D. LES TÉLÉVISIONS LOCALES CITOYENNES

1. Présentation

Les chaînes locales citoyennes, dénommées « canaux ouverts » ( offene Kanäle ) en Allemagne, sont nombreuses et bien ancrées dans le paysage audiovisuel. Inspirées à la fin des années soixante-dix par les modèles canadien et américain, les premières initiatives ont vu le jour au milieu des années 80 : la télévision locale pionnière a été créée dans la ville de Ludwigshafen en Rhénanie-Palatinat en 1984 et existe toujours. Depuis, ces chaînes se sont multipliées, 61 se répartissent aujourd'hui sur tout le territoire, dont 50 font uniquement de la télévision, 7 uniquement de la radio, et 4 à la fois de la télévision et de la radio.

2. Obligations légales et statut juridique

Comme l'ensemble du champ audiovisuel se réfère d'abord à l'entité régionale, les chaînes locales citoyennes existent grâce aux parlements régionaux. Ceux-ci inscrivent dans leur loi sur les médias la nécessité ou non de donner aux citoyens un champ d'expression médiatique. Les Landesmedienanstalten (offices de régulation régionaux pour l'audiovisuel) sont ensuite chargés de voter le budget annuel qui sera alloué aux différents projets de télévision et de radio citoyenne.

Deux modèles prévalent :

- soit une association se forme et demande une licence de diffusion à l'office de régulation régional,

- soit des individus intéressés demandent un accès au canal local directement géré et financé par l'office de régulation régional.

Dans l'un comme dans l'autre des cas, les utilisateurs doivent respecter le droit de l'audiovisuel (la loi des médias du Land concerné et le contrat d'Etat sur la radiodiffusion) mais également toutes les autres lois auxquelles sont soumis les citoyens (notamment la loi sur la protection de la jeunesse). C'est de manière individuelle que l'émetteur est responsable devant la loi. Le contrôle est effectué par l'office de régulation régional. En cas de litige, c'est le tribunal qui intervient. En dehors de l'interdiction de la publicité, de la publicité clandestine et de la publicité des partis politiques, aucune obligation de contenu de programme n'est prévue.

L'occupation des canaux est en partie réglée par le principe du must-carry (obligation de diffuser) , selon lequel l'offre du câble doit être diverse et équilibrée. Un câblo-opérateur est ainsi obligé d'une part de reprendre toutes les chaînes hertziennes de la zone, et d'autre part de proposer un bouquet qui comprend toujours des chaînes locales et régionales.

3. Aspects techniques

Les modalités de diffusion sont essentiellement le câble analogique, mais parfois aussi l'Internet. Une seule télévision régionale citoyenne est diffusée en hertzien en Basse-Saxe. Les zones de diffusion correspondent au type de réseau câblé d'une part (de 113 maisons dans un village de Rhénanie-Palatinat à 1,6 millions de foyers à Berlin) et à la chaîne créée d'autre part. La numérisation des réseaux est également d'actualité en Allemagne, et en particulier sur le câble (58% des foyers ont accès à la télévision par câble). Aussi les chaînes citoyennes sont-elles candidates sur des fréquences numériques. Le passage devrait avoir lieu progressivement entre 2008-2010 lorsque les réseaux auront été équipés par les câblo-opérateurs.

4. Aspects économiques et financiers

Les chaînes locales citoyennes existent essentiellement grâce à la redevance que leur redistribuent les offices de régulation régionaux.

Les offices de régulation régionaux, qui sont au nombre de 15, ont un budget qui correspond à 2 % des recettes issues de la redevance. Celles-ci se sont élevées à 6,6 milliards d'euros en 2003, chaque foyer équipé d'une télévision étant taxé de 16,15 euros par mois (pour la période 2005-2008, la redevance est passée à 17,03 euros). En 2003, les offices de régulation régionaux se sont ainsi partagés 133.162.000 euros. La somme qui revient finalement à chaque office régional est calculé en fonction de la contribution de chaque Land au montant total de la redevance. Cette contribution est directement liée au nombre de téléspectateurs dans chaque Land.

Dans les faits, les offices de régulation reçoivent souvent moins que les 2 % qui leur sont réservés. En effet, certains parlements régionaux ont voté des lois de réductions budgétaires qui affectent les offices de régulation des Länder concernés (Hesse : - 37,5 % ; Hambourg : - 28 % ; Mecklembourg Poméranie occidentale : -  20 % ; Schleswig-Holstein : - 20 % ; Basse-Saxe : - 25 % ; Bade-Wurtemberg : - 53 % ; Rhénanie du Nord-Westphalie : - 45 % ; Saxe : - 19,3 %). Une fois prise en compte les réductions budgétaires, les offices de régulation ont réellement bénéficié au total de 101.763.800 euros en 2003.

Le tableau ci-dessous indique le budget que chaque office de régulation régional consacre aux télévisions locales citoyennes.

Office de régulation régional

Budget total de l'office de régulation (2003)

Budget pour les télévisions locales citoyennes (2003)

Part du budget total

LFK - Bade-Wurtemberg

7.813.000 €

781.000 €

10%

BLM - Bavière

19.747.000 €

-

-

MABB - Berlin-Brandebourg

9.054.000 €

1.270.000 €

14%

Brema - Brême

2.060.000 €

1.343.000 €

65%

HAM - Hambourg

2.807.000 €

875.000 €

31%

LPR - Hesse

6.069.000 €

2.050.000 €

34%

LRZ - Mecklembourg Poméranie occidentale

2.505.000 €

1.231.200 €

49%

NLM - Basse-Saxe

10.040.800 €

4.903.900 €

49%

LFM - Rhénanie du Nord-Westphalie

15.048.000 €

1.350.000 €

9%

LPR - Rhénanie-Palatinat

6.725.000 €

2.948.000 €

44%

LMS - Sarre

2.115.000 €

-

-

SLM - Saxe

5.605.000 €

-

-

MSA - Saxe-Anhalt

4.254.000 €

1.442.000 €

34%

ULR - Schleswig-Holstein

3.894.000 €

1.906.300 €

49%

TLM - Thuringe

4.027.000 €

2.006.100 €

50%

TOTAL

101.763.800 €

22.106.500 €

22%

Trois Länder, la Bavière, la Saxe et le Bade-Wurtemberg n'ont pas inscrit les chaînes locales citoyennes dans leur loi des médias régionale. Par contre, elles ont mis en place des systèmes alternatifs qui assurent la formation aux médias, et la production des programmes est alors diffusée sur des canaux spécifiques. Deux autres Länder, Hambourg et la Sarre, ont récemment décidé de pratiquer la même politique et de ne plus allouer de moyens aux chaînes citoyennes via les offices de régulation régionaux. Dans le cas de Hambourg, la somme qui était auparavant réservée au financement des chaînes citoyennes (807 000 euros en 2000) est maintenant reversée à la Hamburg Media School. Celle-ci est chargée de la formation aux médias et gère sa propre chaîne locale citoyenne (Tide TV, lancée en avril 2003). La Sarre a par contre décidé de ne pas offrir d'alternative à la suppression de l'unique chaîne citoyenne du Land.

Au delà de l'argent provenant de la redevance, les télévisions locales citoyennes peuvent se financer par des dons ou faire appel à des subventions (par exemple de l'Union européenne si elles sont transfrontalières). Il existe une telle variété dans les formes que ces télévisions peuvent prendre qu'il est impossible de ramener à des moyennes leur chiffre d'affaires, nombre de salariés, nombre d'heures d'émissions produites. Cependant, lorsque ces chaînes sont entièrement portées par les offices de régulation régionaux, comme c'est le cas dans les Länder de Berlin-Brandebourg, Brême, Hesse, Mecklembourg Poméranie occidentale et Schleswig-Holstein, elles ont souvent plusieurs salariés qui soutiennent les équipes volontaires.

5. Marché et concurrence

L'aspect local des programmes est particulièrement fort, et c'est souvent dans les petites communes que les chaînes locales citoyennes ont le plus de succès en terme d'audience. Il arrive que ces chaînes constituent une véritable concurrence pour la troisième chaîne publique régionale de l'ARD. Il semble plus difficile de fédérer le public dans les grandes agglomérations que dans les petites. Par ailleurs, quand les chaînes locales privées sont présentes, elles constituent également une concurrence sur le créneau du programme local. Néanmoins, les chaînes locales citoyennes proposent aussi des émissions en langue étrangère (turc, farsi, patschtu, tigrinja), des émissions communautaires qui sont parfois échangées entre les télévisions qui sont réunies dans une association fédérale, le Bundesverband der Offene Kanäle e.V. Leur apport est donc réellement différent des programmes que l'on trouve sur d'autres chaînes.

Peut-on dire pour autant que les citoyens y sont très attachés ? La qualité des programmes y est parfois médiocre et la présentation peu professionnelle. En 1988, l'hebdomadaire Die Zeit jugeait arbitrairement : « Tout le monde peut diffuser. Personne n'écoute ». Ces dernières années, les canaux de Berlin, Hambourg et de la Sarre ont été l'objet de controverses, qui ont conduit à la suppression de l'unique chaîne citoyenne de la Sarre (en 2002) et de Hambourg (en juin 2003). Quant à Berlin, le parlement du Land a une nouvelle fois essayé en mai 2003 de supprimer la chaîne citoyenne locale, sans succès. Néanmoins, l'esprit de démocratie locale - notion importante en Allemagne - reste présent et on observe une volonté de plus en plus marquée d'améliorer la qualité de ces chaînes. Les chaînes locales commerciales font certes preuve d'agressivité et sont désireuses d'obtenir des licences, mais le marché publicitaire local n'est pas sans limite et dans certaines régions, les télévisions citoyennes semblent bien répondre à l'intérêt et à la demande locale.

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