C. C.- DES DÉVELOPPEMENTS CONTESTABLES

A la demande de l'Etat ou à son initiative, le CNASEA a étendu ses activités au-delà des missions qui lui étaient imparties par la réglementation en vigueur et dans des domaines où ses compétences techniques n'étaient pas toujours manifestes. Les trois exemples suivants illustrent les dérives particulièrement graves auxquelles cette faculté de sortir des limites de sa spécialité statutaire a pu conduire le CNASEA.

1. 1.- L'assistance technique aux programmes communautaires

Le CNASEA s'est trouvé impliqué dans la gestion de l'assistance technique aux programmes communautaires depuis le début des années 1990.

Il a tout d'abord été l'organisme intermédiaire dans le cadre de l'initiative communautaire Liaison entre actions de développement de l'économie rurale (LEADER) I. Ce programme était cofinancé par les trois fonds structurels : Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), Fonds européen de développement régional (FEDER) et Fonds social européen (FSE), et les bénéficiaires finaux - les groupes d'actions locaux (GAL) - devaient bénéficier d'une subvention globale. Dans la mesure où chacun des ministères intéressés par chacun des fonds structurels ne pouvait gérer les fonds européens de manière globale, la DATAR s'est tournée vers le CNASEA.

Dans ce cadre, le CNASEA a donc géré les fonds communautaires à partir d'un compte ouvert à son nom à l'Agence comptable centrale du trésor (ACCT). Comme chaque GAL gérait ses cofinancements nationaux, l'établissement a également mis en oeuvre un dispositif de suivi de l'avancement du programme et de la mise en place des cofinancements nationaux. Le programme LEADER I a été soldé fin 1997. Enfin, il a assuré l'assistance technique du programme sur un financement européen pour assumer des charges de personnel et mettre en oeuvre des actions d'information, de mise en réseau, d'animation et de suivi des GAL.

La gestion de LEADER II n'a pas été confiée au CNASEA, mais la DATAR lui a demandé de continuer d'en assurer l'assistance technique pour son compte avec, notamment l'animation des GAL, mais aussi la consolidation des paiements et le traitement des informations physico-financières.

C'est dans ce contexte que la DATAR a demandé à la fin de l'année 1995 au CNASEA d'étendre sa mission d'assistance technique aux autres programmes d'initiative communautaire (PIC) et aux programmes régionaux européens de l'objectif 2 (régions en déclin industriel) et de l'objectif 5b (zones rurales). La mise en oeuvre et la gestion de ces programmes sont déconcentrées auprès des préfets de région et le CNASEA est chargé d'en agréger les données, de faciliter les échanges, former les acteurs et communiquer, notamment sur les actions innovantes.

L'établissement a pris en charge la consolidation financière des programmes communautaires par la fourniture d'un état des programmes (par région, par fonds, en programmation et en paiement) ainsi que l'élaboration du logiciel de gestion des programmes européens pour le compte des secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR) appelé Présage (Programme Régional et Européen de Suivi, d'Analyse, de Gestion et d'Evaluation).

Avec la nouvelle programmation, l'action du CNASEA en matière d'assistance technique s'articule désormais autour de trois conventions : une convention cadre avec la DATAR en date du 17 décembre 2001 pour lui apporter un appui à la mise en oeuvre du programme national d'assistance technique objectifs 1 et 2 ; une convention cadre avec la DATAR du 26 janvier 2001 relative au programme national informatique (PNI) pour la période 2000-2008 destiné à assurer l'informatisation des programmes européens grâce au logiciel Présage ; enfin, une convention avec le ministère de l'outre-mer du 19 juin 2002 qui, en tant qu'autorité de gestion du PNAT objectif 1 DOM décline la convention passée entre la DATAR et le CNASEA pour le PNAT métropolitain.

Le CNASEA s'est ainsi progressivement écarté du champ de spécialité qui lui était fixé par son décret constitutif.

De plus, pour tenter de régulariser la situation des personnels contractuels rémunérés sur des crédits d'assistance technique en poste dans les services de l'Etat, le CNASEA est devenu organisme support de ces emplois, ce qu'il ne souhaitait d'ailleurs pas. Une telle mission ne rentre pas non plus dans son champ de compétence. Les agents ne sont ni recrutés ni gérés par le CNASEA, mais par diverses administrations parmi lesquelles dominent largement les secrétariats généraux aux affaires régionales (SGAR).

Personnels extérieurs pris en charge par le CNASEA pour le compte de tiers

 

FSE objectif 3

Assistance technique

FEOGA

TOTAL

 

Travail

Industrie

DATAR

Présage

Postes autorisés au 1/01/2003

38

0

180

36

65

319

ETP au 15/01/2003

34,54

0

175,27

33,86

48,09

291,76

Source CNASEA/SG/DDRH

Pour régulariser cette situation, la décision de principe a été prise lors d'une réunion interministérielle tenue le 27 février 2003 de prendre en charge ces personnels sur des emplois de contractuels inscrits sur les budgets des différents ministères intéressés, sur la période 2003-2005. D'une nouvelle réunion interministérielle tenue le 4 juin 2003, il ressort que si les ministères de l'agriculture et de l'emploi semblent effectivement avoir pris des dispositions en ce sens, le ministère de l'intérieur fait état de davantage de difficultés pour la mise en oeuvre de cette décision.

La Cour souligne la nécessité de mettre fin à cette situation irrégulière.

2. 2.- Les dépenses d'équarrissage en 1996

Une loi du 26 décembre 1996 a créé une mission de service public, qui relève de la compétence de l'Etat, consistant à collecter et éliminer les cadavres d'animaux et les abats impropres à la consommation humaine et animale dont le financement est assuré par une taxe sur la distribution de viande au détail. A compter du 1er janvier 1997, son produit a été affecté par la loi à un fonds géré par le CNASEA qui paye les dépenses imputables au service public.

Avant cette date, le « service d'utilité publique de l'équarrissage » était financé par les équarrisseurs eux-mêmes grâce au monopole géographique dont ils bénéficiaient et à la valorisation des sous-produits de leur activité (farines, cuirs et graisses notamment). En cas de difficultés financières, les préfets pouvaient fixer par arrêté le prix d'enlèvement facturé aux abattoirs. L'épizootie d'encéphalopathie spongiforme bovine qui a sévi à partir de mars 1996 a conduit le gouvernement à prendre en juin 1996 un arrêté interdisant certaines utilisations des farines, privant ainsi les équarrisseurs de leur principal débouché commercial.

Les abattoirs refusant d'assumer le relèvement des prix d'enlèvement, l'Etat a mis au point par circulaire et dans l'urgence un dispositif aux fondements juridiques incertains aux termes duquel il s'engageait à prendre en charge 50 % des surcoûts et laissait aux autres acteurs (collectivités territoriales et professionnels) le soin de répartir le reste entre eux. Ce régime transitoire a duré jusqu'au 31 décembre 1996.

Des accords ont été passés dans quelques départements où les collectivités locales ont apporté une contribution financière mais, dans la plupart des cas, aucun accord n'a été obtenu sur les 50 % non pris en charge par l'Etat et, au début de 1997, les préfets avaient un stock important de factures impayées adressées aux services vétérinaires et aux DDAF.

Sur instruction du cabinet du Premier ministre relayée personnellement par le ministre de l'agriculture, en mai 1997, le CNASEA a payé ces factures en 1997 et 1998 pour un montant total de 10,4 M€. Ces dépenses ont été imputées au compte du service public de l'équarrissage en dépenses sur exercices antérieurs, pour 2,6 M€, et en « avances aux collectivités locales », pour 7,8 M€.

Cette intervention du CNASEA était irrégulière puisque les factures ainsi payées correspondaient à des opérations effectuées en 1996 alors que la loi ne lui a donné compétence dans le domaine de l'équarrissage qu'à partir du 1er janvier 1997.

Les contrôles des services du CNASEA sur ces factures ont été particulièrement légers alors même que les services de l'Etat n'ont pas toujours certifié que les prestations avaient été faites.

Ces dépenses ont été imputées à un compte d'avance alors qu'il n'existe aucune convention avec des collectivités s'engageant à rembourser ces « avances ». En outre, il n'était pas du tout certain que des collectivités locales eussent pu être obligées en droit à participer au financement de ces opérations. Cette imputation comptable est donc très critiquable et, au surplus, ces « avances » n'ont été provisionnées que dans les comptes de 2001 alors que leur « remboursement » était improbable dès l'origine.

On peut comprendre que, dans une situation d'urgence, l'Etat n'ait pas pu mettre en place un dispositif juridiquement solide en 1996 mais, plutôt que d'en assumer les conséquences, il a préféré demander au CNASEA, qui a accepté, de payer ces factures à sa place, ce qui est contestable. En outre, les collectivités qui ont accepté de contribuer au financement de ces opérations en 1996 et celles qui ont refusé ont finalement été ainsi traitées de manière inéquitable.

3. 3.- La communication sur la politique du ministre de l'agriculture

En février 2000, le chef du service de la communication du ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (MAAPAR) a écrit au directeur général du CNASEA pour lui demander de financer une « campagne de communication institutionnelle grand public sur la multifonctionnalité » dont les objectifs étaient, entre autres, « d'entraîner la profession agricole dans le processus d'établissement des CTE » et de « positionner le MAAPAR comme l'interface de communication entre la société française et la profession agricole et de valoriser la politique menée par le Ministre ». Cette campagne devait comprendre une enquête d'opinion sur les nouvelles missions attendues de l'agriculture dont les résultats devaient être « portés par le Ministre et exploités par des actions de relations publiques ».

Le CNASEA n'a aucune compétence dans ce domaine et a donc confié un marché à un cabinet de consultants en relations publiques associé à un spécialiste des sondages d'opinion pour réaliser cette campagne. Ce marché de 0,6 M€, signé le 30 mai 2000 après avoir été approuvé par le conseil d'administration de l'établissement malgré les réserves émises par certains de ses membres, comprenait, entre autres, les prestations suivantes :

- consultant relation presse (négociation et mise en place des partenariats presse, assistance au service de presse du Ministre) : 31,7 K€ ;

- attachée de presse (assistance opérationnelle sur la prise de parole nationale et les déplacements du Ministre) : 32,9 K€ ;

- dossier de presse (conception, rédaction) : 7,6 K€ ;

- consultant en relations publiques et événementielles (pilotage de la conception du stand, de sa mise en place et préparation de 10 voyages du Ministre avec le Cabinet) : 18,3 K€ ;

- dossiers de presse à 4000 exemplaires : 19,8 K€ ;

- stand au salon des maires de France (location de l'espace, fabrication du stand, hôtesses, bar...) : 69,7 K€ ;

- édition d'un document sur les CTE tiré à un million d'exemplaires :26,7 K€ ;

- vins d'honneur à l'issue des conférences de presse régionales et des déplacements du Ministre sur la base de 1 500 € par opération :15 000 € ».

Ce marché a été géré par le CNASEA sous le contrôle total du service de la communication du MAAPAR et les dépenses se sont élevées finalement à 0,5 M€. Il s'insère dans un ensemble beaucoup plus vaste de dépenses de communications du MAAPAR payées par le CNASEA sur les fonds destinés au financement des CTE.

La loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 qui a créé les CTE a prévu la création d'un fonds de financement des CTE (FFCTE) dont les crédits sont inscrits au budget de l'agriculture (chapitre 44-84). Les dépenses de ce fonds sont constituées par des subventions au CNASEA qui verse les aides aux agriculteurs et gère ces crédits en ressources affectées.

Dans une note du 28 septembre 2000 adressée au commissaire du gouvernement, le directeur général du CNASEA soulignait que rien ne permettait d'utiliser les crédits venant du FFCTE pour financer autre chose que des aides aux bénéficiaires des CTE et que 1,3 M€ avaient pourtant déjà été dépensés pour des actions de communication commandées par le MAAPAR. Il en concluait à la nécessité de modifier l'arrêté du 8 novembre 1999 fixant les modalités de financement des CTE en précisant : « ceci m'apparaît tout à fait indispensable si nous voulons échapper à toute critique tant de la profession agricole...que des instances de contrôle et, notamment, la Cour des comptes qui pourraient contester un usage des crédits sans base réglementaire ». Cet usage contestable des crédits du FFCTE avait cependant déjà commencé et a continué ensuite.

Avec l'autorisation du conseil d'administration, le directeur général du CNASEA a fait prélever 1,3 M€ en 2000 et 1,5 M€ en 2001 sur les ressources affectées aux CTE pour les transformer en subventions de fonctionnement à l'établissement grâce auxquelles ont été payées les dépenses de communication du MAAPAR. C'est seulement le 24 juillet 2001 qu'un arrêté a modifié celui du 8 novembre 1999 en précisant que « les crédits nécessaires aux actions de communication et d'animation en faveur des CTE peuvent être prélevées sur le FFCTE ». Ces dépenses se sont au total élevées à 3,2 M€ de 2000 à 2002.

L'arrêté du 24 juillet 2001, en autorisant le financement de telles dépenses par le FFCTE, chapitre du budget de l'Etat, ne permettait pas pour autant qu'elles soient payées par le CNASEA alors qu'il s'agissait de dépenses de communication de l'Etat et que les statuts de l'établissement ne prévoient pas qu'il les finance : numéro spécial du bulletin d'information du ministère, colloques organisées par les DDAF, frais de déplacements des agents du MAAPAR, présence du ministère dans les salons et foires, plaquette de présentation des CTE et de la politique du ministère...outre le marché évoqué ci-dessus.

Dans une note adressée au commissaire du gouvernement le 25 septembre 2002, le directeur général du CNASEA précisait que l'établissement « se borne à exécuter des instructions sur lesquelles il n'a aucune prise alors qu'il est juridiquement responsable » et souhaitait que ces actions soient payées par le MAAPAR sur une ligne bien identifiée du budget de l'agriculture.

Des crédits destinés aux aides aux agriculteurs signataires de CTE votées par le Parlement ont ainsi été employés à des dépenses de communication ministérielles qui auraient dû être imputées sur le budget de l'agriculture. L'agrément du Premier ministre sur cette campagne de communication a été sollicité par le service de la communication du MAAPAR mais il n'est pas certain qu'il l'ait obtenu.

L'ordonnancement de ces dépenses et la certification du service fait par le directeur général du CNASEA et ses délégués ont été purement formels, ces fonctions ayant été en pratique assurées par les services du MAAPAR. Le CNASEA n'a joué qu'un rôle passif, ce qui est contraire aux règles de la comptabilité publique, le directeur général de l'établissement public devant assurer pleinement ses fonctions d'ordonnateur.

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