précis.

Ces difficultés, qui dénotent la nécessité d'un effort de formation aux applications informatiques, ne permettent pas une programmation de l'activité qui serait fondée sur les effectifs disponibles. Concernant par exemple « une information aussi simple et essentielle que le nombre d'heures travaillées réalisées par une brigade » de gendarmerie, « dans les périodes estivales où l'activité de certaines brigades observées peut augmenter considérablement », « le renfort de gendarmes mobiles, voire de réservistes, n'est pas toujours pris en compte dans les données de certaines brigades » 24 ( * ) .

2. Un suivi statistique des faits de délinquance dans l'état 4001 incomplet et manquant de fiabilité

Ainsi que le souligne plus particulièrement la mission interministérielle sur les régimes de service dans la police et la gendarmerie, les difficultés de l'état 4001 tiennent au caractère incomplet des données saisies ainsi qu'à leur imprécision.

D'une part, les données saisies dans l'état 4001 ne comprennent pas l'ensemble des faits de délinquance :

« Par construction, l'état 4001 ne comprend pas les délits relatifs à la sécurité routière, comptabilisés dans un autre service du ministère de l'intérieur, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). Il ne comprend pas non plus les contraventions (...).

« Les infractions en matière de sécurité routière sont exclues. Pourtant, la police et la gendarmerie dressent des procédures en la matière : 20 % du volume des enquêtes judiciaires, selon le rapport Pandraud-Caresche » 25 ( * ) .

Sur ces différents points, la principale lacune de l'état 4001 est de ne pas offrir une vue exhaustive de tous les faits de délinquance, des suivis statistiques des délits relatifs à la sécurité routière et aux contraventions étant effectués par ailleurs.

La mission interministérielle souligne une autre défaillance plus grave, car conduisant à ignorer certaines infractions, « le classement policier » . Cette pratique est d'autant plus regrettable qu'elle n'existe pas dans la gendarmerie du fait d'un traitement différent des plaintes.

« Sont également exclus [de l'état 4001] des faits connus de la police qui ne figurent pas dans la statistique mais sont portés en main courante. Cet enregistrement intervient, soit parce que ces faits ne sont pas des infractions et ne sont pas destinés à être transmis à la justice, soit parce que la police, face à ces infractions, effectue ce qu'il est convenu d'appeler le « classement policier ».

« Ce procédé peut être utilisé à la demande des victimes qui souhaitent que l'infraction soit mentionnée sans pour autant faire l'objet d'une poursuite judiciaire. Mais il peut relever d'une pratique discutable : selon l'IHESI (Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure), 10 % des faits enregistrés en main courante seraient susceptibles d'être qualifiés pénalement. Cette pratique n'existe pas dans la gendarmerie où la transmission au procureur est systématique » 26 ( * ) .

Lors de ses déplacements, votre rapporteur s'est vu justifier par un de ses interlocuteurs des pratiques que les plaignants peuvent assimiler au « traitement policier » : par exemple, certains usagers ne procèdent pas in fine à un dépôt de plainte pour vol, faute de pouvoir montrer qu'il ne s'agit pas d'une perte simple.

ACCENTURE n'a pas abordé la question du « classement policier », mais estime que les circuits de transmission de l'information sont aussi de nature à engendrer une déperdition : « [l'état 4001], alimenté également par les données issues de la gendarmerie, souffre aussi de la perte d'information observée soit au cours de la transmission des statistiques par les brigades, soit au moment même de leur consolidation » 27 ( * ) .

D'autre part, l'état 4001 manque de fiabilité . Les membres de la mission interministérielle mettent l'accent sur les aléas inhérents aux pratiques déclaratives et à une insuffisante précision des informations saisies :

« Le risque d'imprécision est inévitable s'agissant d'une statistique en partie déclarative, fondée sur des plaintes qui font intervenir la subjectivité. Il y un lien entre le nombre de plaintes et l'activité des services de police, comme on a pu le voir avec l'augmentation du nombre de plaintes à la suite de la mise de la police de proximité.

« Par ailleurs, on comptabilise sans distinction sous les mêmes rubriques les tentatives et les actes commis. Cette façon de procéder concerne l'ensemble des postes du 4001, à l'exception de celui des homicides, distinction qui date de 1988.

« La statistique ne distingue pas non plus entre l'auteur et le complice.

« Elle ne permet pas de recouper une série de faits commis dans un secteur géographique et l'arrestation des auteurs dans un autre. Cela arrive notamment lorsque les auteurs résident en banlieue (zone de gendarmerie) et commettent des actes de délinquance en centre-ville (zone de police) ou inversement » 28 ( * ) .

Les experts d'ACCENTURE soulignent également le manque de fiabilité de l'état 4001, mais pour des raisons différentes dues principalement à l'absence de formation juridique des fonctionnaires qui remplissent l'état 4001 ainsi qu'à leur cantonnement dans des tâches administratives :

« L'état 4001 n'est pas non plus très fiable. Il est renseigné dans l'application STIC par un service la plupart du temps composé d'agents administratifs. Leur travail consiste à prendre les procédures saisies dans LRP pour leur donner un code dans la nomenclature 4001. Ces agents ne connaissent la plupart du temps pas l'affaire et n'ont aucune formation juridique. Leur saisie n'est donc pas toujours fiable » 29 ( * ) .

Ces limites sont d'autant plus criantes que la seule élaboration de l'état 4001 représente plusieurs centaines d'emplois à temps plein et coûte plusieurs dizaines de millions d'euros.

Si l'organisation des forces de sécurité intérieure doit ainsi être améliorée en termes de répartition des effectifs et d'utilisation des moyens informatiques, le service public de sécurité sera également d'autant plus efficace qu'il sera recentré sur ses missions premières.

* 23 Cf. rapport d'ACCENTURE, § 3.5.3, p. 152 sq de l'annexe.

* 24 Ibid., p. 154 de l'annexe.

* 25 Rapport de la mission interministérielle sur les régimes de service dans la police et la gendarmerie, p. 24-25.

* 26 Ibid., p. 25.

* 27 Cf. rapport d'ACCENTURE, p. 155 de l'annexe.

* 28 Rapport, op. cit., p. 25.

* 29 Cf. rapport d'ACCENTURE, p. 155 de l'annexe.

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