B. LES PROBLÈMES DE SOCIÉTÉ

1. L'accompagnement des malades en fin de vie

L'inscription de ce débat à l'ordre du jour du mercredi 27 avril matin marque le terme d'un processus long et tumultueux. En effet, l'Assemblée a commencé à se pencher sur l'euthanasie à l'initiative d'un parlementaire belge, M. Philippe Monfils, qui avait déposé une proposition de résolution en juillet 2001. Retiré de l'ordre du jour à deux reprises puis renvoyé en commission lors de la session d'avril 2004, après de vifs débats, le rapport de M. Dick Marty (Suisse, LDR) a donc été examiné en séance publique.

Le rapporteur a tout d'abord reconnu la très grande sensibilité de cette question qui touche de près aux valeurs morales, culturelles et religieuses de chacun. Il a expliqué qu'après le débat d'avril 2004, il avait choisi de sortir de la seule notion d'euthanasie, trop limitative et trop émotionnelle, et d'élargir son travail à l'ensemble des problèmes liés à la fin de vie. Le projet de résolution soumis à l'Assemblée, partant du principe du respect des droits et de la dignité de l'homme, propose de mettre en place une véritable politique d'accompagnement de fin de vie qui n'éveille pas le désir du malade de mettre fin à ses jours. A cette fin elle suggère :

- de promouvoir les soins palliatifs ;

- de généraliser les soins à domicile ;

- d'éviter tout acharnement thérapeutique ;

- de définir clairement les droits du malade et les responsabilités du corps médical et du personnel soignant ;

- d'encourager les débats publics sur cette question dans les États membres.

Au cours du débat deux conceptions se sont opposées : les uns soutenant les propositions du rapporteur, les autres, et ce fut notamment le cas de nombreux parlementaires du groupe PPE, lui reprochant de ne pas prohiber expressément l'euthanasie. Cette ligne de fracture s'est retrouvée au sein de la délégation française qui avait à se prononcer sur ce texte quelques jours après l'adoption définitive de la proposition de loi déposée par M. Jean Léonetti. Plusieurs membres de la délégation française avaient d'ailleurs déposé des amendements visant à faire passer la philosophie de la législation française dans le texte de la résolution.

M. Michel Dreyfus-Schmidt , premier intervenant de la délégation française, a vivement soutenu les propositions du rapporteur et souhaité que l'on sorte de l'hypocrisie en matière d'euthanasie :

« Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage, polissez-le sans cesse et le repolissez », a-t-on coutume de dire en France. C'est très exactement ce qu'a fait Dick Marty, qui a repris, comme l'Assemblée l'avait voulu, un texte ancien qui nous est proposé, or si l'on inscrit une nouvelle question à l'ordre du jour, c'est bien pour faire le point le jour où l'on en délibère.

« Au fond, tout est dit dans le rapport de Dick Marty. Il n'est pas question d'imposer à quelque pays que ce soit d'aller jusque-là ou plus loin. En vérité, n'est-ce pas une hypocrisie incroyable que de montrer du doigt des pays qui ont accepté l'euthanasie active de manière extrêmement encadrée et d'essayer de les mettre au ban de notre Conseil de l'Europe ? Les Pays-Bas et la Belgique sont des pays d'ancienne civilisation et personne ne pense qu'ils n'ont pas le droit d'agir ainsi qu'ils le font. Mais il n'est pas question d'imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. Le rapport l'explique parfaitement.

« Pas d'hypocrisie non plus à propos de l'euthanasie. Lorsqu'on est d'accord, - et tout le monde l'est, - pour ne pas poursuivre dans la voie de l'acharnement thérapeutique, donc éventuellement pour « débrancher » le patient, quitte à le laisser mourir de faim comme il peut arriver en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, nous sommes face à l'euthanasie passive.

« Mais lorsqu'on applique d'autres méthodes, c'est exactement la même chose. Les « soins palliatifs » consistent à administrer des produits qui en réalité, abrègent la vie ; c'est encore de l'euthanasie passive !

« Tout le monde est d'accord pour admettre une certaine forme d'euthanasie. Certains veulent aller plus loin, d'autres non. Personne n'est obligé cependant à quoi que ce soit, le rapport le montre parfaitement. Nous sommes devant une « Somme » qui nous rend admiratifs.

« Comme l'a expliqué l'oratrice qui s'est exprimée au nom du Groupe socialiste, si notre ami McNamara avait été présent au Groupe, au lieu d'une seule voix pour défendre sa position, il y en aurait eu deux. Notre porte-parole a parlé d'une « majorité massive ». C'est plus que cela. C'est l'exception qui confirme la règle.

« Nous sommes absolument tous d'accord pour voter la recommandation telle quelle, complétée par certains amendements adoptés par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme. S'agissant des autres amendements, j'espère que leurs auteurs qui ne s'étaient pas concertés, voudront se concerter maintenant pour retirer les amendements qui font double emploi, pour éviter une obstruction indigne de notre assemblée. »

M. Georges Colombier , après avoir fait part d'observations critiques sur les législations belge et hollandaise, a exprimé son opposition à la proposition de résolution qui, contrairement à la législation française, ne récuse pas formellement le recours à l'euthanasie :

« Notre Assemblée se penche de nouveau sur les problèmes de la « fin de vie ». L'allongement de l'espérance de vie et les progrès médicaux ne font qu'exacerber la gravité de cette question. C'est pourquoi le présent débat a gardé toute son actualité.

« Nous le savons, deux États membres, la Belgique et les Pays-Bas, ont choisi de légiférer et de dépénaliser l'euthanasie. Le rapporteur avait exprimé dans son rapport précédent son soutien à leurs législations, qui selon lui respectent l'autodétermination de chaque individu face à la mort. Il leur consacre, à nouveau, beaucoup de place et conclut même la leçon à tirer de ces expériences, en mettant en exergue la « longue tradition du respect de la vie » de ces pays. Mais l'analyse qui a été faite par l'Assemblée nationale de ces réglementations et différents travaux parus sur les applications ont permis de tirer plusieurs enseignements que l'on ne peut ignorer.

« Présentées comme la reconnaissance de l'expression de la volonté du malade, ces lois confèrent en réalité un pouvoir exorbitant au médecin. Dans notre société, le médecin est là pour soigner et pour guérir. Or voilà qu'il lui est demandé maintenant de tuer ! Un tel mélange des genres crée une confusion sur le rôle des soignants dans la société.

« Les deux législations auxquelles il est fait référence ignorent le cas des malades inconscients, que les techniques de réanimation permettent désormais de maintenir en vie presque indéfiniment. Elles ont mis en place des procédures et des critères minutieux que doivent respecter les médecins traitants. Néanmoins les dernières enquêtes conduites en Hollande montrent que les médecins ne remplissent pas les formulaires. De ce fait, les pratiques d'euthanasie clandestines perdurent. Les médecins coupables d'euthanasie, lorsqu'ils s'inscrivent en marge de la loi, ne sont pas poursuivis. Dès lors l'objectif de transparence des procédures, qui est la justification de cette législation, est sérieusement mis en doute.

« On ne saurait par ailleurs passer sous silence les risques de dérives. Le British Medical Journal du 8 janvier 2005 a fait état de l'extension de la législation néerlandaise, souhaitée par certains, aux patients atteints de démence et aux dépressifs. En Belgique, l'élargissement de la loi aux mineurs a été envisagé, ce qui posera notamment la question de l'application de la loi aux mineurs handicapés, alors même que leur protection constitue l'un des fondements de notre société. Il y a quelques jours, dans ce pays, une nouvelle étape a été franchie en acceptant la mise à disposition des médecins généralistes, d'un kit contenant le matériel d'injection nécessaire pour pratiquer une euthanasie au domicile des malades.

« Le rapport qui nous est soumis se veut plus nuancé. Si on le compare au précédent, on constate un changement de vocabulaire. L'intitulé ne mentionne plus l'euthanasie mais l'accompagnement des malades en fin de vie. Il propose d'éviter tout acharnement thérapeutique et d'encourager les soins palliatifs. Il préconise d'encourager des débats publics et de s'orienter vers des solutions consensuelles.

« Cette nouvelle approche me semble plus pertinente. Chaque pays doit prendre en compte ses données culturelles et religieuses et, très justement, le rapporteur reconnaît qu'il ne peut y avoir de solution unique et valable pour tout le monde.

« La France a choisi de s'orienter vers une démarche consensuelle. Suite à un fait d'actualité, l'affaire Humbert, une mission d'information a été créée à l'Assemblée nationale française, regroupant des députés de tous horizons politiques pour réfléchir à l'accompagnement des malades en fin de vie. Le résultat de ces travaux a donné lieu à la rédaction d'une proposition de loi, présentée par M. Jean Léonetti, définitivement adoptée le 12 avril dernier. Je n'insiste pas sur son contenu car l'intervention de mon collègue Jean-Marie Geveaux sera suffisante pour vous éclairer sur ce point.

« Le rapport de M. Marty constitue, à mon sens, un document introductif tout à fait intéressant. Nous allons bientôt discuter de nombreux amendements qui, pour la plupart, améliorent incontestablement le projet de résolution. Toutefois, même ainsi amendé, ce texte me paraît rester ambigu sur l'euthanasie. Dans ce domaine la précision des termes utilisés est essentielle. J'entends par «euthanasie», tout acte délibéré par lequel un tiers entraîne directement la mort d'une personne malade. La législation française, dont je viens de parler, récuse formellement cette option. Ce n'est pas, à mon avis, le cas du projet de résolution. Telle est la raison pour laquelle je m'y opposerai sauf si le débat me permet d'avoir des assurances absolues sur ce point. »

M. François Rochebloine , insistant sur la nécessité de respecter la dignité de la personne humaine, s'est prononcé en faveur du développement des soins palliatifs :

« Le sujet que nous abordons, est délicat et difficile, car il nous met en présence de nos limites : limites d'une vie terrestre bornée par la mort, limites d'une action législative face à des situations humaines parfois insupportables et devant lesquelles notre discours doit se faire respectueux.

« Nous devons avoir le courage de dire que la loi ne peut répondre d'une manière juste aux différentes situations de détresse qui atteignent en plein coeur. Si, cédant à la juste compassion, on en vient à prendre comme base d'un choix législatif, l'expression d'un malheur personnel, on court le risque de créer pour d'autres une source de souffrance. Aussi, le législateur doit-il créer les conditions juridiques d'un traitement équilibré et raisonné des situations de fin de vie, sur le fond des valeurs communes que sont le respect de la personne et la solidarité - c'est aussi cela la fraternité. Néanmoins l'essentiel de la responsabilité incombe aux soignants - médecins, infirmiers - aux dirigeants des hôpitaux et aux bénévoles qui, à un titre ou à un autre, accompagnent les malades.

« Il est très important en effet de faire du respect de la personne humaine, non seulement un principe éthique, mais le principal critère de l'action d'accompagnement. Voilà le fondement même de ce que nous appelons, faute de mieux, les soins palliatifs. C'est ce critère qui justifie que l'on ne s'obstine pas à infliger à une personne qui va mourir des traitements et des soins inutiles, mais c'est aussi ce critère qui impose que tout soit mis en oeuvre pour sauvegarder, jusqu'au dernier moment l'autonomie de la personne malade et sa capacité d'entrer en relation avec sa famille et ses proches.

« Cela suppose bien sûr que le droit soit clair, pour éviter tous les alibis. Cela suppose aussi que les études médicales intègrent la formation aux soins palliatifs, d'une manière qui n'en fasse pas un élément superfétatoire du cursus des études. Il ne faudrait pas que, dans un monde hospitalier de plus en plus exposé aux contraintes économiques, l'on transforme en acte de compassion une décision dictée par des impératifs financiers ou pratiques de gestion.

« Malheureusement, nous savons que ce risque est bien réel et qu'il n'est pas toujours une hypothèse d'école. Il convient de mettre en place des mesures hautement symboliques telles que la constitution de véritables services de soins palliatifs qui permettent de contourner et, à terme, d'apaiser les réticences que de trop nombreux médecins éprouvent face à ces soins. Souhaitons que le débat de ce matin contribue à stimuler les consciences. »

M. Jean-Marie Geveaux , premier signataire des amendements déposés par plusieurs membres de la délégation française, a insisté pour que le texte de l'Assemblée reprenne la philosophie de la législation française :

« Le projet de résolution rappelle avec force que la fin de vie est un sujet douloureux et complexe eu égard à l'extrême diversité des situations à appréhender.

« Même s'il réaffirme l'interdiction absolue de donner intentionnellement la mort, je ne peux souscrire entièrement aux orientations du texte. En effet, l'exposé des motifs n'est pas en totale harmonie avec le texte du projet. C'est pourquoi je souhaiterais donc apporter quelques nuances et quelques précisions.

« D'abord, une clarification des termes est absolument nécessaire car, si les mots ne sont pas employés à bon escient, ils sont source de contresens pour nos concitoyens et ils créent un malaise parmi les professionnels de santé. L'euthanasie doit être définie comme un acte délibéré par lequel un tiers entraîne directement la mort d'une personne malade. Il convient de garder cette définition à l'esprit.

« J'évoquerai rapidement les grandes lignes de la loi qui a été adoptée récemment en France. J'ai eu l'honneur de participer au groupe de réflexion créé pour l'occasion et aux travaux de la commission spéciale. Personne parmi les auditionnés pour préparer ce texte - juristes, médecins, professeurs éminents, responsables d'associations spécialisées dans l'accompagnement des malades en fin de vie - ne nous a demandé de reconnaître l'euthanasie. Au contraire, certains nous ont dit qu'un texte autorisant l'euthanasie créerait beaucoup plus de problèmes qu'il n'apporterait de solutions. Dès lors, la France a délibérément choisi de ne pas dépénaliser l'euthanasie.

« Néanmoins, cette loi reconnaît au malade le droit de s'opposer à l'obstination déraisonnable. Tel est le cas, par exemple, des personnes en fin de vie qui, atteintes d'un cancer, refusent une énième chimiothérapie. Le texte préconise aussi le recours aux soins palliatifs. Il tend à les élargir à tous les domaines, y compris aux soins à domicile, car il importe de pouvoir, également à domicile, mourir dans la dignité et accompagné. Autre point important, toutes les décisions concernées dans la loi française doivent être prises en collégialité, c'est-à-dire avec la famille, le patient, s'il est conscient, une personne de confiance, et le monde médical. Qui plus est, cette décision doit être inscrite dans le dossier médical du patient, afin qu'il ne puisse y avoir aucune contestation de nature juridique.

« Sur ces points, la loi française se différencie donc des législations belge et néerlandaise. Il s'agit vraiment d'une innovation que je qualifierai de « loi médiane », dont je souhaiterais que ce rapport s'inspire fortement. J'aimerais donc que notre assemblée se réfère aux valeurs de liberté individuelle, de solidarité et de responsabilité médicale inscrites dans la loi française, afin d'élaborer une recommandation qui pourrait constituer une référence sociale, éthique et médicale pour les États membres ».

A l'issue de ce débat, l'Assemblée a rejeté le projet de résolution par 138 voix contre 26 et 5 abstentions .

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