N° 301

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 14 avril 2005

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 avril 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la gestion des fonds de l' amiante ,

Par M. Gérard DÉRIOT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Claude Bertaud, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontes, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Jackie Pierre, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente, Patricia Schillinger, M. Jacques Siffre, Mme Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, André Vézinhet.

Santé publique.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Ce rapport d'information présente les conclusions de l'enquête commandée à la Cour des comptes, en novembre 2003, par la commission des Affaires sociales du Sénat, sur le thème de l'indemnisation des victimes de l'amiante.

La loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a donné aux commissions parlementaires compétentes en matière de loi de financement la possibilité de saisir la Cour de toute question touchant à leur application (article L. 132-3-1 du code des juridictions financières). La Haute juridiction financière dispose, à cette fin, d'un pouvoir d'enquête sur les organismes soumis à son contrôle.

C'est la première fois que votre commission use de cette faculté et la grande qualité du travail accompli par les magistrats financiers l'incitera à y recourir à nouveau afin d'exercer plus efficacement sa mission de contrôle qui, avec l'activité législative, constituent deux fonctions essentielles du Parlement.

Votre commission a choisi de consacrer sa première demande d'enquête à la question de l'amiante.

Après une première alerte dans les années 1970, l'opinion publique a pris véritablement conscience de l'ampleur de la crise sanitaire provoquée par la contamination par l'amiante au milieu des années 1990, lorsque l'exposition des usagers et des personnels du site universitaire de Jussieu a été mise en évidence.

Peu de temps après, un rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) 1 ( * ) , publié en 1996, a établi, sur la base de données épidémiologiques incontestables, que l'utilisation de l'amiante était associée à une surmortalité élevée. Ces observations ont conduit le Gouvernement à interdire l'utilisation de ce produit, à compter du 1 er janvier 1997.

La publication du présent rapport intervient au moment où les problèmes posés par l'amiante sont à nouveau au coeur des préoccupations des Français. La découverte d'amiante à certains étages de la Tour Montparnasse est venue rappeler que ce matériau était présent dans de nombreux locaux d'habitation et de travail et qu'un devoir de vigilance s'imposait, pour cette raison, à tous. Les poursuites engagées par des victimes, ou par leurs familles, devant les juridictions pénales posent régulièrement et avec acuité la question de la recherche des responsabilités à l'origine de ce drame.

En janvier 2005, le Sénat a marqué son intérêt pour le sujet en décidant, à l'initiative de votre commission, la constitution d'une mission commune d'information chargée d'établir le bilan de la contamination par l'amiante et d'en évaluer les conséquences. L'Assemblée nationale, après avoir créé un groupe d'études consacré à ce même thème, vient à son tour de prendre la même initiative. Nul doute que le présent rapport sera un élément important versé à la réflexion des parlementaires.

L'enquête menée par la Cour des comptes a porté, à la demande de votre commission, sur le thème précis de l'indemnisation des victimes de l'amiante . Cette commande visait à répondre à une double préoccupation.

Premièrement, les investigations nécessaires menées par les différents rapporteurs en charge du volet « accidents du travail et maladies professionnelles » de la loi de financement de la sécurité sociale ont mis en évidence, depuis quelques années, une tendance lourde à la dégradation de la situation financière de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale. Or, une des raisons essentielles de cette dégradation réside dans l'augmentation sensible des versements effectués par la branche au profit du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA) et du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA). Il était donc indispensable de s'assurer du bon usage des sommes ainsi affectées.

Deuxièmement, votre commission souhaitait également pouvoir évaluer les conditions d'indemnisation des victimes de l'amiante, qui ont droit, de par la loi, à une compensation intégrale du préjudice qu'elles subissent. Or, l'hétérogénéité des décisions rendues par les tribunaux comme les difficultés rencontrées au moment de l'élaboration du barème d'indemnisation du FIVA montrent que l'évaluation de ce préjudice n'est pas chose aisée. La nécessaire maîtrise de la dépense publique ne doit pas être obtenue au prix d'une indemnisation médiocre des victimes.

A partir de ces observations, la Cour a procédé à une analyse approfondie du dispositif d'indemnisation des victimes de l'amiante, tant dans ses aspects juridiques et institutionnels que financiers et comptables. Ses conclusions s'organisent autour de quatre parties :

la première partie est consacrée à une présentation générale des problèmes posés par la contamination par l'amiante . La Cour rappelle l'augmentation préoccupante du nombre de mésothéliomes (cancers de la plèvre) et de cancers broncho-pulmonaires, deux maladies mortelles résultant d'une exposition à l'amiante. La plupart des pathologies liées à l'amiante, dans la mesure où elles ont été contractées à la suite d'une exposition dans le milieu de travail, ouvrent droit à une indemnisation au titre de la réparation des maladies professionnelles. La Cour note que l'adoption de mesures de prévention contre les dangers de l'amiante a été tardive, alors que ses propriétés cancérigènes étaient connues depuis le début du XX e siècle. Ce constat a conduit le Conseil d'État à reconnaître la responsabilité de l'État pour sa carence fautive à prendre les mesures de prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante ;

la deuxième partie expose la situation du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA). Ce Fonds est chargé de verser une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) aux salariés exposés à l'amiante au cours de leur carrière professionnelle, destinée à compenser la réduction de leur espérance de vie.

La Cour déplore la grande complexité de l'organisation institutionnelle du FCAATA. Le fonds ne disposant pas de structure administrative propre, le service et la gestion de l'allocation de cessation anticipée d'activité sont assurés, pour partie, par la Caisse des dépôts et consignations, pour partie, par les caisses régionales d'assurance maladie (CRAM).

Les dépenses mises à sa charge ont fortement augmenté depuis sa création en 1999, pour atteindre un montant estimé à 750 millions d'euros en 2005, en raison de l'élargissement du périmètre des salariés susceptibles de bénéficier de l'ACAATA. La Cour s'interroge sur le bien-fondé de l'extension de ce dispositif et fait observer que 10 % seulement des bénéficiaires de l'allocation sont actuellement atteints d'une pathologie reconnue comme maladie professionnelle causée par l'amiante . Les autres allocataires ont simplement travaillé dans un établissement inscrit sur la liste, fixée par arrêté ministériel, des établissements ayant exposé leurs salariés à l'amiante. La corrélation parfois observée entre l'augmentation du nombre de plans sociaux et celle des demandes de prise en charge au titre de l'ACAATA laisse penser que les partenaires sociaux ou les élus peuvent être tentés d'utiliser le FCAATA comme un mécanisme de préretraite accompagnant des restructurations économiques. De plus, le fonctionnement du FCAATA apparaît inégalitaire, puisque les salariés des grandes entreprises sont surreprésentés parmi ses bénéficiaires, tandis qu'il n'existe pas de dispositif analogue pour les fonctionnaires et les militaires ;

la troisième partie traite du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 du 23 décembre 2000.

La mise en place du FIVA a été lente puisque les premières indemnisations définitives ne sont intervenues qu'à compter d'avril 2003 : ces contretemps s'expliquent par le long délai pris pour la publication des décrets d'application de la loi de 2000, une mise en place tardive du conseil d'administration et la durée de la période d'élaboration du barème d'indemnisation des victimes. Le retard pris dans la mise en place du fonds a conduit à l'accumulation d'un important stock de dossiers, aujourd'hui en voie de résorption, et à un allongement du délai moyen de traitement.

A la différence du FCAATA, le FIVA dispose de la personnalité morale et d'une structure administrative propre ; la Cour regrette que l'éventualité d'un rattachement du FIVA à un organisme existant n'ait pas été davantage étudiée, estimant qu'il aurait peut-être permis des économies de gestion.

La vocation du FIVA est d'assurer une réparation intégrale du préjudice subi par les victimes de l'amiante ; il complète, dans ce but, l'indemnisation forfaitaire versée par la branche AT-MP aux victimes de maladies professionnelles. En augmentation continue, les dépenses du fonds devraient atteindre 645 millions d'euros en 2005 ;

la dernière partie du rapport se rapporte au coût global de l'indemnisation des victimes de l'amiante et à ses modalités de financement .

Le coût de l'indemnisation repose principalement sur le FCAATA et le FIVA ; les versements effectués directement par les caisses de sécurité sociale n'en représentent désormais plus qu'un faible pourcentage. La sécurité sociale est cependant fortement mise à contribution, de manière indirecte, puisque c'est la branche AT-MP qui assure la plus grande partie du financement de ces deux fonds, l'État apportant le complément.

*

Au-delà de ces observations générales, plusieurs enseignements et pistes de réflexion, utiles en vue de futures réformes, se dégagent du rapport de la Cour.

les magistrats suggèrent de recentrer le bénéfice du FCAATA, afin de dégager les marges de manoeuvre financières permettant d'améliorer l'indemnisation versée aux victimes de l'amiante par le FIVA . Cette proposition est justifiée par le constat que la hausse des dépenses d'indemnisation est aujourd'hui due, principalement, à la hausse des dépenses du FCAATA, qui indemnise d'anciens salariés dont certains ne développeront aucune pathologie liée à l'amiante. Des critères d'attribution de l'ACAATA plus strictes satisferaient donc à un double objectif de maîtrise de la dépense publique et d'équité.

Une meilleure indemnisation par le FIVA permettrait, en outre, de réduire le nombre de recours intentés devant les tribunaux. La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ouvre en effet droit à une indemnisation majorée au bénéfice de la victime. Porter les indemnisations versées par le FIVA au niveau des indemnisations accordées en cas de faute inexcusable rendrait inutiles de nombreux recours juridictionnels.

Les sommes économisées grâce à un resserrement des conditions d'accès à l'ACAATA pourraient également être utilisées pour faire bénéficier d'un dispositif analogue les agents publics qui en sont aujourd'hui dépourvus .

L'orientation proposée par la Cour est pertinente et pourrait inspirer de prochaines réformes. Il reste cependant à définir les modalités du « recentrage » auquel elle préconise de procéder.

On pourrait envisager de limiter le bénéfice de l'ACAATA aux seules personnes reconnues atteintes d'une maladie professionnelle causée par l'amiante mais cette mesure pourrait être source d'injustices : certaines maladies de l'amiante, le mésothéliome notamment, entraînent le décès du patient à brève échéance, de l'ordre de dix-huit mois. Même si l'allocation était versée dès l'apparition des premiers symptômes, la victime ne bénéficierait que d'une période très brève de préretraite. Or, la logique de l'ACAATA est justement d'accorder une période de retraite plus longue aux salariés dont l'espérance de vie est potentiellement réduite par leur exposition à l'amiante.

Une autre voie consisterait à identifier, à l'intérieur de chaque établissement, les salariés qui ont véritablement été au contact de l'amiante et à leur réserver le bénéfice de l'ACAATA, excluant ainsi, par exemple, les personnels administratifs qui ont travaillé dans des établissements produisant de l'amiante, mais sans manipuler le produit. Cette démarche se heurterait cependant à des difficultés pratiques difficilement surmontables, dans la mesure où elle impliquerait que l'on établisse avec précision les fonctions occupées par chaque salarié au sein de l'entreprise, parfois plusieurs dizaines d'années auparavant. De plus, les poussières d'amiante susceptibles de se répandre dans les locaux d'un établissement peuvent être suffisantes pour occasionner des pathologies graves chez des salariés qui n'ont pas directement manipulé ce matériau.

La réflexion doit donc être approfondie sur ce point, afin de trouver des modalités d'attribution de l'ACAATA, qui permettent de respecter les recommandations de la Cour sans créer de nouvelles injustices.

un facteur important de développement du contentieux réside dans la grande diversité des montants d'indemnisation accordés par les tribunaux . Le fait que certains tribunaux accordent des indemnités nettement supérieures à celles du FIVA est un encouragement à la multiplication des recours contentieux, ainsi qu'une source d'inégalités entre les victimes. Pour y remédier, les magistrats financiers suggèrent de centraliser le contentieux auprès d'une cour d'appel unique , ce qui permettrait d'unifier la jurisprudence, et de préciser les règles d'indemnisation applicables, afin de mieux encadrer la liberté d'appréciation des magistrats. Si cette deuxième suggestion mérite de retenir toute notre attention, on ne peut totalement écarter les objections des associations de victimes au principe de la désignation d'une cour d'appel unique : une telle mesure irait en effet à l'encontre de l'objectif de proximité entre les plaignants et la justice 2 ( * ) .

en matière de financement, le rapport souligne l'instabilité des contributions de l'État au FCAATA et au FIVA. Fixé chaque année en loi de finances, leur montant semble imprévisible et n'obéit à aucune clé de répartition claire , permettant de définir les charges incombant à l'État et celles revenant à la branche AT-MP de la sécurité sociale. A tout le moins, il paraîtrait logique que l'État assume chaque année le pourcentage de financement correspondant à sa part de responsabilité en tant qu'employeur de personnes victimes de l'amiante, de manière à ce qu'il n'y ait pas de transfert indu de charges de l'État employeur vers la sécurité sociale.

le rapport met également en évidence la difficulté d'obtenir des employeurs à l'origine de la contamination par l'amiante une participation plus importante à l'indemnisation des victimes. En principe, la condamnation de l'employeur pour faute inexcusable l'oblige à rembourser les sommes engagées au titre de l'indemnisation. Mais le délai de latence très long des maladies de l'amiante conduit souvent à ce que l'employeur responsable ait aujourd'hui disparu. De plus, des règles complexes de prescription et de mutualisation, précisément analysées par la Cour, rendent, en pratique, très difficiles la récupération de ces sommes auprès des employeurs.

La solidarité nationale doit bien sûr garantir à chaque victime de l'amiante une indemnisation satisfaisante, quelle qu'ait pu être l'origine de sa contamination. Il est néanmoins regrettable que les employeurs directement responsables ne soient pas davantage mis à contribution : une prise en charge des dépenses résultant de l'exposition à des risques professionnels reposant principalement sur la collectivité n'est pas de nature à encourager les entreprises à mettre en oeuvre des politiques ambitieuses de prévention . A l'initiative du Gouvernement, une réflexion est d'ailleurs aujourd'hui en cours afin de lier plus fortement le niveau de la contribution des employeurs à la branche accidents du travail et maladies professionnelles à la sinistralité observée dans leurs établissements.

*

L'analyse des conditions d'indemnisation des victimes de l'amiante invite enfin à réfléchir aux modalités de réparation de l'ensemble des risques professionnels . Des considérations politiques, combinées à la pression de l'opinion publique et des médias, ont conduit à ce que des règles d'indemnisations plus favorables soient introduites au bénéfice des victimes de l'amiante en raison de l'ampleur et de la gravité particulières du drame de la contamination par l'amiante.

On peut néanmoins trouver singulier que les salariés victimes d'autres substances chimiques toxiques ou d'accidents graves doivent se contenter de l'indemnisation forfaitaire traditionnellement versée par la branche AT-MP de la sécurité sociale.

L'existence d'un régime particulier d'indemnisation des victimes de l'amiante est donc l'un des éléments qui plaident en faveur du passage à une réparation intégrale des préjudices causés par des accidents du travail ou des maladies professionnelles . Les évaluations réalisées par le groupe de travail présidé par Michel Laroque, inspecteur général des affaires sociales, ont cependant mis en évidence le coût élevé d'une telle réforme, de l'ordre de 3 milliards d'euros pour le seul régime général, ce qui pose la question de l'effort financier que la collectivité est prête à assumer pour assurer à nos concitoyens une meilleure indemnisation des risques professionnels.

*

Au cours de sa réunion du mercredi 13 avril 2005, la commission a approuvé le présent rapport et autorisé sa publication, assortie des conclusions de la Cour des comptes.

* 1 « Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante », expertise collective, édition INSERM, 1997.

* 2 Cf. travaux de la commission p. 17, 18, 19 et 25.

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