5. Les accélérateurs de délocalisation - plus importants que les freins

Si de nombreux freins à la délocalisation des produits et services de consommation existent, il y a en même temps de nombreux éléments, de contextes ou de modification des modes de consommation qui tendent à favoriser les délocalisations. L'analyse de ces nombreux accélérateurs indique qu'ils semblent de nature à de plus en plus largement supplanter les freins et renforcer durablement le phénomène.

Un niveau de qualité qui se généralise

La qualité du produit ou du service n'est plus, dans la perception du consommateur, directement liée à une origine nationale voire à une proximité régionale.

En effet, la croissance et la pratique des délocalisations conforte l'idée qu'il semble ne plus y avoir de différenciation sur la qualité industrielle en fonction des zones de production. Chacun aujourd'hui est convaincu qu'un industriel peut produire aux mêmes standards de qualité, de coût et de délais, où qu'il soit dans le monde, avec par ailleurs pour le donneur d'ordres une réelle traçabilité des process et des composants en cas de besoin.

Quelques rares secteurs échappent à la tendance générale. C'est le cas par exemple de l'agroalimentaire. Bien plus que pour d'autres secteurs, le consommateur sera vigilant à la qualité des produits achetés, attitude notamment renforcée par une série de crises alimentaires au début des années 2000. Loin de se focaliser aujourd'hui sur la seule problématique du « risque » et fidèles à leur culture alimentaire, les Français restent encore en effet très attachés au plaisir qu'ils prennent en mangeant. C'est aussi par exemple le cas des secteurs du luxe, pour lesquels les consommateurs ne comprennent pas aussi facilement la nécessité de délocaliser la production, et s'étonnent d'un décalage trop criant entre la valeur du produit et son origine de production.

Le consommateur aujourd'hui

La recherche du moins cher

Après le consommateur confiant des années 1999-2000 pour qui, les marques servaient de repères forts et le consommateur attentif des années 2001-2002, apparaît désormais un consommateur critique pour qui les marques sont jugées trop chères et les prix bas servent de refuge. Déboussolé par le passage à l'euro, appauvri par les hausses de prix, le consommateur est devenu un marathonien de la comparaison des prix. Il fréquente davantage de magasins, adopte le hard discount et consulte internet. Pour s'en sortir, il achète les produits nécessaires à bas prix, en toute bonne conscience, pour pouvoir par ailleurs continuer à réaliser des achats plaisirs.

Les soldes, promotions, bonnes affaires et premiers prix ne sont plus des indices de pauvreté mais d'astuces et d'achat malin. C'est à celui qui fera la meilleure affaire.

Le consommateur devient alors beaucoup plus critique à l'égard des marques et le transfert des achats vers des produits sans marque est désormais avéré, comme en témoigne le développement constant des marques distributeurs. Un tiers du riz vendu en France dans les hypers et supers échappe aux marques traditionnelles comme les deux tiers des essuie-tout et des sacs poubelles.

64 % des Français estiment que les produits des grandes marques sont plus chers sans que leurs prix élevés ne soient justifiés. Un nouvel emballage ou une nouvelle formule ne sont plus des critères de choix décisifs, ils comparent les prix avant tout.

La confiance que le consommateur donnait aux marques et aux enseignes a été brisée. Or la perception du facteur prix et la confiance sont deux variables psychologiques et affectives très longues et difficiles à restaurer.

Un consommateur peu sensible à l'origine

L'origine du produit ne semble pas être un élément déterminant dans les choix réalisés par le consommateur y compris sur certaines catégories qui pourraient être considérées comme plus implicantes (ex : produit pour la peau « made in India »).

Assez paradoxalement, dans le même temps où le consommateur se défie vis-à-vis des marques, la consommation de ces dernières et la relation affective entretenue avec elles tend à effacer l'origine des produits à leur profit. Le consommateur est de moins en moins attentif à l'origine, accepte le principe d'un marché mondial de la production des biens de consommation.

Une dichotomie de plus en plus marquée apparaît entre les trois statuts simultanés de l'individu « employé » / « consommateur » / « citoyen ». Elle s'exprime par une contradiction entre la recherche permanente des prix les plus bas (logique des bonnes affaires), la non réceptivité du consommateur aux discours de consommation citoyenne (on se rappelle du peu d'impact d'une campagne de sensibilisation autour du concept « nos emplettes sont nos emplois ») et les multiples revendications sociales de ces mêmes individus. Le phénomène semble comparativement plus fort en France que dans d'autres pays (États-Unis, Allemagne...) où la consommation « nationale » est privilégiée.

Notons là encore le cas de l'agroalimentaire qui échappe à cette règle. Cumulé à l'exigence de qualité, les consommateurs sont pour ce type d'achat beaucoup plus sensibles à l'origine, comme en témoigne par exemple le développement des AOC.

De nouveaux postes de consommation qui modifient la composition du « panier »

L'apparition de nouveaux postes de consommations ces dernières années (télécommunications, loisirs), ainsi que l'inflation croissante des coûts immobiliers et son impact sur le budget des ménages, ont exacerbé la pression sur les prix sur les autres catégories de produits (alimentaire, habillement...), malgré leur caractère indispensable. A budget constant, les consommateurs intègrent de plus en plus massivement et naturellement les nouvelles dépenses considérées comme courantes, voire socialisantes, telles que les moyens de communication, les nouvelles technologies ou les loisirs - ce dernier point est assez symptomatique d'une société qui évolue dans son rapport au travail notamment.

Pour financer ces nouvelles dépenses, le consommateur qui ne peut limiter le volume de consommation sur d'autres postes (comme l'alimentaire ou l'habillement) doit modifier son comportement d'achat et relativiser le coût moyen de ces dépenses dans son budget. Il doit ainsi privilégier les produits ou les sources d'approvisionnement les moins coûteux, et ce en toute bonne foi et le sentiment d'une logique implacable. Il augmente par voie de conséquence la pression sur la distribution qui doit s'adapter pour proposer des tarifs compatibles aux exigences de ces nouveaux consommateurs.

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