LES CINQ MICROPROCESSEURS
DE LA DÉCENTRALISATION


M. Marc-Philippe Daubresse, député du Nord,
vice-président de l'Assemblée nationale

Depuis le début de ce débat, nous n'avons que très peu évoqué l'Europe. Pourtant, le contexte européen est dominant. L'aménagement du territoire des années 60 reposait sur l'opposition entre le monde rural et le monde urbain, et la création des métropoles d'équilibre. La loi Deferre est un élément majeur sur le plan psychologique, mais elle n'a provoqué dans les faits qu'une décentralisation assez statique avec des non décisions, résultant d'arbitrages politiques, comme l'a souligné Jean Pierre Balligand. C'est le contexte européen et la concurrence européenne qui ont façonné la réactivité des deux couples aujourd'hui déterminants. Il s'agit d'une part, de l'association commune département pour une action de proximité, qui va se renforcer avec le transfert de compétences sociales nouvelles au département. Le deuxième couple est le couple région intercommunalité. Ces deux entités performantes en matière de stratégie et de cohérence s'inscrivent dans une compétition européenne.

Chacun sait que les territoires qui gagnent sont des territoires de région métropole, c'est-à-dire d'un territoire organisé en réseau autour d'une grande métropole forte, qui porte les atouts du territoire.

Ainsi, la décentralisation de 1982 à 2002 est le produit de l'environnement extérieur, qui a poussé à faire voter la loi Chevènement sur l'intercommunalité en 2002, alors que cette dernière n'était pas prévue à l'origine.

Nous sommes tous à cette tribune plutôt des girondins, mais nous savons bien qu'il existe dans nos partis respectifs un bon nombre de jacobins, et qu'il va falloir les convaincre, à l'occasion du vote de la loi de décentralisation dont je serai le rapporteur à l'Assemblée nationale. Nous allons mettre en place une décentralisation dynamique. Nous allons donner aux présidents de régions et de conseils généraux cinq « microprocesseurs » qui, s'ils savent et veulent les utiliser, vont les aider à atteindre leurs objectifs. Ces cinq microprocesseurs sont la péréquation, l'autonomie financière, la subsidiarité ou proximité, l'expérimentation, et un dernier point sur lequel je rejoins Jean Pierre Balligand, la démocratie locale.

Je n'insiste pas sur la subsidiarité, car M. Ghigonis en a déjà parlé. Nous connaissons actuellement une situation d'une extrême complexité et d'illisibilité totale pour le citoyen. Peu de choses ont été faites pour la simplification des différents niveaux de décentralisation. Ceci s'explique par le travail de lobbying des régions, communes et départements, qui ont tenté de figer la situation. La loi de décentralisation sortie du Sénat est déjà complètement remodelée par ce triple lobby. La question d'un bloc de compétences générales n'a pas été tranchée, et l'on a introduit la notion de « chef de file ». Le problème des niveaux de compétences pertinents n'a pas été résolu, même s'il faut constater que le premier ministre a été plutôt réceptif lors des Assises des libertés locales, et que la définition des compétences répond plus à l'écoute des élus locaux qu'à une décision « d'en haut ».

L'absence de décision finale sur ces questions va poser des problèmes, mais nous disposons dans la Constitution d'un microprocesseur utile dans ce cas : l'assemblée territoriale unique. Dans quelques années, des fusions régionales vont peut être avoir lieu. Un référendum en ce sens va bientôt avoir lieu en Guadeloupe et en Martinique. Il est intéressant de noter qu'en partant d'une question portant sur l'efficacité sur un même territoire, la question déviée qui en résulte est celle d'un vote pour ou contre la féodalité. Dans le cas de la Guadeloupe, il s'agit d'un vote pour ou contre Mme Lucette Michaux Chevry. Vous voyez émerger la crainte du citoyen par rapport à un pouvoir féodal régional, alors que la question initiale portait sur l'efficacité accrue que la fusion de ces deux entités territoriales permettrait ou non. Ce microprocesseur intéressant, prévu dans la Constitution, n'est pas utilisé aujourd'hui, mais fera probablement l'objet de débats lors des prochaines élections régionales. Je vous prédis la présentation de listes dénonçant la complexité, l'opacité, le manque de rationalisation et le coût du système actuel.

Je n'insisterai pas sur la péréquation, qui est le deuxième microprocesseur, car Jean François-Poncet va beaucoup en parler. Je souhaitais souligner que suivre ses idées intelligentes et efficaces sur la question serait une source de soulagement. J'ai pourtant une inquiétude par rapport à la péréquation Pour mettre en place les dotations de solidarité, on construit un algorithme compliqué, reprenant de nombreuses variables telles que le revenu moyen par habitant, le potentiel fiscal, le nombre de logements sociaux ou d'allocataires du RMI. Le classement résultant de cette équation est souvent incohérent au regard des inégalités, des forces et des faiblesses des territoires constatées sur le terrain. Il faut prendre garde à ne pas se laisser aveugler par ces indices mathématiques. En revanche, une péréquation intelligente, comme elle a été construite à Rennes, est un outil précieux. On construit une échelle de 1 à 30 reflétant les différences de richesses entre territoires dans la même communauté d'agglomération, puis on se donne pour objectif de faire passer ces différences de 1 à 30 à 1 à 16 en 10 ans. Voilà un usage efficace de la péréquation.

Le troisième microprocesseur, que je considère comme le plus intéressant, est celui de l'expérimentation. Il permet des réalisations intelligentes dans l'évolution du monde et de l'Europe aujourd'hui. Je prendrai l'exemple de ce que la DATAR appelle les « petites Europes », c'est-à-dire la possibilité de projets transfrontaliers, qui permettent d'impliquer le citoyen dans des projets de vie quotidienne (par exemple dans le domaine des transports urbains, des postes ou de lycées transfrontaliers).

Un autre exemple d'expérimentation intéressant pourrait être celui de la gestion de l'eau. Dans l'Hérault, un village a demandé à récupérer puis stocker de l'eau en période de crue pour l'utiliser en période de canicule. Malheureusement, sept autorités différentes sont en charge de la gestion de l'eau. Il a fallu douze semaines pour obtenir une réponse : il était donc ensuite trop tard pour agir. Nous pourrions utiliser l'expérimentation en confiant la gestion à une seule autorité pour déterminer le niveau pertinent indépendamment des lobbies.

Le dernier microprocesseur est celui de la démocratie locale. Après Jean Pierre Balligand, je vous assure que si nous n'allons pas plus loin dans ce domaine, nous ne pourrons pas faire avancer la décentralisation. Les sénateurs ont supprimé la timide avancée qui permettait aux collectivités décentralisées d'organiser des référendums locaux pour valider les décisions et un droit de pétition pour qu'on débatte d'un sujet. Vous pouvez compter sur le rapporteur de cette loi à l'Assemblée nationale pour rétablir cette disposition. Nous ne pouvons pas faire la décentralisation sans impliquer les citoyens. Il n'est pas normal que je gère une intercommunalité dont le budget s'élève à plus de 2 milliards d'euros sans être soumis à aucun contrôle. Il faudra donc évoluer vers une élection au suffrage universel direct. Sinon, on risque de donner au citoyen l'impression que les élus locaux sont des féodaux qui règlent les problèmes entre eux, et de générer un sentiment d'exclusion.

La nouveauté vient de la coproduction d'aménagement du territoire, et d'une donne européenne nouvelle. Comme l'a dit Adrien Zeller, il faut que les pouvoirs décentralisés se saisissent des choses, ou alors elles n'évolueront pas. Il faut, par ailleurs, utiliser de la façon la plus efficace possible les microprocesseurs qui nous sont donnés pour réussir la phase II de la décentralisation.

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