EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le jeudi 3 novembre 2005 sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , sur l'informatisation dans le domaine de la santé.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a indiqué que la mission de contrôle qu'il avait menée en application de l'article 57 de la LOLF sur l'informatisation du secteur de la santé s'inscrivait dans le droit fil de celle menée en 2004 par le président Jean Arthuis, sur l'informatisation de l'Etat, et qui avait donné lieu à la parution d'un rapport d'information ad hoc.

Il a précisé qu'il avait procédé à de nombreuses auditions, ainsi qu'à des déplacements sur le terrain, tant en France qu'au Royaume-Uni.

Dans un premier temps, il a présenté la réalité contrastée de l'informatisation du secteur de la santé en France. Il a ainsi noté que les professionnels libéraux étaient majoritairement informatisés (80 à 85 %) mais que, seuls, 40 à 60 % d'entre eux avaient recours à un dossier informatisé. Peu d'entre eux disposaient d'un dossier patient réellement ouvert, communiquant et utilisant une application moderne. Il a relevé que leur utilisation de l'équipement informatique était principalement orientée vers la transmission des feuilles de soin électroniques. Puis il a souligné que le déploiement du haut débit, auquel seuls 20 % des médecins généralistes avaient accès, constituait un enjeu essentiel pour l'avenir.

Il a ensuite mis en évidence le retard des hôpitaux publics en matière d'informatisation. Il a observé que les hôpitaux, publics comme privés, couvraient globalement le domaine de l'informatique de gestion, mais que les applications étaient vieillissantes et peu intégrées. En revanche, il a indiqué que le dossier patient et les processus de soins étaient insuffisamment informatisés, notamment dans les établissements publics, puisque seuls 20 à 25 % de ceux-ci disposent d'un dossier patient électronique.

De manière générale, il a relevé que les investissements informatiques des hôpitaux publics, estimés à 206 millions d'euros pour 2004, représentaient près de 5 % du total de leurs investissements. Il a toutefois précisé que cette donnée générale recouvrait des situations différentes suivant les établissements considérés. Les centres régionaux de lutte contre le cancer consacreraient ainsi 2 % en moyenne de leur budget d'exploitation à l'informatique, les centres hospitaliers universitaires (CHU) 1,5 %, les centres hospitaliers ou participant au service public hospitalier entre 1 et 1,5 %, les plus petits se limitant à 0,7 %, tandis que la proportion du budget des cliniques privées sous objectif quantifié national consacrée à l'informatique serait de l'ordre de 0,5 % à 1 %.

Il a également souligné quelques réussites notables, comme l'hôpital européen Georges Pompidou, dans lequel il s'était rendu, le CHU d'Amiens, l'institut Gustave Roussy ou encore le centre hospitalier d'Arras.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a fait le point sur le niveau des dépenses informatiques de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Il a indiqué que la CNAMTS, dans le cadre de la préparation de la convention d'objectif et de gestion 2004-2007 passée avec l'Etat, avait présenté une demande de 2,58 milliards d'euros au titre des dépenses informatiques, soit une augmentation de 127 % par rapport au budget de la période précédente 2000-2003. Il a précisé qu'une mission conduite par les inspections générales des affaires sociales et des finances avait validé une enveloppe budgétaire de seulement 1,5 milliard d'euros sur quatre ans, soit 1 milliard d'euros de moins que le projet initialement présenté par la CNAMTS. Il a relevé que, d'après le directeur général de la CNAMTS, cet investissement ne remettrait pas en cause le programme d'économies présenté lors de la réforme de l'assurance maladie, qui devrait se traduire par une moindre dépense de 200 millions d'euros sur la période 2005-2007.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a ensuite resitué la France par rapport aux autres pays.

Il a indiqué que la France était en retard, du point de vue du dossier patient, par rapport à ses voisins d'Europe du Nord, mais légèrement en avance par rapport à ceux d'Europe du Sud. Il a observé que le niveau d'informatisation des hôpitaux allemands était sans doute légèrement supérieur à celui de la France. Il a noté que l'Italie et l'Espagne conduisaient quelques projets régionaux de systèmes d'information de santé, mais qu'ils étaient globalement moins avancés en matière d'informatique hospitalière. Il a relevé que le Canada et le Royaume-Uni avaient récemment engagé des plans ambitieux d'informatisation de leur système de santé, assortis de moyens importants, puis a fait valoir que les Etats-Unis étaient en avance, la moyenne des budgets des hôpitaux universitaires consacrée au système d'information variant entre 2,5 et 5 %.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a mis en évidence les principales faiblesses des systèmes d'information du secteur de la santé en France :

- l'insuffisance du pilotage global, les responsabilités étant éclatées entre une administration centrale sous-dotée en effectifs, des missions spécialisées et des structures annexes ;

- le retard des établissements publics de santé, notamment lié à l'absence, jusqu'à présent, de prise en compte du caractère stratégique des systèmes d'information et de leur nécessaire médicalisation ;

- le cloisonnement des systèmes d'information, caractérisé par l'absence d'interopérabilité de ces systèmes, d'une part, au sein d'un même hôpital, d'autre part, entre les hôpitaux et enfin entre la médecine de ville et les établissements de santé ;

- la faible normalisation internationale des systèmes informatiques ;

- une formation des professionnels de santé inadaptée aux enjeux de l'informatisation.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a toutefois remarqué que plusieurs réformes structurantes pour les systèmes d'information avaient été engagées récemment. Il a observé que le plan d'aide à l'investissement hospitalier « hôpital 2007 » comprenait 275 millions d'euros sur 5 ans pour les systèmes d'information, soit 3 % seulement du total des crédits du plan. Il a précisé que ces aides étaient concentrées sur quelques projets, notamment ceux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP HP), et que la consommation des crédits paraissait encore insuffisante. Il a noté que la mise en oeuvre de la tarification à l'activité contribuait également à bouleverser le contexte informatique des établissements de santé, de même que la généralisation du dossier médical personnel (DMP), qui constituait un véritable défi pour l'ensemble des acteurs.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a, en effet, estimé que la mise en place du DMP révélait les carences des systèmes d'information et de leur pilotage. Après avoir rappelé les caractéristiques du projet contenu dans la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance-maladie, il a indiqué que l'objectif initial du gouvernement consistait à rendre opérationnel et à généraliser le dispositif à la mi 2007.

Il a indiqué que l'organisation pour atteindre cet objectif avait tardé à se mettre en place, puisque la constitution d'une structure ad hoc -le groupement de préfiguration du dossier médical personnel (GIP DMP)- n'était intervenue que 8 mois après le vote de la loi et n'avait pas été accompagnée d'une réflexion sur le rôle des nombreuses structures existantes. Il a indiqué que le GIP DMP avait élaboré un calendrier en quatre phases devant conduire à une généralisation du déploiement du DMP à partir du 1er janvier 2007.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a toutefois observé que plusieurs questions stratégiques restaient sans réponse. Il a notamment relevé que la définition du contenu concret du DMP soulevait de réelles difficultés. Il s'est interrogé sur l'articulation entre le DMP et le projet de « web médecins » développé par la CNAMTS, qui devrait permettre aux médecins de consulter l'historique des remboursements des soins et prestations versés à chaque patient. Il a fait valoir que la maîtrise du patient sur son dossier soulevait la question de la fiabilité des données stockées et a estimé que les médecins n'utiliseraient le DMP que si celui-ci retraçait réellement les affections du patient. Il a également indiqué que le cadre géographique de mise en oeuvre du DMP n'était pas défini. Enfin, il a remarqué que les différents acteurs devaient être convaincus de la pertinence du projet, ce qui constituait un enjeu majeur.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a déclaré que la généralisation, d'ici à juillet 2007, d'un dossier médical personnel substantiel, apparaissait irréaliste. Il a cité, notamment, les propos du directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère de la santé et des solidarités, pour qui « la généralisation d'un dossier structuré assez complet demandera vraisemblablement une dizaine d'années. On peut cependant viser pour l'horizon 2007 un déploiement significatif d'un DMP simple (voire « rustique ») pour plusieurs millions de patients ». Il a indiqué que ce point de vue était partagé par l'ensemble des personnes auditionnées et qu'il convenait donc d'en tenir compte dans la conception du projet.

S'agissant du coût et des retombées de ce dernier, il a observé que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 ne permettait pas d'identifier les sommes consacrées au développement du DMP, les besoins étant estimés à 100 millions d'euros. Il a indiqué que le coût de fonctionnement de ce dossier en régime de croisière serait compris entre 10 et 20 euros par dossier actif et par an, soit entre 600 millions d'euros et 1,2 milliard d'euros au total. Il a noté que les dépenses induites pour les hôpitaux étaient évaluées à 100 millions d'euros en investissements et 300 millions d'euros en exploitation, même si ce coût serait très variable en fonction des établissements. Il a ajouté que le coût pour la médecine de ville restait difficile à évaluer, mais qu'il serait nécessaire de prévoir une aide en direction des médecins pour assurer le développement de ce projet. Il a enfin constaté que les économies potentielles demeuraient floues et qu'il n'était pas possible d'effectuer un bilan coûts/économies.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a noté que la comparaison avec l'expérience britannique d'informatisation du système de santé, qu'il avait tenu à aller examiner « sur place », révélait les erreurs du projet français. Il a rappelé que le projet anglais avait été conçu à partir de 1998, pour aboutir en 2010. Il a souligné l'importance du contexte politique, marqué par la nécessité d'améliorer la qualité des soins. Il a indiqué que les principes du projet reposaient, d'une part, sur un doublement des dépenses informatiques, qui seraient sanctuarisées ; d'autre part, sur la définition, au niveau central, de standards nationaux pour la diffusion des données informatiques et l'équipement en matériel informatique ; enfin, sur la définition d'un programme national d'informatisation destiné à mieux maîtriser le développement généralisé des nouvelles technologies dans le secteur de la santé. Il a observé qu'il s'agissait d'un programme global, qui incluait, outre le dossier médical personnel, des systèmes électroniques de prise de rendez-vous et de stockage numérique des images.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a précisé que le projet était ciblé sur le Royaume-Uni et que cinq régions avaient été définies, afin de limiter le risque de défaillance d'un système ou d'un industriel. Il a relevé que le fichier central de données ne comprendrait qu'un résumé des informations médicales consignées par les médecins généralistes (GPs).

Il a estimé que ce projet était appuyé par une véritable volonté politique qui se déclinait au niveau administratif. Il a ainsi précisé qu'une « task force » avait été mise en place au sein du NHS (ministère de la santé britannique), puis qu'une agence ad hoc avait été créée. Il a observé que la mise en oeuvre du programme suivait un cap clair et s'échelonnait jusqu'en 2010. Il a toutefois relevé qu'un retard d'environ 18 mois était d'ores et déjà envisagé. Il a indiqué que les personnes rencontrées au Royaume-Uni avaient souligné l'importance, d'une part, du travail de réflexion préparatoire pour aboutir à un cahier des charges valide sur le long terme, d'autre part, des campagnes de communication pour obtenir l'adhésion des patients comme des professionnels de santé.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a fait valoir que le projet britannique bénéficiait de moyens importants, puisqu'un investissement de 6,2 milliards de livres sterling (9,3 milliards d'euros) était prévu d'ici à 2010 pour les seules « dépenses centrales », tandis que les « dépenses locales » étaient évaluées à un milliard de livres sterling par an pour l'ensemble du NHS. Il a précisé que certains anticipaient un coût global bien supérieur, pouvant être compris entre 18,6 et 31 milliards de livres sterling.

Il a souligné que les industriels avaient été mis « sous pression », le NHS ayant obtenu une baisse de 60 % du prix de leur demande initiale et imposé le principe du « payment on reward ».

En conclusion, M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a souhaité que le gouvernement prenne la mesure des enjeux, clarifie ses orientations ainsi que le calendrier de mise en oeuvre du DMP et s'inspire du modèle britannique. Il a rappelé que l'informatisation du système de santé permettrait en premier lieu d'améliorer la qualité du système de santé, ce qui se traduirait, ensuite, par des économies.

Puis il a formulé dix propositions, dont certaines seraient débattues dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 :

1) définir un véritable pilotage central de la politique d'informatisation, qui doit être du ressort de l'Etat et relever d'une structure administrative ayant une visibilité suffisante ;

2) renforcer les moyens et la capacité d'expertise de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins du ministère de la santé et des solidarités ;

3) pérenniser le Groupement pour la modernisation du système d'information hospitalier (GMSIH) en élargissant ses missions aux enjeux de l'informatisation de la médecine de ville ;

4) associer les professionnels de santé aux orientations stratégiques en matière d'informatisation ;

5) redéployer les crédits non consommés du plan « Hôpital 2007 » vers les actions d'informatisation des établissements de santé ;

6) accroître les investissements consacrés aux systèmes d'information dans les établissements de santé ;

7) clarifier le calendrier de mise en place du DMP, ses objectifs et les moyens qui devront y être consacrés à moyen-long terme ;

8) affecter une part déterminée de la dotation du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville à la mise en oeuvre du DMP ;

9) développer les formations initiale et continue des professionnels de santé ;

10) lancer une campagne globale de sensibilisation des professionnels de santé et du grand public, afin de s'assurer de leur adhésion, condition essentielle de la réussite de ce chantier.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Jean Arthuis, président , a remercié le rapporteur spécial pour la qualité de son intervention et s'est dit frappé par le défaut de pilotage constaté dans la mise en place du DMP.

M. Yves Fréville a remarqué que, faute d'avoir clairement défini les objectifs au départ, la situation avait finalement peu changé depuis les premières expériences d'informatique médicale. Il a souligné l'importance du rôle de la formation pour le succès d'un projet de cette envergure.

M. Jean-Jacques Jégou , rapporteur spécial, a indiqué que la formation annuelle facultative sur les systèmes d'information, organisée par l'Ecole nationale de la santé publique à destination des directeurs de systèmes d'information hospitaliers et de l'organisation (DSIO), ne réunissait que douze personnes par an pour 1.000 établissements, ce qui constituait un véritable échec.

M. Auguste Cazalet s'est déclaré stupéfait par le retard accumulé par la France dans le domaine de l'informatisation du système de santé et s'est interrogé sur la consommation des crédits destinés aux systèmes d'information.

M. François Trucy a estimé que l'informatisation du système de santé, après un investissement initial, permettrait de susciter des économies considérables, tout particulièrement en raison du décloisonnement de la médecine de ville et de l'hôpital.

M. Maurice Blin a souhaité savoir si les régions pourraient, le cas échéant, intervenir en complément d'un Etat central défaillant dans ce domaine. Il s'est interrogé sur l'impact de la mise en oeuvre de la LOLF sur ce point et a souligné que le problème majeur de l'informatisation résidait dans les réflexes culturels de chacun.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a indiqué qu'une régionalisation éventuelle devrait respecter le principe d'interopérabilité. Il a relevé les différences de coût constatées, pour une même opération, entre l'hôpital public et les cliniques privées.

M. Adrien Gouteyron a jugé « passionnante » la présentation faite par le rapporteur spécial. Il a regretté que la politique menée avec le DMP s'apparente à des effets d'annonce. Il s'est demandé si l'organisation du système de santé français permettait réellement à la volonté politique de s'imprimer sur le terrain. Il a souhaité connaître l'état de l'informatisation des établissements de soins privés, puis a estimé qu'il conviendrait de mettre l'accent sur la qualité des soins apportée par des systèmes d'information performants.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , a estimé qu'une volonté politique forte permettrait de vaincre les résistances. Il a noté que les cliniques privées étaient globalement en avance sur les hôpitaux publics et a jugé qu'une attention particulière devrait être portée aux missions d'intérêt général supportées par les établissements publics.

M. Jean Arthuis, président , a indiqué, eu égard à l'intérêt de la présente communication, qu'il conviendrait d'en assurer un suivi, notamment sous la forme d'un débat ad hoc en séance publique au cours du premier semestre 2006.

La commission a alors, à l'unanimité, donné acte, à M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial , de sa communication et décidé que les conclusions de sa mission feraient l'objet d'une publication sous la forme d'un rapport d'information.

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