B. B.- LE SECTEUR DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET DE L'EMPLOI

1. 1.-Le choix du CNASEA comme opérateur

Le rôle d'opérateur dans les secteurs de la formation professionnelle et de l'emploi (FPE) du CNASEA s'est développé à partir des années quatre-vingts avec la montée en charge des interventions de l'Etat dans ce domaine. La décentralisation de l'action publique vers les régions est venue amplifier et diversifier ce rôle.

Le recours au CNASEA plutôt qu'au réseau des comptables du trésor a été présenté dès le départ comme un choix pragmatique : le CNASEA n'était pas seulement sollicité comme payeur mais également pour effectuer diverses opérations, à la fois en amont et en aval du paiement, que les collectivités gestionnaires entendaient externaliser pour pouvoir centrer leur action davantage sur le pilotage et le contrôle que sur la gestion ; d'autre part, l'établissement bénéficiait d'ores et déjà de l'expérience acquise dans la gestion d'aides publiques à la formation dans le secteur agricole ; enfin, sa structure à la fois centralisée (comptable public unique) et déconcentrée apparaissait comme garante d'efficacité.

Aujourd'hui, selon la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) qui est son principal donneur d'ordre, le recours au CNASEA se justifie plus que jamais dans la perspective de l'application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, qui doit conduire l'Etat à se recentrer sur les fonctions de conception et de pilotage, en sous-traitant les tâches qui peuvent être effectuées ailleurs avec plus d'efficience. Le CNASEA assure autant un rôle de payeur que, ce que ne fait pas le réseau du trésor, de remontée d'informations statistiques utiles et nécessaires au pilotage et au suivi des mesures.

Dans cet esprit, la DGEFP a envisagé de lui confier le paiement des aides aux structures d'insertion par l'économique et aux structures qui assurent l'activité professionnelle des travailleurs handicapés (ainsi que le paiement de la garantie de ressources) ; ces transferts sont toujours en cours d'étude. Selon la DGEFP, le recours à un opérateur « efficace et neutre » couvrant l'ensemble du territoire a permis de réorienter l'action des services déconcentrés vers la conduite des politiques et de spécialiser le prestataire en favorisant une meilleure efficacité des activités qu'il assure.

2. 2.- L'évolution du volume d'actions

De 1995 à 2001, les dépenses ont augmenté de 36 % mais d'une manière très inégale selon les secteurs : +45 % pour les aides à l'emploi et + 4 % pour la formation professionnelle. En 2001, les aides à l'emploi (4,0 Md€) ont représenté 73 % des dépenses d'intervention de l'ensemble FPE (5,5 Md€).

Cette croissance des dépenses, qui incluent chaque année le stock des conventions passées en cours d'exécution, doit être relativisée, en termes d'activité, par la baisse du nombre de dossiers nouveaux observée sur la période. Le flux annuel de dossiers nouveaux a diminué de 28 % sur la période, passant de 1,4 million en 1995 à un million en 2001 ; cette tendance s'est poursuivie en 2002 du fait de l'extinction progressive des contrats emplois jeunes. Cette divergence d'évolution trouve sa source dans la place importante prise par les mesures s'étalant sur plusieurs années.

Les principales dépenses d'interventions dans le domaine FPE en 2001 (M€)

Mesure

Total des dépenses

CES, CEC, CEV

2 062

Emplois jeunes

2 063

Rémunération des stagiaires

684

Subventions aux centres de formation

543

Dans le domaine de l'emploi, le CNASEA assure le paiement des principales aides prévues dans les budgets des ministères, notamment les contrats emploi solidarité (CES), les contrats emploi consolidé (CEC), les contrats emploi-jeunes (CEJ) et les contrats emplois de ville (CEV) pour le compte des ministères chargés de l'emploi et de l'outre-mer mais aussi la part restant à la charge des établissements d'enseignement employeurs de CES ou CEC pour le compte du ministère de l'éducation nationale. La période sous revue a été caractérisée par la montée en charge des CEC et CEJ qui a beaucoup contribué à la hausse des paiements ; mais certaines mesures parmi les plus importantes (CEJ, CEV...lesquelles représentent 22 % du volume de dossiers) sont aujourd'hui en extinction.

Le CNASEA assure également le paiement d'aides complémentaires apportées par les départements (par exemple rémunération des salariés en CES bénéficiaires du RMI) ; leur volume a été multiplié par huit sur la période mais elles ne représentent encore que 53 M€ en 2002. Le CNASEA intervient aussi, pour des prestations plus limitées qu'en métropole, dans la gestion des contrats d'insertion par l'activité dans les DOM.

Dans le domaine de la formation professionnelle, le CNASEA intervient pour le compte de l'Etat dans le financement de certains stages, notamment ceux dont bénéficient les travailleurs privés d'emploi et non indemnisés. Il assure la rémunération des stagiaires ainsi que le versement des subventions aux centres de formation.

La compétence de l'Etat n'est cependant plus que résiduelle dans ce domaine qui a été transféré aux régions. Celles-ci ont étendu le champ des aides à la formation professionnelle et toutes sauf deux ont confié au CNASEA le paiement des rémunérations des stagiaires ; les deux tiers des régions lui ont confié le versement des subventions de fonctionnement aux organismes de formation.

L'activité de rémunération des stagiaires a connu une érosion significative de 1995 à 2001 tant en nombre de stagiaires (- 15 %) qu'en volume de paiements (- 22 %). Le CNASEA a rémunéré un peu plus de 350 000 stagiaires en 2001 se répartissant pour moitié entre l'Etat et les régions, pour un volume total de paiements de 684 M€. En revanche, les subventions versées aux centres de formation (543 M€) ont presque doublé, la part de cette activité exercée pour le compte des régions ayant connu la progression la plus notable.

Au-delà de ces actions auparavant assurées par l'Etat, chaque collectivité travaillant avec le CNASEA a mis en place sa propre politique comprenant des dispositifs spécifiques, prenant ainsi progressivement ses distances avec le livre IX du code du travail ; les actions menées se caractérisent par leur grande diversité.

3. 3.- Les prestations réalisées par le CNASEA

Les prestations demandées au CNASEA en tant que gestionnaire sont assez différentes d'un dispositif à l'autre. En matière d'aides à l'emploi, son rôle est presque exclusivement celui d'un payeur - dans un cadre déclaratif - et d'un fournisseur d'informations, qui n'effectue ni, en amont, l'instruction des dossiers ni, en aval, leur contrôle sur le terrain. Son rôle est nettement plus développé dans le domaine de la rémunération des stagiaires, qui a constitué historiquement sa première intervention dans le domaine FPE par la voie de la prise en charge des formations destinées aux agriculteurs. En prenant en charge l'instruction des dossiers, la vérification de leur caractère éligible et le respect des agréments délivrés, le CNASEA intervient réellement comme un opérateur et non comme un simple payeur. Sa responsabilité s'en trouve accrue.

Quel que soit le dispositif géré, le CNASEA assure en outre selon des modalités variables et adaptées à chaque donneur d'ordre la fourniture d'informations statistiques ; s'agissant de ses relations avec les services déconcentrés de l'Etat dans le domaine FPE, la direction concernée du ministère (DARES) a indiqué qu'elle souhaitait que ces prestations soient mieux décrites et incluses dans une convention, dans le cadre de la révision du contrat d'objectifs.

Il a également développé des outils de gestion et de pilotage : ainsi à la demande de l'Etat SYRACUSE, un extranet destiné à permettre à la DGEFP de mieux gérer, dans une perspective de contrôle de gestion, les dispositifs d'aide aux chômeurs de longue durée, par intégration de fichiers en provenance de diverses sources. Pour le compte des régions, il a développé CLEO, un système de suivi des formations sous forme d'intranet. Cette application permet le suivi de l'offre de formation, des stagiaires et de la consommation des agréments dans les centres de formation, et peut être adaptée aux besoins spécifiques d'une région.

L'établissement assure enfin la fourniture d'informations ou de formulaires au public, cette dernière prestation étant cependant nettement moins développée que dans le secteur agricole.

4. 4.- Le CNASEA n'est pas maître de son volume d'actions

Le CNASEA ne maîtrise pas les évolutions de son volume d'actions qui tiennent aux politiques menées par l'Etat et les collectivités territoriales et peuvent être assez erratiques, alors que ses charges se caractérisent par une rigidité croissante. Ces évolutions sont d'autant moins prévisibles qu'il existe une pluralité d'opérateurs possibles en dehors de l'Etat lui-même.

Le régime public de formation professionnelle comprend ainsi plusieurs payeurs : l'AFPA, l'UNEDIC, l'ANPE et le CNASEA, suivant le public bénéficiaire. Une évolution notable de la répartition du périmètre entre les différents payeurs a concerné les SIFE collectifs : le versement des subventions aux centres de formation, précédemment confié à l'AFPA, a été transféré au CNASEA depuis le 1er janvier 2001, l'AFPA continuant de payer les conventions conclues les années antérieures ; les SIFE individuels sont, quant à eux, gérés par l'ANPE chargée par ailleurs de la mise en oeuvre des mesures d'aide au retour à l'emploi dans le secteur marchand que sont le contrat initiative emploi et le stage d'accès à l'entreprise.

La Cour a déjà relevé la diversité des opérateurs pour la gestion financière du dispositif de formation professionnelle. La répartition des compétences entre les différents payeurs repose sur une spécialisation par public, sans que la qualité spécifique de l'organisme payeur (capacité à payer rapidement, niveau de qualité et de contrôle des prestations) n'ait constitué, apparemment, un critère explicite de choix.

Le ministère du travail et des affaires sociales avait présenté le 31 décembre 1996 un rapport relatif à l'examen du circuit financier des aides à l'emploi et à la formation professionnelle, qui a relevé la grande diversité des procédures et des compétences en indiquant que « les raisons et les conséquences de cette dispersion des circuits de paiement (...) n'ont pas été complètement analysées. » Sans porter de véritable appréciation comparative sur la qualité globale des différents payeurs, l'audit appelait à davantage d'homogénéité et envisageait le transfert du paiement de certaines aides, non précisées, au réseau du trésor public. Il ne semble pas avoir connu de suites.

5. 5.- Un cadre juridique à sécuriser

L'article L. 313-3 du code rural prévoit que le CNASEA met en oeuvre « différentes actions dans le domaine de la formation et de l'emploi » et la partie réglementaire du code ne donnait aucune précision sur ces actions jusqu'au décret du 29 août 2000 qui dispose que le CNASEA « gère les aides dont l'Etat décide de lui confier le traitement » et précise la nature des prestations qui peuvent lui être ainsi confiées : gestion des dossiers, paiements, contrôle interne des procédures et des droits des bénéficiaires, informations statistique et financière. Il prévoit aussi de lui confier des « missions particulières connexes » et l'autorise à apporter son concours aux collectivités territoriales en matière de gestion, de contrôle ou de mise au point d'outils techniques et informatiques.

L'article L. 961-2 du code du travail prévoit toutefois depuis longtemps que la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle puisse être assurée par un établissement public administratif de l'Etat et les articles R. 961-8 et R. 961-11 indiquent, pour celles à la charge de l'Etat, la répartition de leur gestion entre les institutions d'assurance chômage, l'AFPA et le CNASEA. Pour les rémunérations à la charge des régions, cette répartition n'est pas prévue par un texte.

Sur ces bases, fragiles jusqu'en 2000 hors rémunération des stagiaires, les mesures confiées au CNASEA par l'Etat et les régions l'ont été par voie de conventions. Avec l'Etat, une première convention a été signée le 28 janvier 1992 et sept avenants sont intervenus par la suite. Ces conventions comportent en annexe des cahiers des charges qui décrivent assez précisément les modalités d'intervention, techniques et financières, de l'établissement. On notera qu'il n'existe pas de conventions de ce type avec le ministère de l'agriculture pour ce qui concerne les aides agricoles. Les conventions passées avec les régions sont au nombre de 237 et ont des formes diverses.

Ces conventions posent le problème de l'application du code des marchés publics. En effet, seule la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle pour le compte de l'Etat est explicitement réservée par la loi à un établissement public administratif comme le CNASEA.

Pour ce qui concerne les autres mesures confiées par l'Etat au CNASEA, il apparaît toutefois certain que le premier exerce sur le second un contrôle comparable à celui qu'il exerce sur ses propres services, que le second réalise la plupart de ses activités pour le premier et qu'il est lui-même soumis au code des marchés publics. Dans ces conditions, on peut estimer, sous réserve de l'appréciation des juridictions compétentes pour en connaître au contentieux, que le code des marchés publics, en application de son article 3-1, n'est pas applicable à ces conventions. Ceci peut être étendu aux cofinancements des mesures d'aide à l'emploi par les collectivités territoriales, qui suivent le régime de la prestation principale.

En revanche, vis à vis des mesures propres aux régions en matière de formation professionnelle, le CNASEA n'est pas sous leur dépendance et ne détient aucun droit exclusif, notamment pour ce qui concerne les subventions aux organismes de formation, puisque la loi (art. L. 961-2 précité du code du travail) qui prévoit le versement des rémunérations des stagiaires par un établissement public administratif ne vise pas ces subventions. Le régime du mandat, parfois utilisé dans ces conventions, n'exonère pas d'une mise en concurrence. Enfin, le régime de la délégation de service public ne correspond pas à la nature des relations entre l'établissement et les régions.

Le CNASEA gère donc ces mesures pour le compte des régions dans une situation de forte insécurité juridique, puisqu'il apparaît difficile, dans l'état actuel des textes, d'écarter l'application du régime des marchés publics.

Les administrations de tutelle ont annoncé qu'un projet de loi sur le développement des territoires ruraux devrait comprendre des dispositions visant à mieux définir les compétences du CNASEA et permettre aux collectivités territoriales et aux établissements publics de confier à cet établissement la mise en oeuvre de leurs interventions ; celles-ci pourraient lui être confiées à titre exclusif dès lors qu'elles concernent des actions rentrant dans son champ de compétence.

La Cour insiste sur la nécessité de mettre fin sans retard à l'insécurité juridique potentiellement préjudiciable qui affecte actuellement les relations du CNASEA et des collectivités territoriales.

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