10. Audition de la Coordination nationale Natura 2000 (6 mai 2003)

La Coordination nationale Natura 2000 a été créée en 1997 à l'initiative de quelques responsables cynégétiques craignant que la mise en oeuvre de la directive 92/43 Habitats n'induise les mêmes effets que la directive 79/409 Oiseaux en matière de chasse.

Leurs craintes étaient notamment fondées sur l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 19 janvier 1994 et sur l'avis motivé de la Commission européenne du 13 septembre 1994 indiquant, respectivement, que « toute activité de chasse est susceptible de perturber la faune sauvage » et que « la présence des chasseurs et leurs chiens sont incompatibles avec les objectifs... ». On ne saurait être plus clair et aucune jurisprudence nouvelle n'est venue infirmer ces écrits.

Petit à petit, les responsables de la Coordination nationale Natura 2000 ont travaillé sur les autres activités concernées par ces directives européennes et, s'appuyant sur les textes, sur les avis de la commission européenne et sur les arrêts de Cour de justice des Communautés européennes, se sont forgés une opinion résumée dans la brochure « Natura 2000 - 10 questions sans réponse ». Cette brochure n'affirme rien qu'elle ne prouve par les textes cités en annexe, et elle a été diffusée largement (20 000 exemplaires), permettant à la Coordination de se faire connaître et d'intégrer de nouveaux membres sans lien avec le monde de la chasse 30 ( * ) . Celle-ci est désormais représentée dans une soixantaine de départements par des associations de chasseurs, de pêcheurs ou de propriétaires fonciers.

Dès sa création, la Coordination nationale Natura 2000 a choisi d'informer ses adhérents par des notes d'explication et par des courriers types destinés aux élus locaux, pensant que si les maires des communes concernées se prononçaient majoritairement contre Natura 2000, ce processus ne se ferait pas dans les conditions prévues et qu'une négociation serait nécessaire. Mais force est de constater que tous les sites ont été transmis à Bruxelles malgré l'avis négatif des maires concernés. La Coordination s'est alors résolue à ouvrir des contentieux et a obtenu l'annulation par le Conseil d'Etat de la transmission des sites à Bruxelles. Cette annulation a été acquise à cause du non respect par l'Etat du décret du 5 mai 1995 prévoyant la consultation des maires des communes concernées. Depuis, la Coordination a saisi le Conseil d'Etat contre l'ordonnance du 11 avril 2001 et le décret du 8 novembre 2001. Elle a également développé des contentieux pour non respect des directives, tendant ainsi à démontrer leurs dangers et prouvant, jusque par l'absurde, qu'elles peuvent interdire tout ou presque (pique-prune sur l'autoroute dans la Sarthe, tortues sur les plages grecques, moutons en Irlande, ...).

Qu'il soit cependant clair que cette stratégie ne saurait être une finalité. Elle n'est qu'un moyen de tenter de bloquer la mise en place de Natura 2000 sous sa forme actuelle pour que de nouvelles règles soient établies, plus respectueuses des droits des usagers de la nature et des règles de fonctionnement d'une démocratie.

En ce qui concerne la transposition en droit interne de la directive Habitats, la Coordination a le sentiment que le gouvernement actuel est pris en tenaille entre des engagements européens dont il n'avait pas mesuré les conséquences mais qui le contraignent fortement et l'opposition que ce projet rencontre. L'exercice est assurément difficile et aboutit à des contradictions qui, loin de rassurer, ne font que conforter les craintes exprimées.

Ainsi, il a été maintes fois répété que Natura 2000 se ferait dans la transparence et la concertation, que rien ne serait imposé. Mais la transposition en droit interne de la directive a été faite par voie d'ordonnance, privant ainsi le Parlement d'un débat démocratique.

L'article L. 414-1 du code de l'environnement précise que la chasse et la pêche ne constituent pas des activités perturbantes mais chacun sait qu'il ne peut appartenir à la loi de définir ce qui est perturbant et ce qui ne l'est pas. De plus, cette loi ne saurait contraindre ni même influencer la Cour de justice des Communautés européennes.

De la même manière, l'article R. 214-34 du code rural prévoit que seuls les travaux soumis à autorisation administrative feront l'objet d'un étude d'évaluation de leurs incidences tel qu'il est prévu par la directive 92/43. C'est en parfaite contradiction avec l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 21 septembre 1999 contre l'Irlande qui rappelle qu'un Etat ne peut établir de seuils et que chaque projet doit être étudié individuellement.

A propos de la désignation des sites, la procédure de consultation ne concerne officiellement que les conseils municipaux et organes délibérants des EPCI. Il n'y a plus de consultation officielle des usagers. C'est dommage même si, dans les faits, certains préfets consultent largement. Il y avait une avancée par rapport aux textes précédents puisque l'ordonnance du 11 avril 2001 prévoyait que les préfets ne pouvaient s'écarter des avis motivés des conseils municipaux et EPCI que par une décision motivée. C'était un gage d'une certaine transparence. Mais, le décret du 8 novembre 2001 précise que les préfets doivent indiquer au ministre pourquoi ils s'écartent des avis reçus. Il n'y a pas de retour prévu vers ceux à qui on a demandé un avis. C'est un grave manque de transparence.

L'information des propriétaires et usagers est insignifiante. On devrait plutôt parler de désinformation tant les promoteurs de Natura 2000 oublient de dire ce qui les gênent et quels sont les dangers du système s'ils n'ont pas un contradicteur averti dans la salle. Ensuite, il paraît choquant que les élus locaux soient consultés pour le périmètre alors que ce périmètre est défini à partir d'inventaires (plus ou moins sérieux) qu'aucun élu n'a les moyens de contester scientifiquement et qu'on ne leur demande pas leur avis pour les documents d'objectifs. C'est pourtant sur ces documents et sur les mesures de gestion qu'ils devraient s'exprimer. Ils sont simples à comprendre et engagent en partie l'avenir de leur commune.

Force est de constater enfin, que les opérateurs locaux et les préfets sont beaucoup plus à l'aise quand il s'agit de zones spéciales de conservation (ZSC) que de zones de protection spéciale (ZPS).

L'éventuelle perturbation des oiseaux est un sujet particulièrement sensible pour les chasseurs mais aussi les pêcheurs et l'ensemble des activités notamment touristiques. Les indispensables études sur la perturbation pour chacune des activités sont reportées à plus tard, sans qu'aucune échéance ne soit fixée. Chacun sait que les ZPS peuvent être source de multiples contentieux mais les opérateurs locaux et les préfets, là encore, feignent de l'ignorer et avancent comme si la désignation en ZPS n'était qu'une sorte de label venant valoriser une zone naturelle. Cela ne trompe personne et renforce, une fois de plus, l'impression de « chèque en blanc ».

Concernant l'élaboration des documents d'objectifs (DOCOB), il n'y a pratiquement aucune difficulté à faire travailler ensemble les différents acteurs concernés, qu'il s'agisse d'élus, d'agriculteurs, de forestiers, de pêcheurs, de chasseurs ou de naturalistes. Néanmoins, le premier obstacle survient lors de l'établissement d'inventaires aussi complets que possible puisque ceux qui ont servi à la définition du périmètre sont souvent anciens et peu fiables. Or, il faut du temps et de l'argent et les opérateurs locaux ne disposent ni de l'un ni de l'autre à un niveau satisfaisant.

Cette phase d'étude et d'approfondissement des connaissances ne fait pas débat même si les sujets étudiés paraissent parfois secondaires, donnant l'impression que l'on élude les vrais sujets de fond. La difficulté devient réelle dès qu'il s'agit de proposer des règles de gestion puisque l'opérateur local ne peut s'en tenir à des généralités et qu'il ne peut non plus entrer véritablement dans le détail des mesures et des coûts sous peine de se heurter à une forte opposition des secteurs d'activité concernés.

Il n'est pas toujours simple de faire s'impliquer les acteurs locaux qui ne se passionnent pas obligatoirement pour la connaissance scientifique pure mais qui souhaitent savoir ce que seront leurs droits et leurs devoirs. Il leur est demandé de travailler, de débattre, voire de faire des concessions pour arriver à un document d'objectif n'ayant aucune valeur juridique, non validé par les instances européennes et, finalement, n'engageant personne.

L'appréciation des notions de perturbation et de dérangement constitue évidemment la question principale pour les chasseurs et les autres usagers également. Les documents établis au niveau national sur les espèces susceptibles d'être perturbées par telle ou telle activité ne servent en fait qu'à éliminer des études celles qui ne sont pas susceptibles d'être perturbées.

Il faudrait donc site par site et par espèce conduire une étude sur la perturbation. Personne ne sait le faire et les moyens en temps et en argent font défaut.

Le risque est immense que n'importe quelle association naturaliste ou n'importe quel scientifique réel ou auto proclamé affirme qu'une activité perturbe et que la Cour saisie fasse application du sempiternel principe de précaution. Tout devient possible et les accords locaux dans les documents d'objectifs n'y pourront rien changer.

L'autre danger, au moins aussi grand, concerne l'article 12 de la directive Habitats, puisqu'il y a près de 300 espèces recensées qu'il faut éviter de perturber intentionnellement. Normalement, le fait que la perturbation soit intentionnelle devrait rassurer. En réalité, l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 30 janvier 2002 contre la Grèce concernant la tortue Caretta montre que la Cour fait une interprétation particulière du caractère intentionnel d'une perturbation. L'Etat grec n'a pas pris de mesures jugées suffisantes, d'où la Cour déduit qu'il est coupable de perturbation intentionnelle. L'argument est spécieux mais fait jurisprudence. L'article 12-§d est encore plus dangereux puisqu'il stipule qu'il faut éviter la détérioration et la destruction des sites de reproduction et des aires de repos de ces 300 espèces citées à l'annexe IV point a). On notera avec inquiétude qu'il n'est plus fait mention du caractère intentionnel. C'est très lourd de conséquences pour toutes les activités et peut-être encore plus dangereux que l'article 6 de la directive Habitats.

A propos de dossiers d'implantation d'infrastructures ayant donné lieu à la définition de mesures compensatoires (article 6, §4 de la directive Habitats), il y a déjà un précédent en Baie de Seine où l'extension du port du Havre sur une zone favorable aux oiseaux est compensée par la mise en réserve d'une zone précédemment chassée. Ce n'est évidemment pas de nature à rassurer les chasseurs.

S'agissant des financements annoncés, notamment pour les contrats de gestion, il est certain qu'ils ne seront suffisants qu'au début. Rapidement, et notamment avec l'intégration des PECO, le financement devra être assuré directement par chacun des Etats. Lors d'un colloque à Bath (1998), la Commission européenne a d'ailleurs affirmé clairement que « les objectifs des instruments financiers communautaires peuvent changer et il ne faut pas compter sur eux à long terme ».

En ce qui concerne le financement des futurs contrats d'agriculture durable, deux problèmes se posent. D'abord, seuls les agriculteurs peuvent contracter les CAD. Quels contrats et quels financements pourront alors espérer les autres usagers tels pêcheurs, chasseurs, artisans, commerçants, gestionnaires de site touristique, collectivités locales ?

De plus, les enveloppes régionales, puis départementales, des CAD sont limitées pour éviter la dérive des contrats territoriaux d'exploitation. Si les contrats Natura 2000 se font sous la forme de CAD, toute l'enveloppe y sera consacrée et il ne pourra pas être fait de CAD en dehors de ces sites 31 ( * ) . Il y a donc fort à craindre qu'il n'y ait pas de CAD en dehors des zones Natura 2000 dans les milieux que l'on dit banals et qui sont pourtant eux aussi riches de biodiversité, d'une biodiversité qui peut disparaître si on n'y prend pas garde. Ce devrait être le rôle des CAD.

En conclusion, on peut donc reconnaître que les objectifs des directives Oiseaux et Habitats sont de bons objectifs, même si le niveau européen ne paraît pas toujours le mieux adapté pour les réaliser. Les directives elles-mêmes ont, par leur rédaction, laissé une place importante à la subsidiarité et auraient dû permettre à chacun des Etats de disposer d'une certaine liberté de moyens.

Or, la Commission européenne et la Cour de justice des Communautés européennes ont totalement occupé cet espace et ont, à leur manière, réécrit les directives. Nous en voulons pour preuve le guide interprétatif de l'article 6 de la directive 92/43. L'article 6 adopté par les ministres et par le Parlement Européen ne compte que quelques lignes. Le guide interprétatif rédigé par la seule commission compte 80 pages. Il y a là un véritable problème de démocratie.

Au-delà de ce constat, et en nous inspirant du premier rapport de M. Jean-François Le Grand sur Natura 2000 32 ( * ) , il convient de suggérer de :

- faire réaliser (ou valider) les inventaires par des scientifiques indépendants et non par des associations militantes ;

- soumettre le projet du document d'objectif à l'avis des conseils municipaux. Le document d'objectif ne pouvant être approuvé par le préfet que s'il a recueilli une majorité favorable ;

- consulter les propriétaires et les exploitants agricoles par enquête publique ;

- ne prévoir que des contrats volontaires pour les mesures de gestion. Ces contrats devraient préciser la nature et la durée des engagements ainsi que le montant des compensations financières ;

- obliger chaque document d'objectifs à comporter une étude sur la perturbation, la dégradation des milieux et la protection des espèces en listant de façon exhaustive les activités pouvant s'exercer sans contrainte et celles devant faire l'objet d'un accord éventuel.

Ces mesures peuvent être prises au niveau national mais pour qu'elles aient un sens, la Coordination nationale Natura 2000 souhaite aller au-delà et recommande qu'elles soient confortées au niveau européen par une annexe à la directive Habitats précisant que les activités existantes sont maintenues tant qu'il n'est pas démontré qu'elles ont un impact négatif remettant en cause les objectifs des directives (inverse du principe de précaution) et que la désignation d'un site est liée à la validation du cahier des charges ou du document d'objectifs établi localement. Ce document d'objectifs doit être validé conjointement par l'Etat et la Commission européenne afin de limiter les risques de contentieux devant la Cour de justice des Communautés européennes.

*

* *

* 30 Le vice-président de la Coordination est là au titre de la défense des usagers des Iles Chausey, et un des membres du conseil d'administration est un viticulteur alsacien à qui il a été interdit de planter des vignes dans une zone destinée à devenir une zone Natura 2000 à cause du risque de dégradation de pelouses calcaires.

* 31 A titre d'exemple, en Maine-et-Loire et selon la Chambre d'agriculture, le montant actuel des MAE, OLAE est déjà supérieur à l'enveloppe prévue pour les CAD.

* 32 Rapport d'information n° 309 (1996-1997) Natura 2000 : de la difficulté de mettre en cause une directive européenne.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page