B. L'ÉVALUATION DES CHERCHEURS

La notion d'évaluation des chercheurs reçoit, parfois dans certains établissements, notamment au CNRS, une interprétation extensive. Elle inclut alors la sélection des chercheurs au moment de leur recrutement. La définition retenue ici se limite à la conception légale de l'évaluation (aux termes de la loi du 15 juillet 1982 et des textes pris pour son application), c'est à dire au jugement porté périodiquement par les instances compétentes sur les chercheurs en fonction après leur recrutement

1. Caractéristiques générales

Outre l'affirmation générale du principe d'évaluation de la recherche rappelé plus haut, la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 précitée autorise, dans son article 26, pour certaines catégories des personnels de recherche, les statuts particuliers à déroger aux procédures de notation et d'avancement prévues par le statut général des fonctionnaires, « afin de permettre l'évaluation des aptitudes par des instances scientifiques ou techniques... » .

L'article 10 du décret n° 83-1260 précité prévoit que « les chercheurs sont tenus de présenter tous les deux ans un rapport conformément à des normes définies par le directeur de l'établissement. Ce rapport contient notamment toutes les informations concernant les conditions dans lesquelles le chercheur a accompli les missions définies à l'article 24 de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 (loi d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France ». Les chargés de recherche (article 29 du décret) et les directeurs de recherche (article 49) « font tous les deux ans l'objet d'une appréciation écrite formulée par les instances d'évaluation de l'établissement au vu du rapport d'activité qu'ils doivent établir » conformément à l'article 10.

Les statuts particuliers des personnels de chaque EPST modifient ou complètent éventuellement les modalités de l'évaluation.

Les EPST font eux-mêmes le constat de diverses insuffisances dans certains de leurs documents internes. Ainsi, à l'INED le document d'orientation stratégique 2002-2005 souligne que : « L'évaluation à deux ans n'était jusqu'à présent qu'un geste rituel, l'ensemble des chercheurs recevaient un avis favorable et ne pouvait tirer aucun profit de la procédure ». Au CNRS le contrat d'action 2002-2005 indique à propos de l'évaluation qu'« elle n'est pas exempte de faiblesse : ainsi son mode d'organisation peut se révéler source de contraintes, voire de conservatismes, en particulier au moment où l'on souhaite promouvoir l'interdisciplinarité ». Dans son document d'orientation stratégique 2001-2004 l'INRA souhaite se doter d'un dispositif d'évaluation plus cohérent et plus efficace.

2. La composition des instances

Chaque EPST (à l'exception du LCPC 27 ( * ) ) dispose désormais d'instances compétentes pour l'évaluation des personnels et des unités de recherche. Ces instances jouent un rôle important dans le recrutement et les avancements de grade des chercheurs 28 ( * ) . Les jurys d'admissibilité des concours de recrutement en émanent et elles sont obligatoirement saisies, pour avis, en ce qui concerne les avancements de grade ainsi que pour l'avancement au deuxième échelon de la classe exceptionnelle de directeur de recherche. Dans le cadre de la procédure d'évaluation proprement dite, elles proposent les chercheurs à promouvoir (en grade).

La dénomination et la composition des instances sont différentes selon les établissements. En ce qui concerne la composition, l'article 16 de la loi du 15 juillet 1982 précitée se contente de préciser que les instances d'évaluation « comprennent notamment des représentants élus du personnel ».

L'examen des différents statuts des EPST montre de fortes variations dans la part dévolue aux représentants du personnel, les deux extrêmes étant le CNRS, où deux tiers des membres du comité national sont élus par le personnel, et le CEMAGREF, où ils ne représentent qu'un peu plus du tiers de la commission spécialisée. En dehors de l'INSERM, dont la situation se rapproche du CNRS, les autres EPST disposent d'instances d'évaluation composées à parité de représentants élus du personnel et de personnalités désignées.

Certains statuts fixent des règles d'ouverture sur l'extérieur pour la composition des instances d'évaluation alors que d'autres n'ont aucune exigence à cet égard. Parmi les statuts ouverts figurent ceux de l'IRD et du CEMAGREF où la moitié des membres de la commission d'évaluation doivent être des experts extérieurs à l'établissement. A l'inverse, les statuts du CNRS, où le problème de l'ouverture est moins crucial compte tenu de la dimension de la communauté scientifique dans lequel il évolue, ne comportent aucune règle à cet égard. La nomination de personnalités extérieures ne peut s'y faire qu'au travers des choix effectués par le ministre de la recherche dans le cadre de son pouvoir de nomination d'un tiers des membres du Comité national.

Le pouvoir de nomination des personnalités ou experts extérieurs confié, soit aux ministres de tutelle, soit au directeur général de l'établissement, est parfois encadré par des avis ou propositions préalables alors qu'il s'exerce en totale liberté dans d'autres cas. Ainsi, à titre d'exemple, au CNRS la nomination des personnalités extérieures dans les sections du Comité national de la recherche scientifique par le ministre de la recherche intervient après avis du directeur général, alors qu'à l'INSERM aucun avis ou proposition préalable d'une instance de l'établissement n'est prévu. De même, alors qu'à l'INED ou au CEMAGREF la nomination des personnalités extérieures par le directeur général s'opère après avis du conseil scientifique (pour la moitié seulement des membres nommés à l'INED) et technique et accord du conseil d'administration de l'établissement, à l'IRD, à l'INRETS et à l'INRIA (pour le quart de la commission d'évaluation) les pouvoirs de nomination du directeur général s'exercent librement.

Ces nombreuses différences de dispositions réglementaires ne paraissent pas répondre, le plus souvent, à des nécessités liées à des différences objectives de situation des établissements de recherche. La Cour considère que les règles relatives à la composition des instances d'évaluation des EPST méritent réexamen afin d'améliorer leur cohérence et leur logique ainsi que de favoriser l'ouverture à des personnalités extérieures, notamment à des experts scientifiques étrangers.

Compte tenu du rôle des organes chargés de l'évaluation, il parait également souhaitable que les nominations soient effectuées, dans tous les cas, après avis d'instances garantissant la qualité des personnalités retenues.

3. La procédure

Si tous les établissements ont désormais mis en oeuvre une procédure d'évaluation qui respecte, dans son principe, les dispositions réglementaires, plusieurs d'entre eux n'ont pas encore adopté un rythme biennal et se contentent d'une évaluation tous les quatre ans.

Les modalités précises varient selon les établissements compte tenu des statuts particuliers de leurs personnels et des modes d'organisation dont ils se sont dotés. L'évaluation consiste classiquement dans l'examen, tous les deux ans, du dossier de chaque chercheur par un ou plusieurs rapporteurs de l'instance d'évaluation à laquelle il est rattaché. Les critères d'évaluation à partir desquels les commissions travaillent et procèdent à l'évaluation sont spécifiques à chaque établissement et éventuellement à chaque commission. Ils peuvent différer selon l'étape de la carrière et selon les enjeux liés à l'évaluation (titularisation, changement de corps, avancement de grade...).

Les éléments essentiels du dossier sont le rapport d'activité biennal et la liste des publications du chercheur. La notoriété et l'audience des revues dans lesquelles ont été effectuées les publications fournissent, notamment, des éléments d'appréciation de la qualité de sa production scientifique.

La Cour observe que les critères actuels d'évaluation des chercheurs mettent presque exclusivement l'accent sur leurs activités de recherche en tant que telle. Si cette pratique correspond bien à la nécessité de garantir la qualité de la recherche cognitive effectuée dans le cadre des EPST, elle ne répond pas directement aux autres missions de la recherche publique et des chercheurs telles qu'elles ressortent des articles 14 et 24 de la loi du 16 juillet 1982 : valorisation des résultats, diffusion des connaissances scientifiques, formation à la recherche et par la recherche, formation initiale et continue et administration de la recherche. De même les systèmes d'évaluation ne prennent pas ou peu en compte d'autres tâches assurées par les chercheurs comme l'animation d'équipes de recherche et l'expertise (par exemple la participation à des instances de sélection des projets européens). Les établissements devraient donc expliciter les dispositifs ou modalités d'évaluation susceptibles de concourir à ces autres missions et ces autres activités.

4. Les conséquences

L'évaluation remplit une fonction importante de conseil et d'orientation au travers, notamment, des messages personnalisés que les instances d'évaluation adressent habituellement dans la plupart des établissements aux chercheurs. Les textes prévoient, en effet, que l'appréciation écrite est portée à la connaissance des chercheurs.

En revanche l'évaluation n'a que peu d'impact sur le déroulement de la carrière et la rémunération.

Ceci résulte des dispositions statutaires qui régissent les chercheurs. D'une part l'avancement d'échelon se fait exclusivement à l'ancienneté (sauf pour les directeurs de recherche de classe exceptionnelle). D'autre part la seule prime, d'un montant d'ailleurs très faible, dont bénéficient les chercheurs (la prime de recherche) est, comme il a été mentionné plus haut, d'un montant fixe pour l'ensemble des chercheurs d'un même grade et ne prend donc aucunement en compte la qualité des travaux ou des autres contributions.

L'évaluation ne joue un rôle déterminant que pour les promotions de grade 29 ( * ) (c'est à dire pour l'accession à la première classe de chargé de recherche et à la première classe et à la classe exceptionnelle de directeur de recherche). Les textes prévoient, en effet, que ces avancements ont lieu uniquement au choix et que la décision du directeur général de l'établissement intervient après avis des instances d'évaluation. Mais l'intérêt réel de l'évaluation pour les chercheurs susceptibles de bénéficier d'une promotion de grade dépend du nombre de postes effectivement disponibles. Or la faiblesse relative des possibilités d'avancement de grade pour les directeurs de recherche entraîne un blocage des promotions. Ainsi au CNRS, en 2000, 81 % des directeurs de recherche de deuxième classe étaient promouvables à la première classe, soit 2 723 personnes sur un effectif total de 3 358, 906 d'entre eux se sont portés candidats et seuls 77 ont été promus.

Ces constats contribuent à expliquer le peu d'intérêt porté aux évaluations ou leur caractère largement formel dans certains établissements (à l'exemple de ce que l'INED reconnaît) lorsqu'il n'y a pas pour les chercheurs l'enjeu d'une promotion de grade.

La Cour considère qu'il est nécessaire de renforcer de manière significative l'incidence de l'évaluation sur la carrière et la rémunération des chercheurs des EPST. Ceci suppose, à l'évidence, une réforme d'ensemble des statuts qui les régissent.

*

***

Les rigidités et déficiences relevées dans l'organisation et les modes de gestion des ressources humaines des EPST constituent des handicaps pour la recherche publique française. Ces handicaps sont plus particulièrement sensibles dans les domaines les plus ouverts à la compétition internationale qui sont aussi les plus stratégiques pour le développement national.

Parmi les mesures qu'il est souhaitable de mettre en oeuvre, afin de faire évoluer la gestion des ressources humaines des EPST, celles qui favorisent le rajeunissement de la recherche publique, notamment le recrutement de jeunes chercheurs français et étrangers, ainsi que celles qui permettent d'assurer une meilleure prise en compte des fonctions de responsabilité et de la contribution individuelle et collective aux performances, devraient faire l'objet d'une attention prioritaire.

Tableau n° 4 :   Liste des EPST

 

Dénomination

Année de création

Transfor-mation en EPST

Ministère(s) de tutelle

CNRS

Centre national de la recherche scientifique

1939

1982

Recherche

CEMAGREF

Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts

1981

1985

Agriculture,

Recherche

INED

Institut national d'études démographiques

1945

1986

Emploi, solidarité

Education, recherche

INRA

Institut national de la recherche agronomique

1946

1984

Agriculture

Recherche

INRETS

Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité

1985

1985

Transports

Recherche

INRIA

Institut national de recherche en informatique et automatique

1967

1985

Recherche

Industrie

INSERM

Institut national de la santé et de la recherche médicale

1964

1983

Santé

Recherche

IRD (ex ORSTOM)

Institut de recherche pour le développement

1943

1984

Coopération

Recherche

LCPC

Laboratoire central des ponts et chaussées

1949

1998

Equipement, Transports

Recherche

Tableau n° 5 :   EPST principales données (2002)

 

Nombre d'unités ou laboratoires

Budget

En M€

(2002)

Nombre d'emplois budgétaires

2002

Dont chercheurs

% chercheurs

CNRS

1 236

2 532

26 550

11 789

44,4 %

CEMAGREF

33

64,6

616

80

13 %

INED

12

14,4

168

59

35,1 %

INRA

320

573

8 633

1 862

21,6 %

INRETS

17

45

423

156

36,9 %

INRIA

5

113,5

992

456

46 %

INSERM

300

445

5 162

2 252

43,6 %

IRD (ex ORSTOM)

90

183,2

1 654

833

50,4 %

LCPC

13

43,3

574

133

23,2 %

Total

2 026

4 014

44 772

17 620

39,4 %

Sources : PLF 2002 et 2003 et établissements

Tableau n° 6 :   Effectifs des EPST par catégories d'emplois budgétaires en 2000

Effectifs en 2000

CEMAGREF

CNRS

INED

INRA

INRETS

INRIA

INSERM

IRD

LCPC

 

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

directeurs de recherche

24

 

4 559

4 488

20

20

695

669

54

51

140

133

801

772

305

275

52

48

chargés de recherche

52

 

7 175

6 921

37

33

1 058

1 052

100

96

208

193

1 401

1 220

527

495

81

75

attachés scientifiques contractuels

 
 
 
 
 
 

62

49

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

chercheurs contractuels

 
 
 
 
 
 

6

5

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Total chercheurs

76

 

11 734

11 409

57

53

1 821

1 774

154

147

348

326

2 202

1 992

832

770

133

123

Ingénieurs

283

 

8 279

7 939

41

41

2 145

2 065

119

119

238

218

1 244

1 139

355

343

80

72

Techniciens

217

 

5 400

5 183

57

40

4 206

3 928

95

77

140

127

1 295

1 054

350

306

218

126

Administratifs

34

 

510

472

0

15

360

477

24

44

37

49

263

383

98

105

143

83

Total ITA

534

 

14 189

13 594

98

96

6 711

6 469

238

240

415

393

2 802

2 575

803

754

441

282

Autres

2

 

422

 

8

11

1

1

22

22

3

3

4

3

 
 

0

134

Effectif total

612

586

26 345

25 003

163

160

8 533

8 245

414

409

766

722

5 008

4 570

1 635

1 524

574

538

B : emplois budgétaires

R : effectifs en équivalent temps plein (la ventilation des effectifs n'a pas été fournie par le CEMAGREF)

* 27 L'instance d'évaluation des directeurs et chargés de recherche du LCPC (comité d'évaluation) est placée auprès du ministre chargé de l'équipement.

* 28 A l'INRA les commissions scientifiques spécialisées (CSS) ne traitent que de l'évaluation, de la titularisation et du seul avancement des chargé de recherche de deuxième classe à la première classe. Le recrutement et les autres avancements font l'objet de jurys et de commissions distincts des CSS.

* 29 Ainsi que pour l'avancement du premier au second échelon du grade de directeur de recherche de classe exceptionnelle

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