II. MAYOTTE, UN ÎLOT DE PROSPÉRITÉ DANS UN OCÉAN DE PAUVRETÉ

Française depuis 1841, « avant Nice et la Savoie » , Mayotte a confirmé le choix de la France en 1976. Depuis cette date, l'Etat s'est investi dans le développement de l'île et a nettement accentué sa présence après les évolutions statutaires de 2000. De ce fait, la collectivité départementale de Mayotte est aujourd'hui devenue une sorte d'« îlot de prospérité dans un océan de pauvreté ». Malgré un niveau de vie encore bien inférieur à celui de La Réunion voisine ou de la métropole, Mayotte fait figure de nantie pour l'archipel des Comores et la « Grande île » de Madagascar.

Dans ce contexte, les rencontres et visites effectuées sur place par la mission l'ont conduite à identifier un problème majeur, d'une gravité particulière, l'immigration clandestine, auquel les principaux défis que l'île doit relever, tant dans les domaines de la santé, que du logement ou de l'éducation, sont directement liés. Néanmoins, la mission a aussi constaté que Mayotte avait d'indéniables atouts pour assurer son développement économique.


Les grandes dates de l'histoire de Mayotte française

Le 25 avril 1841 , le sultan Andriantsouli, d'origine malgache, cède l'île de Mayotte à la France, représentée par le Commandant Passot, pour faire échapper l'île aux attaques venues de l'extérieur, notamment des Comores. Mayotte devient alors colonie française. L'esclavage y est aboli dès 1846.

De 1886 à 1892 , soit près d'un demi-siècle plus tard, la France établit son protectorat sur les trois autres îles des Comores, l'archipel étant alors placé sous l'autorité du gouverneur de Mayotte.

Par la loi du 25 juillet 1912 , la colonie de « Mayotte et Dépendances » est rattachée à la colonie française de Madagascar.

En 1946 , l'archipel des Comores obtient le statut de Territoire d'Outre-mer, ayant pour chef-lieu Dzaoudzi.

Peu après l'application du statut de TOM prévu par la Constitution de 1958, les Grands Comoriens font subir aux Mahorais brimades, humiliations, restrictions de crédits et transfert du chef-lieu à Moroni.

En décembre 1974 , un référendum est organisé sur l'indépendance des îles des Comores. Le décompte des suffrages île par île fait apparaître que Mayotte souhaite rester dans le giron de la République française à 63,8 % des voix.

Une nouvelle consultation de Mayotte est organisée en février 1976 : la population plébiscite le maintien de Mayotte au sein de la République française à 99,4 %. Avec la loi du 24 décembre 1976 , Mayotte se voit dotée d'un statut provisoire de Collectivité Territoriale de la République.

L'ancrage de Mayotte dans la République française, réaffirmé par la loi du 22 décembre 1979 qui dispose que « l'île de Mayotte fait partie de la République française et ne peut cesser d'y appartenir sans le consentement de sa population » , n'aboutit cependant à aucune proposition concrète sur l'avenir statutaire de l'île.

Le combat pour « Mayotte française » mettra quasiment un quart de siècle à aboutir.

Le statut de Mayotte

Vingt et un ans plus tard, le 27 janvier 2000 , un Accord sur l'avenir de Mayotte est signé au nom de l'Etat par le secrétaire d'Etat à l'Outre-mer avec le président du conseil général et les principaux partis politiques de l'île (MPM-RPR-PS). Cet accord qui se propose de fixer les objectifs communs de l'Etat et de la Collectivité ainsi que les orientations statutaires vient conclure une longue démarche de concertation et de travail. Conformément aux engagements pris, la population de Mayotte est consultée le 2 juillet 2000 sur l'avenir institutionnel de son île. 72,94 % des électeurs se prononcent en faveur de cet accord.

La loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 dote Mayotte du statut de « Collectivité départementale », et réaffirme dans son article premier que Mayotte fait partie de la République et ne peut cesser d'y appartenir sans le consentement de sa population. La loi précise, en outre, que l'exécutif, exercé par le préfet, sera transféré au président du conseil général en mars 2004 et qu'un caractère exécutoire de plein droit sera conféré aux actes de la collectivité départementale après le renouvellement du conseil général de 2007. La loi dispose enfin qu'en 2010, le conseil général pourra proposer au Gouvernement une nouvelle évolution statutaire.

L'article 3 de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 prévoit également l'application de plein droit à Mayotte des lois, ordonnances et décrets relatifs à la nationalité ; à l'état et la capacité des personnes ; aux régimes matrimoniaux, successions et libéralités ; au droit pénal ; à la procédure pénale ; à la procédure administrative contentieuse et non contentieuse ; au droit électoral ; aux postes et télécommunications. Des dispositions en faveur du développement économique et social de l'île sont par ailleurs incluses dans la loi. Plusieurs ordonnances, notamment d'ordre social (extension et généralisation des prestations familiales, protection sanitaire et sociale, droit du travail et de l'emploi), sont intervenues au cours du premier trimestre 2002.

Ce nouveau statut doit permettre à Mayotte, société très majoritairement musulmane, d'adopter une organisation juridique, économique et sociale se rapprochant le plus possible du droit commun et adaptée à l'évolution de la société mahoraise.

Mayotte inscrite dans la Constitution française

Ultime étape de l'ancrage de Mayotte dans la République française, son inscription dans la Constitution effectuée par l'article 8 de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 qui a introduit l'article 72-3 dans lequel Mayotte est explicitement mentionnée.

A. UN PROBLÈME MAJEUR : L'IMMIGRATION CLANDESTINE

Malgré la brièveté du séjour de la mission à Mayotte, une évidence est clairement apparue : l'immigration clandestine est au coeur des problèmes rencontrés par l'archipel.

1. Une situation démographique explosive

La population de Mayotte atteint aujourd'hui environ 170.000 habitants, dont 55.000 étrangers. En trente ans, elle a été multipliée par cinq. La natalité élevée et l'immigration en provenance des îles voisines sont à l'origine de cette forte croissance démographique.

a) Une natalité élevée

Alors qu'en 1958, à peine 1.300 naissances étaient enregistrées à Mayotte, on en comptait plus de 3.800 en 1992 et 7.660 en 2004. Ainsi, entre 1992 et 2004, le nombre de naissances a doublé.

Ce scénario, unique en France, se poursuit d'ailleurs : 4.280 naissances ont été enregistrées durant le premier semestre 2005, soit en projection pour une année pleine de 8.560, représentant une augmentation de 12 %.

Parmi les femmes qui ont accouché, près de sept sur dix sont d'origine étrangère. La majorité est originaire des Comores.

Pour l'ensemble de la population de Mayotte, l'indicateur de fécondité s'établit à 4,7 enfants par femme. Ce taux moyen cache en fait une forte disparité de comportement selon l'origine de la mère : de 3,5 enfants pour les femmes nées à Mayotte, il passe à cinq enfants pour les autres. Ces taux sont bien au-dessus de ceux observés en métropole, soit 1,9, et même à La Réunion 2,5.

La croissance démographique, très forte entre 1978 et 1997 avec un taux annuel moyen supérieur à 5,5 %, s'est infléchie depuis et affiche désormais un taux de croissance annuel moyen de 4,1 %.

Plusieurs phénomènes expliquent ce ralentissement de la croissance démographique. Tout d'abord la natalité diminue : de près de cinquante naissances pour mille habitants en moyenne annuelle entre 1958 et 1966, elle est passée à quarante entre 1997 et 2002. La natalité reste bien supérieure à celle de La Réunion (20 %o en 2002) et plus encore à celle de la France métropolitaine (13 %o en 2002). En parallèle, le taux de mortalité chute encore plus vite : il est passé de vingt-cinq décès pour 1.000 habitants à 3,5 sur les mêmes périodes. Le solde naturel n'a par conséquent pas cessé de croître depuis 1958. Il est passé d'une moyenne annuelle de 675 personnes supplémentaires entre 1958 et 1966 à 5.100 personnes entre 1997 et 2002.

b) Des migrations de grande ampleur

Sur les vingt dernières années, les arrivées sur le territoire ont plus que doublé, passant d'une moyenne annuelle de 2.000 personnes entre 1985 et 1991 à plus de 4.300 entre 1997 et 2002.

Mais les départs ont augmenté plus rapidement encore. Si 520 personnes en moyenne quittaient Mayotte chaque année entre 1985 et 1991, elles étaient 3.600 entre 1997 et 2002. Alors que les départs compensaient un quart des arrivées entre 1986 et 1991, ils en compensent plus des quatre cinquièmes entre 1997 et 2002. Ce phénomène surprend par son ampleur et ses conséquences sont multiples.

La première conséquence de ce mouvement d'émigration est la stagnation de la population française à Mayotte. Celle-ci est passée de plus 103.000 individus en 1997 à juste 105.000 en 2002. Pourtant les projections démographiques hors mouvements migratoires en attendaient entre 13.000 et 15.000 de plus.

Les départs de Mayotte concernent une population à l'image de la population mahoraise recensée en 1999 à La Réunion, c'est-à-dire essentiellement des jeunes et des femmes, avec un faible niveau scolaire et très peu de diplômes. Presque 86 % des actifs étaient au chômage. Loin de l'entraide qui a cours à Mayotte entre membres d'une même famille, ces Mahorais de La Réunion vivent principalement des aides sociales (API et RMI) inexistantes à Mayotte et des allocations familiales déplafonnées et d'un montant supérieur à celui de leur île d'origine.

Si la population de nationalité française stagne, la population étrangère a presque doublé entre 1997 et 2002. Désormais plus de 55.000 étrangers vivent à Mayotte, soit une personne sur trois, et 96 % d'entre eux sont comoriens.

Nombre d'entre eux sont en situation irrégulière puisque selon la préfecture de Mayotte, il y aurait moins de 10.000 permis de séjour en cours de validité en 2002.

Les raisons de cette immigration de Comoriens sont multiples. La volonté affichée des Mahorais de rester dans le giron de la France a pour conséquence un alignement sur les normes françaises en termes d'infrastructures, de logements, d'accès à l'éducation et aux services de santé... Ce rattrapage et le décalage qu'il engendre vis-à-vis des îles voisines sont à l'origine de l'attrait qu'exerce Mayotte. En outre, l'accès aux soins y était gratuit jusqu'au mois d'avril dernier. Enfin les liens qui unissent les quatre îles de l'archipel des Comores ne sont pas que géographiques : des liens de parenté existent entre les habitants de ces îles.

La pyramide des âges de Mayotte fait apparaître la très grande jeunesse de la population dont 53 % ont moins de vingt ans, ce qui correspond au pourcentage le plus élevé des territoires français. Par ailleurs, en 2002, seulement 4 % des Mahorais avaient soixante ans et plus, alors que ce pourcentage était en 1999 de 10 % à La Réunion et de 20 % en France métropolitaine.

Actuellement, la densité moyenne sur l'archipel est de 428 habitants au km². Cette population est de plus en plus concentrée autour d'un pôle urbain, Mamoudzou, chef-lieu de l'île, qui compte plus de 45.000 habitants, soit 28 % de la population totale.

2. Un préalable pour faire face à ce problème : l'état civil

En raison de certaines coutumes d'origine africaine et du droit musulman, il n'existait pas à Mayotte de nom patronymique transmissible, rendant ainsi très difficile l'établissement d'un état civil fiable.

L'identité individuelle comporte des éléments divers : le nom de parenté, le prénom usuel ou familial non déclaré à l'état civil et employé dans les relations avec les proches, le surnom, le prénom de l'école, officiellement déclaré à l'état civil et utilisé dans les relations avec l'administration.

Les enjeux de la modernisation de l'état civil sont donc considérables. En effet, il s'agit d'affirmer des droits de la personne en tant que sujet clairement individualisé et d'officialiser dès la naissance une identité permanente.

L'ordonnance n° 2000-218 du 8 mars 2000 fixant les règles de détermination des noms et prénoms des personnes de statut civil de droit local applicable à Mayotte prévoit que les Mahorais de statut personnel doivent choisir un nom patronymique parmi une liste établie par une commission du nom patronymique créée en 1997. Cette liste tient compte des particularités culturelles et linguistiques de la population.

La commission de révision de l'état civil doit dans un premier temps recueillir le choix des Mahorais s'agissant de leur nom patronymique. Ce travail, qui devait être achevé dans un délai d'un an a pris du retard, les moyens ayant été tardivement mis à la disposition de la commission.

De plus, un travail important de pédagogie est nécessaire afin que tous les enfants d'une même fratrie soient enregistrés sous le même nom.


Le statut personnel à Mayotte

La religion musulmane, implantée à Mayotte depuis le XV e siècle, occupe une place majeure dans l'organisation de la société. 95 % des Mahorais sont d'obédience musulmane et de rite sunnite. Les Mahorais ont une pratique modérée de l'islam, même si les enfants fréquentent l'école coranique, généralement tôt le matin, avant l'école laïque.

Le droit coutumier inspiré du droit musulman et des coutumes africaines et malgaches s'applique aux Mahorais ayant conservé leur statut personnel, comme le permet l'article 75 de la Constitution. La loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte maintient l'existence de ce statut civil de droit local et précise les possibilités de renoncer à ce statut au profit du statut civil de droit commun.

Le statut personnel , statut de droit civil, concerne essentiellement les droits de la personne et de la famille, ainsi que les droits patrimoniaux. Dans ces domaines, les Mahorais ayant conservé leur statut personnel sont donc soumis à des règles particulières comme l'inégalité des sexes en matière de droit successoral.

Les litiges nés de l'application du droit local sont de la compétence de juridictions spécifiques : le tribunal de cadi (premier degré), le grand cadi (juridiction d'appel), la chambre d'annulation musulmane (litiges supérieurs à 305 euros). La justice cadiale , aux termes de la loi de 2001, est destinée à évoluer notamment vers un rôle de médiation ou de conciliation.

La société mahoraise traditionnelle fonctionne sur les principes de la prééminence du groupe sur l'individu, de la matrilinéarité (filiation définie dans la lignée maternelle) et de la matrilocalité (résidence de la famille chez la mère). La culture mahoraise s'appuie sur une tradition orale riche.

L'ordonnance n° 2000-219 du 8 mars 2000 relative à l'état civil à Mayotte a posé les nouveaux principes applicables.

Désormais, les déclarations de naissance des enfants devront être faites dans les quinze jours de l'accouchement à l'officier de l'état civil du lieu de naissance. De même, la célébration du mariage pourra continuer à être faite par le cadi mais en présence de l'officier de l'état civil qui dressera sur le champ l'acte de mariage.

Mais ces dispositions tardent à se mettre en place, en raison notamment d'une insuffisance de moyens, et la reprise de « l'arriéré » (naissances et mariages antérieurs à la publication de l'ordonnance) est encore très partielle. Aussi, beaucoup d'abus sont encore possibles et sont effectivement constatés. Il est en outre facile, pour quelques dizaines d'euros, d'« acheter » un époux ou une épouse de nationalité française et obtenir des papiers.

La mission a donc estimé qu'il était prioritaire de renforcer l'état civil à Mayotte afin de pouvoir limiter certains flux d'immigration clandestine et éviter le déplacement de nombreux Comoriens et Mahorais vers La Réunion.

3. La nécessité d'une coopération avec les Comores

Pour endiguer les flux quotidiens en provenance des Comores vers Mayotte mais également, à une moindre échelle, vers La Réunion ou la métropole, il est impératif de favoriser le développement des Comores.

En effet, les indicateurs de production de richesses et de niveau de vie des habitants y sont parmi les plus faibles du monde, les Comores se situant, selon les années, entre les dix ou quinze pays les plus pauvres du monde.

L'archipel est d'ailleurs soumis à un programme d'ajustement structurel difficilement négocié avec la Banque mondiale.

Bien que l'agriculture soit l'unique ressource, la balance agricole est déficitaire. Les plantations coloniales de plantes à parfum ont été relayées par les productions paysannes, mais coprah, girofle et vanille ne rapportent plus grand chose sur les marchés internationaux. Les Comoriens, tout en vivant surtout près du rivage, pratiquent une petite agriculture vivrière (riz de brûlis, maïs, légumineuses et tubercules) dans les « hauts » escarpés, où ils élèvent aussi des bovins. Le pays ne survit que grâce à une aide internationale de plus en plus réticente et aux envois d'une diaspora, importante à Madagascar, à La Réunion et en France. Plus de la moitié de la nourriture doit être importée.

L'activité industrielle se limite au conditionnement de la vanille, au séchage du coprah et à la distillation d'huiles essentielles. Les exportations sont inférieures aux importations. Seul le tourisme, encore très limité faute d'infrastructures, apporte quelques devises.

Dans ces conditions, Mayotte fait figure de « nantie » dans la zone et attire comme un aimant des populations qui n'ont rien à perdre chez elles.

Aussi, afin de rééquilibrer un peu la situation, il importe aujourd'hui d'aider les Comores, dont la vie politique et institutionnelle s'est stabilisée, à amorcer un développement économique plus solide capable de retenir ses populations sur place.

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