EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 octobre 2003 sous la présidence de M. Jean Arthuis , la commission a entendu une communication de M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial, sur l'organisation du temps de travail et les procédures d'information des forces de sécurité intérieure.

M. Aymeri de Montesquiou a tout d'abord rappelé l'objet et la méthode retenus pour la rédaction du rapport. Alors que la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) du 29 août 2002 avait prévu d'accorder 5,6 milliards d'euros de crédits supplémentaires à la police et la gendarmerie nationales entre 2003 et 2007, il incombait à la commission de veiller à la bonne utilisation de ces moyens dans un contexte budgétaire dégradé.

Il a ajouté que le rapport visait à décrire l'état des lieux initial quant au fonctionnement des forces de sécurité intérieure, au début de la mise en oeuvre de la LOPSI, et cela en adoptant une méthode originale : une étude préalable avait été confiée au cabinet ACCENTURE, choisi à l'issue d'une procédure d'appel d'offres. Ces experts extérieurs avaient conduit 130 entretiens sur le terrain, et leurs observations avaient été complétées par celles des corps d'inspection du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et du ministère de la défense. M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial, a rappelé avoir également procédé à des missions d'enquête sur le terrain, dans le nord de Paris, en Seine-Saint-Denis et en Haute-Garonne au cours de l'année 2002, puis en Tarn-et-Garonne en 2003.

Il a souligné l'absence de définition des moyens et des missions prioritaires. Concernant l'allocation des ressources, M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial, a relevé d'une part l'insuffisante corrélation entre la répartition des effectifs et la géographie des faits de délinquance, et d'autre part l'absence d'outil informatique exhaustif pour recenser l'ensemble des faits au sein de « l'état 4001 » destiné à permettre ce suivi. Il a précisé que « l'état 4001 », composé de 107 rubriques, se caractérisait par une trop grande complexité et s'avérait incomplet, faute notamment de comporter l'ensemble des faits inscrits en main courante.

Un autre champ d'amélioration concernait, selon lui, les trop nombreuses tâches administratives accaparant les forces de la police et de la gendarmerie nationales et dépourvues de lien direct avec la sécurité publique. Il a cité les escortes et les gardes de détenus, très coûteuses en personnel, l'entretien et la maintenance des équipements informatiques et immobiliers, ainsi que les activités relevant d'autres administrations, auxquelles les policiers et les gendarmes n'étaient pas formés : en particulier, l'établissement des procurations de vote, les demandes de passeport et de cartes d'identité, l'acheminement des plis, les enquêtes administratives et l'information sur les cartes grises.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial, a proposé de traiter différemment les tâches administratives sans lien avec la sécurité publique afin de permettre à la police et à la gendarmerie nationales de se consacrer pleinement à leur mission première. Il a relevé que le transfert à l'administration pénitentiaire des escortes et des gardes de détenus correspondait à la pratique habituelle de nos partenaires européens. En outre, le déplacement des magistrats lors des opérations de garde et de transfert des détenus, et non des policiers et des gendarmes les accompagnant, serait moins coûteux en emplois publics. Il a appelé à conforter l'externalisation en cours des tâches d'entretien des véhicules et des équipements immobiliers et a insisté sur l'intérêt de développer les emplois administratifs dans la police et la gendarmerie nationales, alors que leur part est plus faible en France qu'à l'étranger.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial, s'est félicité du choix du gouvernement de récompenser les fonctionnaires les plus méritants par la mise en place d'une prime de résultats à partir de 2004. Il a indiqué que cette prime pourrait être décomposée en trois parts : des récompenses individuelles pour les fonctionnaires s'étant illustrés dans des affaires exceptionnelles, une prime collective en cas d'atteinte de résultats fixés préalablement et une récompense pour surcroît de travail lié à des événements exceptionnels. Il a souligné que la valorisation devait également se traduire dans le déroulement des carrières.

Concernant les outils informatiques, il a appelé à compléter « l'état 4001 » et à en simplifier la nomenclature. Il a relevé que l'intervention coordonnée des forces de police et de gendarmerie commandait d'interconnecter leurs réseaux informatiques.

Il a enfin souhaité le développement des « bonnes pratiques » concernant les relations avec les citoyens : ainsi, la mise en place d'un numéro dédié pour les appels non urgents ou destinés à d'autres administrations serait de nature à désengorger les standards téléphoniques ; par ailleurs, la télé-déclaration sur Internet des infractions mineures pourrait s'inspirer d'expériences conduites localement.

En conclusion, M. Aymeri de Montesquiou a rappelé que ces réformes d'envergure devaient s'inscrire dans le cadre de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). En particulier, la définition d'une mission interministérielle consacrée à la sécurité, composée de deux programmes ministériels relatifs à la police et à la gendarmerie nationales, signifierait le caractère global de la lutte contre l'insécurité, tandis que les récompenses au mérite traduisaient également la démarche nouvelle d'objectifs et de résultats prévue par la LOLF.

Il a souligné que ses propositions pouvaient se traduire par un gain de plusieurs milliers d'emplois équivalents à temps plein, leur mise en oeuvre étant une question de volonté politique, dont avait su faire preuve le gouvernement en inversant la courbe de la délinquance.

Un large débat s'est alors engagé.

M. Jean Arthuis, président , a remercié le rapporteur spécial pour son travail difficile qui correspondait exactement à l'esprit de la LOLF, et souhaité disposer de précisions sur le temps de travail effectif des forces de sécurité intérieure.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial, a répondu que, si la diversité des situations invitait à la prudence, la Cour des Comptes avait estimé la durée hebdomadaire de travail de la police nationale à 29 heures, et que certaines pratiques relevées dans le rapport des experts extérieurs, telles que les congés posés a posteriori, attestaient la nécessité d'apporter des changements en ce domaine.

M. Philippe Marini, rapporteur général , a exprimé ses réticences à l'égard des transferts de compétences s'ils ne devaient traduire que des transferts de charges et alimenter les « querelles de frontières entre les corps administratifs ». S'agissant du temps de travail, il a souhaité une évaluation plus précise du coût lié à la mise en place de l'aménagement et de la réduction du temps de travail (ARTT) dans la police nationale. Il a demandé des précisions sur les règles d'attribution des effectifs et le régime des primes en zone sensible, ainsi que sur le partage des zones de compétence entre la police et la gendarmerie nationales, partage caractérisé selon lui par une excessive rigidité.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial, a observé que les transferts de compétences administratives se traduiraient par un gain net pour les finances publiques, dans la mesure où la charge salariale liée à un poste administratif de secrétariat était nettement inférieure à celle d'un poste de policier ou de gendarme. Il a par ailleurs mis en évidence la désorganisation du fonctionnement de certaines unités du seul fait de l'accomplissement de tâches telles que l'escorte et la garde de détenus, ou le coût exorbitant de travaux de maintenance automobile effectués dans des garages de l'administration, parfois distants de plusieurs dizaines de kilomètres.

Au sujet de la mise en place de l'ARTT dans la police nationale, il a fait état d'un coût de 13,23 millions d'euros en année pleine, selon le ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, pour le seul paiement d'astreintes qui donnaient lieu auparavant à une compensation en temps.

Il a relevé le retard de la police nationale par rapport à la gendarmerie nationale dans la définition d'effectifs de référence adaptés aux besoins réels, compte tenu du nombre de faits de délinquance, et indiqué que la police nationale n'avait mis en place qu'en 1999 un outil caractérisé, par ailleurs, par sa trop grande rigidité.

S'agissant de la coordination opérationnelle entre les forces de la police et de la gendarmerie nationales, il a constaté avec un vif intérêt l'acceptation, sur le terrain, d'une réforme profondément novatrice.

M. Paul Girod , évoquant son expérience d'ancien rapporteur spécial des crédits de la sécurité, a insisté sur la récurrence des débats relatifs à l'organisation de la police nationale. Evoquant un stage qu'il avait effectué au sein du tribunal de grande instance (TGI) de Montpellier, il a précisé avoir constaté directement la lourdeur des tâches liées aux escortes et aux gardes de détenus. Il s'est toutefois interrogé sur la compétence juridique de l'administration pénitentiaire à exercer de telles missions.

Il a souligné l'intérêt d'une expertise extérieure sur le fonctionnement des forces de la police et de la gendarmerie nationales. Il a enfin partagé le constat du rapporteur spécial concernant le bon niveau de coopération des unités de la police et de la gendarmerie nationales, tout en relevant les difficultés que soulevaient les différences statutaires.

M. Michel Moreigne a tenu à souligner la grande efficacité des forces de la gendarmerie nationale dans la Creuse, du point de vue de l'équipement informatique et de l'interconnection des réseaux, malgré une réduction des capacités des forces de sécurité intérieure après la suppression du commissariat de la sous-préfecture d'Aubusson. Il a cependant déploré une proportion de 30 % d'appels de nuit sans lien avec les missions des forces de sécurité intérieure.

M. Maurice Blin s'est interrogé sur la manière avec laquelle le rapporteur et les experts extérieurs avaient été reçus lors de leurs déplacements sur le terrain, en soulignant que la plupart des personnes visitées avaient dû rencontrer pour la première fois des représentants du Sénat. Il s'est demandé si ces visites avaient pu être interprétées comme relevant d'un contrôle. Plus généralement, il a observé que le traitement, d'un point de vue économique, de questions liées à l'exercice par l'Etat de ses fonctions régaliennes constituait une approche originale, traduisant un véritable changement culturel. Il a estimé que la démarche d'objectifs et de moyens prévue par la LOLF s'inscrivait dans cette perspective et s'en est tout particulièrement félicité.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial, a répondu que la question des capacités juridiques dont disposaient les services pénitentiaires pour effectuer les missions d'escorte et de garde des détenus ne devait pas être un obstacle à l'accomplissement d'une réforme déjà menée à son terme dans d'autres pays européens. Il a ajouté que le recours à des experts en organisation avait permis d'apporter un « oeil extérieur » sur le fonctionnement de l'administration, et qu'il lui semblait intéressant de renouveler cette méthode.

En réponse aux questions de M. Jean Arthuis, président, et de M. Roland du Luart sur le temps de travail effectif des policiers et des gendarmes, il a rappelé que les différences de statut se traduisaient par des durées inégales au sein de chacune des deux forces de sécurité intérieure. Il a précisé que, en 2002, le temps de travail d'un gendarme avait atteint 1.730 heures, alors que la durée légale annuelle de travail des policiers s'établissait à 1.600 heures, à l'instar des autres salariés.

Concernant l'interconnection des réseaux, il a souligné l'absence de compatibilité des systèmes informatiques utilisés par la police et la gendarmerie nationales, dans la mesure où ils avaient été conçus de manière séparée.

Il a enfin relevé que les policiers et les gendarmes rencontrés à l'occasion de son étude avaient apprécié de pouvoir s'exprimer sur les difficultés d'organisation auxquelles ils étaient confrontés dans l'exercice de leurs missions de sécurité publique, et que, de ce fait, les rencontres avaient eu lieu dans un climat de confiance, ce dont il s'est félicité.

M. Jean Arthuis, président, a souhaité que le rapport d'information approfondisse la question du temps de travail des policiers et des gendarmes.

Puis la commission a donné acte à M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial, de sa communication et a autorisé la publication de ses conclusions sous forme d'un rapport d'information.

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