4. Associer les acteurs de terrain à l'élaboration des objectifs et des indicateurs

Les administrations centrales ne sauraient décréter le passage d'une logique de moyens à une logique de résultats et de performance, véritable enjeu de la LOLF. L'ensemble des acteurs concernés doivent être étroitement associés dans la phase initiale d'élaboration, notamment lors des expérimentations déjà conduites permettant une sensibilisation des acteurs.

Ainsi, des hauts fonctionnaires ont d'ores et déjà piloté des « expérimentations LOLF » dans des services déconcentrés de l'Etat, afin de mieux cerner les enjeux concrets qui se posent ainsi que les avantages et inconvénients éventuels de la LOLF en termes de gestion sur le terrain. Par exemple, à la direction générale des impôts (DGI), des expériences ont porté sur 3,4 milliards d'euros de crédits. Le recteur de l'académie de Rennes et celui de Bordeaux sont en pointe en matière d'expérimentation LOLF. La direction régionale de l'équipement (DRE) du Nord-Pas-de-Calais participe, pour sa part, à deux expérimentations (réseau routier national et sécurité routière). De même, une expérimentation de globalisation des crédits de personnel et de fonctionnement a été engagée dès 2004 à la Cour d'appel de Lyon et, en 2005, dans huit autres cours d'appel.

S'agissant plus directement de la mesure de la performance, les indicateurs de performance seront renseignés par budgets opérationnels de programme (BOP), en tant que déclinaisons de la mise en oeuvre du programme au plan territorial ou au sein d'un service (cf. encadré ci-après).

Le budget opérationnel de programme (BOP)

Le budget opérationnel de programme (BOP) regroupe la part des crédits d'un programme mise à la disposition d'un responsable identifié pour un périmètre d'activité (une partie des actions du programme par exemple) ou pour un territoire (une région, un département...), de manière à rapprocher la gestion des crédits du terrain.

Le BOP a les mêmes attributs que le programme : c'est un ensemble globalisé de moyens associé à des objectifs mesurés par des indicateurs de résultat. Les objectifs du budget opérationnel de programme sont définis par déclinaison des objectifs du programme.

Source : Guide méthodologique pour l'application de la LOLF (ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, Cour des comptes, Comité interministériel d'audit des programmes (CIAP)

Pour illustrer la nécessité d'une étroite association des acteurs de terrain, votre commission des finances se rapportera à la mission « Justice », se félicitant de l'excellence du travail accompli par la chancellerie pour la mise en oeuvre de la nouvelle « Constitution financière », même si, s'agissant de la mesure de la performance, certaines marges de progression demeurent possibles 91 ( * ) .

La qualité du travail accompli doit d'autant plus être soulignée que la chancellerie éprouve des difficultés à mesurer rapidement l'activité des juridictions. Afin de lever ces obstacles, depuis le début de l'année 2004, un baromètre trimestriel récapitule l'activité des tribunaux sous la forme de statistiques synthétiques, ce qui a impliqué la mobilisation des acteurs locaux.

Ce point a été fort opportunément souligné par notre collègue Yves Détraigne dans son rapport pour avis, au nom de la commission des lois, sur les crédits de la justice inscrits dans le projet de loi de finances pour 2005 92 ( * ) .

Malgré cette association des acteurs de terrain, certaines critiques restent vives. Ainsi, le Syndicat de la magistrature, l'Union syndicale des magistrats et les syndicats de personnels des greffes ont exprimé à notre collègue de la commission des lois leur regret « de ne pas avoir été consultés à l'occasion de la définition des indicateurs, jugeant paradoxal de vouloir mobiliser les personnels sans les associer à la mise en oeuvre des modalités de l'évaluation ».

Pour illustrer les conséquences préjudiciables d'un défaut d'association des acteurs de terrain, le rapport pour avis précité, rejoignant ainsi une observation de notre collègue Roland du Luart, rapporteur spécial des crédits de la justice, formulée dans son dernier rapport budgétaire, souligne une anomalie relevée par le Syndicat de la magistrature dans l'indicateur n° 4 de l'objectif n° 1 du programme « Justice judiciaire » de la mission « Justice ».

Cet indicateur mesure le taux de requêtes en interprétation, en rectification d'erreurs matérielles et en omission de statuer. Bien qu'il se rapporte à des erreurs objectives, au demeurant susceptibles de soulever des questions de responsabilité, cet indicateur n'évalue pas de manière pertinente la qualité des décisions juridictionnelles, compte tenu de la proportion élevée des requêtes de cette nature qui sont formulées à des fins dilatoires par la partie perdante.

Il serait, en effet, plus pertinent que la mesure de la performance porte sur le taux de requêtes ayant effectivement abouti à une rectification d'erreur matérielle.

D'une manière plus générale, des interrogations commencent à émerger de la part de magistrats, avocats et greffiers sur la portée effective de la LOLF, par exemple à propos des frais de justice dont les crédits, évaluatifs jusqu'à présent, deviennent limitatifs à compter de l'exercice 2006 93 ( * ) .

Certes, la chancellerie a déployé des efforts louables pour « vulgariser » la LOLF, en particulier auprès des juridictions, en diffusant une documentation comportant des explications appropriées et même en ouvrant une « liste de discussion LOLF » à usage interne.

Il semble, pour autant, que les magistrats et les auxiliaires de justice n'aient pas été associés ou consultés sur la construction des objectifs et indicateurs, ce qui suscite certaines interrogations dans un secteur jusqu'à présent peu sensibilisé, semble-t-il, à la culture de la performance.

A partir de cet exemple ciblé, votre commission des finances souligne l'importance d'associer étroitement les différents acteurs de terrain à la mise en oeuvre de la LOLF, notamment dès l'élaboration des objectifs et indicateurs de performance. Comment pourraient-ils être ensuite pleinement partie prenante de la mesure de la performance, dès lors qu'ils ne seraient pas associés à la définition initiale des référentiels ? Cette recommandation de bon sens pourra être rapidement mise en oeuvre pour la nécessaire révision de certains indicateurs, en s'inspirant notamment des préconisations du présent rapport d'information, et pour la construction de ceux qui ne sont pas encore disponibles, ainsi que pour les mises à jour qui s'avèreront nécessaires au fil des années.

Votre commission des finances n'imagine pas un succès de la LOLF sans une réelle concertation avec l'ensemble de ses acteurs de terrain. A défaut, des blocages et des échecs surviendront inévitablement.

* 91 Il convient notamment de rechercher une meilleure coordination entre les mesures de la performance de la justice administrative et de la justice judiciaire, de créer des indicateurs de dispersion et de procéder au remplacement des indicateurs d'activité.

En outre, notre collègue Roland du Luart, rapporteur spécial des crédits de la justice, a proposé la création d'indicateurs sur la régularité du suivi médico-psychologique pour les délinquants sexuels : Cf. Sénat, rapport n° 74, tome III, annexe 27 (2004-2005), pages 99 et 111.

* 92 Sénat, rapport n° 79, tome IV (2004-2005).

* 93 Sur la proposition de notre collègue Roland du Luart, la commission des finances a demandé à la Cour des comptes une enquête sur l'évolution des frais de justice (+ 40 % en deux ans), en application de l'article 58-2° de la LOLF.

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