III. RATIONALISER LE SYSTÈME SANITAIRE RÉGIONAL AUTOUR DE L'AGENCE RÉGIONALE DE SANTÉ

La régionalisation du système de santé est une préoccupation ancienne des pouvoirs publics. Entamée au début des années quatre-vingt, elle a franchi un palier en 1996 (plan Juppé) et connu de nouveaux développements au cours de l'année 2004 avec les lois relatives à la politique de santé publique et à l'assurance maladie ainsi qu'avec la loi relative aux libertés et responsabilités locales.

Comme le rappelle la Cour des comptes 11 ( * ) , « l'émergence de la région comme échelon majeur du système de santé français est la résultante de plusieurs ambitions : celle de structurer une organisation de la santé et de l'assurance maladie très décentralisée, l'idée qu'une plus grande autonomie des circonscriptions régionales dans la détermination et la mise en oeuvre des politiques de santé et d'assurance maladie favoriserait leur meilleure articulation et, par conséquent, une prise en charge plus cohérente et plus adaptée, celle aussi qu'une circonscription géographique limitée se prête mieux à des organisations innovantes, enfin, l'espoir qu'une implication plus forte des acteurs locaux autoriserait une appropriation plus consensuelle des enjeux. »

Un consensus existe sur la pertinence de l'échelon régional mais il fait l'objet de plusieurs critiques liées à son mode de construction par strates et ajustements successifs et par l'absence d'une évaluation d'ensemble de son fonctionnement. Un rapide état des lieux démontre pourtant qu'une rationalisation du système s'avère nécessaire et qu'une réflexion approfondie doit précéder la mise en place des agences régionales de santé.

A. FAIRE FONCTIONNER EFFICACEMENT UN SYSTÈME COMPLEXE ET ENCHEVÊTRÉ

La mise en oeuvre de la régionalisation a obéi à des logiques institutionnelles, autonomes les unes des autres, au sein desquelles on peut remarquer, d'une part, le mouvement de déconcentration des services de l'État et de l'assurance maladie, d'autre part, une distinction entre les structures chargées des soins de ville et celles en charge de l'hôpital.

1. L'échelon régional se compose de structures propres à l'État et à l'assurance maladie

La construction d'un échelon régional du système sanitaire a obéi à une double logique institutionnelle. Elle procède à la fois d'un mouvement de déconcentration propre aux deux principaux acteurs que sont l'État (DRASS, DDASS) et l'assurance maladie (CRAM et URCAM), et d'une volonté de mettre en oeuvre une programmation régionale répondant à des logiques spécifiques (programmes régionaux de santé, schémas régionaux d'organisation sanitaire).

Ces différents organismes exercent des compétences qui recouvrent l'ensemble du champ sanitaire. Cette situation se caractérise par une segmentation entre les structures en charge de la santé publique et celle chargées des politiques d'offre de soins ; ou encore dans le champ de la santé, entre les institutions en charge de l'observation et de la connaissance (les cellules interrégionales d'épistémologie) et celles compétentes pour la détermination des politiques de santé publique (les services déconcentrés de l'État).

a) Un échelon régional constitué d'intervenants multiples

Un bref aperçu des structures opérant au niveau régional suffit pour mettre en exergue la multitude des intervenants. En dresser une liste exhaustive est à la fois long et complexe et ne permet pas forcément d'obtenir, d'un simple regard, une vision claire des compétences exercées par les uns et les autres. Dans son rapport 2004, la Cour des comptes a fait le choix d'en dresser le tableau synthétique suivant :


Les principales étapes de la construction régionale

Un système de santé fondé sur des acteurs autonomes :

- des médecins libéraux et plus de 3.000 établissements de santé autonomes ;

- 128 caisses primaires d'assurance maladie dotées de la personnalité morale et d'un conseil d'administration ;

- des collectivités territoriales aux responsabilités propres ;

- une intervention des mutuelles, des associations...

Une organisation progressive de l'offre de soins hospitaliers

Loi hospitalière du 31 décembre 1970 : création de la carte sanitaire, premier instrument de planification des structures de soins basé sur un découpage du territoire national ;

Loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière : création des schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) ;

Ordonnance du 4 septembre 2003 relative à la simplification de la planification sanitaire et à l'élaboration des SROS.

Un dispositif d'amélioration de la gestion du système de santé et de la promotion de la qualité des soins :

Loi du 4 janvier 1993 : création des unions régionales de médecins libéraux (URML)

Un développement progressif de la politique de santé publique :

- création des observatoires régionaux de santé à partir des années 1980 ;

- création des programmes régionaux de santé (PRS) en application d'une ordonnance de 1996, par décret du 17 avril 1997, et des programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins (PRAPS) par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 ;

- loi du 4 mars 2002, loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et loi du 17 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

Une participation récente à la maîtrise de la dépense

Ordonnance du 24 avril 1996 :

- créant les agences régionales d'hospitalisation (ARH) et les unions régionales des caisses d'assurance maladie (URCAM) ;

- renforçant les pouvoirs donnés à la CNAM sur son réseau.

Cour des comptes, La sécurité sociale, septembre 2004

Ce panorama fait ressortir le rôle prépondérant des services de l'État dans la détermination de la politique de santé publique et d'offre de soins. Il met en évidence la volonté des pouvoirs publics de faire émerger un niveau institutionnel régional propre à l'ensemble des acteurs de la santé publique et de l'assurance maladie et d'esquisser des collaborations entre ces structures.

Cette volonté se traduit par l'existence, outre des services de l'État (DRASS), d'un groupement d'intérêt public commun entre l'assurance maladie et l'État (l'agence régionale de santé-ARH), de caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) communes à l'assurance maladie et à l'assurance vieillesse, d'unions régionales des caisses d'assurance maladie (URCAM) ou encore d'union régionale des médecins libéraux (URML), en attendant la création des unions régionales des professions de santé et des agences régionales de santé, sujets dont votre commission a déjà eu à débattre à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à l'assurance maladie.

L'enchevêtrement des compétences qui découle de cette organisation n'est pas propice à une optimisation du fonctionnement du système de soins. Certaines structures devraient être renforcées, d'autres repositionnées, tandis qu'une réflexion générale sur le maillage territorial de ces structures, qui ne respectent pas toujours le découpage administratif, devrait être entamée.

Dans son rapport 2004, la Cour des comptes s'est aussi prononcée en faveur d'un renforcement de la structure juridique des ARH et a souligné que les compétences des URML et URCAM devraient être réaménagées au vu de l'expérience que l'on peut tirer de leurs premières années de fonctionnement.

b) Des plans d'action qui souffrent d'un manque de coordination et d'évaluation

Cette multiplicité d'organismes se traduit par des chevauchements de compétences et entraîne une confusion dans les responsabilités respectives de chacun des acteurs.

Là encore, un tableau récapitulatif dressé par la Cour des comptes illustre la complexité de cette répartition des compétences.


La programmation régionale en matière de santé et d'assurance maladie

Programmes régionaux de santé (PRS) : déterminés par le préfet de région parmi les priorités de la conférence régionale de santé, ils comportent des actions de promotion de la santé, de prévention, de soins, de rééducation, et de réinsertion ; ils sont élaborés et mis en oeuvre en coordination notamment avec les collectivités territoriales, les organismes de protection sociale, les institutions et établissements de santé, les professionnels et les associations qui y participent.

Programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins (PRAPS) : voisins des PRS, ils sont prévus par la loi dans l'objectif de lutter contre les inégalités sociales de santé. De ce fait, ils ne portent pas sur une pathologie mais sur les difficultés d'accès à la prévention et aux soins, s'adressent à des publics en situation de précarité, présentent un caractère obligatoire et doivent être déclinés en plans départementaux.

Schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) : arrêtés par le directeur de l'ARH, ils ont pour objet de prévoir et de susciter les adaptations et les complémentarités de l'offre de soins ainsi que les coopérations, notamment entre établissements de santé, en vue de satisfaire de manière optimale la demande de santé.

Schémas régionaux d'éducation pour la santé (SREPS) : prévus par le plan nationale d'éducation pour la santé de février 2001 et élaborés à partir de 2002, ils sont destinés à renforcer les compétences en éducation à la santé et à améliorer les méthodes d'évaluation de projets. Ils complètent l'organisation régionale puisque les PRS, PRAPS et SROS comportent tous un volet prévention et éducation pour la santé.

Programmes territoriaux de santé : prévus par une circulaire DGS-DATAR du 16 avril 2003 relative à l'expérimentation des démarches locales partagées de santé et d'action sociale et médico-sociale dans le cadre des projets territoriaux de développement, ils intègrent la déclinaison locale des PRS, le volet santé des contrats de ville et d'autres actions de santé promues par l'État (éducation nationale), les collectivités territoriales et l'ensemble des acteurs de santé, dans un ensemble cohérent et intégré d'activités articulées avec les besoins recensés et les ressources disponibles. Ces instruments de programmation plus précis que les PRS ont valeur contractuelle entre les acteurs.

Programmes régionaux de l'assurance maladie (PRAM) : conçus par les URCAM avec les CPAM, ils sont l'expression des priorités de l'assurance maladie au niveau régional. Ils intègrent les priorités des caisses nationales telles que notamment définies par le plan national interrégimes de gestion du risque (PNIR) et portant sur la gestion du risque, la prévention et l'observation.

Programmes régionaux hospitaliers (PRH) : élaborés principalement par les CRAM et le service du contrôle médical, ils expriment les priorités de l'assurance maladie sur l'hôpital. Ils sont souvent annexés aux PRAM.

Cour des comptes, La sécurité sociale, septembre 2004

Cette rapide énumération des compétences de programmation propres à différentes institutions suffit pour mesurer les risques de dysfonctionnements existant au niveau régional.

Le foisonnement institutionnel limite la portée des actions menées par les uns et les autres et pose de façon criante, ainsi que le souligne la Cour des comptes, la question de l'indispensable clarification des compétences entre l'État et l'assurance maladie.

2. L'apparition de nouvelles structures destinées à palier des insuffisances et entamer une première rationalisation

C'est dans ce paysage institutionnel devenu opaque que la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique puis celle du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie ont prévu la création de deux nouvelles structures . La première, le groupement régional de santé publique, a pour objectif d'assurer la mise en oeuvre des plans régionaux de santé publics, la seconde, la mission régionale de santé, a pour ambition de décloisonner les relations entre les soins de ville et l'hôpital.

a) Les groupements régionaux de santé publique

Avec la création du groupement régional de santé publique (GRSP), l'objectif des pouvoirs publics est de créer un véritable pôle de santé publique au niveau régional, de regrouper les acteurs et de coordonner leurs actions.

Le GRSP doit favoriser l'optimisation des moyens disponibles dans les régions. Il a pour mission de mettre en oeuvre les programmes de santé contenus dans le plan régional défini par le préfet.

Pour ce faire, il rassemble les acteurs régionaux intervenant dans le domaine de la santé publique (État, l'assurance maladie, l'Institut national de veille sanitaire, l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé, les agences régionales d'hospitalisation) sous l'autorité du Préfet de région. Les collectivités locales peuvent participer aux actions du GRSP lorsqu'elles le souhaitent.

La volonté de coordination affichée par les pouvoirs publics est visible à travers le moyen d'action principal du GRSP : le plan régional de santé publique. Ce plan régional est une déclinaison des orientations sanitaires fixées par l'État au niveau national puis déclinées et adaptées au niveau local en tenant compte des spécificités sanitaires propres à chaque région.

Les collectivités locales demeurent libres de participer ou non aux travaux du GRSP. Les conseils régionaux bénéficient de la possibilité de mettre en oeuvre des objectifs particulier en matière de santé.

La grande originalité du GRSP ne réside pas dans sa composition ou dans ses compétences en matière sanitaire mais bien dans le rôle qui lui est confié. En effet, il ne s'agit pas d'une structure opérationnelle mais plutôt d'un promoteur qui procède à des appels à projets et a recours à des opérateurs extérieurs.

b) Les missions régionales de santé

Avec la création des missions régionales de santé, le législateur a fait le choix de renforcer, de façon progressive, les liens entre les agences régionales d'hospitalisation et les unions régionales d'assurance maladie. Votre commission a soutenu ce choix pragmatique qui s'attache à créer les conditions d'une meilleure collaboration entre les secteurs hospitalier et ambulatoire.

Les organismes concernés qui partagent déjà des compétences en matière de politique régionale de santé, notamment à travers la gestion de la dotation régionale de développement des réseaux, vont devoir créer de nouvelles synergies.

Instituées dès le mois de janvier 2005, les missions régionales de santé se sont mises au travail très rapidement, notamment dans le cadre de leur mission relative à l'organisation du dispositif de permanence des soins. Leur objectif est de faciliter la coopération entre, d'une part, les médecins libéraux ou les maisons médicales de garde, d'autre part, les services d'urgence des établissements de santé.

Elles assument ainsi un de leurs rôles principaux qui est de travailler au rapprochement du secteur ambulatoire et du secteur hospitalier.

Au-delà de leurs missions obligatoires, certaines MRS, comme en Rhône-Alpes, ont considéré que la loi ne leur interdisait pas d'engager des missions complémentaires. Elles ont ainsi décidé de se pencher sur le problème de la formation initiale des médecins (en liaison avec les questions de démographie médicale et d'installation) et la mise en oeuvre du dossier médical partagé, puisque les informations qu'il rassemblera proviennent des champs hospitaliers et ambulatoires.

B. LES AGENCES RÉGIONALES DE SANTÉ : UNE SOLUTION IDÉALE POUR OPTIMISER L'ACTION DES ACTEURS RÉGIONAUX ?

La création d'agences de régionales de santé (ARS) est évoquée dans le débat public depuis maintenant plusieurs années, à l'occasion de l'élection présidentielle de 2002, lors des débats relatifs aux lois de financement de la sécurité sociale pour 2003 et 2004 ou encore à l'occasion de la réforme de l'assurance maladie.

Le rapport annexé à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 a esquissé les contours des futures ARS qui doivent favoriser : « une meilleure articulation de la médecine de ville et de l'hôpital, une meilleure association des professionnels et des patients dans le cadre régional, un fonctionnement plus démocratique, une plus grande cohérence dans l'organisation de notre système de soins et une plus grande lisibilité des politiques suivies ». Mais leur mise en oeuvre était toujours retardée.

Dans ce contexte, un pas décisif vers la création de ces agences a été franchi avec la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie qui dispose dans son article 68 qu'un an au plus tard après son entrée en vigueur, les régions seront autorisées, sur la base du volontariat, à mener pendant quatre ans l'expérimentation de la création d'une agence régionale de santé.

1. Définir le rôle des futures agences régionales de santé

L'ensemble des propositions émises à l'occasion des débats précités ont en commun le fait d'aborder la question de la création des agences régionales de santé sous l'angle institutionnel. Ces propositions reposent sur l'hypothèse qu'une structure unique, avec un responsable unique, serait la seule solution à même de résoudre les problèmes rencontrés par la mise en oeuvre et l'exécution des politiques sanitaires régionales.

a) Regrouper les structures existantes au sein d'une agence unique ?

Les débats relatifs à la création des agences régionales de santé partagent l'idée qu'une ARS se caractériserait en priorité par le regroupement des structures existantes au niveau local.

Cette solution fait le pari d'une rationalisation des structures régionales intervenant dans le domaine sanitaire. Elle répond sans doute à un véritable besoin d'identifier un responsable régional unique plutôt que des structures éparses responsables du pôle hospitalier (les agences régionales d'hospitalisation) des soins de ville (les unions régionales des caisses d'assurance maladie) de la santé publique (les groupements régionaux de santé publique).

Dans son rapport 2004, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie tenait un raisonnement similaire en souhaitant pour l'assurance maladie : « un véritable chef de file, qui dispose de la plénitude des moyens et du pouvoir de décider, qui affiche ses objectifs et qui soit jugé sur la manière dont il les tient ».

Si l'approche structurelle est commune à plusieurs projets, une divergence de fond existe entre les propositions émises à l'occasion de la réforme de l'assurance maladie. Les amendements défendus par Jean-Luc Préel, député, proposaient la création d'une agence régionale de santé placée sous l'autorité du conseil régional. Dans le projet présenté par Claude Evin, député, l'agence régionale de santé était placée sous l'autorité de l'État.

La solution retenue par les pouvoirs publics se veut pragmatique et ne tranche pas explicitement la question de la tutelle puisque la loi demeure muette sur les modalités de direction des futures ARS, se bornant à inviter les conseils régionaux à participer à une expérimentation bâtie à partir des missions régionales de santé. On peut toutefois supposer que ce non-dit indique un mode de nomination du directeur de l'ARS proche, voire identique, à celui retenu pour la désignation des directeurs des agences régionales d'hospitalisation.

Ce silence du législateur sur la répartition des responsabilités au sein des différentes instances participant à la direction des ARS explique le retard pris pour la mise en oeuvre de cette expérimentation. Avant de faire acte de candidature, les régions ont besoin de connaître les conditions requises pour participer, qu'il s'agisse de leur place au sein de cette nouvelle structure ou bien des conditions financières à remplir.

De son côté, l'assurance maladie souhaite aussi connaître les conditions de déroulement de cette expérimentation et entend faire entendre sa voix à l'occasion de la création des ARS. Elle est défavorable à toute solution institutionnelle qui se traduirait par une intégration de son réseau au sein d'une structure régionale placée sous la seule autorité de l'État. Une telle solution serait d'ailleurs contraire à l'esprit de la nouvelle gouvernance mise en place par la loi du 13 août 2004.

b) Définir le périmètre des compétences de l'agence régionale de santé

Aborder le processus de création de l'agence régionale de santé par la question des compétences, et non dans son seul aspect institutionnel, permet d'évoquer le sujet de façon plus souple, en s'interrogeant d'abord sur ce que doit être le rôle de l'agence.

Cette approche tient compte de la nécessité pour l'État, comme pour l'assurance maladie, de maintenir l'existence d'une structure régionale centrée sur les compétences propres de ces acteurs. Dans cette hypothèse, le périmètre de compétences de l'ARS reste à définir à partir des structures communes à l'État et à l'assurance maladie (ARH, GRSP) et doit s'accompagner, outre de la réflexion propre au fonctionnement de la nouvelle agence, d'une évaluation des compétences exercées par chaque acteur de l'échelon régional afin de limiter les enchevêtrements de compétences.

L'option retenue par les pouvoirs publics avec la création des missions régionales de santé équivaut à un premier pas. Ce cadre réunit l'ARH et l'URCAM qui exercent des compétences complémentaires en matière d'offres de soins et qui constitueront le noyau de la future ARS.

Il y a donc bien lieu de mener deux actions : regrouper certaines structures au sein d'une agence unique et redéfinir, dans son ensemble, la répartition des compétences entre les différentes structures qui coexisteront avec l'agence.

La problématique de la détermination des compétences de l'ARS peut alors se poser dans les termes suivants : est-il pertinent de regrouper, au sein d'une structure unique, les questions relatives à la santé publique, qui relèvent du groupement régional de santé publique, et celles relatives à l'offre de soins qui sont partagées entre les agences régionales d'hospitalisation et les structures régionales de l'assurance maladie ?

Un regroupement de l'ensemble des structures au sein d'une agence unique répondrait aux préoccupations d'ordre institutionnel évoquées précédemment. Il obéirait à une démarche de rationalisation administrative puisque le GRSP regroupe déjà en son sein des représentants de l'État et de l'assurance maladie et qu'il est ouvert aux collectivités locales.

Pourtant cette solution présente un risque, celui d'une structure qui sacrifie la santé publique, et notamment le développement d'une véritable politique de prévention, au profit d'une politique d'organisation de l'offre de soins. Cette tentation serait forte pour plusieurs raisons.

La première est d'ordre culturel. Les opérateurs régionaux sont d'abord des gestionnaires du système de soins, la santé publique dans sa dimension préventive et épidémiologique ne fait pas partie de leurs priorités. C'est d'ailleurs pour pallier une défaillance institutionnelle que les pouvoirs publics ont créé une structure ad hoc dédiée aux questions de santé publique.

La deuxième est d'ordre financier. Les sommes consacrées à la gestion de l'offre de soins sont sans commune mesure avec celle destinées aux politiques régionales de santé publique. Ce débat entre les dépenses consacrées à la médecine préventive et à la médecine curative dépasse largement le cadre régional mais la répartition des moyens disponibles fait que, de facto, l'agence accorderait sa priorité à l'offre de soins. Et ce d'autant que c'est un domaine dans lequel il est plus aisé de fixer des objectifs chiffrés et d'apprécier les résultats de la politique menée par l'agence.

Ainsi, si le choix des attributions est une étape décisive pour déterminer l'ampleur du regroupement institutionnel provoqué par la création de l'ARS, le domaine de la santé publique démontre que le regroupement de toutes les structures communes à l'État et à l'assurance maladie existant au niveau régional peut poser des problèmes de priorités d'action. La rationalisation institutionnelle mérite bien une expérimentation avant de trouver sa forme définitive.

Enfin, alors que la mise en oeuvre de cette expérimentation prend du retard, on peut imaginer que les textes fixant les règles de participation prévoient que les compétences exercées par l'ARS soient déclinées autour d'objectifs et fassent l'objet d'une contractualisation entre les différentes parties à l'agence. Cela aurait le mérite de déterminer une programmation pluriannuelle et de fixer la répartition des moyens apportés au fonctionnement de l'agence et à la poursuite des programmes.

2. Quelle place pour les partenaires de l'État ?

Au-delà des interrogations soulevées par le périmètre de la fusion entre différentes structures régionales et le champ de leurs attributions, la création des agences régionales de santé soulève la question de la place respective de chacun des participants. C'est d'ailleurs la principale explication de la non-mise en oeuvre de l'expérimentation ARS un an après le vote de la loi.

Les partenaires de l'État n'exigent pas un bouleversement du périmètre traditionnel des compétences exercées par ce dernier, la détermination des grands principes en matière de santé et la responsabilité de la sécurité sanitaire demeureront de sa compétence. Cela est d'autant plus vraisemblable que, comme le rappelle la Cour des comptes, « la région administrative n'est pas toujours le niveau géographique le plus adapté », en matière épidémiologique, par exemple.

Toutefois, l'arrivée des conseils régionaux au sein des organes de direction des agences régionales est de nature à bousculer les modes de fonctionnement de la commission exécutive de l'agence. L'assurance maladie, qui finance le système de soins, demande, quant à elle, d'être mieux associée à la détermination et au contrôle des dépenses exécutées au niveau régional.

a) L'intégration des conseils régionaux dans les instances sanitaires bouleverse les équilibres existants

L'intégration des conseils régionaux au sein des instances sanitaires, qu'il s'agisse des agences régionales d'hospitalisation, au titre de l'expérimentation prévue par l'article 70 de la loi relative aux responsabilités locales, ou des futures agences régionales de santé, va provoquer un bouleversement dans le fonctionnement de ces structures, notamment au niveau des instances de direction.

Cette mutation est liée à l'apparition d'un troisième partenaire au sein d'instances habituellement composées à parité entre les représentants de l'État et ceux de l'assurance maladie, à l'instar de la commission exécutive des agences régionales de santé.

La participation du conseil régional influera sur les équilibres et les votes au sein de la commission exécutive de l'agence et réduira les pouvoirs du directeur de l'agence régionale qui dispose aujourd'hui d'une voix prépondérante. La force de ce privilège sera réduite par l'extinction d'un paritarisme strict État-assurance maladie.

Au-delà d'une simple modification arithmétique, c'est la légitimité dont disposeront les représentants du conseil régional, et à plus forte raison lorsque le Président du conseil régional siègera au sein de la commission, qui est de nature à modifier les équilibres.

Toutefois, si la légitimité du conseil régional à intervenir sur les questions de répartition de l'offre de soins découle de sa compétence générale de gestion du territoire concerné, les limites de sa capacité financière d'intervention dans le domaine de la santé font qu'il ne devrait pas pouvoir, dans le cadre de cette expérimentation, exiger d'assurer la direction de l'agence mais se limiter plutôt à un magistère d'influence.

A titre d'exemple, il faut savoir que le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, dont le budget global annuel est légèrement inférieur à 1,5 milliard d'euros, consacre annuellement 11 millions d'euros au financement de programmes sanitaires. Ces 11 millions représentent une somme importante pour l'exercice d'une compétence qui n'est pas obligatoire, et l'action du conseil régional est souvent montrée en exemple. Mais quelle que soit la qualité de cet engagement financier, il ne peut pas être comparé aux moyens nécessaires à la politique régionale en matière d'offres de soins à laquelle sont consacrés annuellement 4 milliards d'euros.

b) L'assurance maladie doit être associée à la direction des nouvelles agences régionales de santé.

Des trois principaux acteurs concernés : État, conseils régionaux, assurance maladie, cette dernière aborde la question de la création d'une agence régionale de santé dans la situation la moins favorable.

A l'évidence, dans l'hypothèse de la création d'une structure unique dotée de pouvoirs importants, la légitimité de l'État à définir les grandes orientations en matière de santé et d'offres de soins ne serait pas véritablement remise en question, pas plus que la qualité des conseils régionaux à peser sur des choix locaux.

L'assurance maladie ne bénéficie pas d'une telle assise alors qu'elle fournit à l'échelon régional à la fois l'essentiel de l'effort financier et un fort contingent de personnel.

Dans ces conditions, l'association de l'assurance maladie aux agences régionales de santé doit être définie en tenant compte de trois principes forts.

Le premier est le respect de l'esprit de la gouvernance mise en oeuvre par la loi du 13 août 2004. Les pouvoirs publics ont maintenu l'autonomie de l'assurance maladie, ont accru ses pouvoirs propres et ont tourné le dos à toute velléité d'étatisation du système. Ce respect des pouvoirs propres de l'assurance maladie ne la dispense pas de procéder à la restructuration et à la rationalisation de son réseau mais lui confère une légitimité institutionnelle propre.

Le deuxième est de mieux associer l'assurance maladie à la répartition des enveloppes budgétaires régionales. La convention régissant les rapports entre l'assurance maladie et les médecins prévoit la mise en oeuvre de la maîtrise médicalisée au niveau régional. Par parallélisme des formes, l'assurance maladie devrait être mieux associée à la détermination des budgets hospitaliers régionaux.

Le troisième consiste à confier à l'assurance maladie le contrôle des dépenses hospitalières liées à la T2A, sous une forme identique au contrôle qu'elle exerce sur les autres prestations.

L'ensemble accorderait à l'assurance maladie une légitimité construite sur l'expertise et le contrôle qui l'autorisera à participer à la direction des structures communes dont les compétences seront centrées sur la planification et la répartition de l'offre de soins, à la fois dans le domaine hospitalier et le domaine ambulatoire.

Dans ce contexte, il pourrait même être envisagé d'associer le directeur général de l'UNCAM à la nomination des directeurs des ARS, sous forme d'un avis consultatif, et de promouvoir ponctuellement des personnels de l'assurance maladie, ayant une expérience de gestion régionale, à la tête de ces structures, comme cela avait été évoqué dès 1996 pour les ARH.

Au total, la mise en oeuvre des futures agences régionales de santé résultera d'un équilibre qui reste à déterminer entre :

- la rationalisation des structures opérant au niveau régional par fusion et nouvelle détermination des attributions ;

- la clarification des compétences entre les différents acteurs régionaux ;

- la juste représentation de chacun des acteurs au sein des agences.

*

* *

Treize mois après l'adoption du projet de loi relatif à l'assurance maladie, une appréciation positive peut être portée sur le service « après-vote » de la réforme.

Le ministre de la santé et des solidarités peut à juste titre se féliciter de la publication de 88 % des textes réglementaires nécessaires à l'application de la loi du 13 août 2004, ce qui a permis d'actionner rapidement les nouveaux outils de régulation qu'elle instaure.

C'est ainsi que le parcours de soins est entré en vigueur au 1 er juillet 2005, comme le prévoyait le calendrier prévisionnel de mise en oeuvre de la réforme présenté par le Gouvernement.

Les institutions composant la nouvelle gouvernance de l'assurance maladie - Union nationale des caisses d'assurance maladie, Union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie, Union nationale des professionnels de santé - ont été mises en place entre le mois de décembre 2004 et le mois de juin 2005. Dès son installation, l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire a fait part de son souhait d'être associée aux négociations conventionnelles à venir et à la détermination de certaines étapes du parcours de soins (notamment contrats responsables).

Il est vrai que certains retards ont été constatés. Ils s'expliquent par la complexité des dispositifs à mettre en oeuvre et la nécessité de procéder à de larges consultations préalables à la publication de certains textes réglementaires. C'est notamment le cas de la mise en oeuvre de l'expérimentation relative aux agences régionales de santé pour laquelle il est indispensable de définir des règles de fonctionnement susceptibles de s'appliquer pendant quatre années et de nature à susciter l'intérêt des conseils régionaux pour ce projet.

Ces retards ne sont pas, en l'état, préjudiciables à l'esprit de la réforme, ni à son efficacité. Ils ont, en revanche, un effet contraignant sur la pédagogie de la réforme qui doit être répétée, adaptée, au fur et à mesure de l'entrée en vigueur des mesures nouvelles.

Conclure que ces retards nuisent à l'optimisation du système de soins ou à l'efficacité de certains dispositifs reposant sur l'initiative des acteurs serait, aujourd'hui, hors de propos.

La création du médecin traitant, la coordination des soins et l'articulation des interventions du régime obligatoire et des régimes complémentaires demeurent les principales innovations d'une réforme ambitieuse porteuse d'un véritable projet, ce qui n'aurait pas été le cas si elle s'était résumée à opérer des baisses de remboursement et des hausses de cotisations.

Cette réforme a fait le pari de l'évolution des comportements et de la responsabilisation de tous les acteurs du système de santé. Aujourd'hui, il appartient au Gouvernement de compléter la publication des derniers textes réglementaires nécessaires à l'application de la loi mais surtout de redoubler d'efforts pour assurer la diffusion d'une information pédagogique adaptée à chacun des acteurs concernés.

* 11 La sécurité sociale, septembre 2004.

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