N° 429

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 juin 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur le projet de loi n° 343 (2004-2005) , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , relatif à l' égalité salariale entre les femmes et les hommes,

Par Mme Gisèle GAUTIER

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Gisèle Gautier, présidente ; Mme Paulette Brisepierre, M. Yvon Collin, Mme Annie David, M. Patrice Gélard, Mmes Gisèle Printz, Janine Rozier, vice-présidents ; M. Yannick Bodin, Mme Yolande Boyer, M. Jean-Guy Branger, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. David Assouline, Mme Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, Monique Cerisier-ben Guiga, M. Gérard Cornu, Mmes Isabelle Debré, Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, Josette Durrieu, M. Alain Gournac, Mmes Françoise Henneron, Christiane Hummel, Christiane Kammermann, Bariza Khiari, M. Serge Lagauche, Mmes Elisabeth Lamure, Hélène Luc, M. Philippe Nachbar, Mme Anne-Marie Payet, M. Jacques Pelletier, Mmes Catherine Procaccia, Esther Sittler, Catherine Troendle, M. André Vallet.

Femmes.

Mesdames, Messieurs,

Au cours de sa séance du mercredi 4 mai 2005, la commission des affaires sociales a décidé de saisir votre délégation du projet de loi n° 343 (2004-2005) relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

La délégation s'était attachée en 2002 à dresser un état des lieux des inégalités salariales entre femmes et hommes et avait constaté depuis 1995 le ralentissement d'une tendance entamée depuis plusieurs décennies à la réduction des écarts de rémunération entre femmes et hommes. Certains ont pu retirer de cette évolution un certain sentiment d'impuissance du droit en la matière avec un accroissement des normes nationales et européennes et une stagnation des inégalités de rémunération dans les faits.

Convaincue qu'en la matière, la persévérance, l'évolution des mentalités et le dialogue social sont les facteurs déterminants du succès, la délégation s'est ensuite efforcée de suivre l'application des dispositions du droit du travail qui prévoient la tenue de négociations sur ce point.

Constatant, notamment sur la base du sondage réalisé par l'IFOP à la demande de la délégation, une double stagnation, à la fois des écarts de salaires et de la mise en oeuvre concrète du dialogue social obligatoire, le Gouvernement, guidé par une volonté exprimée au plus haut niveau de l'État, a entrepris non pas tant d'ajouter une nouvelle stratification à un droit du travail d'ores et déjà complexe, mais de lancer un signal clair en direction du monde du travail. D'abord en stimulant les accords professionnels et, ensuite, en introduisant dans la loi des dispositions consacrant cette démarche.

La délégation se félicite de cette méthode novatrice. La société française et les modes de régulation économiques ont, en effet, évolué, et le pari selon lequel définir un objectif aura au moins autant d'efficacité que la multiplication immédiate de nouvelles procédures mérite d'être tenté.

Le choix de la « confiance » s'accompagne, il convient de le souligner, de la définition par le présent projet de loi de mesures contraignantes et dissuasives comme l'éventuel refus d'extension des accords de branches au cas où l'égalité des rémunérations n'aurait pas fait l'objet de discussions et de résultats satisfaisants.

Le texte ne prévoit néanmoins d'éventuelles sanctions au vu d'un bilan à mi-parcours sur le déroulement des négociations.

Quoique favorable, par principe, à la sanction de l'inobservation des règles, la délégation estime vraisemblable que, comme dans d'autres domaines de la parité, les pénalités financières ne puissent avoir qu'un effet limité sur les comportements des entreprises. A la question, « le droit du travail peut-il changer l'entreprise ? » des praticiens rappellent que celle-ci est parfois amenée à réagir à une nouvelle exigence juridique par un effet de simple « contorsion ». En outre, comme l'a indiqué Mme Esther SITTLER, rapporteure du projet de loi, le risque de délocalisation ou d'installation d'entreprises en dehors de nos frontières ne doit pas être sous-estimé. A l'opposé, il est sans doute excessif de considérer, comme le font certains, que les seuls véritables changements de comportement des entreprises viendront des clients, des mentalités ou des moeurs plus que du réaménagement de la législation. On peut, cependant, faire observer qu'au cours de ces dernières années, au moment où le droit du travail parvenait difficilement à redynamiser les pratiques en matière d'égalité professionnelle, les nouvelles tendances de la consommation « éthique » ont manifesté une propension des Français à se soucier de plus en plus, dans leurs décisions d'achat, du fonctionnement des entreprises qui produisent et distribuent les biens et services.

Il apparaît également souhaitable que les collectivités publiques adoptent des comportements exemplaires dans ce domaine en devenant des « laboratoires » de l'égalité salariale et de la représentation des femmes dans les équipes de direction.

Enfin, et comme le précise son exposé des motifs, ce texte ne peut à lui seul contrecarrer l'ensemble des facteurs structurels qui expliquent les inégalités entre femmes et hommes et s'inscrit dans une stratégie plus globale d'amélioration de l'égalité des chances. La délégation, tout en reconnaissant que l'inégalité des rémunérations constitue bien souvent un révélateur et une résultante des autres formes de discriminations, approuve tout particulièrement ce « relativisme » qui appelle à poursuivre sur tous les fronts le rééquilibrage des chances entre les femmes et les hommes dans un esprit d'équité sociale et d'efficacité économique.

Dans cet esprit, la délégation approuve les dispositions du texte adopté par l'Assemblée nationale tendant à féminiser les conseils d'administration ainsi que les instances représentatives des salariés. En outre, la délégation regrette que les questions de précarité et de travail à temps partiel ne soient pas prises en compte par le présent texte et insiste pour que ces sujets fassent très prochainement l'objet d'un projet de loi complémentaire.

PREMIÈRE PARTIE

LA NÉCESSITÉ D'UNE IMPULSION

I. L'ESSOUFFLEMENT, DEPUIS 1995, D'UNE TENDANCE DE FOND À LA RÉDUCTION DES ÉCARTS DE SALAIRES

A. LA MISE EN PLACE D'UN CADRE JURIDIQUE ET LE RATTRAPAGE DES SALAIRES FÉMININS JUSQUE DANS LES ANNÉES 1990

1. Les bases juridiques de l'égalité des rémunérations

Dans son rapport d'activité pour 2002 consacré aux inégalités salariales entre les hommes et les femmes, la délégation s'était efforcée de décrire les origines et les composantes du cadre juridique applicable à l'égalité salariale en rappelant :

tout d'abord, ses bases constitutionnelles, avec le préambule de la Constitution de 1946 : « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » ;

ensuite, l'impulsion du droit international, avec l'adoption le 29 juin 1951 de la convention de l'Organisation internationale du travail n° 100 sur l'égalité de rémunération qui comporte quatorze articles organisant la mise en oeuvre de ces principes ;

et, enfin, l'influence grandissante du droit communautaire : l'égalité des rémunérations pour un même travail a, en effet, été inscrite en 1957 dans l'article 119 du traité de Rome. La directive 75/117/CEE est venue préciser la portée cette disposition en se référant expressément au principe de l'égalité des rémunérations pour un travail de valeur égale. La politique européenne a enregistré de nouvelles avancées à cet égard au cours des années 1990, et le traité d'Amsterdam a apporté, à l'article 141, un fondement juridique à l'interdiction d'une discrimination salariale entre les femmes et les hommes pour un travail de même valeur. La Commission a établi, entre temps, un code de conduite (1996) sur ce principe. Deux directives du 15 décembre 1997 et du 23 septembre 2002 sont venues compléter le dispositif en précisant la notion de « discrimination indirecte » et en aménageant un régime probatoire plus favorable aux victimes de discriminations apparentes.

Le droit français de l'égalité salariale s'est progressivement conformé à ces exigences de valeur supra législative.

La loi du 22 décembre 1972 constitue, dans notre code du travail, le socle de l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. Trois lois ont, par la suite, complété ce texte et transposé les directives européennes dans l'ordre interne : la « loi Roudy » du 13 juillet 1983 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la « loi Génisson » du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations.

Aujourd'hui, selon le principe de base énoncé à l'article L.140-2 du code du travail, l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes s'impose pour « un même travail », mais aussi « pour un travail de valeur égale », notion définie au regard « d'un ensemble comparable de connaissances professionnelles, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse » .

L'évolution de la législation française peut être globalement interprétée comme le passage d'un système « protecteur » des femmes (congés spécifiques, avantages de retraites liés à la maternité, etc.) à un système « égalitaire », privilégiant la non-discrimination. Votre rapporteure a pu observer à de nombreuses reprises que cette évolution est parfaitement conforme à l'état d'esprit des femmes qui, confrontées à un certain nombre de difficultés dans le domaine professionnel, souhaitent pouvoir bénéficier d'un traitement égal et équitable tout en manifestant une certaine réserve à l'égard de l'idée de « protection spécifique ».

2. Une réduction de moitié des écarts de salaires entre 1952 et 1995

Aujourd'hui, le nombre de femmes actives atteint 12 millions , pour 14 millions d'hommes. 80 % des femmes âgées de 25 à 49 ans travaillent, et le taux d'activité des femmes âgées de 15 à 65 ans atteint près de 62 % contre 74 % pour les hommes.

En 40 ans le nombre d'hommes sur le marché du travail a augmenté d'un peu plus d'un million, alors que celui des femmes progressait de 5,5 millions.

Les emplois féminins sont toutefois concentrés dans six grands domaines professionnels (services administratifs, services aux personnes, vente, distribution, services aux entreprises et collectivités, intervention sociale et culturelle), qui regroupent à eux seuls 6,2 millions de femmes actives.

Comme l'indique le préambule de l'Accord national interprofessionnel du 1 er mars 2004 relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, cette situation peut s'expliquer en partie par l'orientation scolaire des jeunes femmes. En effet, si elles réussissent plutôt mieux dans le système éducatif que les garçons, elles sont orientées différemment. Surreprésentées dans les filières littéraires, économiques et sociales, elles demeurent quasiment absentes dans les filières sciences et technologies industrielles (8 %). Dans les instituts universitaires de technologie, les effectifs féminins représentent 5 % en électronique ou en mécanique, 10 % en informatique ou en génie civil.

Globalement, dans les trois cycles universitaires, les femmes sont désormais majoritaires (55,2 %). Cependant, en sciences, elles ne représentent que 41 % des effectifs du premier cycle et 35 à 36 % des second et troisième cycles. Dans les classes préparatoires scientifiques, la part des femmes est de 27,2 % ; elle est de 23,6 % dans les écoles d'ingénieurs.

Les séries statistiques les plus longues indiquent qu'entre le début des années 1950 et 1995, l'écart de salaire moyen entre les femmes et les hommes s'est réduit de moitié, passant de plus de 50 % à environ 25 %.

Écarts de salaire entre les hommes et les femmes en France (1952 - 2002)

Salaires nets moyens

Rapport des salaires

Écart de salaire

Années

Hommes

Femmes

F/H (%)

H/F

Ecart (H-F)/F (en %)

(a) 1952

4 079

2 636

64,6

1,55

54,7

1954

4 552

3 029

66,5

1,50

50,3

1956

5 604

3 605

64,3

1,55

55,5

1958

6 897

4 386

63,6

1,57

57,3

1960

8 051

5 178

64,3

1,55

55,5

1962

9 579

6 170

64,4

1,55

55,3

1964

11 242

7 208

64,1

1,56

56,0

1966

12 692

8 131

64,1

1,56

56,1

1968

14 632

9 703

66,3

1,51

50,8

1970

17 782

11 855

66,7

1,50

50,0

1972

21 841

14 548

66,6

1,50

50,1

1974

28 782

19 322

67,1

1,49

49,0

1976

38 037

26 295

69,1

1,45

44,7

1978

47 383

33 464

70,6

1,42

41,6

1980

58 258

42 100

72,3

1,38

38,4

1982

74 849

54 724

73,1

1,37

36,8

1984

88 317

65 570

74,2

1,35

34,7

1986

99 782

74 139

74,3

1,35

34,6

1988

105 566

78 657

74,5

1,34

34,2

1990

115 730

86 968

75,1

1,33

33,1

1992

122 715

93 307

76,0

1,32

31,5

(b) 1992

128 040

98 930

77,3

1,29

29,4

1993

131 060

101 640

77,6

1,29

28,9

1994

132 800

103 470

77,9

1,28

28,3

1995

135 670

107 950

79,6

1,26

25,7

1996

136 740

109 230

79,9

1,25

25,2

1997

136 040

108 220

79,6

1,26

25,7

1998

137 760

109 920

79,8

1,25

25,3

1999*

21 460

17 140

79,9

1,25

25,2

2000*

21 890

17 510

80,0

1,25

25,0

2001*

22 301

17 928

80,4

1,24

24,4

2002*

22 860

18 404

80,5

1,24

24,2

a . 1952-1992 : Séries longues sur les salaires, édition 2000.

b . 1992-2002 : « Les salaires dans les entreprises en... », INSEE Première n°  393-471-550-610-778-833-939-980

Les DADS (déclarations annuelles de salaire) couvrent le champ des salariés à temps complet du secteur privé et semi-public.

Les salaires sont des salaires annuels moyens nets de tous prélèvements.

* en euros

Source : Déclarations annuelles de salaire,

INSEE ; Femmes, genres et sociétés, l'Etat des savoirs

sous la direction de Margaret MARUANI La Découverte 2005

L'interprétation de ces statistiques soulève une difficulté majeure : déterminer la part de discrimination qu'incorporent ces écarts de salaires. Comme en convient votre rapporteure, les pouvoirs publics doivent, en la matière, fonder leur décision sur des analyses complexes dans le détail et qui reposent sur des données simplificatrices.

Tout en conservant à l'esprit la fragilité des analyses, il convient de retenir qu'à l'heure actuelle, selon l'INSEE, perdure un écart de rémunération entre les femmes et les hommes de l'ordre de 25 % en moyenne. Si l'on écarte l'influence des facteurs tenant à la concentration de la main d'oeuvre féminine dans certains secteurs du tertiaire, à la durée du travail et aux différences de qualification, subsiste un écart irréductible, proche de la notion juridique de discrimination, à hauteur de 5 à 6 %. Pour expliquer les inégalités imputables à des différences de « structure des qualifications », l'INSEE rappelle qu'en 2002, 18,5 % des hommes salariés étaient des cadres, contre seulement 12,1 % des femmes.

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