Audition de M. Yassir FICHTALI,
Président de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF)

(4 décembre 2003)

M. Jacques Valade, président - Nous allons maintenant auditionner M. Yassir Fichtali, président de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF).

Nous avons souhaité entendre les acteurs de l'université française, à la fois sur son état actuel mais également sur son évolution, dans un cadre national mais aussi européen et international.

Deux questions nous préoccupent. Nous aimerions connaître votre sentiment, d'une part, sur la mise en place du système LMD et, d'autre part, l'amélioration des modes de fonctionnement de l'université.

Si vous le voulez bien, vous pouvez tout d'abord commencer par vous présenter et ensuite donner votre sentiment sur les sujets évoqués.

Monsieur le président, vous avez la parole.

M. Yassir Fichtali - Merci. Je suis président de l'UNEF depuis un petit peu plus de deux ans. J'ai débuté mes études à Lyon dans une école d'ingénieurs, l'INSA. J'ai fait du génie mécanique développement. Je suis maintenant à l'université de Paris I. Je me réoriente vers l'économie sociale.

Concernant le LMD, l'idée de cette réforme n'est pas nouvelle. Elle a été initiée depuis de nombreuses années. Dans un premier temps par le ministre Claude Allègre, puis appliquée par le ministre Jack Lang, par le biais d'un décret et deux arrêtés publiés en avril 2002, entre les deux tours de l'élection présidentielle. Dans les cadres de concertation et de consultation, l'UNEF s'était alors opposée à ces deux arrêtés, alors même qu'elle avait à la fois soutenu et accompagné la volonté générale et l'objectif d'une harmonisation européenne des diplômes.

L'UNEF a été fondatrice avec d'autres organisations étudiantes européennes de l'organisation étudiante représentative qu'est l'ESIB. C'est sous la présidence de l'UNEF, au moment de la présidence française de l'Union européenne, que nous avons fait reconnaître cette organisation comme représentative auprès de la Commission européenne et du Parlement européen.

Ce qui justifie notre jugement sur la réforme LMD, c'est que nous ne considérons pas qu'une réforme soit juste parce qu'elle est européenne. Nous avons eu un débat qui s'est trop limité à une caricature qui consiste à dire que si nous nous opposons à la réforme LMD, nous nous opposons à l'harmonisation européenne des diplômes.

Les choses sont bien plus complexes que cela. Nous avons en face de nous deux décrets et deux arrêtés qui ne stipulent pas simplement que l'on est pour l'harmonisation européenne des diplômes, mais qui reviennent sur un certain nombre de droits que nous considérons élémentaires.

Tout d'abord, un rappel. L'organisation de nos universités, du point de vue pédagogique et du point de vue du contenu des diplômes, est régi par des arrêtés qui datent de 1997. A l'époque, le ministre François Bayrou avait réformé les modalités pédagogiques et de contenu des diplômes. C'est une réforme que nous avions impulsée, accompagnée et soutenue dans les établissements. Elle avait connu un certain nombre de difficultés d'application.

Aujourd'hui, nous considérons que les arrêtés de 2002 reviennent sur l'organisation de nos études et sur les arrêtés de 1997, puisque les universités qui le souhaitent ont le choix d'appliquer soit les dispositions de 1997 ou bien celles de 2002. Seulement 16 universités ont fait le choix d'abandonner la réforme de 1997 pour appliquer la réforme LMD de 2002.

Je vais vous donner brièvement les cinq éléments qui, de notre point de vue, sont problématiques.

Premier aspect, l'absence de toute réglementation en terme de modalités de contrôle des connaissances, en terme de modalités d'examens. Les étudiants sont attachés à un dispositif introduit en 1997 qui s'appelle la « compensation annuelle » et qui a le mérite de permettre, notamment aux étudiants salariés et aux nouveaux bacheliers, de compenser des notes du premier semestre par de meilleures notes du second semestre.

C'est très important, car nos universités restent encore extrêmement anonymes. Il y a des problèmes d'adaptation du fait de la mobilité des étudiants -certains quittent par exemple le domicile familial-, des problèmes que l'on perçoit très bien chez les étudiants de première année. L'idée était donc de prendre en compte la progression de l'étudiant sur une année universitaire.

Désormais la session de rattrapage peut être organisée deux semaines après la proclamation des résultats de la première session.

Deuxième aspect, la question du contenu des diplômes qui est peut-être l'une des questions les plus saillantes. Depuis 1997, nous avons des maquettes qui sont définies par le biais de concertation. Ces maquettes fixent aussi bien le contenu que les dénominations nationales des diplômes. Elles ont l'avantage d'assurer, sur l'ensemble du territoire, des diplômes avec un même contenu et une même dénomination, ce qui apporte une visibilité nationale, condition essentielle si l'on veut avoir une visibilité au niveau européen.

La difficulté des dispositions de 1997 était d'entraîner un certain nombre de cursus tubulaires. Tout le monde convenait qu'il y avait une nécessité à modifier ces textes un peu trop rigides afin d'y introduire la pluridisciplinarité favorisant les réorientations.

Aujourd'hui, nous avons tordu le bâton un peu trop dans l'autre sens puisque désormais ce sont les équipes pédagogiques qui vont créer leurs diplômes sans être cadrées ni en terme de contenu, ni en terme de dénomination nationale. Nous allons avoir une habilitation a posteriori par le ministère mais qui de notre point de vue n'est pas suffisante.

Nous considérons qu'il faut libérer nos universités, mais la liberté ce n'est pas faire ce que l'on veut. C'est faire ce que l'on veut dans la limite de ce qui nous protège collectivement. Ce qui signifie qu'à partir du moment où nous n'avons pas de cadre qui permette aux étudiants d'être rassurés et encadrer par un certain nombre de textes, nous considérons qu'il s'agit d'une conception quelque peu anarchiste de la liberté.

Troisième aspect, c'est la possibilité de sélection à la sortie de bac +3. Aujourd'hui nous avons une sélection qui se pratique à l'université pour l'accès aux diplômes d'études approfondies (DEA) ou aux diplômes d'études supérieures spécialisées (DESS), c'est-à-dire entre bac +4 et bac +5.

La mise en place aujourd'hui d'un processus 3-5-8, par le biais d'une circulaire de novembre 2002, autorise les universités à pratiquer la différenciation entre le master professionnel (ex DESS) et le master recherche (ex DEA) à la sortie de bac +3. Cela implique une chose extrêmement importante : certaines universités pourront désormais pratiquer de la sélection à bac +3. C'est un problème au moment où tout le monde convient que nous avons besoin d'augmenter le niveau de qualification de nos jeunes et cette sélection va donc dans le mauvais sens.

Quatrième aspect, les moyens de la mobilité européenne. Est-ce que l'on se donne les moyens de nos objectifs ? On voit la création, dans le cadre du budget 2004, des bourses mobilité, à la hauteur de 6 000 mois de bourse. Cela représente le départ à l'étranger de 650 étudiants pendant 9 mois. Ces moyens ne sont pas suffisants pour cette réforme d'harmonisation européenne et pour une véritable mobilité qui ne soit pas celle uniquement des étudiants les plus favorisés.

Cinquième aspect, les risques de dévalorisation des diplômes intermédiaires que sont le diplôme d'études universitaires générales (DEUG) et la maîtrise. L'UNEF plaide pour qu'à chaque niveau il puisse y avoir une possibilité de qualification mais aussi une possibilité de poursuite d'études. Le DEUG et la maîtrise ne sont pas supprimés mais ne peuvent être délivrés que sur demande de l'étudiant. Ce qui pose au moins deux problèmes.

Les niveaux 3-5-8 étant surlignés par la réforme, il sera légitime pour les employeurs de reconnaître principalement ces niveaux de qualification. Alors même que l'on sait que, par exemple pour les étudiants des instituts universitaires de technologie (IUT) sortant à bac +2, les diplômes universitaires de technologie (DUT) correspondent à des niveaux de qualification qui satisfont à un certain nombre de besoins dans les entreprises. Donc les sorties qualifiantes à bac +2 et bac +4 vont se raréfier.

Nous savons que les formations DUT et BTS sont des formations qui coûtent plus cher que les formations classiques universitaires et à aucun moment n'est posée la question des moyens qui seront alloués aux formations technologiques pour amener les étudiants de bac +2 à bac +3.

Nous sommes prêts à partager l'argumentaire s'il s'agit de tirer les étudiants de bac +2 vers bac +3, accédant ainsi à un meilleur niveau de qualification. Mais on se retrouve malheureusement dans une situation où le passage entre le DUT et la licence professionnelle n'est pas de droit et donc se pratiquera une sélection et certains étudiants seront bloqués à bac +2.

Voilà les cinq aspects qui posent problème sur la réforme LMD. J'en viens maintenant au projet de loi sur l'autonomie des universités.

Cette problématique, elle aussi, n'est pas nouvelle car l'autonomie des universités existe. Le débat qui nous intéresse est de savoir sur quelles prérogatives. Nous ne sommes pas pour l'autonomie parce que cela serait la modernité. La modernité, il faut lui donner un contenu. De notre point de vue, il y a deux visions pour traiter la question de l'autonomie.

Il y a la vision qui consiste à dire, comme en 1984, nous allons renforcer l'autonomie des établissements en responsabilisant l'ensemble des acteurs, qu'ils soient étudiants, personnels enseignants et non enseignants, sur un certain nombre de prérogatives qui sont l'objet des discussions. Essayons de renforcer la vie démocratique de nos établissements et responsabilisons les différents acteurs.

La deuxième vision de l'autonomie consiste à répondre à un certain nombre d'intérêts catégoriels que nous ne partageons pas. Nous considérons sur le projet de loi autonomie que c'est cette deuxième voie qui a été prise.

Pour vous donner un seul exemple, nous considérons que nos universités sont parmi les plus démocratiques et les plus performantes du monde. Nous avons des équipes de recherche qui sont capables de rivaliser avec les plus grandes équipes de recherche internationales. Le problème est que nous avons aujourd'hui un système en panne y compris d'un point de vue démocratique. Tous les deux ans, les deux millions d'étudiants sont appelés à voter pour des élections universitaires nationales et c'est le seul corps électoral qui ne bénéficie pas de l'envoi des professions de foi. Ce qui entraîne une participation électorale des étudiants inférieure à 10 %.

Si nous souhaitons nous donner les moyens d'une responsabilisation des différents acteurs, il faudrait se poser cette question-là. Aujourd'hui, le ministre s'y refuse toujours. Les mesures qu'il souhaite mettre en place ne répondent pas à l'enjeu de la démocratie qui pour nous n'a pas de prix.

Parmi les 24 mesures du projet de loi sur l'autonomie des universités, certaines, techniques, permettent de soulager les universités et de sortir des inerties qu'elles peuvent connaître, et puis, d'autres mesures qui n'ont rien à voir avec l'autonomie des universités. Je vais donner un exemple qui pour nous est une véritable provocation. Il s'agit de la possibilité pour les universités qui forment des cadres du tertiaire, c'est-à-dire l'écrasante majorité des universités, d'adopter le statut d'université de technologie, ce statut permettant une sélection à l'entrée. Ce statut est aujourd'hui réservé à trois écoles d'ingénieurs, les universités de technologie de Compiègne, de Belfort-Montbéliard et de Troyes.

A la décharge du ministère de l'éducation nationale, cette mesure a vocation à régler un problème, de notre point de vue, d'une très mauvaise façon, celui de l'université de Paris IX Dauphine. Cette université pratique une sélection illégale à son entrée.

De la même façon, à la décharge du ministère, cette situation n'est pas nouvelle et les différents ministres n'ont pas souhaité la régler parce que ce règlement est forcément manichéen. Soit on autorise une université à passer en force et à ne pas respecter la loi et on légalise a posteriori le comportement de l'université de Paris IX, ou bien alors, on fait un rappel à la loi pour qu'elle s'applique aussi dans cette université.

M. le Président - Quel est votre sentiment sur les différentes réformes réalisées par l'Institut d'études politiques de Paris ?

M. Yassir Fichtali - Concernant Sciences-Po, je crois qu'il est extrêmement condamnable pour cette école de faire comme si la loi n'existait pas et de légiférer a posteriori des situations illégales. Sur l'ensemble des dispositions qui ont été mises en place à Sciences-Po, cela s'est fait par le biais de cavaliers parlementaires qui ont légalisé des situations.

Nous avons soutenu et accompagné le dispositif ZEP, pas parce que nous plaidons pour la discrimination positive mais parce que cela permettait dans cette école de poser le débat de la démocratisation de l'établissement. Le dispositif ZEP n'est pas en soi l'alpha et l'oméga de la démocratisation. Il s'agissait simplement de pratiquer un électrochoc de façon à poser la question centrale qui est celle du concours.

Nous sommes opposés au système des inscriptions. Nous considérons que l'éducation n'est pas un investissement individuel mais un investissement collectif. Plus nous amenons le jeune à un haut niveau de qualification, plus c'est l'ensemble de la société qui en profite. La charge et le coût du financement de nos établissements doivent reposer sur la solidarité nationale. Cette école pratique un système en vase clos de privatisation d'un d'impôt sur le revenu, d'un impôt progressif dans l'enceinte de l'école. Ce système consiste à considérer que les revenus d'un étudiant sont directement proportionnels à ceux de ses parents. Cette mesure se révèle inefficace économiquement car si on applique la démocratisation, si on transpose les catégories socioprofessionnelles à Sciences-Po, un certain nombre d'étudiants ne paieront pas de frais d'inscription et les ressources seront inférieures à ce qu'elles sont actuellement.

M. Jean-Philippe Lachenaud - J'ai le sentiment, Monsieur Fichtali, que votre présentation de la réalité de vos critiques et de l'action que vous avez engagée ne répond pas à la réalité des objectifs que vous poursuivez.

J'ai le sentiment à la fois de comprendre les observations et les problèmes techniques que vous avez soulevés sur le LMD et que finalement, après un certain nombre d'explications, de concertations et d'ajustements, on pourrait répondre aux inquiétudes des étudiants et de votre association mais que dans le même temps vous n'allez pas jusqu'au bout de votre action qui consiste à demander le retrait du LMD.

Je suis avec beaucoup d'attention la situation universitaire. Je lis les documents émanant de l'UNEF et j'ai eu le sentiment qu'au cours du mouvement, il y a eu une évolution de la thématique. Je ne fais pas allusion au discours altermondialiste mais je reste sur le domaine technique. On commence par parler du LMD puis on se branche sur le thème de l'autonomie, ensuite on repart sur le thème des moyens en disant que le budget est en régression et ensuite d'un plan pluriannuel et maintenant la thématique de la vie étudiante. Ce mode d'action rend le dialogue difficile. Quel est le thème sur lequel vous mettez aujourd'hui la priorité dans le développement universitaire et qui vous pose difficulté ?

S'agissant de l'autonomie, sur l'idée qu'il faut améliorer la démocratie et le débat à l'intérieur des conseils d'administration, et qu'il faut assurer des élections étudiantes. Ce sont des thèmes de démocratie sur lesquels un dialogue peut s'instituer. En effet, la participation n'est pas bonne. Les modalités de documentation et de vote ne sont peut-être pas bonnes. Ce sont des thèmes sur lesquels on peut discuter. Mais en fait on s'aperçoit que vous transformez cela en disant : ce sont les droits d'inscription qui augmentent de manière massive, c'est la marchandisation des universités. Tous ces thèmes n'ont qu'un rapport lointain. Le but des universités ce n'est pas uniquement la démocratie étudiante. C'est l'intérêt des étudiants, c'est de leur donner une formation et un développement de recherche dans un contexte européen qui est une ouverture et un chance extraordinaire.

Pour moi autonomie veut dire responsabilité. Je préférerai que l'on abandonne le mot d'autonomie pour mettre l'accent sur le développement des responsabilités de tous les partenaires de l'université. Pourquoi ne pas travailler sur une amélioration du dispositif et des projets, une meilleure concertation et un renforcement des dispositifs de responsabilité ?

Il est surprenant de voir des étudiants proposer de revenir à un cadrage de maquettes de diplômes qui est complètement irréel, qui n'a absolument pas supprimé les disparités et les inégalités et qui aujourd'hui est une vision corporatiste et archaïque du cursus universitaire.

M. Paul Dubrule - Je reste un peu sur ma faim, Monsieur Fichtali. Vous avez beaucoup parlé de textes, d'aspects juridiques et techniques, de modalités. Mais être étudiant n'est pas une finalité. Je n'ai pas senti d'objectif, de vision pour l'université, d'une part, et pour l'étudiant, d'autre part. Une vision, qu'elle soit pour l'Europe, pour la France, qu'elle soit aussi pour la vie de l'étudiant dans l'avenir, sa vie professionnelle, intellectuelle, personnelle, sociale. De plus, on sait aujourd'hui que toute la vie il faut apprendre, il faut continuer à étudier.

M. le Président - Monsieur Fichtali, quel est votre sentiment après la journée d'hier ?

M. Yassir Fichtali - Aujourd'hui, nous demandons sur le LMD de nouveaux textes pour très rapidement repréciser le cheminement et ce qui s'est passé ces derniers mois. Cela correspond aux cinq axes que j'ai exposés.

L'UNEF a plaidé dans un premier temps pour un moratoire et un arrêté complémentaire aux deux arrêtés d'application. Lors de notre premier entretien, le ministre Ferry avait reconnu que la publication de ces textes avait été faite de façon folklorique. Les textes ayant été publiés entre les deux tours de l'élection présidentielle, nous avions demandé à M. Luc Ferry un moratoire et arrêté complémentaire afin de revenir sur les cinq éléments que j'ai signifiés. Il s'avère que tout cela n'a pas abouti et il a fallu en arriver à des mobilisations pour que le ministre reconnaisse devant l'Assemblée nationale, pour la première fois, des dysfonctionnements quant à la réforme LMD.

M. le Président - Je ne veux pas faire l'exégèse des déclarations des uns et des autres. Mais que Luc Ferry ait dit qu'il y avait des aménagements indispensables, laissés à la diligence des équipes pédagogiques des différentes universités, c'est évident. Compte tenu de l'hétérogénéité des diplômes que vous contestez par certains côtés, cela paraît naturel. Comme tout n'est pas identique, il faut bien adapter. Par conséquent, le ministre a accepté l'idée de l'adaptation nécessaire aux cas particuliers qui pourraient se présenter. De là à dire qu'il faille remettre en cause de ce fait le système LMD, il y a un pas que, contrairement à vous, nous ne franchissons pas.

M. Yassir Fichtali - Effectivement, nous l'avons franchi. Et c'est maintenant que nous allons commencer à avoir la discussion sérieuse sur ces décrets et arrêtés.

M. le Président - C'est l'application des décrets et des arrêtés qui nous intéresse. Nous sommes en marche et pas seulement crispés sur des textes.

Vous avez vu en participant aux commissions de suivi comment cela se passait sur le terrain.

M. Yassir Fichtali - Bien sûr. Mais il est difficile, pour une organisation syndicale étudiante, de dire que nous mettons en place une réforme qui s'applique mal dans un certain nombre d'établissements où il y a des problèmes et en même temps de laisser passer un certain nombre d'étudiants dans ces filières.

M. le Président - Mais les étudiants de l'UNEF votent dans les conseils la mise en place du LMD.

M. Yassir Fichtali - Dans les conseils d'administration, il y a deux votes. Un premier vote sur le principe de l'harmonisation européenne et les élus de l'UNEF ont toujours voté pour ce principe. Puis un second vote sur l'application de la réforme dans l'établissement et là, il y a eu des votes variables.

Quand l'UNEF plaidait pour un moratoire et des textes complémentaires, nous avons empiriquement, puisque nous ne demandions pas le retrait, dans un certain nombre d'établissements, essayé de voir si, avec le cadre des arrêtés, nous arrivions à maintenir ce que nous considérions essentiel.

Il s'avère que dans certains établissements, comme Lyon II, nous avons réussi à maintenir les éléments que j'ai signifiés précédemment. D'une part, parce que les élus étudiants ont bien fait leur travail et, d'autre part, parce qu'il y a un effet « mémoire ». C'est-à-dire que lorsque que l'on passe des textes de 1997 à ceux de 2002, ne croyez pas que dans les 16 établissements les diplômes ont changé. Les maquettes sont donc aussi rigides et les équipes enseignantes peuvent se sentir plus libres mais aussi plus démunies. Sauf pour ceux qui s'y sont préparés à l'avance, la règle de l'application est donc un copier coller des formations de 1997.

Sur l'évolution de la thématique, l'UNEF se situe dans le champ réformiste. Elle a accompagné, quel que soit le Gouvernement, un certain nombre de réformes fondamentales qu'il s'agisse du plan social étudiant du ministre Allègre ou de la réforme de 1997 du ministre Bayrou.

Nous considérons que l'université doit évoluer car nous avons un système qui est en panne. Nous pensons qu'il y a deux axes principaux, d'une part, le volet pédagogique et, d'autre part, le volet social.

Concernant le volet pédagogique, nous n'apprenons pas aux enseignants à enseigner. Il n'y a pas de pédagogie dans les universités, particulièrement pour les premiers cycles.

S'agissant du volet social, nous considérons que nous sommes face à un système d'aide sociale à la fois injuste, inefficace et illisible pour les étudiants.

L'intervention de l'UNEF ne s'est pas faite là où on nous attendait. Il aurait été plus confortable de faire une campagne sur le budget 2004. Mais nous n'acceptons pas que des réformes structurelles, comme celles de l'autonomie ou du LMD, se fassent sans que le moindre de nos avis soit pris en compte, alors même que nous plaidons pour l'harmonisation européenne des diplômes et nos revendications ne sont pas extraordinaires.

Nous ne sommes pas opposés à l'autonomie des universités, mais nous souhaitons des discussions sur les prérogatives et la responsabilisation. Nous n'acceptons pas d'avoir été mis de côté sur la mise en place de ces deux réformes alors même que l'UNEF a amené à chaque étape un certain nombre de propositions et a essayé de faire avancer le débat aussi bien des les établissements qu'au niveau national.

Sur les questions de marchandisation et de droits d'inscription, l'UNEF n'a jamais expliqué que la mise en place des deux réformes allait entraîner un privatisation de nos établissements. Nous considérons simplement que les pressions marchandes qui s'exercent aujourd'hui sur notre éducation, et en particulier sur le supérieur, sont d'autant plus fortes que l'Etat est susceptible de se désengager aussi bien d'un point de vue politique que d'un point de vue financier. C'est la crainte qui est la nôtre mais ce n'est pas directement lié.

Sur la question des inégalités et des maquettes, on sait que le système est inégalitaire. Une licence d'histoire à Paris IV n'a pas la même valeur que la licence d'histoire à Nice. Alors, il y a deux solutions. Soit on explique aux jeunes, dont on se plaint qu'ils ne vont pas voter, que le nouveau système va entraîner des inégalités mais que ces inégalités existent déjà. Je trouve que cela n'est pas éducateur et c'est extrêmement dangereux du point de vue du message que nous faisons passer aux jeunes. Soit on dit qu'il y avait des inégalités et que l'objectif est de tendre vers la réduction de ces inégalités.

Sur la vision d'avenir, j'ai expliqué que nous avions un des meilleurs systèmes mais qu'il était en panne. Face à une société qui devient complexe avec des mutations technologiques très importantes, face à un marché du travail qui évolue, nous considérons que l'université, que l'école instruit l'écolier mais forme aussi le citoyen. C'est sur ces deux aspects que doit fonctionner notre école et nous aurions aimé le dire dans le cadre du grand débat sur l'école.

La qualification, c'est la liberté et la possibilité pour l'étudiant, pour le futur salarié d'être reconnu dans le monde du travail. Tout cela avec la volonté d'un haut niveau de qualification initiale qui permettra la formation continue.

L'école et l'université constituent des lieux de socialisation qui permettent de former des futurs citoyens. La revendication par l'UNEF de l'envoi des professions de foi n'est pas une question annexe lorsque l'on voit la faible participation des étudiants aux élections universitaires mais aussi politiques. Aujourd'hui l'université n'assume pas cela.

Sur le sentiment de démobilisation d'hier, nous avons une mobilisation qui dure et qui est significative de craintes extrêmement fortes. Quant à l'université de Rennes, où le mouvement de grève dure depuis un mois avec 5 000 étudiants qui se réunissent chaque jour dans l'établissement, qui font le choix délibéré de ce mouvement de grève dur et difficile, il faut être sacrément convaincu. Soit on laisse pourrir mais après il faut en assumer les conséquences. Soit on reconnaît -et je vois des signes des deux côtés- que ces aspirations peuvent être légitimes et on essaie d'avancer pour répondre à un certain nombre de craintes.

Ceci explique l'évolution des revendications et des thématiques. Il y a aujourd'hui de nombreux chantiers auxquels nous devons nous atteler. Notre volonté première était d'intervenir sur les dossiers des réformes structurelles qui ne sont pas les plus simples. On ne réfléchit pas en termes de stratégie et de tactique. Ce qui m'importe c'est d'abord le fond. Il y a deux réformes qui sont en train de nous échapper. L'organisation majoritaire n'est pas écoutée depuis un an et demi et c'est là-dessus que nous devons intervenir. On ne peut pas reprocher à une organisation syndicale étudiante d'être pointilleuse sur les textes. J'ai assez de respect pour l'excellence universitaire pour ne pas me cantonner à des discours comme : le LMD c'est l'Europe et l'autonomie c'est la modernité. Le débat est plus complexe que cela.

M. le Président - Monsieur Fichtali, mes chers collègues, je vous remercie.

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