Audition de M. Luc FERRY,
Ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche

(4 décembre 2003)

M. Jacques Valade, président - Nous allons entendre maintenant le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Monsieur le Ministre, nous avons souhaité vous entendre dans le cadre d'une série d'auditions que nous avons organisées sur les problèmes universitaires.

Il est normal que la commission qui a en charge les problèmes d'éducation souhaite entendre un de ses ministres sur ces problèmes qui agitent non seulement la rue -il est vrai avec des fortunes diverses- mais aussi l'opinion, car les familles, la jeunesse et la communauté nationale sont préoccupées par la façon dont les choses peuvent et doivent se passer dans notre pays.

La série d'auditions à laquelle nous avons procédé n'est pas finie. Nous recevrons en effet les formations syndicales et professionnelles qu'il convient de recevoir pour que notre conviction soit mieux établie.

Ces auditions sont destinées à faire le point sur la mise en place du LMD -qui, pour nous, comme pour presque tous ceux que nous avons auditionnés, est une obligation- et sur la nécessaire mutation de l'université française, mais également sur l'adaptation de notre appareil législatif aux nouvelles conditions de la réforme telle qu'elle est engagée, tant au plan national qu'au plan européen ou international.

M. Luc Ferry - Mesdames et Messieurs les sénateurs, l'élément nouveau, contrairement à ce qui a été dit ici ou là dans la presse, n'est pas tel ou tel projet de loi sur l'autonomie ou la modernisation des universités, mais la mise en place effective du LMD dans une vingtaine d'universités.

Je rappelle que l'harmonisation des diplômes européens est une idée de Claude Allègre qui a été lancée lors d'un grand colloque à la Sorbonne. C'est pourquoi, en France, on parle du « processus de la Sorbonne », alors que, dans les autres pays, on parle du « processus de Bologne ».

Les choses ont été poursuivies par mes prédécesseurs. Jack Lang a notamment signé des arrêtés de mise en place du LMD les 23 et 25 avril 2002.

On peut penser ce que l'on veut de ces dates mais, sur le fond, je défends ces arrêtés -c'est là le paradoxe- contre les étudiants en grève. Je pense en effet qu'ils sont globalement bons, même si certaines précisions doivent y être apportées.

Ils permettent à nos universités d'entrer, comme une vingtaine d'entre elles l'ont déjà fait au mois d'octobre, dans le processus de mise en place du LMD.

Les choses doivent donc être bien claires.

Un dernier point sur la situation politique : la première revendication des étudiants en grève -même s'ils sont très peu nombreux- est le retrait de ces arrêtés. Il ne faut pas s'y tromper, la première revendication de la coordination de Rennes porte sur la suppression des arrêtés d'avril 2002.

Cela ne porte donc pas principalement sur la question d'une législation nouvelle, mais sur le LMD lui-même, contrairement à ce que véhicule très souvent la presse -mais pas seulement elle. La revendication principale des étudiants, pour l'instant, porte sur la mise en place du LMD avant de porter sur une future loi qui permettrait aux universités de mieux s'adapter à cette problématique.

Pour clarifier une situation assez confuse pour ceux qui ne se réfèrent qu'aux articles de presse, il existe deux séries de problèmes différents dans la mise en place du LMD.

Il y a tout d'abord une série de problèmes posés par les étudiants, qui sont des problèmes d'étudiants, comme la question du système de compensation des notes dans le nouveau dispositif.

Va-t-on perdre la possibilité des sessions de rattrapage ? Y aura-t-il un système de compensation des notes, à l'intérieur des disciplines, au sein d'un semestre ?

Dans les arrêtés Lang d'avril 2002, on a une organisation par semestre, déjà prévue dès 1997, mais indispensable pour permettre par exemple aux étudiants de quitter une université française en cours d'année pour aller dans une université étrangère ou européenne avec un semestre validé.

Du coup, cela modifie quelque peu les problèmes de session de rattrapage et de compensation des notes, mais le nouveau dispositif est plus avantageux pour les étudiants que l'ancien.

On le voit dans les universités qui ont mis en place le LMD : il n'y a aucune revendication étudiante. Les étudiants sont très satisfaits des nouveaux dispositifs mis en place en termes de compensation des notes, notamment pour ce qui est du système de capitalisation des crédits. Une fois qu'on a acquis les crédits, c'est pour la vie. Pour les étudiants, c'est un très gros avantage par rapport au dispositif antérieur.

Il me semble donc que, sur ce type de questions, la situation est bonne et qu'on peut répondre aux étudiants. Nous avons d'ailleurs convié hier les quatre organisations étudiantes au sein des commissions de suivi afin de répondre à leurs interrogations.

Il y a d'autres revendications étudiantes, d'autres inquiétudes, feintes ou réelles -peu importe- touchant par exemple les standards nationaux et le cadrage des diplômes. Une licence d'histoire de Rennes, de Bordeaux ou de Paris aura-t-elle toujours le même contenu ? Y aura-t-il un cadrage national ou non ?

Il existe également une inquiétude, erronée me semble-t-il : c'est l'idée qui s'est répandue sur les campus qu'il y aurait une sélection entre le « L » et le « M », dans le passage de la maîtrise à la première année de master.

Là aussi, les textes sont clairs : rien n'est changé. Il n'y a pas plus de sélection qu'avant. Ce sont les mêmes textes. Ils n'ont pas été modifiés d'un iota.

On a également agité l'idée d'une augmentation des droits d'inscription en se référant à Sciences-Po. J'ai toujours dit que ce qui valait pour Sciences-Po Paris ne valait pas pour les universités, pour un certain nombre de raisons sur lesquelles je puis revenir si vous le souhaitez.

Il n'y a aucun lien entre la problématique du LMD et celle des droits d'inscription. Ce sont des sujets totalement séparés. On peut aborder l'un et l'autre séparément. Il n'est pas interdit de les aborder. On peut préférer -ce qui est mon choix- attendre que les choses soient bien mises en place pour aborder plus tard la question, mais il n'y a aucun lien entre les deux sujets.

On a dit, sur les campus, que l'on voulait mettre en place des universités à l'américaine, avec des droits d'inscription à 15 000 euros. Tout cela est délirant.

On peut s'amuser à faire de la politique politicienne, mais il n'y a aucun lien entre la problématique du LMD et celle de l'augmentation des droits d'inscription.

Le discours étudiant -ce n'est malheureusement pas le seul- a véhiculé l'idée que les diplômes bac +2 et bac +4 allaient être supprimés. C'est évidemment faux.

Lorsque je suis allé à Valenciennes, il y avait 300 étudiants qui avaient mis en place le LMD et quelques étudiants de l'UNEF qui disaient : « On va supprimer le DEUG et la maîtrise ». Les autres disaient : « Non, quand l'un d'entre nous veut partir de Valenciennes, où le LMD est appliqué, pour aller dans une université qui n'a pas le LMD, on délivre évidemment le DEUG ».

Au demeurant, le DEUG n'a jamais été un diplôme de sortie mais, pour les étudiants qui le souhaitent, le DEUG reste en place.

Quant à la maîtrise, on ne peut pas, en France, la supprimer car nous en avons besoin pour faire la distinction entre CAPES et agrégation.

Pour ce qui est des BTS-IUT, j'ai toujours dit que je souhaitais les maintenir à deux ans, car la valeur de ces diplômes ne dépend nullement de leur insertion dans le LMD, mais de leur reconnaissance sur le marché du travail.

Par ailleurs, pour les étudiants de la voie professionnelle qui veulent s'inscrire dans la perspective du LMD, nous avons créé, en 1999, les licences professionnelles qui leur permettent de s'inscrire globalement dans la logique du LMD.

Encore une fois, pour ce qui est des IUT et des BTS, on ne change rien. Ces diplômes sont très reconnus sur le marché du travail et il n'y a aucune inquiétude particulière à avoir sur ce sujet.

Voilà pour les revendications étudiantes.

S'y ajoute, pour être complet, l'agitation d'un épouvantail auquel je voudrais rapidement tordre le coup.

C'est l'idée que nous allons instaurer avec le LMD une autonomie des universités au sens où il y aurait un retrait de l'Etat, une régionalisation ou une privatisation des universités à l'américaine.

C'est exactement le contraire. Vous pensez bien que si Claude Allègre, Jack Lang et moi-même avons mis en place ce système, ce n'est pas dans la perspective d'une privatisation des universités. C'est ridicule.

A Berlin, j'ai fait passer, au nom de la France, un amendement destiné à dire que toute la problématique du LMD en Europe visait à construire un espace de l'enseignement supérieur européen, dans le cadre du service public, qui soit une alternative crédible par rapport au système américain.

La marchandisation des services et la privatisation existent. Il y a, sur tout le territoire européen, des antennes des universités américaines qui vendent des services et qui ont en effet des droits d'inscription à 10, 15, 20 000 dollars.

Le problème que nous nous posons, en Europe, avec le LMD -et en France en particulier- est de savoir comment résister à cette marchandisation des services, à cette privatisation des universités qui s'installe en Europe, dans le cadre de notre tradition de service public.

Mais il faut quand même que l'on organise ce service public de telle façon qu'il soit concurrentiel par rapport aux Etats-Unis, ce qui ne signifie pas une concurrence entre les universités françaises, mais une concurrence entre les universités européennes et les universités américaines.

28 % des étudiants qui ne font pas leurs études dans leur propre pays vont aux Etats-Unis ; 15 % vont en Grande-Bretagne, 12 % vont en Allemagne et 9 % en France.

Le problème est de construire un système européen du service public concurrentiel par rapport aux universités américaines. Nous n'y arriverons que si nous mutualisons nos moyens et que nous sommes par exemple capables -ce que demandent les bourses Erasmus Mundus- de créer des diplômes communs avec trois universités européennes qui, mutualisant leurs forces, deviendront concurrentielles par rapport aux grandes universités américaines.

Le projet est là et c'est, en toute bonne foi, l'inverse d'une régionalisation, d'une privatisation ou d'une marchandisation des services des universités.

Notre position est tellement crédible que 90 % des étudiants sont très favorables au LMD. Hier, à Paris, on ne dénombrait que 800 manifestants. Ce n'est pas la peine d'en dire plus.

Nous faisons la une de la presse pendant quinze jours avec quelques centaines d'étudiants de SUD, de la CNT et d'une partie de l'UNEF mais, de l'autre côté, 90 à 95 % des étudiants français sont favorables à cette mise en place du LMD, et la satisfaction des étudiants des vingt universités qui ont l'expérience de la chose est complète.

C'est une des raisons pour lesquelles il faut attendre que cette expérience soit bien entrée dans les esprits pour aborder le second volet, dont je vais dire un mot maintenant.

Il s'agit de savoir quelles mesures mettre en place pour que nos universités s'inscrivent dans ce processus de LMD de façon plus dynamique, plus offensive et avec une marge de manoeuvre plus grande. On parle d'autonomie. Le mot fait peur parce qu'il renvoie à l'idée d'un désengagement de l'Etat.

Je n'y peux rien : le terme d'autonomie est celui qui avait été choisi par l'ensemble des présidents d'université lors du colloque de Lille, en 2001, y compris les présidents SNESUP, totalement favorables à ces mesures et en désaccord avec leur propre organisation sur le plan national.

Il s'agit pour les présidents d'université, qui sont unanimes sur le sujet, quelles que soient leurs sensibilités politiques, de mettre en place un certain nombre de modifications, notamment sur les quorums dans les conseils d'administration, sur la possibilité pour les présidents de déléguer leur pouvoir de signature à des chefs de laboratoire, sur la possibilité de modifier des intitulés de diplômes sans passer par le ministère, mais aussi de permettre aux universités d'avoir des liens plus étroits avec les collectivités territoriales -d'où le phantasme de la privatisation.

Ceci est très important, car les universités font aujourd'hui beaucoup de formation continue. Ce sont les premiers prestataires en termes de formation continue des adultes. Elles ont aussi des départements très importants de formation professionnelle et il n'y a rien de scandaleux à ce qu'il y ait dans les universités un conseil d'orientation consultatif qui permette d'associer aux choix de politique universitaire des représentants des collectivités territoriales, mais aussi du monde économique et social. Ce n'est pas une privatisation ou une marchandisation de l'université.

A moins que l'on souhaite que la voie professionnelle ne débouche pas sur un métier, ce qui est une thèse étrange, je ne vois pas à quel titre on pourrait refuser aux universités d'associer des représentants élus des collectivités territoriales, qui peuvent être aussi bien de droite que de gauche, et des représentants du monde économique et social, ne serait-ce que pour l'information réciproque et, encore une fois, dans un conseil qui ne serait que consultatif, sans pouvoir de décision, comme les conseils d'administration.

Je ne vois pas ce que l'on peut objecter à ce type de rapprochement. C'est comme si l'on disait qu'il ne faut pas que les lycées professionnels travaillent avec les entreprises. Il n'y a pas un lycée automobile qui ne travaille avec Citroën, Peugeot ou Renault.

De la même façon, quand on a des BTS, des IUT, des licences professionnelles, cela me paraît absurde d'imaginer qu'il faudrait à tout prix les couper du monde économique et social.

Il en va de même de la recherche locale, qui est très importante. Il faut que la recherche universitaire puisse s'insérer dans le tissu local qui l'entoure et rendre des services.

C'était toute la logique de la loi sur l'innovation et la valorisation de la recherche que Claude Allègre avait mise en place.

On est là dans une optique quelque peu délirante, à laquelle il faut répondre.

Il y avait d'autres aspects dans ces réflexions sur les modifications de l'université, comme le budget global, qui était également une revendication des présidents d'université. Cela me paraît être une bonne chose. Il existe un récent rapport de l'inspection générale des finances sur le fonctionnement de nos universités en termes de gestion. On sait qu'il y a eu des erreurs et même des fautes de gestion dans certaines universités, comme à Orsay, l'année dernière.

Pourquoi ? Dans l'état actuel des choses, la tutelle de l'Etat depuis 1968 n'existe plus véritablement. Ce ne sont pas les services du ministère qui gèrent le fonctionnement budgétaire des universités. On a une dotation. Les présidents gèrent leur budget. On est dans une situation à mi-chemin, totalement déresponsabilisante pour les universités, puisqu'on n'a ni la tutelle de l'Etat, ni une responsabilité réelle.

Cette situation est calamiteuse, car personne, en cas d'erreur de gestion, ne sait exactement qui est responsable. Il serait donc souhaitable que les universités aient un budget global mais aussi que, dans chaque université, il y ait un très bon budgétaire, comme dans un ministère, et que quelqu'un soit capable de savoir où on en est, ce qui, d'après le rapport de l'IGF, n'est pas le cas aujourd'hui : à 3 ou 4 millions d'euros près, on ne sait pas en effet si on est dans le rouge ou pas, ce qui n'est pas normal. On est dans une situation qui n'est pas bonne.

Il y avait dans ce type de mesures que souhaitaient les présidents d'université, toutes catégories confondues et à l'unanimité, des mesures soit techniques, soit de fond, qui leur permettent de rentrer dans le processus de LMD dans des conditions meilleures, et notamment de passer des contrats avec les universités étrangères pour construire des diplômes communs et des voies de formation communes suffisamment excellentes et impressionnantes en qualité pour qu'elles soient concurrentielles par rapport aux grandes universités américaines.

Dernier point : il y avait également, dans les discussions avec les présidents d'université, la volonté de mettre en place l'EPCU, un établissement public de coopération universitaire qui a beaucoup inquiété les maires de villes moyennes et tous ceux qui ont à gérer de petites universités ou des antennes universitaires.

Il ne s'agit pas de mener une politique qui réduirait le nombre de sites en France. Je ne le veux pas et ce n'est pas l'objet de cette disposition. Au contraire, il s'agit de permettre aux petites universités et aux antennes universitaires, en mutualisant leurs moyens, de résister à la concurrence internationale et d'offrir à leurs étudiants une formation de qualité.

S'il y a des choses à modifier, nous sommes prêts à en discuter, mais c'est le sens de cette disposition, de la même façon que lorsqu'on a affaire à de petites écoles rurales, on a intérêt à les mettre en réseau pour éviter de les fermer. C'est de cela qu'il s'agit, et non d'une politique de site.

A Strasbourg, sans aucune intervention du ministère, les trois universités ont décidé de se regrouper du fait de leur situation géographique, à la frontière de l'Allemagne. Elles savent que si elles ne se regroupent pas, elles vont perdre le défi de la concurrence.

Le président SNESUP de Bordeaux III, la semaine dernière, disait aux étudiants qu'à terme, il n'y aura qu'une seule université à Bordeaux. Ils ont donc intérêt à mutualiser leurs moyens pour être plus forts et plus crédibles par rapport à la concurrence internationale.

En conclusion, sur le volet de la revendication des étudiants, nous avançons pratiquement chaque jour.

En ce qui concerne les revendications des universités en termes d'amélioration de fonctionnement, nous prenons le temps de la discussion. J'ai la conviction que nous pouvons au moins parvenir à un accord avec les organisations réformistes. Il serait absurde, dans le contexte actuel, pour un certain nombre de raisons qui ne vous échapperont pas, de vouloir passer en force. Ce serait le meilleur moyen d'ajourner définitivement cette réforme des universités, qui me paraît nécessaire.

En période électorale, le débat est rarement de bonne foi. On attend cette réforme depuis trente cinq ans, on peut donc attendre trois ou six mois de plus. Je prendrai le temps de la discussion pour que l'on parvienne à un accord avec les syndicats.

J'observe d'ailleurs que l'UNEF elle-même est très divisée sur ce sujet. Le Parti socialiste, comme sur d'autres sujets, s'interroge également. Je ne le dis pas pour faire de la politique politicienne mais parce que c'est la vérité.

M. le Président - M. le ministre, merci pour ces explications, qui ont le mérite de la clarté et de la sincérité.

Nous avions besoin de vous entendre, car il y avait un peu de trouble dans les esprits. L'intervention qui est la vôtre, par rapport aux revendications essentielles formulées ici ou là, tend à éclairer les membres de la commission.

La parole est aux rapporteurs.

M. Jean-Léonce Dupont - Monsieur le Ministre, merci pour la grande clarté de votre intervention, qui montre qu'il y a souvent un décalage entre la réalité et la perception de celle-ci, et qu'il est difficile de réformer dans ce doux pays de France.

Nous avons mené une série d'entretiens. Je ne sais quel est le sentiment général, mais il me semble qu'il existe, à quelques exceptions près, sur les principes, une adéquation réelle entre ce que vous êtes en train de faire et la perception des différents interlocuteurs, à l'exception d'un seul, qui nous a laissé entendre que le rôle de l'université était de faire augmenter le taux de participation aux élections.

Cependant, nous avons peut-être un effort particulier à faire pour rendre la mobilité possible. Il existe un certain nombre de problèmes, notamment financiers, et se profile également une demande de réforme globale de l'aide sociale étudiante.

Sans revenir sur ce que vous avez dit au sujet des bac +2 et des bac +4, il me semble qu'après la mise en place du LMD, nous allons probablement aller vers une demande d'allongement. Je crois que c'est un sentiment qui a été partagé par les présidents de la CPU, qui nous ont dit que nous rentrions dans un système probablement temporaire. Cela ne veut pas dire que les solutions n'existent pas -vous nous les avez d'ailleurs rappelées au travers de la licence professionnelle- mais il va falloir trouver un certain nombre de moyens.

La mise en place du LMD est un choix personnel de parcours qui nécessite un encadrement plus important, qui peut poser notamment un problème de redéploiement des moyens humains.

Concernant l'autonomie, je partage tout ce que vous avez dit sur la nécessité de mise en réseau des acteurs, sur le fait qu'il faut tenir compte de l'environnement local, régional, national et international.

Oui, il faut allers vers la globalisation, et au moins vers l'expérimentation de la dévolution du patrimoine. Oui, il faut améliorer la gestion. Dans la loi de finances, vous proposez d'ailleurs un certain nombre de renforcements de postes d'encadrement pour assurer une meilleure gestion de chaque université. Oui il, faut développer une culture d'évaluation des enseignements, des établissements, mais également des enseignants.

Ma question, connaissant bien la difficulté de l'exercice, est donc très simple : quand et comment ?

M. Jean-Philippe Lachenaud - Monsieur le ministre, nous avons perçu beaucoup de signes encourageants au cours de ces auditions. Je crois que beaucoup sont conscients de la nécessité de moderniser et d'adapter l'université française, notamment pour mettre le LMD en oeuvre.

Le dispositif baptisé de manière impropre « autonomie », que je baptise donc de « modernisation ou d'amélioration de la gouvernance des projets et du développement universitaire », a fait l'objet de plus d'hésitations.

On a constaté aussi beaucoup de blocages, de contre-vérités, de refus d'ouverture vers le monde des collectivités locales et des entreprises. Certains réflexes archaïques et conservateurs nous ont stupéfaits.

Ces auditions ont également fait ressortir un certain nombre d'idées, qui ne sont pas nécessairement les miennes, mais que je crois utile de vous transmettre.

La première idée qui est apparue, est qu'il serait peut-être souhaitable d'étudier l'hypothèse d'un plan pluriannuel de développement universitaire. C'est une idée intéressante, qui commence à ressortir.

La seconde idée consiste, dans le cadre de l'entrée des universités dans le LMD, à établir un programme contractualisé d'accompagnement en termes de moyens, d'ajustements et de redéploiement des personnels.

S'agissant de la réforme de la gestion des universités, l'idée a été émise qu'elle soit présentée dans son ensemble, de manière à éviter les mauvaises interprétations.

Il nous a été suggéré de distinguer ce qui est d'ordre législatif et ce qui est d'ordre réglementaire -comme cela s'est fait pour certaines lois difficiles qui exigent une concertation de tous les partenaires- en présentant par exemple le thème du cadrage budgétaire avec le projet de décret ou d'arrêté, en accompagnement du projet de loi, de manière à approfondir la concertation.

M. le Président - De façon à ce qu'il n'y ait pas une inquiétude suscitant un rejet a priori. S'il y a une amorce du décret d'application, on pourra donner en même temps une explication.

M. Jean-Philippe Lachenaud - Le sentiment qu'on en a retiré à propos du LMD est qu'il faut plutôt laisser toutes ses chances à l'ouverture et à la personnalisation des projets et des parcours universitaires, sans revenir au cadrage national.

M. le Président - Je crois être dans mon rôle de président en précisant que nous avons également entendu le contraire.

M. Jean-Philippe Lachenaud - Oui, mais ce n'était pas la dominante.

M. le Président - Pardon de revenir là-dessus, mais il faut être complet.

M. Jean-Philippe Lachenaud - Enfin, je rejoins ce qu'a dit Jean-Léonce Dupont. Je crois que l'urgence et la prudence commandent de retravailler sur l'aide sociale, en prenant également en compte la construction et la rénovation des résidences.

Enfin, Jean-Léonce Dupont n'a pas évoqué le sujet, mais je sais qu'il y est très attaché. Le LMD est une chance de réformer le système en profondeur. Ceci me conduit donc à reposer la question du premier cycle et du nombre d'échecs, ainsi que celle de l'orientation.

Il existe une demande très importante de renforcement des dispositifs d'orientation et de valorisation du premier cycle. C'est vraiment difficile d'être étudiant par les temps qui courent.

M. le Président - Surtout dans les six premiers mois.

M. Ivan Renar - Monsieur le Ministre, je me félicite de ce débat, qui est un vrai débat. Même si on n'est pas d'accord sur tout, on peut faire avancer les choses.

Je continue à penser que c'était une erreur de ne pas inscrire l'enseignement supérieur dans le grand débat national. Il y entre de fait. Je crois qu'une partie des jeunes s'est sentie mise de côté.

Il aurait été intéressant d'entendre également les parents depuis la maternelle jusqu'à la fin de l'université.

La dernière fois que vous êtes venu, Monsieur le Ministre, vous vous en souvenez, j'étais porteur d'une supplique des présidents d'université de ma région, afin de ne pas discuter de la loi d'orientation au mois de juin. Je sais qu'une minorité peut bloquer des examens, mais elle ne peut pas bloquer une université dans son fonctionnement au cours de l'année.

Pour autant, il ne faut pas voir des manipulations partout. Il y a un réel malaise dans la jeunesse étudiante, pour des raisons à caractère social -condition étudiante, problème de ressources, de logement, de santé- mais aussi une inquiétude quant à l'avenir, pour des raisons économiques, que l'on rencontre dans l'ensemble de la jeunesse, qui n'est pas différente de la masse des habitants de notre pays.

Je crois que ce n'est pas tant le LMD qui pose problème. Je représente le conseil régional au conseil de l'université. Celle-ci va basculer dans le LMD et j'ai voté pour ma part les propositions de la présidence de région. La quasi-totalité du Nord-Pas-de-Calais va basculer à la prochaine rentrée, et les autres vont suivre.

Par ailleurs, les universités ont formé le pôle européen, en liaison avec les collectivités, quelle que soit leur orientation politique, pour s'inscrire, comme Strasbourg, dans la construction européenne.

Je crois que les étudiants sont pour l'Europe, mais le monde étudiant est à l'image de notre pays.

La véritable inquiétude provient de termes comme « autonomie » ou « régionalisation », qui font peur.

On voit bien la réaction de la fonction publique nationale face au débat sur les TOS. Cela mérite des explications. Personne n'a intérêt à un débat précipité sur ce type de question.

Les universités remontent au Moyen-âge et font partie de l'Histoire française. On n'évitera par le partenariat avec les collectivités, mais déléguer localement les responsabilités nationales ne passera pas bien, alors que les villes ont déjà fait beaucoup d'efforts financiers.

Je crois que le gros problème pour les universités de taille moyenne ou de petite taille est celui de la recherche. Il n'y a pas de véritable enseignement supérieur sans recherche. C'est une question qu'il faut faire avancer, car sans un vrai système de laboratoire de recherche, un certain nombre d'universités risquent de n'être que des collèges universitaires.

Ce débat qui divise peut aussi rassembler, car nous sommes tous attachés à notre système de formation.

M. Luc Ferry - Une remarque préalable pour que vous compreniez bien ce que l'on a fait depuis un an et demi.

Lorsque je suis arrivé, en mai 2002, j'ai trouvé les décrets du 25 avril signés. Il restait beaucoup de problèmes à résoudre. Je le rappelle pour que vous ne pensiez pas que l'on est resté inactif sur ce sujet.

Il y avait notamment un conflit important entre les trois acteurs de l'opération LMD, universités, grandes écoles de commerce et grandes écoles d'ingénieurs.

Les grandes écoles et les universités n'étaient pas d'accord entre elles, les grandes écoles n'ayant pas le droit de délivrer ces diplômes. A l'intérieur même du groupe grandes écoles, les écoles de commerce et les écoles d'ingénieur, qui ont des procédures d'habilitation très différentes les unes des autres, n'étaient pas non plus d'accord entre elles.

Nous avons mis en place un principe clair qui veut qu'à un diplôme national corresponde pour tous une habilitation nationale, selon une procédure commune, devant la même commission, élargie à l'interministériel pour prendre en compte les différentes grandes écoles qui relèvent d'une dizaine de ministères différents.

Nous avons donc réussi -ce n'était pas gagné d'avance- à mettre d'accord les trois acteurs du système qui étaient en désaccord entre eux. Si je l'indique, c'est aussi pour dire que, du coup, nous avons une procédure d'habilitation des diplômes qui est plus nationale que jamais.

Il m'est arrivé, en tant qu'universitaire, d'habiliter des maîtrises, des maquettes d'agrégation, des DEA. C'était une plaisanterie, un peu comme le service des mines pour les voitures. La seule chose qui comptait, c'était le nom des professeurs qu'on avait dans la maquette.

Par ailleurs, l'aide sociale aux étudiants est un sujet majeur pour moi. Nous avons mis en place quatre groupes de travail dès le 1 er septembre et demandé au député Anciaux un rapport qui est d'ailleurs excellent, plein de propositions remarquables qui sont en train d'être discutées par lui-même avec les étudiants.

L'aide sociale aux étudiants est une anthologie de l'absurdité administrative. C'est un désastre et surtout elle est très inégalitaire. Cet héritage est extrêmement lourd.

On va faire très rapidement des propositions aux étudiants. Elles sont déjà finalisées et examinées par les services financiers. Il faut maintenant passer au stade de l'interministériel, avec Gilles de Robien, et Matignon au final.

Nous allons donc avoir une série de propositions très concrètes, très actives et très positives sur des sujets comme la démocratie étudiante mais aussi et surtout sur l'accompagnement social des étudiants.

Nous y travaillons à nouveau depuis le 1 er septembre avec les quatre organisations étudiantes représentatives, que nous recevons pratiquement chaque semaine depuis deux mois et demi.

Je suis totalement d'accord avec vos précisions sur la question bac +2 et bac +4. On se comprend bien.

Je suis entièrement d'accord sur le renforcement de l'encadrement. L'évaluation est le pendant inévitable de l'autonomie et a été très clairement inscrite dans le communiqué de Berlin. Il faut que nous renforcions considérablement nos systèmes d'évaluation, y compris sur les questions de gestion.

Etant donné la situation actuelle, il est bon de tenir compte de l'expérience de la mise en place du LMD qui nous permettra les uns et les autres de légitimer le dispositif dans des conditions meilleures. Cette semaine même, un préfet a appelé mon chef de cabinet pour lui demander ce que signifie LMD. Nous ne sommes que quelques milliers de personnes, en France, à savoir de quoi il s'agit.

C'est un peu le même problème que l'on a eu sur la décentralisation. Personne n'y comprend rien. Certains de mes collègues universitaires ne savent même pas ce que cela veut dire. Il faut prendre le temps. Cela permettra de légitimer la chose et de montrer aux étudiants que ceux qui en bénéficient sont contents.

Il est très difficile, en France, dans le monde de l'éducation, de faire deux grandes réformes en même temps. L'une parasite l'autre. Alors que nous mettons en place les 15 000 débats, on ne parle que des universités. Pourtant, c'est un tout petit sujet par rapport à cet immense projet qui est de parvenir à une loi d'orientation.

En outre, je ne vois que mon calendrier de ministre de l'éducation nationale, mais il y a également tout le calendrier du Gouvernement. Cela devient très compliqué.

Je voudrais remercier Jean-Philippe Lachenaud pour l'idée de conseil d'orientation -qu'il n'est pas le seul à avoir eue, mais qu'il m'a soufflée- et pour sa conviction qu'on ne peut faire un travail sur le fonctionnement des universités sans inscrire cette grande ambition dans le cadre d'un lien amélioré entre les partenaires économiques et sociaux et les collectivités territoriales.

Il est vrai que le mot d'autonomie fait peur en France, mais je le trouve dans l'escarcelle à la suite du colloque de Lille. Je reviens de Pologne : le mot d'autonomie ne leur fait pas peur, ils sont enthousiastes. Si je faisais, en France, le dixième de ce qu'ils font dans leurs universités, je ne tiendrais pas une semaine à mon poste.

Supprimons donc le mot s'il le faut. « Modernisation » ne plaît pas plus. Disons donc qu'il s'agit de mesures destinées à insérer les universités françaises dans la construction de l'espace européen.

Je suis entièrement d'accord avec vous concernant le plan pluriannuel de développement des universités.

Quant à l'échec sur l'orientation dans les premiers cycles, on a fait énormément avec les recteurs pour résoudre ces problèmes d'orientation, mais je pense qu'un conseil d'orientation dans les universités pourrait prendre en charge ce type de question beaucoup plus activement que le ministère.

Le cadrage national constitue un vrai sujet. C'est peut-être le seul sur lequel la revendication étudiante a une part de légitimité. Je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'il ne faut pas de cadrage a priori, mais on peut quand même faire, avec les commissions de suivi et les présidents d'université qui ont mis en place le LMD, un bilan annuel, même s'il faut un socle commun.

J'y suis très favorable et même si une part de recherche doit intervenir dans la construction des diplômes, il y a aussi une part d'enseignement classique traditionnel, de remise à niveau, de culture générale.

Je ne suis donc pas hostile à l'idée de mettre en place un groupe de réflexion avec les présidents d'université, les étudiants et les organisations syndicales.

Cela dit, l'habilitation par la MSTP est une très bonne garantie. Ce ne sont pas des débutants et quand on regarde la réalité des choses, les diplômes sont pratiquement les mêmes partout. On peut très bien avoir une commission de suivi du cadrage des diplômes pour corriger le tir. C'est un thème de réflexion qui n'est pas illégitime.

Fallait-il mettre l'université dans le grand débat national ? On peut en discuter, ce n'est pas absurde. Je n'ai pas d'a priori sur le sujet.

Il faut toutefois bien voir que, dans le débat sur l'école, les problèmes du primaire, du collège, du lycée sont totalement différents.

En second lieu, je n'étais pas certain que ce débat prendrait aussi bien qu'il a pris. Tout ce que j'entends aujourd'hui est extraordinairement positif sur les 6 ou 7 000 débats qui ont déjà eu lieu. Quand on attend 50 personnes, on en a 200 et les gens rentrent chez eux avec le sentiment qu'ils n'ont pas perdu leur temps. Les universités ne concernent pas le même public, ce ne sont pas les mêmes parents et cela pouvait créer une crispation supplémentaire. A charger la barque, on risquait de la faire couler -mais on peut en discuter.

C'est un problème politique, un problème de bon sens et non un problème de fond. Il n'y a pas de désaccord entre nous.

Mme Monique Papon - Merci, Monsieur le Ministre, d'avoir relevé un certain nombre de contre-vérités.

Plus ces contre-vérités sont établies et plus la contestation s'essouffle. Etant de l'Ouest, je suis bien placée pour le dire.

Je voudrais vous poser deux questions.

Au début de votre propos, vous avez indiqué qu'il n'y avait rien de comparable entre la problématique du LMD et la modification des droits d'inscription. Il n'empêche que cette question revient souvent dans les contacts et les conversations que nous avons avec les étudiants. Ceci s'inscrit dans une revendication globale d'aide sociale et d'équité sociale à laquelle se sont référés nos deux rapporteurs.

Je voudrais que vous nous éclairiez : n'est-ce vraiment pas à l'ordre du jour ? Quand cela le sera-t-il ?

En second lieu, on sait très bien que la réussite d'un parcours étudiant se détermine dans les six premiers mois de la vie étudiante. Que faire ? Y a-t-il un tutorat possible pour que ces étudiants qui sortent d'un système scolaire protégé, puissent se sentir aidés ?

Ceci m'amène à vous dire que j'ai une petite opposition avec vous à propos du grand débat. Bien sûr, on ne pouvait mélanger les questions qui concernent l'école, le tronc commun, le collège unique ou autres. Il n'empêche que les questions qui reviennent dans les débats auxquels j'ai participé, qui ont un grand succès -et j'ai participé à beaucoup d'entre eux- concernent l'université.

En effet, les parents qui participent à ces débats ont de jeunes enfants, mais aussi d'autres, plus âgés, qui entrent dans le cycle universitaire. Ils sont donc concernés.

Même si cela n'apparaît pas dans les questions qui ont été préparées, vous aurez cependant des remontées qui concernent le monde étudiant.

M. Pierre Laffitte - Je parlerai essentiellement de l'autonomie pour dire qu'en fait, il existe un niveau, en matière d'enseignement supérieur, où elle existe. C'est celui du doctorat.

Qu'on le veuille ou non, il y a au niveau des doctorats, notamment scientifiques, compétition, responsabilité et autonomie de la part des laboratoires, beaucoup plus que de la part des universités elles-mêmes.

Ces laboratoires ont l'appui des industriels et des collectivités locales, Ils ont des contrats européens ou avec des fondations, pour la plupart malheureusement américaines, car ce sont les seules qui ont beaucoup de moyens.

Il y a là par conséquent quelque chose de fondamental pour attirer les étudiants étrangers et les bons étudiants français, car ce sont les bons qui sont nécessaires. Il faut réhabiliter l'excellence.

Ce sont des mots que les gens n'aiment pas. J'ai d'ailleurs constaté que vous ne les avez pas beaucoup prononcés. Pourtant, je sais que vous êtes convaincu de la nécessité de l'excellence.

Elle peut se trouver dans des domaines très variés, aussi bien techniques qu'artistiques. Tous les métiers d'art sont des métiers d'excellence. Il faut réhabiliter cette notion si l'on veut que la France soit attractive pour les meilleurs étudiants mondiaux.

Il faut des moyens, mais on les trouve si on en a la volonté.

La question que je pose est celle-ci : ne peut-on réaliser une expérimentation d'appui public pour les niveaux M ou D de quelques universités ou de quelques départements universitaires qui le voudraient ?

Vous avez une démarche pragmatique, la seule possible dans ce domaine immense. Ne peut-on pas évoquer ceci et le mettre en pratique ? Il y a quand même, dans votre ministère, ainsi que dans sa partie déléguée à la recherche, des moyens pour développer une action expérimentale au niveau d'un certain nombre de pôles d'excellence.

M. Maurice Blin - Monsieur le Ministre, j'approuve tout ce que vous faites et les risques que vous prenez en engageant cette énième réforme.

Une seule question : est-il vrai -on le lit partout- que la France, depuis de longues années, a beaucoup moins consacré à l'enseignement supérieur que ses voisins européens ?

Nous avons fait dans le domaine du secondaire de gros efforts. Nous en avons fait beaucoup moins dans les domaines liés au problème social ou au logement étudiant.

Puisque votre projet vise à harmoniser les systèmes français et les autres afin de donner à l'Europe un visage unique et relever le défi américain, pouvez-vous nous dire ce qui, dans vos contacts avec les Allemands, les Polonais et autres, vous paraît appeler de la part de la France une riposte et une réaction qui fassent le poids ?

Comme Mme Papon, j'ai participé à certaines réunions. A l'évidence, l'étudiant, dans les six premiers mois, joue sa vie et c'est parce qu'il est angoissé par le changement de milieu qu'il réagit avec la passion que vous dites.

Il est triste que, dans une démocratie éprouvée par l'Histoire comme la nôtre, on ait, sur un point aussi clair, une divergence aussi éclatante, en clair la rencontre entre la modernité et la Préhistoire.

Vous jouez beaucoup et nous sommes vraiment soucieux de vous voir réussir.

M. Serge Lagauche - Monsieur le Ministre, vous lancez à la cantonade que certaines universités ne savent pas où elles en sont à 3 ou 4 millions d'euros près. Ce sont des paroles extrêmement dangereuses. Il faut éviter ce genre de propos.

Je vous ai bien écouté. Vous avez de gros malheurs, mais on en a tous. Arrêtez de gémir de cette façon. Parlez-nous comme à des adultes. Cessez de dire que vous êtes brimé par les médias. Je l'ai déjà dit à des ministres socialistes : on n'est pas brimé, mais on a sûrement mal expliqué les choses.

Nous sommes une grande majorité, tous courants confondus, à penser que le LMD est une nécessité, mais il y a toujours de faux bruits, des malentendus, des gens de mauvaise foi. Il faut passer outre et avancer.

Je vous demande d'arrêter de tenir les propos que vous tenez. Je n'ose même pas vous poser d'autres questions, de peur d'être catalogué. Si François Hollande l'apprend, je ne couperai pas à ses reproches.

M. Paul Dubrule - Je voudrais aborder la concurrence de nos universités avec les universités étrangères et la question de l'accueil des étudiants étrangers.

Des présidents d'université m'ont dit que les résidences universitaires, en France, étaient aujourd'hui non seulement insuffisantes en nombre, mais aussi vétustes et totalement inadaptées.

Il n'y a pas uniquement la qualité de l'enseignement dans les universités étrangères, il y a aussi la qualité de l'accueil. Or, aujourd'hui, en France, il n'y a pas de résidence universitaire.

On a peu de moyens et mieux vaut arbitrer en faveur de la qualité, y compris dans les domaines que Pierre Laffitte vient d'évoquer.

Pourquoi gaspiller son argent dans des résidences universitaires ? Pourquoi ne pas les confier au privé ? En disant cela, on imagine déjà les dangers que peut comporter une telle privatisation. Pourtant, un partenariat entre le public et le privé dans le domaine de l'aménagement des résidences universitaires me paraît une évidence.

J'aurais aimé avoir votre avis là-dessus. A-t-on le droit d'en parler ? Peut-on le faire ? Les présidents d'université ont-ils une autonomie, une indépendance et une flexibilité en ce domaine ?

M. le Président - Monsieur le Ministre, vous avez parole.

M. Luc Ferry - Malgré les leçons de morale de M. Lagauche, je continuerai à vous parler sans langue de bois. A moins que vous teniez à ce que je parle la langue de bois, je pense que la dimension politique du problème, même ici, ne peut être totalement écartée quand on voit la désinformation qui règne parfois sur les campus.

Vous me permettrez donc de continuer à parler sur le même ton. On ne peut changer sur ce point.

Madame Papon, il n'y aura pas de modification du régime des droits d'inscription. Rien ne changera de ce point de vue et je ne veux pas pour les universités du modèle de Sciences-Po.

Le directeur de Sciences-Po a probablement eu raison de faire ce qu'il fait à Sciences-Po mais, Sciences-Po, c'est rue Saint-Guillaume, dans les locaux que nous connaissons, avec les étudiants que nous connaissons. Le directeur de Sciences-Po a passé un accord avec les étudiants et je pense qu'il contrôle à peu près l'opération, mais je ne veux pas de ce système-là pour les universités car, dans les universités déshéritées, la tentation pourra être forte de recruter des étudiants riches plutôt que des pauvres, parce que cela rapportera plus aux universités. Cette objection est malgré tout valable et il faut y faire attention.

Les autres pays européens n'ont pas réussi à résoudre les problèmes budgétaires par le biais des droits d'inscription. Je m'étais engagé à ce qu'il n'y ait pas d'augmentations autres que l'augmentation mécanique de 3 %. Elle a été comprise entre 3 et 5 % cette années. C'est la plus faible depuis vingt ans. On ne va pas changer. Je ne pense pas que ce soit le bon biais pour régler les problèmes budgétaires.

En ce qui concerne le tutorat, vous avez tout à fait raison. C'est un problème qu'on a du mal à résoudre. J'ai été professeur d'université durant vingt ans. Malheureusement, les professeurs d'université, toutes catégories confondues, ont une tendance -moi le premier, hélas, j'ai été ainsi- à se comporter comme des professions libérales dans le service public.

Il n'y a pas une équipe pédagogique qui se réunit pour prendre en charge les soucis des étudiants.

M. le Président - Cela dépend des disciplines.

M. Luc Ferry - Chez nous, en lettres et sciences humaines, on choisit son cours.

M. le Président - Chez nous, en sciences, c'est un peu différent.

M. Luc Ferry - Les choses sont en train de changer et des équipes pédagogiques se constituent maintenant dans les UFR, avec le souci d'accueillir les étudiants et de les guider davantage.

Cela apparaît surréaliste aux étudiants canadiens ou américains. Eux qui sont encadrés et presque maternés, sont totalement perdus durant les six premiers mois. C'est un des problèmes que l'on doit résoudre.

En ce qui concerne le grand débat, il faut rappeler qu'officiellement, l'articulation secondaire-université existe. On va jusqu'au L. Cela comprend tous ces problèmes-là. On a le droit d'en parler, cela fait partie du jeu.

Si j'avais inscrit la totalité de l'université dans le grand débat, nous aurions eu, cette semaine même, des quantités de réunions boycottées par de petits groupes. On aurait vraiment multiplié politiquement les difficultés. C'est en tout cas mon analyse.

De même que les questions du tutorat et du premier cycle universitaire sont cruciales, la question de l'orientation est déterminante dans la lutte contre l'échec solaire.

Si 50 % des bacheliers technologiques qui ont demandé une affectation STS se retrouvent en philo, en technologie ou en sociologie, ils échouent.

C'est le problème que nous avons à résoudre. Nous y travaillons très concrètement et très activement avec les recteurs, pour faire en sorte que, réunissant les directeurs d'IUT et les professeurs de BTS, ils puissent résoudre les problèmes de place et mettre les bacheliers technologiques dans les filières qui leur conviennent.

Nos résultats sont bien meilleurs cette année. On a fait un énorme progrès sur ce sujet et je pense que cela va faire baisser le taux d'échecs en DEUG.

Cela dit, le tutorat est vraiment crucial.

S'agissant de l'excellence, elle existe. C'est même tout le projet du LMD. Indépendamment des institutions d'excellence, comme l'Institut universitaire de France, nous avons toute une politique de valorisation de l'excellence. Nous avons cette année 150 bourses d'excellence. Ce n'est pas assez, mais cela indique un cap.

Elles ne se situent pas du tout dans le modèle Sciences-Po. Ce sont des bourses d'excellence qui ne fonctionnent pas sur une politique de discrimination positive mais, au contraire, qui sont attribuées à des bacheliers mention bien ou très bien, venant de milieux très défavorisés, et que l'on veut aider à poursuivre leurs études.

Nous avons, dans le cadre du LMD, une politique qui vise à faire en sorte que tel ou tel département d'études juridiques ou de biologie qui est vraiment excellent puisse créer un lien avec un département aussi excellent à Madrid ou Berlin, pour être dans une situation de concurrence positive par rapport aux universités américaines.

Au niveau français comme au niveau européen, on est donc tout à fait sensible à ce que vous dites à ce sujet.

Il est vrai, Monsieur Blin, que la France ne fait pas assez budgétairement pour ses universités relativement à l'enseignement scolaire. Depuis vingt ou vingt-cinq ans on a relativement surdoté l'enseignement scolaire par rapport à l'enseignement supérieur. C'est une des conclusions majeures du rapport du Conseil d'analyses économiques et sociales que m'a présenté Elie Cohen, il y a quelques semaines.

C'est une des raisons pour lesquelles j'ai décidé, dans un contexte budgétaire pourtant très difficile, de basculer 100 millions d'euros de l'enseignement scolaire vers le supérieur, notamment pour augmenter et améliorer les crédits de fonctionnement et d'investissement des universités.

C'est un cap qui est fixé, que je poursuivrais dans les années qui viennent. Je pense que c'est une nécessité. Il est dommage -mais c'est un travers européen et pas simplement français- de ne pas avoir commencé plus tôt.

Nos universités sont en effet dans un état très inquiétant.

Cela me permet d'arriver à la dernière question de M. Dubrule. Les universités allemandes, où j'ai fait mes études, sont le jour et la nuit par rapport aux universités françaises.

J'ai été longtemps professeur à la Sorbonne. Lors des dernières réunions que j'avais organisées, j'étais honteux d'accueillir mes collègues allemands dans les sous-sols de Paris I, qui sont dans un état scandaleux.

Le problème que nous avons, vous le savez ici au Sénat car vous avez publié un rapport excellent sur le sujet, réside dans le fait que la seule réhabilitation de Jussieu coûte près d'un milliard d'euros. Or, le budget d'investissement et de fonctionnement des universités représente 150 millions d'euros, pour donner un ordre de grandeur et 36 % de nos bâtiments ne sont même pas aux normes de sécurité.

Personne ne peut dire le contraire. On a là un énorme travail à faire. De toutes les hypothèses, aucune ne me choque. Il faut savoir que les bâtiments, pour l'instant, appartiennent à l'Etat. Rien ne me choque en la matière.

Dans l'urgence, avant de prendre des décisions politiques de fond sur le sujet, il faut que l'essentiel des crédits inscrits notamment dans les CPER soit consacré à la maintenance plutôt qu'à la construction, car on est dans une situation d'urgence en termes de sécurité.

Nous faisons plus qu'y travailler, mais on a besoin de sommes tellement colossales que, dans la période budgétaire actuelle, elles sont évidemment hors de portée et certainement pas au niveau du problème qui est posé. Je suis obligé de le reconnaître sincèrement, même si cette sincérité est dommageable -mais je parle normalement.

M. le Président - M. le ministre, merci infiniment pour votre exposé et pour les explications que vous avez données. Vous avez mesuré combien elles étaient nécessaires, même à notre niveau et, par conséquent, a fortiori au niveau de ceux qui sont moins informés, moins attentifs et qui, cependant, ont des opinions à formuler.

Merci d'avoir accepté de répondre aux uns et aux autres avec beaucoup de sincérité, en écartant toute langue de bois, même si cela a suscité quelques commentaires sur les recherches en paternité des situations dont nous avons pu hériter les uns où les autres, paternité qui ne vient pas de la génération juste antérieure et qui est, je crois, largement partagé.

Au fil des années, nous avons tous à assumer -moi le premier, d'ailleurs- une part de responsabilité, que ce soit en tant qu'exécutif ou en tant que parlementaires, car nous avons tous voté des lois, des budgets, lorsque nous ne nous y sommes pas opposés.

Malgré cela, le dispositif ne fonctionne pas trop mal, mais il faut le faire évoluer et nous soutenons par conséquent l'action qui est la vôtre, même si elle se développe dans des circonstances quelquefois confuses, à propos desquelles la réalité des choses est masquée par des événements extérieurs, avec l'amalgame classique de nos situations démocratiques extrêmement raffinées.

M. le Ministre, je vous remercie.

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