une hausse cyclique, plutôt qu'une bulle

Quelques unes des caractéristiques décrites ci-dessus (progression des prix nettement plus rapide que celle du revenu, écart à la tendance supérieur aux précédents pics cycliques) pourraient conduire à considérer que les prix de l'immobilier en France, particulièrement en province, s'écartent de leurs « déterminants fondamentaux », ce qui indiquerait une « bulle spéculative ».

Tous les organismes qui ont mené une analyse sur cette question - Banque de France, INSEE, FMI (cette étude fait cependant état d'une légère surévaluation) - ont conclu à l'absence de « bulle » pour la France.

Tous les organismes consultés par le Service des études économiques et de la prospective du Sénat, - en particulier l'OFCE - ont conclu dans le même sens, à une exception près, Exane-BNP Paribas qui considère qu'une bulle serait déjà constituée 3 ( * ) .

Cette discussion n'est pas simplement académique : en effet, un diagnostic de bulle rend un atterrissage brutal certain, dans les prochains mois, sinon les prochaines années, alors qu'un diagnostic opposé peut conduire à espérer un atterrissage en douceur.

On peut ici recenser les divers arguments qui conduisent à conclure à l'absence de bulle, du moins en 2004, date des derniers chiffres disponibles...

Si l'on considère l'immobilier comme « produisant » un service de logement, plusieurs éléments ont contribué à stimuler la demande :

- la conjugaison d'une population croissant plus vite ces dernières années (+ 0,6 % entre 1999 et 2004 contre + 0,4 % entre 1975 et 1999) et d'une augmentation du nombre de ménages rapporté à la population (+ 1,3 % par an entre 1999 et 2004 en raison du développement des familles monoparentales et du vieillissement de la population) a stimulé la demande de logements ;

- la baisse des taux d'intérêt hypothécaires réels (- 3 points depuis 1997), l'allongement de la durée des prêts (de 12,3 années en moyenne en 1995 à 15,9 années en 2004), la diminution de l'apport personnel (de 26 % en 2000 à 21,7 % en 2004) ont augmenté les capacités d'emprunt des ménages ;

- la mise en place d'avantages fiscaux pour l'investissement locatif (dispositifs « Périssol », « Besson », ou « de Robien »), à la fin des années 1990, en augmentant la rentabilité de l'investissement locatif dans l'immobilier neuf, ont pu pousser les prix à la hausse dans ce segment de marché et, par contagion, contribuer à la hausse globale des prix des logements (ceci ne suffit pas pour autant à incriminer l'intérêt de ces dispositifs : à terme ils permettent d'apaiser les tensions sur le marché du fait de l'augmentation de l'offre locative) ;

- les investissements immobiliers des étrangers en France ont représenté 0,6 point de PIB en 2003 (contre 0,1 point en 1990) : il est vraisemblable que l'achat de logements par les non-résidents constitue un facteur important de hausse des prix du logement en province. Cependant, comme le souligne la Banque de France dans une étude récente 4 ( * ) , « apprécier l'impact de ce mouvement sur les prix reste toutefois malaisé, dans la mesure où ces données ne distinguent pas acquisitions immobilières résidentielles et non résidentielles ».

Il convient de relativiser en partie les analyses de marché faisant la « part trop belle » aux facteurs liés à la demande. Comme le souligne l'Insee 5 ( * ) , les facteurs objectifs de soutien de la demande ne suffisent pas à expliquer la hausse considérable des prix. L'Insee écarte, en particulier, l'argument de la croissance du nombre de ménages : « Certes, le nombre de ménages s'accroît à un rythme élevé, du fait du vieillissement de la population, mais c'était déjà le cas dans la première moitié des années quatre-vingt-dix alors que les prix baissaient ou stagnaient ». L'Insee souligne en outre que si les taux d'intérêt sont aujourd'hui à un niveau bas, « ils n'étaient guère plus élevés en 1998 ».

Si l'on analyse l'immobilier comme un actif susceptible de produire un rendement , on peut retenir deux points de l'analyse conduite sur cette question par l'OFCE.

Tout d'abord, la hausse des prix a fait baisser le rendement locatif de l'immobilier : d'un point haut à 4,3 % atteint en 1999, il est passé à 2,4 % en 2004, soit historiquement le rendement le plus faible depuis 1978. Ce phénomène « inquiétant », car il peut laisser supposer l'existence d'une bulle, concerne cependant uniquement la province 6 ( * ) . Toutefois, cette baisse n'a fait qu'épouser celle des taux d'intérêt : si l'on compare le rendement locatif de l'immobilier aux placements obligataires, l'immobilier dégage un rendement supplémentaire (prime de risque), certes modeste, mais qui s'est maintenu constamment entre 1998 et 2004 malgré la hausse des prix.

Ensuite, si l'on considère le rendement relatif global de l'immobilier (écart entre la somme du rendement locatif et des plus-values annuelles et les placements obligataires), on ne constate pas d'écart entre Paris et la province 7 ( * ) ; de même si ce rendement relatif s'est fortement accru depuis 1998, il reste cohérent, contrairement à 1990, avec la hausse du rendement des actions.

Ecart entre le rendement global des placements non obligataires
et le taux des obligations d'état à 10 ans 8 ( * )

Sources : FNAIM, Chambre des notaires de Paris, Observatoire des loyers de la région parisienne, Datastream, Jacques Friggit, calculs OFCE

Néanmoins, ces analyses fondées sur des données de l'année 2004, si elles permettent de lever le « soupçon » de bulle spéculative, trouvent en 2005 des limites. Avec une augmentation des prix envisagée à « deux chiffres » pour l'année 2005, le rendement des actifs immobiliers s'est encore dégradé, à un point qui peut laisser penser que le haut du cycle immobilier a été atteint.

La publication du décret, prévue en octobre 2005, visant à introduire un nouveau mode de calcul de l'indice de révision des loyers, fondé non plus sur les prix de la construction, mais sur la prise en compte des prix à la consommation, est de nature à dégrader encore le rendement du marché immobilier, donnant le signal d'un retournement des prix. Les investisseurs devraient se trouver inciter à se détourner du marché immobilier, pour s'orienter de nouveau vers les marchés « actions ».

Enfin, les cessions en nombre de leur parc de logements par les investisseurs institutionnels constituent un signe supplémentaire pour considérer que le potentiel de hausse est désormais épuisé : ces investisseurs ont évidemment cherché à réaliser leur plus-value au plus haut du marché ; ce faisant, la mise sur le marché de logements en grand nombre, et la cession de ces actifs, accroissent l'offre et constituent un facteur d'inflexion des prix.

* 3 Si elles sont généralement convergentes, ces analyses doivent être considérées avec précaution : le marché de l'immobilier est un marché spécifique, difficile à analyser du fait notamment de sa nature hybride - le logement n'est pas seulement un actif puisqu'il est susceptible de produire à la fois un rendement et un service de logement -, d'un manque de transparence sur les prix et de la fiabilité insuffisante des séries longues.

* 4 « Y a-t-il un risque de bulle immobilière en France ? », Bulletin de la Banque de France, n° 129, septembre 2004.

* 5 « La hausse des prix des logements anciens depuis 1998 », Insee Première n° 991, décembre 2004.

* 6 A Paris, le rendement locatif en 2004 s'établit à 2,2 %, soit un niveau encore très supérieur à celui de 1991, avant la crise immobilière (1,5 %).

* 7 Ceci tendrait à montrer que la liquidité du marché en province a rejoint celle du marché francilien.

* 8 Le graphique décrit un écart au rendement global des placements non obligataires, lequel est figuré par la droite horizontale.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page