Le financement

M. Bernard DAUGERAS

Cofondateur d'Auriga Partners

Merci. Je suis Bernard DAUGERAS, le cofondateur d'Auriga Partners qui est un fonds de capital risque qui gère à peu près 200 M€ et qui l'investit uniquement dans les créations d'entreprise, les start-up à la fois de technologies de l'information et de biotechnologies. On est un petit peu à l'interface de ces deux secteurs.

Je suis docteur ès sciences en physique des particules, ce qui me qualifie particulièrement puisque je suis totalement incompétent en biotechnologies. Il y a deux significations : la recherche mène à tout à condition d'en sortir et il n'y a pas besoin d'être compétent pour réussir.

Je vais tout de suite répondre à l'orateur précédent parce qu'il y a un problème de terminologie. En arrivant tout à l'heure, j'ai écouté toutes les présentations, je me suis rendu compte, comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, puisque, pour nous, dans notre jargon de venture capitalistes, la thérapie cellulaire, les biochips, le drug delivery, ce n'est pas des nanotechnologies, ce n'est pas ce qu'on appelle nanotechnologie.

Donc, si on appelle ça nanotechnologies, alors il y a eu deux closings en France auxquels j'ai participé l'an dernier dans les nanotechnologies, l'un pour 12 M€, l'autre pour 5 M€, qui est en train de se terminer ce mois-ci à 12. J'ai participé aux deux, j'ai même été le leader des deux. Ça veut dire que les statistiques sont difficiles à trouver...

Moi, je ne m'occupe que de financement de créations d'entreprise, donc je vais rappeler brièvement ce qu'est un venture capitaliste. D'abord, on n'est pas des mécènes, donc on doit rémunérer nos actionnaires, on doit les rémunérer plutôt mieux que les Caisses d'Epargne, et ce n'est pas neutre ce que je dis. Ça veut dire que, nous, il faut qu'on gagne beaucoup d'argent pour leur rendre plus d'argent qu'ils n'en gagneraient en achetant des bons du Trésor. Donc nous devons, nous, impérativement gagner de l'argent. La seule façon de gagner de l'argent, pour nous, c'est de faire des plus-values en capital sur les investissements que nous faisons.

Schématiquement qu'est-ce qu'on fait ? On achète des actions qu'on essaie de payer pas cher dans des sociétés en création. Avec l'argent que les sociétés récoltent, elles développent leur société, leur technologie -elles font de la R&D d'ailleurs encore !-, développent leur marché, créent de la valeur en faisant ça ; et on espère, nous, au bout de quatre, six, huit ans et quelquefois hélas beaucoup plus, sortir en vendant les actions plus cher qu'on ne les a payées. Et c'est avec la différence de prix que nous rémunérons nos actionnaires et, par voie de conséquence, nous aussi.

Nous sommes des spéculateurs, soyons clairs et nets. Mais je pense que spéculer c'est très bien. Tout le monde spécule.

Le cadre général a des conséquences fortes et cela a été dit tout à l'heure très brillamment. Il y a quatre conséquences fortes.

Il faut que les sociétés soient fondées sur des technologies innovantes, différentiations exceptionnelles, je n'investis que sur la science de première classe, science de top niveau, et je crois que vous l'avez dit de façon tout à fait brillante.

Cela se dit rarement, on croit que les financiers ne financent que la recherche appliquée de bas étage et que la recherche noble est financée par le public. Ce n'est pas vrai ! Nous n'investissons que sur la recherche de top niveau. J'ai plusieurs prix Nobel dans mes sociétés, j'ai plusieurs prix Nobel dans les conseils d'administration de mes sociétés. Nous ne finançons que de la top recherche.

Deuxièmement, je veux dire un mot sur les brevets parce que ce n'est pas assez dit ici. S'il n'y a pas de brevets, on ne fait rien. Avec une institution qui est représentée ici, je me suis heurté à un problème, à savoir qu'ils ont publié avant de prendre le brevet, de sorte que je n'ai pas pu faire la société. On avait un projet de start-up et je n'ai pas pu le faire parce le scientifique, le sachant d'ailleurs très bien, a breveté. Et il m'est arrivé déjà de me promener dans les labos et de les empêcher de publier... C'était à huit jours près.

Une de mes plus belles sociétés actuelles, je l'ai rattrapée juste à temps. Deux jours avant une publication dans un congrès américain, j'ai appelé un de mes amis, qui est le patron d'une société de brevets, qui est venu rédiger le brevet pendant le week-end avec lui. Et c'est devenu une de mes plus belles sociétés de portefeuille. Si je ne l'avais pas fait, il n'y aurait pas de société. Donc brevet, brevet, brevet, brevet, il n'y a que ça. Ce qui n'empêche absolument pas de publier !

Troisièmement : potentiel de marché important. Je crois que cela a été dit, je ne vais pas le rappeler.

Dernier point, mais c'est évident, il faut un management top parce que ces sociétés sont fragiles. C'est difficile, elles se heurtent à des PME comme Toshiba ou Hitachi, comme il a été dit précédemment, et c'est vrai ! Donc la seule façon de réussir, c'est d'être plus intelligents, d'être meilleurs managers, d'avoir une meilleure recherche, une meilleure propriété intellectuelle. Il faut être top.

Le cas des nanotechnologies : à la réserve sémantique près de tout à l'heure, moi je pensais naïvement que les biotechnologies, c'était plutôt des micro ou nanodispositifs plutôt orientés physique du solide, circuits intégrés, microfluidique, enfin tous ces machins-là dans la tranche des dimensions micro et nano, bien sûr, avec des tas d'applications dont beaucoup d'applications sciences de la vie, bien entendu. Je ne pensais pas que la thérapie cellulaire était incluse dans les nanotechnologies.

J'ai deux sociétés de thérapie cellulaire, l'une en Israël, l'autre en Belgique dans lesquelles on a investi pour la première 12 M€, la deuxième pour 17 M€.

J'ai deux sociétés de drug delivery, sur des véhicules, un peu comme ça a été décrit tout à l'heure, assez astucieux, qui font du targeting positif d'ailleurs et sur lesquelles nous venons de terminer un closing à 12 M€ pour l'une et 10 M€ pour l'autre.

Je vais vous amuser un petit peu. Hors de ces applications classiques, on est en train de regarder quelque chose qui est assez amusant, qui hélas est à Minneapolis, qui est un spin-off de Oak Ridge National Laboratory. Pour ceux qui connaissent un peu, c'est un laboratoire de physique nucléaire. Je faisais partie de cette communauté, donc je les connais très bien.

C'est une nouvelle génération de batterie rechargeable, pas tout à fait encore nanométrique mais on espère y arriver. Pour l'instant, elle est strictement micrométrique au sens propre du terme puisque c'est une monocouche qui est inférieure à 1 micron, qui est fabriquée par les techniques de circuits intégrés et qui a une densité électrique, une densité de charge absolument phénoménale. A tel point que ça peut alimenter des tas de dispositifs.

Elle est rechargeable par induction, donc elle est utilisable à distance in vitro pour des très longues durées de vie. On n'a pas encore décidé de faire l'investissement. Il faut lever une quinzaine de millions de dollars, donc une douzaine de millions d'euros. On est assez tentés, on va le faire. J'imagine de multiples applications de biotech !

Je pense qu'on va faire cet investissement uniquement pour qu'il serve, et ça répond à des questions, pour qu'il serve à permettre de nouveaux dispositifs de diagnostic, de drug delivery in vivo assez astucieux.

La question sur les pacemakers tout à l'heure sera envisagée dans ce cadre. Il n'y aura plus de batterie dans les dispositifs auditifs, par exemple. Vous les posez le soir, ils se rechargent tout seuls sur votre table de nuit, etc. Il y a des choses assez étonnantes à faire.

Attention aux effets de mode, ça été dit tout à l'heure. Y a-t-il un hype dans les nanotechnologies ? La réponse est évidemment oui. Il y a vingt ans que je fais le métier d'investisseur, j'ai connu trois ou quatre hypes comme ça. Le dernier, c'est celui de la génomique, on a vu à quoi il amenait...

Donc attention ! On ne financera jamais des technologies, on finance des sociétés. Je voulais le dire assez solennellement parce que ce n'est pas la même chose. On ne finance pas la fin de la recherche fondamentale. On finance des sociétés qui ont des projets, qui sont structurées et qui attaquent des marchés réels dont on pense qu'ils existent.

Je suis content d'avoir écouté l'orateur précédent parce que j'ai une sainte méfiance vis-à-vis des études de marché sur les produits innovants. C'est très très difficile d'imaginer les réponses du marché d'un produit innovant, surtout un produit qui n'existe pas, une technologie qui n'existe pas, en général en rupture par rapport à ce que nous faisons, c'est particulièrement difficile. Mais je crois que l'orateur a bien dit à quel point c'était un travail délicat à faire.

Y a-t-il de l'argent ? Oui, il y a de l'argent. Il y a beaucoup d'argent. Je vous ai donné les chiffres de quatre investissements dans ce secteur auxquels j'ai participé. C'est vrai que les sociétés ont besoin de plusieurs dizaines de millions d'euros, c'est absolument vrai.

Les sociétés européennes dans lesquelles j'ai participé, et je considère qu'Israël c'est en Europe dans ce cadre là, ce sont des sociétés qui ont toutes levé plus de 10 M€ et qui s'apprêtent à en lever 20, 30 à peu près pour développer ça.

L'argent est principalement européen, il y a un peu de fonds américains dans ces entreprises, mais il est principalement européen. Donc ce n'est pas désespérant, il y a de l'argent en Europe pour créer des sociétés.

On a eu une crise très très violente en 2001-2002. La crise a commencé par le capital risque et je voudrais vous rappeler un petit chiffre : le 1er janvier 2002, il y avait 250 fonds de capital risque en Allemagne ; le 31 décembre 2002, il n'en restait plus que 50... Donc, il y a eu 200 sociétés de capital risque qui ont disparu en Allemagne en un an.

Je voudrais que tout le monde se rappelle ça, parce que c'est le mot risques. On dit toujours que les banquiers ne prennent pas... Je ne suis pas banquier, bien sûr... les financiers ne prennent pas de risques. Si, ils prennent beaucoup de risques. Je voulais vous le dire.

Typiquement, un projet, ça met quoi ? Ça met deux, trois mois à six mois à se financer quand c'est un bon projet. On insiste beaucoup sur la qualité du management, je l'ai déjà dit mais c'est absolument clair, à tel point que ce sont les patrons qui viennent nous présenter leurs projets. Ce qu'on fait immédiatement quand on aime le projet, on staffe la société et on recrute.

Nous sommes des gens actifs, on s'intéresse à ce que fait la société. Si ça ne marche pas, on prend des mesures drastiques, comme je l'ai fait cet été un peu en catastrophe au mois d'août dans une de mes sociétés. Ça a fait un peu de bruit mais c'est normal parce que si ce n'est pas ça, c'est le mur.

Donc pas d'inquiétude, il y a de l'argent. Si vous avez des bons projets, vous pouvez venir nous voir ! On n'a pas à rougir de nos confrères américains, dans ce domaine-là, on est plutôt assez bons. On n'est pas aussi bons partout mais, dans ce domaine-là, on est plutôt assez bons.

Dernier commentaire politique. Là, je pense que l'Europe en général et la France en particulier ne dépensent pas assez d'argent dans ces technologies innovantes. Je vais vous donner un chiffre : l'accroissement du budget du NIH l'an dernier est égal à la totalité du budget du CNRS. Voilà.


M. Alain Cirou

Merci. Je propose à tous les intervenants de cette deuxième table ronde de rejoindre le pupitre. Ouverture du bal des questions-réponses entre la salle et les différents intervenants.

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