LES GARANTIES À APPORTER AU SYSTÈME

M. François BERNARD - Merci Monsieur le Président, vous ne regretterez pas de me donner la parole parce que je vais être très bref. Comme je ne peux pas parler au nom de la CNIL qui n'examinera le projet que cet après-midi, je ferai des réflexions un peu personnelles.

Je voudrais réagir très rapidement sur l'avant-projet de loi. Ceux qui l'ont vu à la CNIL n'ont pu en voir que quelques articles qui intéressent le problème de la loi de 1978 sur l'informatique, les fichiers et la liberté que nous sommes chargés de faire respecter, c'est le dossier médical personnel.

A ce sujet, je voudrais dire deux ou trois choses seulement.

Si nous savons bien que le législateur est souverain et que nous reconnaissons respectueusement sa souveraineté, je dirai qu'il doit être prudent dans cette affaire. Il y a tout de même d'abord les prescriptions d'ordre constitutionnel, le préambule de la Constitution qui est le droit à la santé pour tous, il ne faut donc pas le restreindre d'une façon indirecte.

Il y a une législation européenne, les directives de 1995.

Il y a une cohérence des textes et notamment la loi de 2002 qui pose un certain nombre de principes.

Il y a - je ne parlerai pas des nombreux avis de la CNIL - même une décision du Conseil d'Etat de 1998 qui annulait l'arrêté qui validait une convention nationale avec les médecins généralistes. Il l'a annulée malgré la délégation très large donnée au gouvernement - c'était par voie d'ordonnances, mais c'est pareil pour la loi - parce que cette convention ne respectait pas les principes généraux du droit.

Autrement dit, attention, il y a des problèmes d'ordre constitutionnels et de cohérence de texte.

Dans les problèmes qui apparaissent au premier abord, il y a ceux qui pourront sans doute trouver une solution assez facilement, le Ministre l'a dit.

Il s'agit - et tous les textes auxquels il est fait référence le disent - du respect de la vie privée dans ce qu'elle a de plus intime et, avec cette diffusion de données médicales personnelles, nous devons faire extraordinairement attention.

Les problèmes qui seront facilement résolus - je le pense après ce qu'a dit le Ministre -, c'est d'assurer la sécurité maximum des systèmes qui seront envisagés.

Je ne pense pas qu'il y ait là-dessus des difficultés de principe et il est certain qu'il faudra beaucoup insister à ce sujet et faire le maximum de sécurité, chiffrement, etc., et assurer la confidentialité la plus grande.

Il y a d'autres problèmes qui sont peut-être beaucoup plus difficiles, sur lesquels naturellement je ne prononcerai pas. Ils sont très délicats - le Ministre a manifesté tout à l'heure une volonté très ferme de ne pas bouger sur ses idées - et posent des questions.

Il y a d'abord le problème du caractère obligatoire ou non du système du dossier médical personnel. Dans tous les textes auxquels j'ai fait référence, il a été dit qu'il fallait qu'en ce qui concerne la constitution de données médicales qui le concernent, le patient donne son consentement à la constitution d'un dossier.

Cela a été dit de nombreuses fois et en outre en ce qui concerne les hébergeurs, dans une loi tout à fait récente qui est celle de 2002. Notre système passe par un hébergement et la loi de 2002 dit que cet hébergement de données personnelles ne peut se faire qu'avec le consentement de l'intéressé.

Nous avons donc un premier problème majeur ici d'ordre juridique - je ne parle même pas de l'ordre éthique ou politique ou tout ce que vous voudrez -, qui est celui de la cohérence des textes, de la constitutionnalité du texte : pouvons-nous faire un système obligatoire ?

C'est tout de même un point très délicat.

Un corollaire un peu à cette première question est le suivant : quelles sont les sanctions si on n'adhère pas à ce système obligatoire ?

Or le texte que nous avons eu entre les mains prévoit des sanctions, le Ministre l'a redit tout à l'heure, ce sont des sanctions financières, le remboursement ne serait pas total pour l'assuré qui n'aurait pas accepté la constitution de ce dossier médical personnel.

C'est un peu un autre aspect de la même question, mais c'est un aspect qui d'un point de vue juridique, constitutionnel, pour la cohérence des textes, est extrêmement sérieux et je tenais à le dire dès maintenant.

Je terminerai par quelques autres réflexions. De nombreux autres articles poseront des problèmes, mais nous n'avons pas le temps d'en discuter ici, notamment la création de nouveaux organismes.

A un moment où le gouvernement a dit qu'il souhaitait ne pas en créer trop, on en crée deux nouveaux : un Institut National et un Haut Conseil. Je ne discute pas de l'opportunité de ces créations, mais il faudra bien veiller à ce qu'il s'insère bien dans le système existant, qu'il n'y ait pas de double emploi et qu'on harmonise avec les organismes qui existent déjà.

Surtout - et je terminerai vraiment là-dessus - tout à l'heure mon voisin représentant le Conseil de l'Ordre des Médecins a cité le Vice-Président du Conseil d'Etat qui a eu un mot très brillant et très juste en disant qu'il ne fallait pas que la loi soit trop bavarde.

Eh bien, dans le texte que nous avons sous les yeux, celle-ci n'est pas assez bavarde, car en ce qui concerne tous les points que j'ai évoqués, il faut qu'on trouve dans la loi, des précisions qui apportent des garanties. Or ces garanties n'y figurent pas.

J'ai là la décision du Conseil d'Etat de 1998 à laquelle je faisais allusion, qui disait qu'il appartenait au législateur de définir lui-même, de préciser les principes qui s'imposaient même au pouvoir réglementaire et s'il ne le faisait pas, c'était ce que le Conseil Constitutionnel appelle de façon un peu pédante, une incompétence négative.

Il faut que la loi dise plus qu'elle n'en dit par exception à son caractère bavard habituel.

Lorsque cela relève du pouvoir réglementaire - il y aura, là aussi, un travail délicat de saucissonnage entre le législatif et le réglementaire dans ce texte compact - il faudra au moins que le législateur encadre les choses plus soigneusement qu'il ne le fait.

Il n'y a en effet aucun encadrement pour les différents renvois au mécanisme de chiffrement, de sécurité, etc., de confidentialité. Et il faut que la loi soit plus précise et plus exigeante.

Il reste le problème majeur auquel je faisais allusion et que je me garderai bien de résoudre aujourd'hui, qui est celui du caractère obligatoire du système.

M. LE PRÉSIDENT - Merci Monsieur BERNARD, merci beaucoup, nous entendons bien.

Il s'agit pour nous de faire parler la bavarde, mais à bon escient et pour obtenir ces garanties sans lesquelles il n'y aura pas de construction véritable notamment vis-à-vis du patient.

Monsieur RICHARD, merci d'intervenir, après je pense que l'autre Monsieur BERNARD voudra également intervenir à ce sujet.

M. RICHARD - L'assurance maladie a toujours été attachée à ce concept de dossier médical du patient ou plus exactement pour ses assurés.

Suite au rapport du Professeur FIESCHI, à la demande de l'Etat, l'assurance maladie s'était engagée sur la mise en oeuvre des expérimentations auxquelles a fait référence Monsieur FIESCHI.

Aujourd'hui elle est aussi présente sur le projet qui est porté par l'article 2 de la loi sur l'assurance maladie.

Pour l'assurance maladie ce dossier médical partagé, ce dossier médical personnel que nous avons, nous, l'habitude de nommer dossier électronique de santé du patient - ça le précise mieux - est un outil qui permettra de développer de nouvelles pratiques au service des assurés, de l'assurance maladie, qui permettront de développer la qualité, l'efficience et la prise en charge des patients.

Si j'avais à contribuer aujourd'hui à ce que vous nous demandez, je me placerais sur un aspect très pratique de la mise en oeuvre et reviendrai sur la question de la propriété des données que vont stocker les professions de santé dans le dossier du patient.

Cette question tourne autour de la suppression de ces données par le patient et de l'éventuelle question de la judiciarisation qui pourrait se poser après cette suppression des données.

Je suggérerai une chose qui rejoint l'idée qu'une fois que les données sont stockées, elles appartiennent certes au patient, mais s'il décide de les supprimer, nous ne saurons, après, plus très bien ce qui se passe.

Je suggérerai la possibilité que si les données sont supprimées, la personne, la profession de santé qui les a stockées puisse les récupérer de façon à clore cette question de savoir si nous allons devoir stocker les données à dix ou quinze endroits pour pouvoir se prémunir de ce genre de risques et donner un allant au dossier pour en faire un dossier reposant sur un dispositif unique et global et que tout le monde vienne l'alimenter sans se demander si les données pourront être supprimées et si, derrière, on pourra avoir des ennuis dans une judiciarisation éventuelle.

M. LE PRÉSIDENT - Avant de proposer au Professeur BERAUD de conclure, je crois que vous acceptez de donner le point de vue de ceux que vous représentez : quid du patient dans tout cela ?

M. Jean-Luc BERNARD - Monsieur le Président, effectivement dire que je représente le patient, c'est toujours le problème de la représentativité des associations.

Je parle au nom de vingt-huit associations et on nous a rappelé qu'il y en avait quatre mille qui étaient en train d'essayer de se structurer et qui n'ont pas toutes vocation à une représentation nationale, mais je reste sur ces vingt-huit associations qui composent le collectif.

Tout d'abord je me félicite de la volonté politique affichée. Et je m'en félicite parce que j'ai entendu le discours du Professeur FIESCHI que je connaissais et, là aussi, je suis content parce qu'il a dit des choses que je n'ai pas eu à dire.

Lorsqu'il a parlé de l'état d'un autre âge des systèmes d'informations médicaux, cela fait des années que nous le répétons et je suis très content que ce soit quelqu'un d'autre qui le dise. Et la volonté politique affichée viserait à faire changer ça, clairement.

J'ai déjà une première interrogation en rebondissant tout bêtement sur les propos du Ministre, accès des données par la carte professionnelle de santé. Il y a là une vraie problématique à résoudre et des vrais investissements à faire parce qu'on n'a jamais pu réussir à la déployer dans les établissements.

Déjà là aussi, en ce qui concerne le calendrier consistant à dire que tout fonctionnera au début de 2006, j'ai des doutes.

Si vous voulez, en ce qui concerne le dossier médical partagé, nous arrivons avec des doutes. Nous avons été associés aux réflexions avec la CNAM depuis le début et la nouveauté pour nous est effectivement son caractère obligatoire.

Vous avez compris que je n'étais pas juriste, il y en a au collectif, mais, là, quand même, cela a été dit par la CNIL, nous sommes dans la même logique, nous avons un véritable problème.

Ce n'est pas un problème de rédaction des textes, mais quelque chose qui a été obtenu par la loi Kouchner à laquelle nous avons été associés et très demandeurs. Je ne dirai pas que ce retour en arrière va poser des problèmes, mais que cela risque d'être un peu conflictuel avec les patients quelque part, je tiens quand même à le préciser.

Les médecins disaient tout à l'heure que le système ne fonctionnerait pas s'il était fait contre les professionnels, j'aurais tendance à dire qu'il ne fonctionnera pas s'il est fait contre les patients aussi, c'est évident.

Il faut se rappeler le fameux livret papier qui avait été distribué, il est toujours dans mon tiroir et si vous le voulez, je peux vous le donner. Il serait bien qu'avec le système informatique, on ne recrée pas ce genre de projet intéressant, mais qui reste lettre morte.

Sur quoi ai-je travaillé ?

J'ai un document qui a quelque peu attiré mon attention, la Secrétaire générale de mon association se trouve être une représentante au Conseil de l'Assurance Maladie et une note de problématique sur le dossier médical partagé a été distribuée pour la séance du 27 mai. On m'a bien sûr demandé de la critiquer.

J'ai cru comprendre que le Conseil n'en avait pas du tout débattu, mais je vais quand même vous livrer la conclusion qui, indépendamment des contradictions que nous y avons relevés, est quand même intéressante.

Notre conclusion à nous, patients, est :

Les usagers du système de santé sont non seulement favorables au DMP, mais aussi demandeurs, ...

C'est quand même une bonne nouvelle, cela évite effectivement l'écueil de non-acceptation. En revanche la deuxième partie de la phrase est importante :

...à condition que les pré-requis en matière de protection de données individuelles soient strictement respectés .

Nous venons un peu de parler du pré-requis à travers la carte Vitale, mais je viens avec les mêmes interrogations pour les patients et c'est aussi la problématique de la suppression des données.

Il faut que tous les actes de ce dossier soient traçables et signés électroniquement, donc signés par quoi ?

J'ai là aussi entendu Monsieur DOUSTE BLAZY qui faisait référence au système des impôts en disant qu'un million de personnes faisait de la télédéclaration, ce n'est pas de l'authentification forte.

Sur soixante ou quatre-vingts millions de personnes, j'ai une grosse question sur l'authentification des patients. Pour les professionnels, nous le savons, c'est la CPS. Il y a donc des questions.

J'ai quand même beaucoup de questions. En l'état actuel des réflexions du collectif vous avez vu que nous sommes favorables, mais que nous venons avec nos questions quelque part et nous avons besoin de ces garanties que le représentant de la CNIL mentionnait.

L'inviolabilité est une condition sine qua non. S'il y a, ne serait-ce qu'un jour, une faille, je crois que la confiance dans le système s'écroulera et que la confiance dans tout le système numérique s'écroulera.

J'ai une autre réflexion qui serait presque juridique et qui rejoint un peu les préoccupations de Monsieur RICHARD, c'est le statut de ce dossier. Monsieur RICHARD disait qu'on allait en faire de la judiciarisation ou non, etc.

Je ne comprends pas bien le statut, dans la note de problématique remise au Conseil, tantôt on dit que ce dossier médical est un résumé des dossiers médicaux qui existent dans les systèmes hospitaliers, tantôt on nous parle de complétude du dossier, il faudrait savoir.

Si c'est un résumé, il n'a aucune vocation à être judiciaire parce que si, un jour, je fais de la judiciarisation, je remonterai à la source des données, c'est-à-dire au SIH, qu'il soit vétuste ou pas. Ce qui m'intéressera, c'est ce qui figurera dans le SIH et pas dans le dossier médical partagé.

Si ce dossier a vocation à être complet, il faut vraiment que ce soit affiché, or, pour le moment dans les notes de problématiques que nous avons, c'est très ambigu. Il faut que le statut de ce dossier soit clair.

S'il est effectivement clair et qu'il a une vocation à être complet, la question de la suppression des données devient pertinente, si c'est un résumé, la question n'a plus aucune pertinence.

J'ai quand même cette grosse interrogation quasi juridique sur le statut réel de ce dossier.

Voilà pour le moment.

M. LE PRÉSIDENT - Merci beaucoup.

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