IV. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION

L'ordre du jour de la session de printemps a tout d'abord permis à l'Assemblée de se pencher sur le sort des journalistes pris en otage en Irak, grâce au débat d'urgence organisé à l'initiative de la délégation française.

Il a également fait place à des débats importants concernant les questions sociales avec, en particulier, l'examen du texte sur l'accompagnement des malades en fin de vie, mais aussi le traitement de sujets comme les droits des enfants en institutions, les discriminations à l'encontre des femmes dans le milieu professionnel et dans le sport, et les relations entre migration et intégration.

Les débats sur l'actualité internationale ont permis d'aborder la légalité de la détention de personnes à Guantanamo Bay, le dossier du nucléaire en Iran et le projet de traité constitutionnel européen.

Enfin deux questions liées à l'environnement ont été abordées : les systèmes énergétiques et l'environnement (débat commun avec celui sur la vulnérabilité croissante de l'Europe en matière d'énergie) et la diminution de la pollution des mers.

A. LE DÉBAT D'URGENCE SUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES JOURNALISTES DANS LES ZONES DE CONFLITS (4 ( * ))

Face à la détention de journalistes en Irak, les délégations française et roumaine ont pris l'initiative de demander un débat d'urgence qui a été accepté par le Bureau de l'Assemblée. Plusieurs membres de la délégation française ont pris la parole à cette occasion.

M. Bernard Schreiner a justifié la demande de débat d'urgence, a décrit la mobilisation en faveur de la libération des journalistes pris en otage et a insisté sur l'importance de la liberté de la presse dans les sociétés démocratiques :

« Florence Aubenas, envoyée spéciale du quotidien français Libération, était arrivée en Irak pour couvrir les premières élections législatives organisées depuis la chute du régime de Saddam Hussein. Malheureusement, le 5 janvier 2005, Florence Aubenas et son guide irakien Hussein Hanoun al-Saadi disparaissaient. Aujourd'hui, ils sont toujours retenus prisonniers - cela fait plus de cent dix jours - et nous avons très peu de nouvelles d'eux. Cette prise d'otage intervient après celles des journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot ainsi que de la journaliste italienne Giuliana Sgrena. Derniers sur la longue liste des otages retenus prisonniers en Irak, figurent trois journalistes roumains : Marie-Jeanne Ion, Sorin Dumitru Miscoci et Eduard Ovidiu Ohanesian.

« Il a donc paru normal aux délégations française et roumaine de demander un débat d'urgence sur la liberté de la presse et les conditions de travail des journalistes dans les zones à risques - en Irak certes, mais également dans toutes les zones du monde concernée - en accord avec la délégation italienne.

« Sans réelles informations et sans revendications exprimées, leurs confrères journalistes se sont mobilisés pour la libération de leurs collègues. Le Parlement a tenu à apporter son soutien à cette mobilisation. Une centaine de députés et sénateurs se sont rassemblés sur le parvis du Trocadéro, à Paris, le 30 mars dernier, pour exiger la libération des otages. A cette occasion, M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale française, a convié le Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, M. René van der Linden, en visite à Paris, à s'y associer.

« Au nom de la délégation, je tiens à le remercier fort chaleureusement pour sa participation. Sa présence au milieu des parlementaires français a été un témoignage fort de solidarité et un symbole de l'unité de nos démocraties unanimement apprécié en France.

« L'information est source de pouvoir, nous le savons tous. Bien des journalistes dérangent dans des pays où les seuls médias officiels ont droit de cité et où ne sont pas respectées les règles du jeu démocratique. C'est la raison pour laquelle l'instauration de la liberté de la presse est un facteur déterminant du processus de démocratisation.

« Le reporter de guerre ou l'envoyé spécial a toujours été en première ligne lors de conflits. Les risques encourus sont à la hauteur des enjeux : faire connaître la réalité sur le terrain ; en un mot, informer. La fameuse photo de la petite fille fuyant son village bombardé au napalm durant la guerre du Vietnam a contribué à faire découvrir un autre visage de ce conflit et, en même temps, a révélé le véritable visage de la guerre, de ses horreurs, de toutes les guerres sur notre planète.

« Une chose a changé cependant. Les conditions de travail du journaliste sont devenues doublement périlleuses : non seulement il risque sa vie dans des zones dangereuses, mais il est aussi devenu ces dernières années la cible d'organisations politiques, terroristes, voire mafieuses qui souhaitent exprimer ou faire aboutir leurs revendications, ou tout simplement jouer avec le chantage.

« Le 22 mars dernier, une quarantaine de responsables de médias européens signaient une déclaration pour appeler à la libération des journalistes roumains et français. Dans cette déclaration, ils lançaient un appel aux institutions européennes afin qu'elles multiplient les initiatives en faveur des otages, otages en Irak, mais également otages dans les autres zones de conflit et de guerre.

« Le Président René van der Linden le rappelait dans son message de soutien à Paris, le Conseil de l'Europe a pour vocation de défendre la liberté de la presse et la liberté d'expression. C'est pourquoi il est nécessaire que notre Assemblée se penche sur cette question et affirme fortement son attachement à des principes qui fondent notre institution : la liberté, la dignité de l'homme et l'État de droit. »

M. François Rochebloine a mis en évidence la multiplication des prises d'otages de journalistes, avant de rappeler les nombreuses déclarations internationales sur l'importance du respect de la liberté d'informer et de réclamer une nouvelle réaffirmation de ce principe par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe :

« Sur le front des otages, la France est à nouveau en première ligne. A peine Christian Chesnot et Georges Malbrunot libérés, Florence Aubenas, envoyée spéciale du quotidien Libération, et son guide irakien, étaient portés disparus.

« Déjà il y a vingt ans, le 22 mai 1985, Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat étaient enlevés à Beyrouth. Michel Seurat devait mourir pendant sa captivité tandis que ses compagnons n'ont été libérés que trois ans plus tard en mai 1988. Le 8 mars 1986, quatre autres journalistes : Georges Hansen, Jean-Louis Normandin, Philippe Rochot et Aurel Cornéa étaient à leur tour enlevés. De nouveau, le journal télévisé du 20 heures égrène le terrible décompte des jours de captivité de Florence et de son guide.

« Le journaliste paie désormais au prix fort sa détermination à continuer à exercer son métier dans les zones à risques. La guerre en Irak en est l'illustration parfaite. Ce sont vingt-et-un journalistes qui ont été enlevés depuis le début du conflit.

« S'il est du devoir du journaliste d'informer, il est du devoir de la France, comme de tout pays démocratique, de soutenir tous les efforts déployés pour obtenir la libération des journalistes enlevés, quelle que soit leur nationalité.

« La France est particulièrement attachée à défendre la liberté de la presse. C'est pourquoi elle a souhaité avec la délégation roumaine et en accord avec la délégation italienne, organiser ce débat d'urgence.

« En effet, c'est la défense de la liberté d'information, pilier de toute société démocratique qui est en jeu. Ce sont les révolutionnaires français, les premiers, qui ont rédigé l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans laquelle il est affirmé : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi ».

« Afin de sensibiliser les opinions, les Nations Unies ont créé en 1993 une journée mondiale pour la liberté de la presse. Par ailleurs, depuis 1997, un prix est décerné pour distinguer une personne ou une organisation dont le combat en faveur de la liberté de la presse est remarquable. L'Unesco, de son côté, a multiplié les résolutions pour condamner toute violence à l'encontre des journalistes. Malheureusement, tous ces efforts n'ont guère porté leurs fruits.

« Les chiffres de l'organisation « Reporters sans frontières » sont accablants. Depuis le début de l'année 2005, dix-neuf journalistes ont été tués et cent six sont toujours emprisonnés. La liberté d'expression et la liberté d'information sont donc loin d'être acquises.

« L'enceinte du Conseil de l'Europe se doit de défendre ces principes fondamentaux. La Convention européenne des droits de l'homme énonce dans son article 10 : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières ».

« Garantir la liberté d'informer en tous lieux des journalistes, c'est garantir la liberté d'expression, pierre angulaire des droits fondamentaux. L'article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme ne rappelle-t-il pas : « Tout individu a droit de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit » ?

« Quelle meilleure référence prendre pour réclamer aujourd'hui la libération de nos compatriotes retenus en otage autour desquels une incroyable mobilisation s'est opérée en France, ainsi que de leurs collègues roumains ? Si notre débat de ce jour pouvait faciliter la solution de la crise actuelle, nous trouverions une formidable justification à nos échanges de ce matin. C'est, mes chers collègues, mon souhait le plus sincère. »

M. Jean-Marie Bockel , intervenant à son tour dans le débat, a insisté sur le traitement médiatique des prises d'otage de journalistes et s'est réjoui de la mobilisation des parlementaires européens en faveur de la liberté de la presse dont témoignait ce débat :

« Victor Hugo, qui fut sénateur, disait, dans un discours en faveur de la liberté de la presse, le 11 septembre 1848 : « Le principe de la liberté de la presse n'est pas moins essentiel, n'est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. (...) Ces deux principes s'appellent et se complètent réciproquement. La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c'est la liberté de penser de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l'une, c'est attenter à l'autre ».

« Parmi les forfaits du terrorisme, l'un des plus graves est bien de s'en prendre à la liberté de la presse car c'est la démocratie même qui est visée et toutes les libertés qui la font vivre.

« Malgré l'actualité dramatique qui nous est imposée, nous devons tenter de considérer les risques distincts que font courir à la liberté d'information les menaces à l'oeuvre au Moyen-Orient, en Asie, sans oublier l'Afrique où sont tombés plusieurs journalistes. Je voudrais en effet distinguer les menaces explicitement terroristes des manipulations plus insidieuses. Nous avons tous présents à l'esprit des messages assortis d'images qui mettent en scène le martyre de victimes du terrorisme, notamment en Irak.

« Quel peut être l'impact de ces messages ? En Europe, pas de doute, ils provoquent révolte et aversion pour les prétendues thèses qui les accompagnent. Mais je ne doute pas que, diffusées dans les pays mêmes où ces actes sont perpétrés, ces images révoltent également la conscience de la plupart des hommes et des femmes qui les voient.

« Je ne méconnais pas combien est délicate la « gestion », si j'ose dire, de ces messages pour les gouvernements responsables, les médias et les journalistes qui sont confrontés à la réalité du terrorisme.

« Cependant, autant que du risque de diffusion de messages terroristes qui inspirent universellement l'horreur, il convient de prendre la mesure des paramètres qui favorisent la manipulation des opinions par la dictature et le terrorisme en particulier : la misère et l'illettrisme. S'agissant de terrorisme d'État, l'assassinat des journalistes est un expédient pour conforter l'oppression de la population soumise à la manipulation de médias soumis au seul pouvoir.

« Je suis, pour ma part, convaincu que tous les hommes aspirent aux mêmes valeurs universelles que nous devons défendre partout et sans faiblesse. C'est le message fort du Conseil de l'Europe. Plus que jamais, la liberté de la presse est, comme le disait Victor Hugo, consubstantielle du suffrage universel, c'est-à-dire de la démocratie. C'est pourquoi, au déni de démocratie que sont les menaces terroristes, nous devons réagir avec la vigueur du débat de ce matin.

« Je veux croire cependant que les évolutions en cours, notamment au Moyen-Orient, feront progresser la pluralité de l'information par l'aspiration à la démocratie, et que ces progrès gagneront en Asie et en Afrique. Il en va bien entendu de la sécurité de ceux dont le métier est d'informer, de la formation d'une opinion éclairée, mais aussi de la stabilisation des régions encore soumises à une désinformation criminelle.

« Enfin, puisse notre débat de ce matin, digne et engagé, contribuer à lutter contre ce qui est peut-être la pire des choses - beaucoup d'entre vous l'ont souligné - à savoir l'oubli, voire un début d'habitude ou d'indifférence à l'égard des journalistes toujours détenus en otage, qu'ils soient français - je pense à Florence Aubenas et à son guide irakien -, roumains - vous les avez évoqués à l'instant -, ou de toute autre nationalité. Tant qu'ils le seront, nous ne serons pas en paix. Nous ne connaîtrons pas de repos. Nous resterons mobilisés, comme nous le faisons de manière exemplaire et visible, je crois, ce matin. Nous savons que ce n'est pas inutile. Nous savons que cela peut contribuer non seulement à la libération des otages, mais aussi à la liberté, cette liberté chérie qui est notre valeur partagée. »

M. Jean-Pierre Kucheida a insisté sur l'importance de la liberté de la presse aujourd'hui attaquée sur plusieurs fronts :

« La presse a en partie construit sa légitimité dans cette promesse d'un monde enfin explicable cernable d'un seul coup d'oeil, linéaire. [...] À la fin d'un article, un lecteur doit pouvoir s'exclamer avec la satisfaction de l'amateur de romans policiers découvrant l'assassin : « C'était donc ça ! » . Cette citation sur la travail du journaliste est extraite du livre « La fabrication de l'information » coécrit par le psychanalyste Miguel Benassayag et par Florence Aubenas, détenue depuis le 5 janvier dernier en Irak.

« On peut le déplorer, mais force est de constater que sans la presse, sans les journalistes, nous ne saurions que très peu de choses de ce qui se passe dans le monde. D'où l'importance pour nos sociétés démocratiques d'avoir et de garantir l'activité d'une presse libre et indépendante de tous les pouvoirs, animée par des journalistes qui cherchent à informer leurs concitoyens et non à déformer la réalité pour complaire à telle ou telle entité politique ou économique.

« La liberté de la presse est inscrite dans toutes les grandes déclarations de droits : article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, Convention européenne des Droits de l'Homme, Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Tous ces textes prestigieux l'ont hissée aux rangs de leurs principes fondateurs, et on ne compte plus les textes d'organisations comme l'ONU, l'UNESCO et le Conseil de l'Europe, visant à en rappeler les principes.

« Toutefois la liberté de la presse a de commun avec d'autres grands principes ce point que, malgré la multiplication des garanties et des affirmations, elle reste malheureusement peu effective sur le terrain.

« Parmi les multiples menaces qui pèsent sur elle, il y a bien entendu le danger que représente la prise de contrôle des organes de presse par de grands groupes industriels ou financiers, qui ne peut laisser aucun démocrate indifférent. Il y a également la traditionnelle censure étatique qui reste courante dans de nombreux pays totalitaires. Enfin, depuis plusieurs années, on note le développement d'un autre type de danger : l'utilisation de plus en plus répandue de la prise en otage de journalistes par des groupes terroristes ou criminels en mal de notoriété ou d'argent. Florence Aubenas, son guide irakien Hussein Hanoun et les trois journalistes roumains pris en otage en Irak, sont la dernière illustration de cette triste réalité.

« J'entends parfois dire : tous ces gens sont allés en Irak conscients des risques qu'ils encouraient, ils ont pris leurs responsabilités. Cela est vrai, mais est-ce une raison pour nos démocraties de s'abstenir de toute action en leur faveur ? Mes chers collègues, je pense que la réponse à cette question ne peut être que négative. Si des hommes et des femmes refusaient à l'avenir de prendre ce type de risque, nous n'aurions aucune information sur la situation des pays en crise, et la porte serait encore plus largement ouverte qu'aujourd'hui aux manipulations d'opinion et à la désinformation.

« Dès lors, même si l'on peut parfois critiquer la presse, il me semble important de participer à la mobilisation en faveur de la libération des journalistes pris en otage, notamment en Irak.

« Mieux vaut une presse imparfaite que pas de presse du tout. Tel est le sens de ce débat d'urgence dont la tenue, dans le contexte dramatique que nous connaissons, honore notre Assemblée. »

M. Jacques Legendre a conclu le débat en sa qualité de Président de la commission de la culture, de la science et de l'éducation :

« Fallait-il parler aujourd'hui au Conseil de l'Europe des journalistes enlevés, menacés et, plus généralement, de la liberté de la presse ?

« Il existe un problème général de rapports entre les médias et le terrorisme. La commission de la culture s'en était saisie indépendamment de l'actualité en confiant un rapport, sur sa proposition, à M. Jaøab et en organisant au Sénat français, le 17 mars dernier, un important colloque sur ce thème.

« La réponse à notre question sur la nécessité de ce débat, nous l'avons entendue de la bouche même de journalistes récemment enlevés en Irak à Paris : le 17 mars, Georges Malbrunot affirmait que ce qui est essentiel, c'est que le silence ne se fasse pas autour de ceux qui ont été enlevés, que l'on parle et que l'on dénonce sans arrêt l'enlèvement des journalistes, l'atteinte portée à leur personne, l'atteinte portée à la liberté d'information, l'atteinte portée à ces principes, cette menace qui ne pèse pas seulement sur tous les journalistes, mais sur tous les citoyens dans tous les pays.

« Notre commission croit vraiment aujourd'hui faire son devoir et son travail en participant, avec l'excellent rapport de M. Jaøab, avec les commentaires et l'avis de M. Mihkelson, à ce débat nécessaire pour dire à ceux qui ont enlevé des journalistes : «Arrêtez-vous ! Vous déshonorez votre cause. Vous allez contre votre intérêt en vous livrant à cette agression contre la liberté. »

« Le Conseil de l'Europe, ce qu'il représente et sa puissance morale, fait aujourd'hui ce qu'il doit faire. Nous espérons que ce message ira loin, ira jusqu'en Irak, jusqu'à ceux qui sont actuellement détenus, Roumains ou Français, vers lesquels notre pensée est tout entière tournée. »

A l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté la recommandation n° 1702 demandant aux États membres de veiller à la liberté d'expression et d'information dans les médias et aux conditions de travail des journalistes en cas de conflit et de travailler sur cette question en liaison avec les Nations Unies et la résolution n° 1438 :

1. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe rappelle l'importance de la liberté d'expression et d'information dans les médias pour les sociétés démocratiques et pour toute personne. Cette liberté constitue une valeur fondamentale garantie partout en Europe par la Convention européenne des Droits de l'Homme. Une situation de guerre ou de conflit ne supprime pas la nécessité de la diffusion d'informations adéquates par les médias ; bien au contraire, elle la rend plus impérieuse encore.

2. Les journalistes en reportage dans des zones à risque, telles que des zones de guerre ou de conflit ou des zones de non-droit, font souvent face à des conditions de travail difficiles et dangereuses et sont même parfois largement et systématiquement pris pour cibles par des groupes terroristes cherchant à attirer l'attention des médias, comme actuellement en Irak. Dans certaines circonstances, il convient donc de mettre en balance, d'une part, la liberté d'expression et d'information et, d'autre part, d'autres considérations fondamentales, notamment les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité, pour les journalistes. Il ne faut pas transiger sur la protection de ces droits sous prétexte que la loi du marché exigerait des reportages en direct des zones à risque et que le public serait de plus en plus avide de reportages à sensation.

3. L'Assemblée déplore la multiplication des assassinats, enlèvements et disparitions de journalistes travaillant dans des zones de conflit ou sur des sujets sensibles, et considère ceci comme des atteintes particulièrement graves à la liberté d'expression et d'information dans les médias. Un grand retentissement donné aux enlèvements de journalistes et l'acceptation des demandes des ravisseurs, tel que le versement de sommes importantes augmentent considérablement les risques auxquels sont soumis les reporters travaillant dans des zones dangereuses et limitent ainsi la possibilité, pour le public, d'être informé valablement.

4. Préoccupée par la situation de la liberté d'expression et d'information dans les médias en Irak, l'Assemblée déplore le grand nombre de décès et de disparitions de journalistes survenus dans ce pays, et le maintien en détention de Florence Aubenas, Hussein Hanoun al-Saadi, Sorin Dumitru Miscoci, Marie-Jeanne Ion et Eduard Ovidiu Ohanesian. Elle demande la libération immédiate des otages.

5. L'Assemblée rend hommage aux organisations non gouvernementales comme l'« International News Safety Institute », l'«International Press Institute », « Reporters sans frontières », la Fédération internationale des journalistes et l'« Institute for War & Peace Reporting », qui apportent une aide et des conseils aux journalistes travaillant dans des situations dangereuses et des zones de conflit.

6. Se félicitant de l'élaboration, à l'initiative de « Reporters sans frontières », de la Charte sur la sécurité des journalistes en zones de conflit ou de tension, l'Assemblée rappelle l'importance de n'envoyer dans ces régions que des journalistes expérimentés et bien préparés, qui partent de leur plein gré, de leur fournir le matériel de sécurité, de communication et de premiers secours dont ils ont besoin, de leur apporter une aide psychologique à leur retour, et de les faire bénéficier d'une assurance couvrant les cas de maladie, de blessure, de rapatriement, d'invalidité et de décès.


7. L'Assemblée rappelle et réaffirme que les journalistes doivent être considérés comme des civils en vertu de l'article 79 du premier protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949, à condition qu'ils n'entreprennent aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles et sans préjudice du droit, pour les correspondants de guerre accrédités auprès des forces armées, de bénéficier du statut prévu par l'article 4 A.4 de la Troisième Convention de Genève, une fois tombés au pouvoir de l'ennemi.

8. Rappelant la Déclaration du Comité des Ministres et sa Recommandation N° R(96) 4 sur la protection des journalistes en situation de conflit et de tension, l'Assemblée invite tous les États membres et observateurs à se conformer pleinement à ces dispositions et notamment à :

i. respecter le droit à la liberté d'expression et d'information ;

ii. ne pas restreindre l'utilisation des dispositifs de communication, tels que les téléphones fixes ou mobiles, les téléphones satellites et les appareils de radiocommunication ;

iii. donner des instructions à leurs forces armées et à leurs forces de police pour qu'elles apportent une assistance et une protection aux journalistes ;

iv. faciliter l'accès des journalistes au territoire de leur destination en leur délivrant les visas et les autres documents de voyage nécessaires ;

v. respecter la confidentialité des sources utilisées par les journalistes.

9. Tous les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe sont appelés :

i. à faire en sorte que les journalistes puissent travailler en toute sécurité sur leur territoire.

ii. à enquêter sur tous les actes de violence ou les incidents mortels à l'encontre de journalistes survenus sur leur territoire, ainsi qu' à l'étranger lorsque leurs forces armées ou de sécurité peuvent y avoir été impliquées, y compris en cas d'incidents dus à des tirs amis.

10. En outre, l'Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe à mettre en place des programmes obligatoires de formation et d'information pour les correspondants de guerre intégrés au sein des forces armées, ces programmes devant se dérouler avant le départ.

11. Les médias devraient indiquer clairement au public quels reportages ont été réalisés par des correspondants de guerre intégrés au sein de forces armées ou de sécurité.

12. L'Assemblée souligne que si, pour leur propre sécurité, les journalistes qui sont intégrés au sein de forces armées ou de sécurité ne peuvent travailler que dans certaines zones, les restrictions à leurs reportages doivent être limitées au strict minimum requis pour éviter la divulgation d'informations confidentielles susceptibles de compromettre les opérations militaires en cours.

13. Les employeurs et les organisations professionnelles de journalistes devraient organiser des cours pour préparer les journalistes aux risques des zones de conflits. Les médias devraient déclarer publiquement qu'aucune rançon ne sera versée aux ravisseurs et qu'aucune concession politique ne leur sera accordée et que les déclarations politiques de journalistes pris en otage sont faites sous la contrainte et n'ont donc aucune valeur.

14. Tous les journalistes et leurs employeurs sont encouragés à adhérer à la Charte sur la sécurité des journalistes en zones de conflit ou de tension élaborée par « Reporters sans frontières ».

15. Se référant à la Déclaration du Comité des Ministres sur la protection des journalistes en situation de conflit et de tension, l'Assemblée demande au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe d'accorder une attention particulière au sort des journalistes en situation de conflit et de tension, et à suivre régulièrement les cas des journalistes disparus, détenus, blessés ou tués dans l'exercice de leur profession dans des États membres et observateurs ou dans le cadre d'opérations militaires ou de maintien de la paix menées à l'étranger par des États membres et observateurs du Conseil de l'Europe. »

* (4) Ce débat a été précédé d'une audition parlementaire qui s'est tenue au Sénat le 17 mars 2005, co-organisée par la Délégation française et la Commission de la culture, de la science et de l'éducation de l'Assemblée du Conseil de l'Europe ; c'est M. Jacques Legendre qui a ouvert les travaux dont on trouvera, en annexe, les principales interventions. Le document complet est disponible sur le site du Conseil de l'Europe : ref. As/Cult (2005) 18 du 5 Avril 2005.

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