D. LES QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES

1. Vulnérabilité de l'Europe en matière d'énergie et relations entre les systèmes énergétiques et l'environnement

Lors de sa séance du mardi 26 avril après-midi l'Assemblée a examiné en discussion commune :

- le rapport de M. Radu-Mircea Berceanu (Roumanie, Soc) sur la vulnérabilité croissante de l'Europe en matière d'énergie ;

- le rapport de M. Bill Etherington (Royaume-Uni, soc) sur les systèmes énergétiques et l'environnement.

M. Claude Mandil , directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie, est intervenu après l'exposé des rapporteurs.

M. Jean-Pierre Kucheida a insisté sur les moyens de développer des sources d'énergie compatibles avec l'impératif de protection de l'environnement :

« J'ai suivi ce rapport avec beaucoup d'attention et je partage les préoccupations de M. Etherington, député d'une région minière, comme moi-même. Nous connaissons le rôle joué par le charbon dans le développement de notre société, au cours des deux siècles passés. Nous sommes également bien placés pour savoir que le charbon, énergie fossile, peut causer quelques soucis à l'environnement et aux populations. Je remercie M. Etherington et son collègue, M. Berceanu, d'avoir pointé différents aspects particulièrement intéressants.

« Selon l'Organisation mondiale de la santé, plusieurs dizaines de milliers de personnes meurent chaque année en Europe des conséquences de la pollution atmosphérique. L'espérance de vie dans l'Union européenne est même amputée de plus de huit mois à cause de la pollution atmosphérique par les particules en suspension. L'air de nos villes peut devenir irrespirable, nos enfants sont de plus en plus sujets aux crises d'asthme et aux bronchiolites, et surtout, la planète se réchauffe inexorablement en raison, pour une part, des activités humaines génératrices de gaz à effet de serre.

« Les principaux contributeurs à ce phénomène sont les industries, le résidentiel-tertiaire - chauffage, appareils électriques etc. - ainsi que les transports. Je m'intéresserai plus particulièrement aux deux derniers car ils ont la croissance la plus forte. En effet, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie - ADEME -, la consommation finale dans le résidentiel-tertiaire a augmenté de façon constante, en France, depuis 1973, de plus de 25 %, pour s'établir à plus de 70 millions de tonnes équivalent pétrole en 2002. En un siècle et demi, le trafic mondial de marchandises a été multiplié par 1000. Un trajet sur deux en voiture fait moins de trois kilomètres.

« De plus, l'énergie utilisée est d'origine fossile ou nucléaire. Or, avec les réserves prouvées et la consommation actuelle, les réserves de pétrole couvriront nos besoins pour quarante à cinquante ans, le gaz naturel pour soixante à quatre-vingts ans et le charbon pour plus de deux siècles.

« Avec le développement des pays émergents, la demande d'énergie risque d'augmenter de 60 % d'ici 2030 ; 85 % des besoins de la planète seront alors couverts par les produits fossiles. Si nous voulons éviter une aggravation du réchauffement climatique, il faut, pour la part qui incombe à l'homme, adopter certaines mesures qui rejoignent les propos des rapporteurs et de M. Mandil.

« Il faut faire en sorte que le Traité de Kyoto soit respecté - j'en profite d'ailleurs pour remercier la Russie qui s'est récemment associée à ce traité - et que les États-Unis, dont la consommation d'énergie par habitant est la plus élevée au monde - près de deux fois celle des Européens - le ratifient le plus rapidement possible. Ce devrait être un devoir pour ce grand pays ami.

« Il faut coopérer avec les pays en développement afin qu'ils mettent en place des moyens de production moins polluants - notre expérience peut être utile - et moins gourmands en énergie. La Chine est devenue le deuxième importateur mondial de pétrole et que seront l'Inde et le Brésil ?

« Il faut intégrer au calcul, jusqu'alors biaisé, du coût des transports, les coûts externes environnementaux engendrés par les différents modes de transport. Nous nous apercevrons alors rapidement du coût réel des marchandises produites aux antipodes.

« Il faut construire de façon équilibrée les centrales nucléaires mais en activant les recherches sur la fiabilité de celles-ci et sur la réduction des déchets, ce qui n'a jamais cessé depuis quarante ans mais qui peut encore être largement activé dans l'avenir.

« Il faut développer de nouvelles technologies pour construire des véhicules non polluants en augmentant les crédits à la recherche dans tous les pays du monde et en soutenant de nouveaux programmes qui ne doivent pas être bloqués par certains intérêts. N'oublions pas le rôle particulièrement néfaste des compagnies pétrolières en ce domaine.

« Il faut soutenir le développement des énergies renouvelables - éolien, photovoltaïque, micro hydraulique, solaire, bois-énergie, biomasse - en Europe, mais plus encore dans les pays en développement, qui s'adaptent souvent plus facilement.

« Il faut organiser et développer des campagnes d'information pour encourager les économies d'énergie. En effet, le premier de tous les gisements d'énergie réside dans les économies. Je le répète depuis une vingtaine d'années, comme certains d'entre vous.

« Surtout, un développement dit durable nécessite, parallèlement aux solutions déjà proposées, la remise en cause de notre modèle urbain - ce ne sera pas facile - de nos besoins de mobilité - ce ne sera pas facile - et de nos habitudes de consommation - et ce ne sera pas facile -. Je pense sincèrement, comme le disait Gandhi, qu'il est aujourd'hui plus que nécessaire de « vivre simplement pour que simplement les autres puissent vivre. »

M. Gilbert Meyer a développé la situation de la France dans ce domaine en insistant notamment sur l'importance de l'énergie d'origine nucléaire :

« Je remercie M. Bill Etherington pour son rapport très complet. Je voudrais, pour ma part, insister sur la situation particulière de la France et rappeler quelques éléments essentiels dans le débat qui nous occupe.

« Dans notre pays 78 % de l'électricité produite est d'origine nucléaire. La France atteint un taux d'indépendance énergétique proche de 50 %. Il convient de le rappeler, l'énergie nucléaire n'émet pas de gaz à effet de serre. Le Commissariat à l'énergie atomique précise que le nucléaire permet d'éviter chaque année l'émission de 700 millions de tonnes de CO2 et que l'arrêt du nucléaire entraînerait une augmentation de 12 % de la production de CO2. Ajoutons que le coût de production de l'électricité nucléaire est très stable et compétitif. Il l'est plus encore si l'on tient compte précisément des coûts induits par la limitation des gaz à effet de serre.

« La France exporte une partie importante de sa production d'électricité vers ses voisins européens, lesquels ont des besoins importants en électricité. La poursuite de ces exportations n'est possible que si le parc nucléaire français est maintenu.

« Tels sont les faits, incontournables. Une manière de dire aux détracteurs que le réel a ses droits et que les contraintes énergétiques existent bel et bien. Reste, bien entendu, le problème de la gestion des déchets. Les recherches en cours ont pour objectif d'éclairer les choix sur le mode de gestion futur des déchets à vie longue.

« L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques vient de publier, en mars 2005, le rapport de MM. Christian Bataille et Claude Birraux. De ce rapport qui dresse un point précis de la situation, le Parlement débattra avant de prendre des décisions, en 2006, à l'occasion de la révision prévue de la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs.

« En ce qui concerne les énergies renouvelables, il est certain qu'il s'agit là d'un secteur à étudier. Ces énergies assuraient en 2001 6,8 % de l'offre totale d'énergie primaire en France, provenant essentiellement de deux sources : l'hydraulique et le bois. L'hydraulique représente 13 % de la production électrique de la France.

« La production d'électricité par éolienne est beaucoup moins développée, ce qui tient en partie à la difficulté de trouver des sites où la population accepte leur installation. La création de stations d'éoliennes en mer, souvent évoquée, est peut-être une solution. Il conviendra d'examiner le problème environnemental dans sa globalité et de ne pas porter une atteinte excessive aux milieux naturels. L'énergie d'origine éolienne ne pourra intervenir que marginalement. La difficulté majeure réside dans le stockage de l'énergie ainsi produite, question non résolue à ce jour.

« Au Parlement français, deux textes importants sont en cours d'examen : le projet de loi d'orientation sur l'énergie et le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques. Leur examen donne lieu à des discussions approfondies.

« La diversification des sources d'énergie est souhaitable mais il faut garder à l'esprit les contraintes. Les énergies renouvelables ne peuvent fournir des solutions qu'à moyen ou à long terme. C'est la raison pour laquelle la France, tout en renforçant ses efforts en matière d'économie d'énergie, comme cela vient d'être rappelé, ne souhaite pas renoncer à l'heure actuelle à son programme de production d'électricité d'origine nucléaire. »

M. Francis Grignon a mis en avant la nécessité de développer les économies d'énergie et les innovations techniques tout en plaidant pour la diversification des sources d'énergie :

« Je félicite vivement notre rapporteur, qui en matière d'énergie, a abordé courageusement tous les problèmes de l'Europe, dont la vulnérabilité entraîne sa dépendance à l'égard de sources le plus souvent extra-européennes.

« La proposition de résolution qui nous est soumise suggère les réponses les plus adaptées à un double défi : d'une part, l'augmentation de la consommation d'énergies fossiles, non seulement en Europe et aux États-Unis, mais aussi en Inde et en Chine, liée à leur développement économique, avec tous les effets secondaires que nous connaissons, et, d'autre part, la pression sur l'offre avec la hausse des prix du pétrole, la raréfaction prévisible des combustibles fossiles et l'instabilité politique des zones de production.

« Notre commission est dans son rôle en pointant la nécessité d'une politique paneuropéenne de l'énergie et en suggérant des réponses à long terme à cette vulnérabilité qui ne peut qu'aller croissant. Cette vision continentale et anticipatrice éclairera, je l'espère, l'action de l'Union européenne, impliquée dans la gestion directe et à court terme des problèmes énergétiques.

« Je regrette pour ma part que la réunion du G7 qui s'est tenue la semaine dernière à Washington ait placé l'augmentation de l'offre de pétrole à l'égal des économies d'énergies parmi les solutions souhaitables.

« Notre rapporteur a la sagesse de préconiser des solutions à plus long terme. D'abord, le développement des économies d'énergie représente des gisements considérables. Je pense tout particulièrement à l'Est de l'Europe. Notre collègue Mme Josette Durrieu avait présenté un rapport sur le nucléaire en Russie qui montrait une marge très importante pour les gains d'efficacité, notamment en matière de chauffage.

« J'ajoute que les travaux de rénovation des bâtiments anciens - changement des huisseries, calfeutrage des conduits, isolation des murs et des toitures - génèrent une activité économique très importante, créent des emplois sur place, apportent une amélioration directement perceptible aux habitants et dégagent des capitaux pour des investissements plus productifs que du gaspillage d'énergie.

« En Europe occidentale également, la conception des bâtiments devra évoluer pour intégrer des normes de performance énergétique. Déjà l'Union européenne a institué des « éco-labels », dont les caractéristiques figurent sur la plupart des appareils ménagers, ainsi que sur les dispositifs de chauffage. Compte tenu de l'importance de la consommation et de la pollution liée au chauffage des bâtiments, il faut aller vers la publicité des performances énergétiques des bâtiments à partir de standards européens, voire internationaux.

« J'approuve, bien entendu, également le développement de sources d'énergie alternatives. Le Parlement français vient ainsi de voter un projet proposé par le gouvernement visant à relever considérablement nos objectifs en matière d'énergie de substitution, des éoliennes aux bio-carburants.

« Je voudrais également qu'on ne néglige pas le développement des voitures électriques, alors que le secteur des transports est le plus consommateur de pétrole, donc, jusqu'à présent, le plus dépendant de cette énergie. C'est une piste également pour limiter la pollution due aux gaz à effet de serre. A ce sujet, je tiens à indiquer qu'après dix à douze ans de recherche sur les batteries, nous pourrions voir apparaître, avant la fin de cette année, quatre prototypes de voitures électriques affichant des performances identiques aux voitures normales et avec une autonomie allant jusqu'à 300 kilomètres.

« Enfin, notre rapporteur pointe le fait que l'énergie d'origine nucléaire ne fournirait que 2 % du total de la consommation dans le continent européen. Vous le savez la France a choisi d'anticiper ce risque de vulnérabilité à l'égard des sources extérieures et donc de développer l'énergie nucléaire. Bien entendu, nous devons développer la sécurité des installations comme celle de la gestion des déchets. Le partenariat intra-européen devrait permettre d'éliminer le risque de nouveaux Tchernobyl sans priver des régions entières de l'énergie dont elles ont besoin.

« La conclusion s'impose d'elle-même : plutôt que des négociations et des pressions à court terme pour augmenter l'offre de pétrole, les États européens doivent développer la recherche. Je voudrais dire aux eurosceptiques, notamment français, que seule l'Europe peut fédérer des efforts de recherche aussi considérables que ceux que requiert la mutation des approvisionnements énergétiques du continent.

« Aussi le rapporteur nous invite-t-il, à juste titre, à soutenir le développement du réacteur thermonucléaire expérimental international, projet que l'on connaît sous le nom d'ITER.

« Économies d'énergie, diversification des sources et innovations techniques, telles sont les orientations qui permettront à l'Europe de poursuivre son développement économique et fourniront un modèle pour les États dont les besoins explosent. De plus, seules ces orientations nous permettront de satisfaire aux objectifs du Protocole de Kyoto, que le Gouvernement français s'est engagé à atteindre avant 2010. »

L' Assemblée a achevé ses travaux sur ce point en adoptant deux résolutions :

- la résolution n° 1434 relative à la vulnérabilité croissante de l'Europe en matière d'énergie invitant notamment les États membres à élaborer conjointement des politiques cadres paneuropéennes permettant de plus grandes économies d'énergie et un passage progressif à des sources d'énergie de substitution, à moderniser les centrales à charbon, à poursuivre les travaux conjoints sur la fusion thermonucléaire, à soutenir le projet ITER et à faire en sorte que les prix de l'énergie reflètent mieux ce que cette ressource coûte réellement à la société tout en incitant à des économies d'énergie ;

- la résolution n° 1435 sur les systèmes énergétiques et l'environnement demandant en particulier aux États membres d'agir en urgence pour réduire l'impact environnemental de la production, du transport et de l'utilisation de l'énergie, d'éviter d'implanter des centrales nucléaires à proximité des frontières d'États qui refusent ce type de production d'énergie et d'agir pour accélérer les travaux visant à sécuriser le site de Tchernobyl.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page