L'EXPÉRIENCE DE MIDI-PYRÉNÉES

Pr. LARENG - Merci Monsieur le Président, je vous dirai d'abord combien je suis ému de me retrouver dans cette enceinte et je vous exposerai ce sur quoi j'ai été amené à travailler, c'est-à-dire la télémédecine.

Comme vous le demandez, je vais faire un bref rappel de notre fonctionnement en Midi-Pyrénées et à partir de ce fonctionnement et par l'expérience vécue, vous en exprimer le ressenti, le mien et celui de l'ensemble de mon équipe.

L'Institut Européen de Télémédecine a été créé en 1989. Nous avons fait beaucoup de télémédecine à travers le monde et, à la réflexion, nous nous sommes demandés pourquoi nous ne l'appliquerions pas plus spécifiquement en même temps dans la région Midi-Pyrénées.

Cela permettait d'intégrer les médecines dans la logique des SROS - Schémas régionaux d'organisation sanitaire - tout en conciliant les aménagements du territoire dans la finalité d'assurer un accès égal à des soins de qualité en tout point du territoire régional.

Vous voyez dans quel sens nous avons orienté nos travaux, cela ne nous a pas empêchés de faire certaines recherches sur les robots. Nous sommes entrés dans le cadre du Ministère de la Recherche et nous avons déposé le dossier juridique sur ces robots pour, en ce qui concerne les responsabilités, savoir dans quel sens nous orienter.

Les axes prioritaires que nous avons retenus dans nos travaux sont les suivants.

Premièrement et d'emblée, la complémentarité des compétences dans une démarche pluridisciplinaire. Nous n'avons pas hésité à entrer tout de suite dans ce schéma d'orientation.

Deuxièmement - c'est un point fort d'engagement et j'insiste parce que c'est la même définition que nous avions donnée des SAMU - l'engagement des établissements de santé. Ce n'est pas l'engagement de médecins, praticiens ou professionnels, mais de l'ensemble des établissements. La décision d'entrer dans le réseau de télémédecine régional a été prise par la Commission Administrative soit des hôpitaux soit des établissements.

Troisièmement, l'engagement de mettre en marche tout le potentiel d'une région, qu'il vienne du secteur public ou du secteur privé.

Dans cette orientation, nous avons remarqué que cela a favorisé les équipes professionnelles et que cela permettait au patient de garder son médecin généraliste comme interlocuteur privilégié.

Je vous indique maintenant quelques étapes repères.

Premier repère, en 1966, avec Marcel DASSAULT, nous avons fait la première transmission de l'électrocardiagramme qui ne sortait pas de l'épure alors que je surveillais des hôpitaux qui sortaient de l'épure des cadrans, à 75 km par VHF de Lupié de l'Arbre au CHU de Toulouse.

Deuxième repère, en juillet 1992, plusieurs années après, parce que les industriels nous ont boudés pendant tout ce temps - si l'industrie ne suit pas, il est évident que nous ne pouvons pas faire avancer les matériaux que nous ne savons pas fabriquer -, il y a eu une séance de télémédecine par la transmission simultanée de la voix, des données et des images avec l'hôpital territorial de la Nouvelle Calédonie - nous avons voulu taper un point fort auquel France Télécom ne croyait même pas - et le centre hospitalier de Rodez.

Troisième point fort, nous avons apporté une aide au Maire de Mauze, hôpital de l'Ardèche de cent lits qui était en voie de fermeture, pour aider à le maintenir, et si vous allez à Mauze, on vous expliquera comment il a été maintenu puisqu'il existe toujours.

En 1993, Monsieur Philippe DOUSTE-BLAZY, Ministre de la Santé, a fait de la région Midi-Pyrénées un territoire expérimental pour le développement de la télémédecine.

En 1993, le Conseil régional a abondé dans ce sens et nous a permis de travailler en réseau dans la région.

En 2004, vous avez la création d'un service de télémédecine au CHU de Toulouse, mis à l'ordre du jour du conseil d'administration par Monsieur le Ministre, mais pour lequel il n'a pu présider le jour de la décision puisque, entre-temps, il était devenu Ministre de la Santé.

Je vais faire un bref retour sur expérience.

Nous nous sommes axés sur trois orientations.

Premièrement les téléconsultations mono et pluridisciplinaires, consultations de référents à distance.

Dans ces consultations, il y a une montée importante puisque nous n'avions commencé qu'avec sept hôpitaux en 1993.

Depuis le début, c'est-à-dire 1996, jusqu'à la fin 2003, 6 374 dossiers ont été traités par la télémédecine :

- 26 % visaient le diagnostic,

- 57 % visaient la thérapeutique,

- 17 % visaient le diagnostic et la thérapeutique.

Concernant l'incidence de l'échange de télémédecine, nous avons constaté qu'il y avait dans :

- 30 % des cas, une modification qui était faite par le médecin qui donnait le conseil,

- 23 % des cas, une discussion,

- 47 % des cas, une confirmation.

Cela a donc été vivant.

Ces consultations ont souvent été effectuées avec la présence d'un patient qui était à côté du médecin appelant.

Toutes les spécialités sont impliquées et 47 % de ces téléconsultations ont été pluridisciplinaires. Comme cela engage l'établissement, le médecin fait appel au médecin voisin et s'il n'y a pas le chef de service au chef de clinique.

En 2003 des échanges ont été réalisés dans :

- 80 % des cas en inter-établissements,

- 20 % des cas en intra-établissement.

Dans les 20 % de ces cas, cela aide à la restructuration et à une nouvelle orientation des systèmes. Quand nous avons réuni Castres et Mazamet, l'orthopédie se fait à Castres et le digestif à Mazamet.

Ainsi, par les zones de télémédecine, nous voyons les échanges qui doivent se faire entre Castres et Mazamet sans que le malade ne perde du temps et, souvent, il a le diagnostic tout de suite.

Concernant les décisions de transfert, pour l'ensemble des téléconsultations analysées de 1996 à 2003, il apparaît que dans :

- 82 % des cas il n'y a pas eu de transfert,

- 18 % des cas il y a eu transfert.

Concernant ces échanges nous constatons que 48 % des transferts prévus ont été évités à l'issue des échanges de télémédecine. Cela favorise donc l'hôpital périphérique.

Je me souviens qu'au départ, quand nous avons déménagé, le préfet de l'endroit, m'avait dit qu'il ne donnait l'autorisation que pour un seul hôpital, Rodez, parce que nous allions lui vider tous les hôpitaux sur le CHU. L'année suivante, il avait changé d'avis et ouvrait largement les vannes des contrats d'Etat-Région pour les généraliser dans toute la région.

En ce qui concerne les téléformations et les téléstaffs, il faut noter que dans ces derniers, il y a eu 479 connexions en 2003 entre les différents établissements, 36 sites y participaient.

Sur 81 sessions dont 60 multisites et 20 points à points, il y avait une augmentation de 38,4 % par rapport à l'année 2002. Il faut noter que 81,2 % des connexions ont été réalisées pour les sessions multisites.

Au vu de ces premiers retours sur expérience, il apparaît que les sessions multipoints de téléformation et de téléstaff, créent et contribuent à effectuer un véritable tissage d'une communauté hospitalière régionale de Midi-Pyrénées.

Il est à souligner que les différents réseaux formalisés - matermibe, diamibe, viamibe, neurotraumatologie, neurovasculaire - ainsi que le collège de médecine des urgences ont recours à ce réseau de télécommunications.

Il faut remarquer que le nombre total de participations des professionnels de santé pour l'année 2003, est estimé à 3 161 médecins. 82,4 % des conseils donnés, le sont par le CHU, mais ils le sont librement parce que c'est un maillage. On peut aller de Lannemezan à Tarbes sans passer par le CHU de Toulouse.

Dans les échanges nationaux et internationaux, nous avons commencé en 2004 l'éducation à la santé au bénéfice des patients de la région. Cela a été utilisé en particulier, dans l'éducation thérapeutique dans le cadre du diabète gestationnel.

Les échanges nationaux-internationaux, national-international via l'institut, sont égaux pour nos activités à 18 % du total.

En conclusion la télémédecine constitue :

- une valeur ajoutée certaine,

- un rapport de confiance renforcé,

- des décisions concertées collégiales,

- une réduction du coût de la non-qualité, et il faut insister sur cette partie,

- une plus-value pour le patient qui est également évidente, ainsi que pour l'ensemble des médecins vecteurs de formation.

Je plaide pour une loi premièrement sur l'organisation de la télémédecine autour d'une région parce qu'elle est un bon réseau d'action, de nombreux ministres le disent dans d'autres circonstances et pas uniquement pour la télémédecine.

Je plaide pour une loi parce que cela permet de concilier les SROS à la télémédecine puisqu'ils sont régionaux et que c'est une contribution au tissage d'un lien étroit entre les besoins de la population et le potentiel de santé.

Actuellement, dans l'expérience Midi-Pyrénées, nous comptons sur le lien entre tous les établissements d'abord avec Xavier PATIER qui a donné un point fort par l'intermédiaire d'un Groupement de Populations Sanitaires qui s'est maintenant transformé en Groupement d'Intérêt Public.

Il faut dire que dans ce cas, nous avons l'impression que toutes ces formations sont satellitaires, qu'elles sont un peu en dehors des établissements. Ce ne sont pas des systèmes qui deviendront pérennes. Elles ne passent pas à travers des établissements. Il faut de la personnalité, de la conviction, de la présence des systèmes organisationnels pour les rapprocher du coeur de la médecine intra-hospitalière.

Nous avons pensé qu'il fallait d'une part des activités de support organisationnel - formation assistance aux utilisateurs, coordination médicale, suivi d'activité, stratégie de développement - et d'autre part des activités primaires - télémédecine exercée par le corps médical, prestations médicales.

Il y a l'organisation - vous avez qu'en France rien ne fonctionne si ce n'est pas administré - donc une administration et les médecins qui pratiquent la télémédecine.

En ce qui concerne les aspects organisationnels de demain, je vous indique ce qui serait souhaitable.

Premièrement, il faudrait faire évoluer le Groupement d'Intérêt Public vers un service régional de télémédecine. Ce service réunirait, à l'échelle régionale, l'ensemble des établissements avec un Comité de Suivi Consultatif à l'intérieur du service - pour le moment il est difficile de mélanger public et privé - où nous reproduirions avec les services privés les instances de réflexion qui ont lieu actuellement avec le GIP.

Nous pourrions ainsi installer la télémédecine dans le cadre d'un potentiel complet d'une santé, autrement nous perdrions notre temps, chacun resterait dans des baronnies.

A l'échelle de chaque établissement de santé, il y aurait soit des UF de télémédecine soit des services de télémédecine, qui seraient vraiment maîtrisées administrativement parlant.

Nous aurons des services qui agiront en termes de support organisationnel, qui assureront des missions de coordination sous l'autorité de la coordination du service régional et qui permettront une variation graduée et coordonnée.

Si ce n'est pas suffisant dans un petit hôpital pour l'information, on passe à l'instant T à l'hôpital mieux équipé et encore plus loin s'il le faut au CHU. En même temps, c'est à l'instant T que le malade sort avec son papier. Les médecins généralistes n'avaient jamais vu cela, ils ont la lettre traitée, surveillée, et nous avons eu l'autorisation de la CNIL il y a un mois pour un élargissement de ce système à l'ensemble de la région.

Lorsque le médecin généraliste a eu la lettre, il a dit que c'était la première fois de sa vie, qu'il avait une lettre avant de l'avoir écrite.

La loi est indispensable pour organiser cela, je ne vois pas comment nous pourrions le faire actuellement sans une loi.

Deuxièmement il faut pérenniser le financement de la télémédecine. Nous n'avons pas à nous plaindre des pouvoirs publics ni de l'administration qui nous aide à fond pour avancer. Elle ne peut cependant donner que les financements que le règlement lui donne l'autorisation de faire, ce sont des financements publics non pérennes.

Nous disposons d'un contrat de plan, du concours de l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH), l'Union régionale des caisses d'assurance maladie (URCAM), la contribution financière des établissements.

Concernant certaines activités, nous avons la dotation régionale de développement des réseaux, les contributions de la médecine de ville, du FAUSV.

Enfin nous sommes en train d'étudier les prestations du médecin puisque les organismes officiels nous ont donné une subvention pour étudier comment on pourrait rémunérer les médecins et, si nous trouvions la solution pour cette prestation médicale, nous pourrions d'ores et déjà l'expérimenter.

Une législation est donc obligatoire dans le cadre de la Sécurité Sociale, il faudra bien donner une orientation pour savoir comment on peut donner une plus-value à la télémédecine par rapport à la médecine ordinaire et comment l'honorer.

Comme disait un Procureur général de la Cour de Cassation, si vous ne payez pas, vous ne pouvez pas rendre les gens responsables.

Troisièmement, vous avez les aspects éthiques et médico-légaux. Nous en avons parlé ce matin, c'est un élément très important.

Nous avons rédigé un code de bonne conduite éthique et professionnelle par rapport au médecin opérant, par rapport au médecin référent, que nous avons joint au dossier que nous avons donné à la CNIL.

Nous souhaitons également que le cadre réglementaire puisse se mettre en place parce qu'il y a dedans une dérive, insidieuse, qui peut ébranler les systèmes de santé, les web et autres. Nous ne contrôlons plus rien, il y a des formations partout, il faut absolument arriver à quelque chose.

Le dernier point est la traçabilité des échanges.

Nous mettons en place un système d'information et de gestion qui est en expérimentation dans sept établissements, nous comptons le généraliser et nous l'appelons dossier patient télémédecine .

Ce dossier pose tous les problèmes du stockage, de l'archivage, de la restitution à la demande des échanges, de la protection des données échangées et stockées. Il y a donc des aspects médico-légaux et donc là aussi un cadre réglementaire à voir de près.

Notre perspective d'évolution est d'aller vers l'optimisation de l'authentification des professionnels utilisateurs. Notre intention est d'aller du dossier patient télémédecine au dossier médical partagé pour que la télémédecine ait accès au dossier du patient et que nous puissions également livrer les informations au dossier médical partagé.

Il y a, là, les problèmes d'identification que je ne développerai pas, mais qui ne sont pas des moindres. Au total il semble que les technologies seront en mesure de résoudre les problèmes posés par les constitutions de dossiers, c'est difficile, mais ils y arriveront.

Comme on me l'a dit au Symposium où nous étions une trentaine à réfléchir à ces questions la semaine dernière : on nous dit que la technologie est derrière, mais nous la trouvons assez souvent devant.

C'est le comportement, les transferts des dossiers, de l'hébergement qui doit avoir une entente et que la loi doit prévoir en coordination avec les professionnels de santé.

Il faut savoir si ce fameux numéro unique, l'IPP et le NRJR peuvent servir d'exemple ou se marier, tout ceci est à définir.

En conclusion, je crois qu'il y a quatre points.

Premièrement, il y a le problème de l'organisation, de la mise en place d'un service.

Deuxièmement, il y a la mise en place du financement. Quand vous faites un dossier pour le FAUSV, ils rayent tout ce que vous demandez pour l'hôpital. Et quand vous demandez un dossier pour l'hôpital, ils rayent tout ce qu'il y a pour le FAUSV, nos expériences à ce sujet, sont quotidiennes.

Ils ne le font pas exprès, ils ne peuvent tous simplement pas faire autrement. Aussi comment voulez-vous faire des réseaux, garder les coordonnées au bénéfice du malade qui se trouve au Tourmalet si vous ne pouvez pas monter la côte qui mène au Tourmalet.

Dans une région qui a fait le Pont de Millau, nous sommes un peu surpris que, sur le plan de la télémédecine, sur le plan virtuel, nous ne puissions pas faire aussi bien que nos ingénieurs.

Troisièmement vous avez les responsabilités qui se posent dans le cadre de la pratique de la télémédecine.

Quatrièmement, il y a la mise en place du dossier télémédecine et du dossier médecine partagé.

Ce sont les quatre grands points qui, à mon avis, ne se régleront pas sans l'intervention d'une loi.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, cher ami, de ce plaidoyer pour une loi, pour une mise en forme rédactionnelle d'un texte législatif nous permettant de décliner, sur le terrain, cette nouvelle donne appliquée à l'offre de soin.

Nous avons bien noté cette volonté de faire interférer le maillage des établissements de santé dans cette offre de soin et la place de leur organisation en réseau pour intervenir efficacement dans ce domaine.

A ce sujet cher Jean DIONIS DU SÉJOUR, nous avons pu relever que notamment aux Etats-Unis, dans des zones de désertification considérées comme telles, au plan médical, moyennant un investissement dans les techniques de télémédecine qui n'excèdent pas 20 000 € par établissement, il y avait un accompagnement des rares médecins installés dans des zones parfois très étendues.

Cet accompagnement permettait rapidement et efficacement - pour au moins trois cas qui leur sont soumis sur quatre - de répondre en termes de présence et d'accompagnement médical là où autrement sans l'aide de la télémédecine, cette demande restait lettre morte.

C'est dire les perspectives que nous pouvons ébaucher à la lumière de ce que nous venons d'entendre déjà de nos amis de l'Académie de Médecine et de ce que le Professeur LARENG a connu dans l'expérience Midi-Pyrénées.

A ce stade et avant de donner la parole à tous ceux qui veulent intervenir, nous pouvons peut-être demander au Docteur CALLOC'H du Conseil National de l'Ordre des Médecins, qui nous a rejoint, de donner très rapidement son point de vue, de manière à laisser le plus de temps possible à la discussion sur ce qui vient d'être dit.

Cette discussion interviendra juste après que vous aurez indiqué l'essentiel de ce que vous entendez développer pour le livrer au débat, et que le Docteur HAZEBROUCK aura concentré également ce qu'il entend exprimer quitte à ce que ce soit repris, après, dans notre échange.

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