N°37

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 22 octobre 2003

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 14 au 19 septembre 2003 en Turquie ,

Par MM. Xavier de VILLEPIN, Hubert DURAND-CHASTEL
et Jean-Pierre MASSERET,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Jean-Marie Poirier, Guy Penne, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Europe.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Une mission de la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées s'est rendue en Turquie 14 au 19 septembre 2003. La délégation était composée de MM. Xavier de Villepin, Jean-Pierre Masseret et Hubert Durand-Chastel, sénateurs, et accompagnée de M. Matthieu Meissonnier, administrateur, secrétaire de la délégation.

La délégation a séjourné deux jours à Ankara, la capitale politique, et trois jours à Istanbul, la capitale économique et culturelle. A Ankara, elle a notamment pu rencontrer le Premier ministre, M. Recep Tayyip Erdoðan, le ministre des affaires étrangères, M. Abdullah Gül, le ministre de la défense, M. Vecdi Gönul et le Président de la Grande assemblée nationale turque (GANT), M. Bülent Arinç. A Istanbul, elle a notamment eu des entretiens avec le maire de la ville, M. Ali Müfit Gürtuna, le patriarche grec orthodoxe, chef spirituel de l'Église orthodoxe dans le monde, sa Sainteté Bartholomeos Ier, et le patriarche arménien, sa Béatitude Mesrob II.

Cette mission avait pour objectif de faire le point sur la situation intérieure de la Turquie après la profonde crise économique de 2001 et l'arrivée au pouvoir du parti de la justice et du développement (AKP), la précédente mission de la commission dans ce pays datant de février 1996 1 ( * ) . Elle a également permis de se rendre compte du travail accompli par ce pays pour préparer l'échéance de décembre 2004 où doit être décidée l'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne, d'échanger avec les responsables turcs sur l'évolution de la situation régionale et d'évaluer la densité de nos relations bilatérales et le contenu de notre coopération culturelle.

*

Vos rapporteurs tiennent à adresser leurs remerciements à M. Bernard Garcia, ambassadeur de France en Turquie, et à M. Jean-François Peaucelle, Consul général de France à Istanbul, pour la qualité de leur accueil et la qualité des programmes préparés à leur intention, ainsi qu'aux personnels de leurs services.

I. LA SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE LA TURQUIE APRÈS LA VICTOIRE DU PARTI DE LA JUSTICE ET DU DÉVELOPPEMENT (AKP)

La situation intérieure de la Turquie a été marquée par l'alternance politique liée à la victoire de l'AKP lors des dernières élections législatives, pouvant ouvrir la voie à de profondes évolutions de la scène politique et institutionnelle turque. Par ailleurs, la stabilisation de l'économie après la très grave crise de 2001 permet d'espérer la reprise du décollage économique.

A. LA VICTOIRE DE L'AKP, OÙ LE RENOUVELLEMENT DES ÉQUILIBRES POLITIQUES

La victoire de l'AKP, qui dispose désormais de la majorité absolue au Parlement a été perçue comme un événement politique majeur. Ses raisons et ses conséquences ont été un des thèmes importants du déplacement de vos rapporteurs.

1. Les raisons de la victoire de l'AKP

Quatre raisons principales expliquent la victoire de l'AKP : la conjoncture économique, le discrédit d'une partie de la classe politique, la volonté d'alternance et la loi électorale. Ces facteurs se sont conjugués pour donner une très large victoire à ce parti créé à peine un an et demi auparavant.

. La crise économique

L'une des causes de la victoire de l'AKP est la très grave crise économique qu'a connue la Turquie au cours de l'année 2001. Entraînant une forte perte de pouvoir d'achat et une hausse du chômage, elle a touché une large partie de la population turque. De plus, politiquement, les remèdes mis en oeuvre pour sortir de la crise tels que l'austérité budgétaire et l'application des mesures demandées par le FMI ont eu, à court terme, des effets sociaux négatifs et ont diminué les marges de manoeuvre du gouvernement. La crise économique a donc été un puissant facteur d'amplification du mécontentement d'une large partie de la population.

. Le discrédit d'une partie de la classe politique

La victoire de l'AKP s'est ensuite fondée sur la volonté de renouvellement politique. En effet, une partie de la classe politique souffre d'un fort discrédit du fait de l'insuffisance de la croissance économique, de la sclérose de l'État et de la corruption. Les administrations qui sont les fondements de l'État kémaliste sont largement perçues comme sclérosées ou comme formant une caste à part de la population grâce à des avantages acquis. Ainsi alors que la population peut se plaindre du manque de transport public ou de son faible niveau de vie, les fonctionnaires bénéficient selon leur ministère de leurs propres transports et systèmes de loisirs. Il en de même de l'armée, même si celle-ci jouit d'un prestige réel.

En outre, plusieurs affaires de corruption ont eu, au cours des dernières années, un très grand retentissement. Certaines d'entre elles ont mis en lumière des collusions entre les forces de sécurité, des mafias et les milieux politiques.

On peut également citer l'exemple de la circonscription de Siirt dans laquelle M. Erdoðan a été élu à l'occasion d'une législative partielle. Le député précédent avait vu son élection invalidée car il s'agissait d'un riche homme d'affaires vivant à l'étranger qui avait « acheté » sont élection pour bénéficier de l'immunité parlementaire.

. La volonté d'alternance

A ces facteurs s'est ajoutée la volonté de la population pour une alternance politique. La crise et les scandales ont renforcé son désir d'amener au pouvoir une force nouvelle. Cette volonté s'était déjà manifestée lors d'élections municipales et législatives antérieures qui avaient vu la victoire dans les grandes villes du parti de M. Erbakan, lequel n'avait pu conserver le pouvoir sous la pression de l'armée.

. Le mode d'élection

Le mode d'élection à la Grande assemblée nationale turque (GANT), unique chambre du Parlement, est le scrutin majoritaire à un tour avec un seuil minimal de voix de 10 % au niveau national. Cette règle avait été initialement adoptée pour empêcher les partis nationalistes kurdes, qui réalisent des scores élevés dans le sud-est anatolien, d'être représentés au Parlement.

. Les résultats : un séisme politique

Dans les circonstances du scrutin anticipé du 3 novembre 2002, la combinaison de ces deux règles a provoqué une très nette amplification de la victoire relative de l'AKP. Ce parti a obtenu 34,2 % des voix mais 363 des 550 sièges au Parlement. La quasi totalité des autres formations politiques en a pâti en conséquence. Seul le parti social-démocrate (CHP), présidé par M. Deniz Baykal, fondé par Mustapha Kemal et auquel s'était rallié l'ancien ministre des finances M. Kemal Dervis, arrivé en seconde position avec 19,3 % des suffrages parvient à être représenté au Parlement où il dispose de 178 sièges. Neuf sièges ont enfin été attribués à des non-inscrits.

Cette très nette victoire permet à l'AKP de disposer de la majorité absolue au Parlement, configuration politique qui ne s'était pas produite depuis plus d'une dizaine d'années et donc de gouverner en s'appuyant sur son propre parti et non sur une coalition. Le président du parti, M. Recep Tayyip Erdoðan, étant sous le coup d'une peine d'inéligibilité, un premier gouvernement a été formé sous la direction de l'actuel ministre des affaires étrangères et n° 2 du parti, M. Abdullah Gül, du 16 novembre 2003 au 11 mars 2004.

Après que la GANT a adopté une réforme constitutionnelle le 11 décembre 2002 afin de permettre à M. Erdoðan de se présenter à la députation, celui-ci a profité d'une élection partielle pour se faire élire le 9 mars. Il a été nommé Premier ministre le 11 mars 2004.

La victoire électorale de l'AKP, la majorité absolue dont il dispose à la GANT et la formation d'un gouvernement d'inspiration musulmane constitue un véritable séisme politique en Turquie. Aucun parti se réclamant de l'islam n'ayant pu détenir à lui seul et durablement le pouvoir dans ce pays.

2. Vers un nouvel équilibre ?

La victoire spectaculaire du parti de la justice et du développement bouleverse le paysage politique turc et pose plusieurs questions. Les observateurs étrangers et certains hommes politiques turcs s'interrogent sur la véritable identité de l'AKP et sur ses intentions : est-ce un parti « islamiste » ? Sa victoire électorale prélude-t-elle à une remise en cause des acquis du kémalisme : laïcité, place des femmes, respect des valeurs démocratiques ? Enfin, quelle sera la réaction de l'armée jusque là gardienne sourcilleuse de l'héritage d'Atatürk ?

. L'AKP, de quoi s'agit-il ?

Le parti AKP est de création récente. Il prend la suite de plusieurs formations d'inspirations islamistes dirigées par l'ancien Premier ministre M. Erbakan, qui ont été successivement le MNP (Parti de l'ordre national), le MSP (Parti du salut national), le Refah (parti de la prospérité) et le Fazilet (parti de la vertu). M. Erdoðan a pris la tête de l'AKP en août 2001 concrétisant à la fois une scission et un recentrage de la mouvance islamiste. En effet, l'AKP réunit la tendance modérée des formations précédentes auxquels se sont adjoints de nombreuses personnalités conservatrices et du centre. Les partisans les plus conservateurs du Fazilet se sont retrouvés au sein d'un autre parti, le SP (Parti du bonheur). Les responsables de l'AKP ont d'ailleurs indiqué à vos rapporteurs que leur parti est un mouvement « démocrate-musulman » comme il existe des partis « démocrates-chrétiens », ou conservateur musulman. Ils souhaitent que l'AKP puisse intégrer à terme le groupe du Parti populaire européen qui réunit à Strasbourg les députés européens de droite (Torys, UMP, CDU-CSU...).

M. Erdoðan lui-même est un militant politique de longue date. Dès 22 ans (1976), il était un dirigeant des jeunesses du MSP. Il a ensuite adhéré aux mouvements successifs de M. Erbakan. Maire d'Istanbul de 1994 à 1997, il fut condamné à quelques mois de prison, à la privation de ses droits civiques et à la déchéance de son mandat municipal pour « incitation à la haine religieuse ».

. Vers la remise en cause des acquis du kémalisme ?

Fort de sa victoire électorale, M. Erdoðan n'oublie pas que M. Erbakan a été contraint de démissionner en février 1997, et entend éviter une confrontation directe avec l'armée et les kémalistes. Quelles que soient ses intentions finales, il se montre essentiellement pragmatique : la démocratisation de la Turquie selon les normes européennes et le développement de l'économie de marché ne pourront que diminuer l'emprise de l'État et de l'armée sur la société et la vie politique. Ces objectifs concordent d'ailleurs avec les aspirations de son électorat, socialement conservateur mais soucieux d'intégration à l'Union européenne, de plus de liberté et de développement.

Les partis politiques kémalistes défaits lors des élections de 2002 conservent cependant d'importantes positions au sein de l'État (armée, justice, affaires étrangères, université), de l'économie et des médias. Le Président de la République élu le 5 mai 2000, M. Ahmet Necdet Sezer, ancien Président de la Cour constitutionnelle s'est fait le défenseur de l'acquis kémaliste, de l'État de droit et de la démocratisation. Il a déposé plusieurs recours devant la Cour constitutionnelle et a par ailleurs déjà eu quelques litiges avec des ministres du gouvernement et avec le Président de la GANT en raison, par exemple, du port du voile islamique par leurs épouses.

La question de la laïcité de l'État est en effet une question très sensible. Elle pose la question des rapports de l'État avec la religion dominante, l'Islam. De plus, la laïcité turque ne correspond pas exactement à la laïcité « à la française ». La volonté d'Atatürk était de parachever la séparation de la religion et de l'État, déjà entamée par les sultans, en supprimant le califat, en édictant un code civil inspiré du code civil suisse et non des droits religieux et traditionnels, en imposant l'alphabet latin et en interdisant les tenues religieuses. Mais elle était aussi de nationaliser la religion et de moderniser la société. Ainsi, l'État contrôle étroitement l'administration religieuse en charge de la responsabilité de l'Islam officiel et du clergé. Il a tenté d'uniformiser les pratiques religieuses et a interdit les confréries et les rites dissidents. Les confessions non musulmanes, reconnues par le traité de Lausanne, sont très encadrées. Enfin, plusieurs mesures, comme celles portant sur l'alphabet ou le costume, étaient à la fois un signe de laïcité et un signe d'occidentalisation. Or aujourd'hui, plusieurs observateurs estiment que s'il y a bien eu laïcisation en Turquie, il n'y a pas eu sécularisation. De ce fait, l'arrivée au pouvoir de l'AKP, dans la mesure où sa tendance modérée et pro-européenne resterait prédominante, pourrait permettre une normalisation de la place de la religion dans la société, une certaine réconciliation avec la religion et la culture de la grande majorité de la population et, en définitive, comme en Europe, son cantonnement dans la sphère privée.

. Vers une évolution du rôle de l'armée ?

L'armée conserve en Turquie un fort prestige et une réelle influence politique et économique. Toutefois, dans la perspective de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, elle ne pourra pas conserver ce rôle, souvent prépondérant. En effet, pour répondre aux critères de Copenhague, la Turquie doit se conformer au modèle européen, où le pouvoir civil prime sur celui des militaires, comme cela a été souligné par la Commission européenne. Or l'armée reste présente dans de très nombreuses instances dont le Conseil de l'enseignement supérieur (YÖK). Le gouvernement a récemment renoncé à réformer cette instance, devant les craintes des universitaires et les réticences de l'armée qui y siège en raison de ses écoles supérieures. Plusieurs interlocuteurs ont d'ailleurs indiqué à votre délégation que la participation de l'armée était une garantie du maintien de la laïcité. Une réforme visant à accorder une plus grande autonomie aux universités pourrait selon eux conduire à libéraliser le contenu de l'enseignement, à ouvrir plus largement les universités aux élèves de l'enseignement confessionnel, voire à autoriser le port du voile, interdit à l'université.

B. LA STABILISATION DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE

Frappée par une très grave crise en 2001, la Turquie connaît une nette amélioration de son économie, sans toutefois donner d'importantes marges de manoeuvre au gouvernement. Cette évolution conjoncturelle se confirme, alors que, depuis 20 ans, l'économie turque s'est profondément transformée. Le revenu par habitant est passé de 1 570 $ en 1980 à 2 584 $ en 2002. L'agriculture représente 16 % du PIB, l'industrie 24 % et les services 60 %.

1. La crise de 2001

La crise économique de 2001 a conduit à une récession de plus de 10 % et la livre turque a été dévaluée de 50 % par rapport au dollar et à l'euro.

Cette crise s'explique essentiellement par un « risque systémique » très élevé auquel il n'a pas encore été définitivement remédié 2 ( * ) . La dette publique, évaluée entre 80 et 90 % du PIB, menace en permanence le gouvernement d'insolvabilité. Son remboursement, au cours des quatre premiers mois de 2003, a représenté 83 % des recettes budgétaires. Les charges d'intérêts s'élèvent à 18 % du PIB en raison de la maturité trop brève de la dette (10 mois) qui oblige le gouvernement à la refinancer en permanence. Elle est en outre souscrite à taux variables ou indexée sur le taux de change, la soumettant à de fortes et peu maîtrisables variations conjoncturelles. De plus, l'inflation reste importante, alors que le pays a connu plusieurs crises hyper-inflationnistes. Or l'inflation entretient la défiance dans la monnaie (56 % des dépôts bancaires en dollars) et provoque des taux d'intérêts élevés. En outre, le système bancaire est extrêmement fragile, la faiblesse des fonds propres se conjuguant au niveau élevé des créances douteuses (20 % des actifs) et aux liens trop étroits entre de nombreuses banques et des groupes industriels.

2. La Turquie, meilleur élève du FMI ?

La Turquie a depuis renoué avec la croissance économique sans toutefois rattraper complètement les conséquences de la crise de 2001. En 2002, la croissance a été de 6 % du PIB, de 5 % en 2003 et devrait être de 4 % en 2004. Cette évolution signifie-t-elle le début d'un nouveau cycle de croissance et la réussite de la stabilisation ?

Cette croissance est tout d'abord portée par les exportations qui ont doublé en quatre ans et progressé de 34 % en 2003. La Turquie tire ainsi le bénéfice de la dévaluation de 2001. Dans une moindre mesure, la croissance est également tirée par la reprise de la consommation à partir de la mi-2003 et un léger infléchissement des taux d'intérêt. L'engagement du FMI et l'aide américaine ont été essentiels pour réduire les incertitudes et rendre la reprise durable. En février 2002, le FMI avait débloqué un accord de confirmation d'un montant de 16,3 milliards de dollars.

La poursuite de ce mouvement dépend de la capacité du gouvernement à continuer d'améliorer les fondamentaux de l'économie. Le maintien d'un excédent budgétaire, demandé par le FMI, à hauteur de 6,5 % du PIB (4,5 % en 2002) est essentiel pour permettre le remboursement de la dette et faire baisser les taux d'intérêt réels (+ 20 %). L'excédent budgétaire aura également un impact direct sur la poursuite de la désinflation. La hausse des prix a été de 18,4 % en 2003, soit le meilleur résultat depuis 1987. Le gouvernement espère une inflation à un chiffre en 2005, ce qui permettrait la mise en circulation de la « nouvelle livre » (1 NLT= 1.000.000 LT). Cette évolution devrait permettre également la baisse du coût et l'allongement de la maturité de la dette publique.

L'impécuniosité de l'État rend impossible tout grand projet d'investissement ou d'infrastructure. M. Erdoðan a néanmoins souhaité partager une partie de la marge de manoeuvre dégagée par l'amélioration de la situation économique en 2003. Il a décidé, début 2004, une hausse de 34 % du salaire minimum et de 21 % des retraites de base, en partie financées par de nouvelles coupes budgétaires dans d'autres secteurs. Cette décision fait apparaître la nécessité de rendre acceptable l'effort très important entrepris et de le maintenir dans le temps, d'ici aux élections législatives de 2007.

Parallèlement, des réformes importantes se poursuivent, comme celle de l'impôt sur le revenu qui doit permettre d'accroître les revenus de l'État en prenant en compte l'économie informelle. Le gouvernement a aussi le projet de vendre des terres d'État -il est aujourd'hui propriétaire de 70 % des terres-, pour financer le désendettement.

Cependant, l'économie continue de souffrir de la faiblesse des investissements publics et privés. Le niveau des investissements directs étrangers est très faible (niveau de la Colombie) en raison de l'instabilité, pour l'instant chronique, de l'économie. Le gouvernement ne disposera sans doute pas de nouvelles marges de manoeuvre pour investir et pourrait renoncer à privatiser de nouvelles entreprises publiques en attendant de meilleures conditions boursières. Une autre incertitude est le retour des capitaux placés à l'étranger, qui, si ils étaient rapatriés, pourraient apporter un nouvel élan à l'économie.

Ces bons résultats ne peuvent conduire à une appréciation uniformément positive : le caractère cyclique de l'économie turque conduit de nombreux observateurs à craindre une nouvelle crise après l'actuelle embellie. En effet, l'économie avait déjà connu une grave crise économique en 1991 et reste caractérisée par des problèmes de spéculation, d'endettement et de fuite des capitaux. Plusieurs facteurs ont cependant évolué. La part des exportations dans le PIB a doublé, passant de 9 % à 20 %, essentiellement avec l'Union européenne. Il en est de même du tourisme. La Turquie accueille 12 millions de touristes chaque année, ce secteur représentant 6 % de la richesse nationale. S'y ajoute l'assainissement entrepris depuis la crise de 2001, dont on ne peut que souhaiter qu'il soit durable et porteur de croissance et de développement social. Le rapprochement avec l'Europe en serait accéléré et nos entreprises, très présentes, pourraient en profiter pleinement.

* 1 Rapport n°292, Les tentations de la Turquie, MM. Xavier de Villepin, Guy Penne et Christian de La Malène, Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 1995-1996.

* 2 Coville Thierry (CNRS), « L'alliance américaine peut-elle sauver l'économie turque ? », Le Monde, 11 mars 2003.

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