II. LES NÉGOCIATIONS OBLIGATOIRES SUR L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE NE SONT ORGANISÉES QUE DANS UNE MINORITÉ D'ENTREPRISES

A. LE SONDAGE RÉALISÉ À L'INITIATIVE DE LA DÉLÉGATION

L'enquête réalisée en 2004 par l'IFOP à l'initiative de la délégation aux droits des femmes du Sénat, auprès de 2000 responsables des ressources humaines d'entreprises de plus de 50 salariés, a confirmé les impressions recueillies ici ou là sur le terrain, en mettant en lumière une application mitigée, voire médiocre sur certains points de la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes 1 ( * ) .

Ainsi, le sondage indique que 72 % des entreprises interrogées n'ont jamais organisé la négociation spécifique et obligatoire prévue par le code du travail sur les objectifs en matière d'égalité professionnelle, les grandes entreprises de plus de 1000 salariés s'acquittant cependant davantage de cette obligation que les petites et moyennes entreprises.

Dans 60 % des entreprises, le rapport de situation comparée n'a jamais été établi depuis 2002. La proportion d'entreprises dans lesquelles le rapport est établi évolue peu dans le temps : 32 % en 2004, 30 % en 2002 et 35 % en 2003.Pourtant, l'ensemble des indicateurs utilisés pour la rédaction du rapport sont jugés pertinents par une majorité des DRH interrogés, à l'exception des données en matière d'embauches et de départs (46 % jugent ce dernier critère pertinent, contre 53 % qui pensent le contraire). L'indicateur le plus pertinent aux yeux des DRH a trait à la rémunération effective (80 % le jugent pertinent).

Il semblerait par ailleurs que les négociations spécifiques sur l'égalité professionnelle ont davantage eu lieu au niveau de la branche, plus favorable à l'exercice de la négociation collective, qu'au niveau de l'entreprise.

Enfin, interrogées sur l'intégration du thème de l'égalité professionnelle dans les négociations obligatoires déjà existantes, environ la moitié des entreprises consultées ont répondu qu'elles ont inclus ce thème dans les négociations existantes, manifestant ainsi une réticence des employeurs à la négociation spécifique, plus lourde à conduire.

B. DE TROP RARES EXPÉRIENCES INNOVANTES

Ce diagnostic général peu satisfaisant ne doit pas faire oublier le cas de quelques entreprises pionnières en matière d'égalité professionnelle. Votre rapporteure, particulièrement soucieuse de l'insuffisante féminisation des filières scientifiques, les jeunes femmes ne représentant que 23 % des effectifs des écoles d'ingénieur, note, par exemple, qu'une entreprise internationale comme Schlumberger, partant du constat selon lequel « ne pas recruter des femmes revient à se priver de talents » a approfondi sa réflexion sur la diversité des genres, dès le milieu des années 1990.

Selon la directrice du personnel de cette entreprise, qui fait partie du réseau « Inter-elles » créé en 2002, des initiatives volontaristes pour accélérer l'intégration et la progression des femmes ingénieures ont été d'abord prises au niveau du recrutement, pour atteindre des objectifs de 30 % de femmes sur le terrain et de 40 % de femmes ingénieures en recherche et développement. Votre rapporteur observe que, d'après les indications qui lui ont été fournies, c'est le « bonus » des dirigeants de ce groupe qui est  « pénalisé »  lorsque les objectifs en matière de recrutement de femmes ingénieures ne sont pas atteints. Inutile de dire que cette « mesure incitative » s'est révélée  efficace.

Cette stratégie s'est traduite, dans cette entreprise, par une progression sensible de la place des femmes ingénieures, de 6 à 20 % entre les années 1990 et aujourd'hui. Pour retenir les meilleurs éléments, des objectifs spécifiques de promotion et de détection des femmes à haut potentiel ont été mis en place. En particulier, « les étapes de progression de carrière des jeunes ingénieures ont été assouplies, en prenant en considération le fait qu'elles peuvent avoir un rythme sensiblement différent de celui des hommes. Cette flexibilité accrue a semble-t-il pu également bénéficier à la jeune génération d'hommes impliqués leur vie de famille. »

Votre rapporteure estime que ces expériences, certes conduites dans des entreprises de pointe, comportent néanmoins de précieux enseignements généraux . En premier lieu, la fixation d'objectifs chiffrés est un élément primordial des stratégies de réduction des disparités. En outre, le suivi des indicateurs à l'aide de tableaux chiffrés permet immédiatement de détecter d'éventuelles anomalies, comme l'a montré, de façon concrète, le représentant du groupe Carrefour à votre rapporteure. Enfin, au niveau de l'entreprise, « le chemin est long », tout changement structurel prenant nécessairement un certain temps pour se concrétiser, surtout s'il incorpore à la fois le recrutement de débutants, la promotion et la mobilité interne.

Ces expériences témoignent également du fait que la maternité :

d'une part, peut, par nature, être aisément prise en compte par certains employeurs qui bénéficient en outre d'incitations financières importantes permettant de conclure des accords avec des organismes de garde des enfants ;

et peut être conçue, d'autre part, comme une occasion propice à élaborer un bilan prévisionnel de carrière et non pas comme une simple « interruption » ou un obstacle.

Votre rapporteure observe, en outre, que le savoir-faire développé pour faciliter le rapprochement des conjoints dans les entreprises ou la mobilité internationale est fréquent, et mériterait d'être diffusé dans le souci de limiter l'éloignement des couples sur le territoire français.

Enfin, votre rapporteure souligne un paradoxe. Bien souvent, et comme le confirment à la fois les sociologues et les praticiens, les femmes ont, en moyenne, moins que les hommes la fibre « carriériste ». Et pourtant leur présence dans les instances de décision est essentielle pour y transformer la culture d'entreprise, ce qui améliore à la fois le sort des salariés mais aussi - comme l'ont mesuré certaines études - les résultats financiers.

Les sociétés les plus performantes ont plus de femmes dans leurs équipes dirigeantes

Une enquête de l'institut de recherche spécialisé Catalyst, sur la base de l'évolution des résultats financiers entre 1996 et 2000 de 353 entreprises parmi les 500 plus importantes du monde, a conclut en mars 2004 que la présence d'un grand nombre de femmes à des postes de direction assurait une meilleure rentabilité financière aux entreprises que lorsqu'elles sont dirigées essentiellement par des hommes.

Les sociétés ayant la proportion la plus élevée de femmes aux plus hauts échelons de la hiérarchie ont ainsi affiché une rentabilité par rapport à leurs capitaux propres supérieure de 35 % à celles des entreprises dirigées essentiellement par des hommes.

En outre le bénéfice alloué aux actionnaires était de 34 % supérieur dans les groupes largement co-dirigés par des femmes que dans ceux où les femmes étaient sous représentées dans la direction.

Selon Mme Ilene Lang, présidente de cet institut indépendant spécialisé dans l'analyse du rôle des femmes dans le monde des affaires, cette étude apporte une preuve irréfutable aux dirigeants d'entreprises qu'il existe un lien entre le taux de représentation féminine dans les instances dirigeantes et la performance financière.

* 1 Rapport d'information n° 103 (2004-2005) fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat sur les résultats du sondage téléphonique sur la situation professionnelle des femmes au titre du bilan de la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes par Mme Gisèle Gautier.

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